dimanche 29 avril 2018

La guinguette, etc. ou : c'est passé ric-réac


Tout à l'heure, à la suite d'un commentaire un peu trop copieux et bourratif de ma part (moi qui suis d'ordinaire la légèreté même, chacun sait), sur un blog où nous nous invitons parfois lui et moi, M. Arié m'a fait remarquer, avec un nuage d'ironie comme sur le thé le lait, que si c'était pour venir écrire mes billets chez les autres, j'aurais aussi vite fait de rouvrir mon blog (c'est l'idée, c'est pas les mots, comme disait ma rédactrice en chef il y a quelques années). J'ai bien dû reconnaître qu'il n'avait pas tort – donc voilà. Le commentaire dont auquel était le suivant :

« À propos d’anti-sarkozysme (dont il est question un peu plus haut dans ce « fil »), je suis en train de terminer le livre de Patrick Buisson intitulé La Cause du peuple, et je me demande pourquoi, sinon par préjugé, par a-priorisme, il n’est pas devenu la bible de tous les antisarkozystes, tant l’ex-président en ressort en lambeaux. Il n’est d’ailleurs pas le seul, loin de là. Parmi les mieux « servis », Henri Guaino et encore plus Carla Bruni ; mais aussi Brice Hortefeux et NKM. Le livre est évidemment, pour une part, un plaidoyer pro domo, couplé avec une plongée dans le quinquennat de Sarkozy. Mais, s’il n’était que cela, je ne serais sans doute pas allé plus loin que les trente ou quarante premières pages. Or, il se trouve que Buisson est surtout un analyste particulièrement perspicace et profond des fractures béantes qui minent le peuple français (même si on n’est pas d’accord avec ses conclusions). Et que, de plus, il n’est pas, stylistiquement parlant, dénué d’un certain panache, même s’il a l’irritante faiblesse de céder aux tics langagiers les plus stupides de l’époque (« initier » dans le sens de commencer ou lancer, « au final », « acter », etc.) Bref, c’est un livre que tout un chacun pourrait lire avec profit. À condition d’éprouver encore un soupçon d’intérêt pour le peuple français évidemment. »

Au chapitre des curieuses lacunes langagières de M. Buisson, il y a celle-ci qu'il semble ignorer l'existence de deux verbes “ressortir” : l'un, le plus courant, ressortir de, du troisième groupe et voulant dire “sortir à nouveau” ; l'autre, ressortir à, appartient au deuxième groupe et signifie “relever de”. Il est tout de même bien étrange qu'un homme de sa culture méconnaisse ce distinguo, comme il le prouve à deux reprises dans son livre ; qui, malgré cela, reste une riche lecture.

Je ne sais si c'est le fait d'avoir fugitivement fermé blog et journal, et donc de me sentir seul au monde, protégé des chafouins et des envieux, mais je me vautre depuis deux jours dans le réactionnariat le plus éhonté puisque, au sortir du Buisson, je m'apprête à m'enfoncer dans le maquis maurassien, m'étant offert le volume qui vient de sortir dans la collection Bouquins de Robert Laffont, lequel rassemble aussi bien les textes autobiographiques et esthétiques de Maurras que ses poèmes et, naturellement, ses grands écrits politiques.

L'amusant est que la préface à ce recueil de mille deux cents pages est due à un certain Jean-Christophe Buisson : je ne sors pas des lectures épineuses.

lundi 23 avril 2018

En Arles

Paul-Jean Toulet, 1867 – 1920

Dans Arles, où sont les Alyscamps,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,





Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd ;





Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c'est d'amour,
Au bord des tombes.


Et ce sera tout.

samedi 21 avril 2018

La leçon sous le cerisier


Fort agréable après-midi, passée à l'ombre du cerisier qui achève de perdre ses fleurs. Charlus se roulait dans l'herbe drue à ma gauche, cependant que Cosmos se risquait à venir jusqu'à mon fauteuil avant de repartir en flèche vers la maison qu'il venait de quitter à pas précautionneux. Tous deux, le chien et le chat, semblaient tenir pour assuré que j'étais bien là, avec eux.

En réalité je me trouvais, 350 ans en arrière, au milieu des steppes de Podolie *, sous la menace des cosaques zaporogues, qui n'allaient plus tarder maintenant à exterminer les Juifs de la région, avec la complicité des Polonais. À exterminer les hommes et les vieillards des deux sexes : pour les jeunes femmes, elles devaient être d'abord violées, comme le veut la coutume, avant d'être vendues au khan pour ses harems.

J'avoue qu'il m'ont bien déçu, ces cosaques zaporogues, qui trônaient assez haut dans mon estime, depuis que j'avais pris connaissance, chez Apollinaire, de la fin de non-recevoir, superbe d'impertinence et de santé, par eux adressée au sultan de Constantinople :

                                                         Bourreau de Podolie amant
                                                         Des plaies des ulcères des croûtes
                                                        Groin de cochon cul de jument
                                                       Tes richesses garde-les toutes
                                                       Pour payer tes médicaments

Comme quoi, il n'est pas toujours très judicieux de se fier à une première impression ; surtout dès qu'il est question de cosaques.

* Sholem Asch, La Sanctification du nom, dans le volume intitulé Royaumes juifs, trésors de la littérature yiddish, Robert Laffont, Bouquins.

mercredi 18 avril 2018

Remarques basiques sur roman hassid

Le gang des frères Singer : Israël Joshua (à g.) et Isaac Bashevis.

C'est une ornière dans laquelle tous trébuchent un jour ou l'autre : au milieu d'une page parfaite, d'un paragraphe miroitant de toutes ses facettes, soudain la phrase idiote, la remarque saugrenue. Le mal, j'y insiste, ne frappe pas uniquement les romanciers tâcherons dans mon genre ; même les plus grands n'y échappent pas : on a tous en mémoire les fameuses vertèbres que Proust voyait au front de Tante Léonie.

J'y pensais tout à l'heure, poursuivant ma lecture de l'excellente Famille Karnovski d'Israël Joshua Singer. À la page 508 de l'édition Folio, je tombe sur cette phrase : « Quand l'oncle Harry pénétra dans le quartier juif, Jegor se mit à faire ouvertement la grimace, à éternuer et à tousser sans aucune nécessité. » Quelqu'un, dans l'aimable assistance, connaît-il ou a-t-il connu une seule personne capable d'éternuer volontairement ? Et, d'autre part, depuis quand l'éternuement est-il un signe de désapprobation ? Alors qu'il aurait été si simple que Jegor – cet adolescent pénible et touchant – se contentât de renifler, de soupirer, voire d'expectorer par la vitre baissée de la Chevrolet d'oncle Harry…

Évidemment, dans le cas d'un roman écrit dans une langue étrangère, on vient tout de suite buter sur la question : qui a commis la bourde : l'auteur ou son traducteur ? Irritante incertitude ! La seule solution serait de se reporter à l'œuvre originale, mais j'ai peur que mon yiddish ne soit bien rouillé…

*****

Par ailleurs, il serait bon que je me décidasse à tenter d'écrire quelque chose d'un peu sérieux sur les frères Singer, dans l'intimité de qui je vis depuis déjà quelques semaines, sur la manière dont leurs romans se croisent, s'interpellent, se répondent, y compris après 1943, lorsque Isaac Bashevis reste seul, du fait de la mort de son aîné. Il me faudrait aussi essayer de montrer en quoi et pourquoi le cadet me semble encore supérieur à son devancier dans les lettres, bien qu'Israël Joshua soit déjà un romancier remarquable. Et il faudrait dire un mot d'Esther Kreitman, sœur aînée des deux autres et elle aussi écrivain ; mais à un niveau sensiblement inférieur, m'a-t-il semblé, ce qui a fait saigner ce sens aigu de la parité que l'on me connaît.

Ce sera pour un autre jour : il commence à faire chaud, j'ai le jardin à tondre, avant de rejoindre les Karnovski de trois générations, qui, au seuil de la troisième partie du roman, viennent de quitter Berlin (à mon avis ils ont bien fait) pour Manhattan, où les accueille le jovial et volubile Hatskl, devenu Harry. Et d'autres romans du gang Singer m'attendent derrière.

lundi 16 avril 2018

Vous avez aimé « au final » ?


Vous devriez adorer et chérir son digne rejeton (c'est moi qui souligne, évidemment) :

Ce que montre Caplan, c’est que si le diplôme est payant pour ceux qui arrivent à terminer la course, au global la société enregistre des pertes immenses.

(Trouvé ici.)

samedi 14 avril 2018

Il ne faut jamais espérer, pauvre Lélian


Quel génie malin m'a poussé, hier soir, parce que j'étais victime d'une rupture de stock livresque, à tirer de son rayon la biographie de Verlaine par Troyat ? En tout cas, j'ai payé, et je continue, l'initiative au prix fort. Non que le livre soit mauvais : comme toutes les biographies écrites par l'académicien, c'est du travail honnête et sérieux, on ne se moque pas du client.

Mais peut-on imaginer une vie plus déprimante que celle de Paul Verlaine ? Même Dostoïevski n'aurait pas osé faire descendre aussi bas l'un de ses personnages (si, peut-être, tout de même…). C'est d'ailleurs à lui que fait souvent penser Verlaine, ou plus précisément à son homme du souterrain lorsqu'il pousse son cri de rage et de souffrance : « Moi je suis seul, et eux ils sont tous ! » Bref, me voilà tout chagrin depuis ce matin, comme si une partie des misères affligeantes qui n'ont cessé de gangrener le poète était restée collée à ma peau et refusait de s'en détacher. Cela ressemble à une gueule de bois carabinée qui durerait l'existence entière.  Rien ne réussit, jamais, dans cette misérable vie – exception faite des poèmes sublimes, bien entendu. Et quand quelque chose menace de se transformer en succès, même aussi pâle que possible, quand le mauvais sort semble faire un instant relâche, Verlaine lui-même prend sa relève et piétine ses moindres chances avec une efficacité diabolique.

Et puis, bien sûr, la question majeure, mais dont personne ne possède la réponse : comment font-ils pour cohabiter sous le même front immense, ces deux hommes ? D'un côté la brute alcoolique et violente, qui, fou d'absinthe, arrache son fils de trois mois du berceau et le jette contre le mur avant de commencer à étrangler la mère ; et, de l'autre, celui qui écrit quelques heures plus tard :

                                                     Écoutez la chanson bien douce
                                                     Qui ne pleure que pour vous plaire.
                                                     Elle est discrète, elle est légère :
                                                     Un frisson d'eau sur de la mousse !

Quel Dieu ou quelle malchance (les démons du hasard, qu'évoquera plus tard Apollinaire) s'acharne sur lui d'un bout à l'autre de ses jours ? Pourquoi, alliée au génie pur et lumineux, une telle existence, qui donne envie de s'asseoir par terre et de laisser les larmes venir ? Quel épisode plus atroce et pitoyable que la mort de la seule femme qui l'ait toujours soutenu, qui ne se soit jamais dégoûtée de lui ni de ses outrances, de ses plongées au caniveau, c'est-à-dire sa mère, Stéphanie ?

Nous sommes à l'été 1885, on vient d'enterrer Hugo ; Verlaine a trouvé à se loger dans un hôtel gourbiesque du quartier Bastille : il y occupe une chambre au sol en terre battue, au rez-de-chaussée, et n'a qu'un couloir à traverser pour rejoindre le bistrot des propriétaires du taudis. Tout s'illumine quand, une fois de plus, cédant à son appel, Stéphanie quitte son logement d'Arras pour venir habiter près de son fils : on lui donne la chambre située juste au-dessus de la sienne. Elle se mue aussitôt en garde-malade : l'hydarthrose cloue Paul à son lit. Mais voici venir un hiver humide et glacial, la vieille dame de 77 ans tombe malade, doit s'aliter : pneumonie. Au milieu de janvier,  l'état de Stéphanie empire, on perd tout espoir. Paul Verlaine demande à être monté à son chevet. Mais il ne peut pas se mouvoir, à cause de la jambe qui lui refuse tout service, et l'escalier est trop étroit pour laisser passer une civière. Paul reste donc en bas, sachant que, là, juste au-dessus de sa tête, est en train d'agoniser celle qui lui a toujours tout sacrifié. Et il sera hors d'état encore d'assister à son enterrement. 

Ce n'est qu'un épisode parmi des dizaines d'autres qui jalonnent toute une existence, dont les dernières années se résumeront presque exclusivement à une lamentable navette entre les garnis les plus sordides et les salles communes des hôpitaux parisiens, sous l'œil féroce et bête des deux prostituées qui le volent comme dans un bois, chacune à son tour et parfois en même temps. C'est pourtant cet homme-là qui affirme encore :

                                                    L'espoir luit comme un brin de paille dans l'étable.

La lueur doit être bien faible, certes. Mais Paul Verlaine, titubant sous les chocs et l'alcool, affirme qu'elle est là, qu'elle existe. Qu'elle résiste. Et qu'il la voit.

lundi 9 avril 2018

Adieu couilles aimées…


Le titre de ce billet pourra sembler vulgaire aux esprits non avertis, alors qu'en fait il ne l'est nullement puisqu'il s'agit d'un demi-alexandrin venu sous la plume de Jean Genet : quand c'est de la powésie, c'est pas tromper.

Sinon, en effet, Charlus a quitté la clinique vétérinaire (dite également : hosto-à-pioupiou) de Saint-Aquilin peu après quatre heures, délesté de ces petits attributs qui font souvent la fierté des jeunes mâles – on se demande bien pourquoi. Et j'entends déjà certains de vous hurler au sadisme naziforme, y compris parmi ceux qui trouvent parfaitement normal de castrer les matous. En quoi ce qui est acceptable pour un chat ne le serait pas pour un chien ?

Et puis, qui est vraiment le sadique ? Celui qui tarit en amont la source d'un désir que l'animal n'a encore jamais ressenti et ne ressentira donc jamais ? Cela reviendrait à plaindre Louis XIV parce qu'il n'a jamais eu le téléphone à Versailles. Ou bien cet autre, qui laissera son animal être affolé par toutes les femelles chaleureuses passant à moins d'un kilomètre de sa maison, mais en prenant soin de solidement l'y calfeutrer pour être sûr qu'il n'aille pas les rejoindre ? Je vous laisse méditer là-dessus.

La seule chose dont je me sente un peu coupable, c'est de lui imposer durant dix jours cette fucking collerette, sans pouvoir lui expliquer que c'est pour son bien et que je reste, malgré elle, le plus gentil des papas ch'ponks.

L'âge des ténèbres est de retour, et il n'est pas content


Ce n'est pas un film parfait qu'a réalisé Denys Arcand en 2007, mais c'est à coup sûr l'un des plus déprimants que je connaisse, même si l'on y rit beaucoup : d'un rire toujours un peu étranglé, néanmoins. Nous avons replongé dans L'Âge des ténèbres hier soir, parce que le DVD venait d'en arriver, et que nous avions déjà revu, avant notre échappée alsacienne, Le Déclin de l'empire américain suivi par Les Invasions barbares. Je ne reviendrai pas sur les imperfections de ce troisième volet du triptyque (scènes oniriques trop nombreuses, longueur de l'épisode moyenâgeux…) ; mais, comme je ne trouve rien à y redire ni changer, je vous remets un long extrait de ce que j'écrivais à propos du film il y a tout juste huit ans. Voici :


[…] il s'agit d'une œuvre forte, sombre, glaciale, tranchante, parcourue de bout en bout (sauf la fin, encore une fois) par un ricanement de tête de mort. Mais, pour autant, il ne s'agit pas d'un film réactionnaire. Dans la tonalité générale de cet Âge des ténèbres, un motif réactionnaire (c'était-mieux-avant) sonnerait encore comme une note fausse et joyeuse. Et ce qui nous interdit de céder à cette pente douce, c'est l'épisode à peu près central – mais tout de même décalé vers la conclusion – du tournoi moyenâgeux. Scène burlesque, volontairement outrée et trop longue, mais indispensable pour amputer tout le monde de toute velléité d'espoir. On peut déplorer ce monde, il est naturel que l'on en souffre – comme de son cancer futur, complaisamment mais froidement décrit au personnage central —, mais il est hors de question de l'annuler au profit de celui qui s'est effacé devant lui. Déplorer le passé serait revenir aux tournois de chevalerie qui, eux-mêmes, étaient déjà des combats “pour rire”. Et si on se mêle d'y revenir en effet, les armures se mettent à sentir la boîte de conserve, à sonner comme elle. Et la dame pour qui l'on se bat – dans une scène gesticulante et farcesque qui nous ramène à Chaplin, origine du cinéma comme la chevalerie l'est de l'Occident – n'est plus rien d'autre que de la chair à psys, une pauvre illuminée dont la prise sur le réel est peut-être encore moindre que celle de la mère de Jean-Marc Leblanc, que sa maladie d'Alzheimer plonge dans un silence incompréhensif, d'une intensité pénible.

Car il s'appelle bien entendu Jean-Marc Leblanc. Sa malédiction s'origine dans son état-civil, et aussi dans ce visage qui ne peut plus exprimer quoi que soit, alors que celui de sa mère est d'une furieuse intensité de douleur. Il est Leblanc. Ses seuls amis sont un nègre (ce n'est pas moi qui emploie le mot, mais eux-mêmes) et une lesbienne, qui, écrasés par les mêmes forces mécaniques, finissent eux aussi par devenir des Leblanc comme les autres : c'est l'assimilation terminale. Le nègre a encore la force de “se taper la femme blanche”, mais c'est à la suite d'un speed dating grotesque et morne, et elle est elle-même déjà morte (une sorte de Leblanc au carré), et on sent bien que lui-même n'en a plus pour longtemps : il est encore plus ou moins un souvenir de brousse, un parfum de savane, mais presque entièrement happé, déjà, par le gouvernement provincial du Québec dont il fait désormais partie, telle une métastase rendue inoffensive dans un organisme immunisé contre tout. Il ne sera plus nègre très longtemps : on lui apprendra rapidement à rire selon la technique des voyelles, internationalement reconnue.

J'ai parlé de Chaplin à propos du burlesque de la scène médiévale. Il réapparaît à ce qui aurait pu, aurait dû être la vraie fin du film, sept à huit minutes avant celle qui nous est proposée. Jean-Marc Leblanc sort de sa maison après avoir dit son fait à sa Desperate housewife hyper-battante, et part sur la route, vers l'horizon. Sauf qu'il n'y a pas d'horizon, bouché qu'il est par les pavillons cossus de cette sorte de Wisteria Lane montréalais. Et qu'il n'est pas filmé à hauteur d'homme, mais écrasé par une caméra surplombante. Et qu'on a compris depuis déjà longtemps qu'il fera la route seul, parce que le temps des Paulette Goddard est bien passé, les temps modernes sont derrière nous.

vendredi 6 avril 2018

L'écroulement du monde


La famille Moskat, éponyme de l'ample roman d'Isaac Bashevis Singer, vit à Varsovie depuis toujours. Ce sont des Juifs hassidim, de plus ou moins stricte observance selon les individus. Nous la découvrons, cette famille, au moment où Reb Meshulam, le patriarche millionnaire, vient de prendre épouse pour la troisième fois : lui-même se demande bien quel coup de folie l'a empoigné ; ses enfants, déjà adultes, encore bien plus. Mais, en dehors de ce petit soubresaut dans les habitudes, on baigne dans l'éternité, tout semble immuable, on est assuré qu'aucun bouleversement ne viendra secouer ces Juifs pieux, solidement ancrés dans leurs habitudes féodales. Nous sommes, dans ces premiers chapitres, à l'orée des années 10 du XXe siècle.

Lorsque le roman s'achève, 850 pages plus avant, l'armée du IIIe Reich est occupée à envahir la Pologne et à bombarder sa capitale. Tout va bientôt se terminer, et le lecteur sait comment, pour les quatre générations de Moskat qu'il a vu vivre et vieillir devant lui. Mais, pour Reb Meshulam et sa descendance, l'écroulement du monde a déjà eu lieu. De larges fissures sont apparues dans l'édifice qui semblait aussi solide que le temple de Jérusalem, et qui va crouler comme lui. Le ferment le plus visible de la dissolution, c'est la mort du patriarche et les dissensions provoquées par son héritage. En apparence au moins. Car, en réalité, le drame est plus profond, le mal vient de plus loin : c'est le XXe siècle naissant qui constitue l'acide le plus corrosif.

Car les Moskat se sont divisés contre eux-mêmes. Il y a les Moskat “modernes”, ceux dont les filles n'hésitent pas à fréquenter des goyim et qui rêvent de l'Amérique, où ils vont aller vivre en effet. Il y a les Moskat “sionistes”, qui frémissent de partir pour la Palestine, y fonder une colonie pieuse ; certains franchiront le pas et les mers. Et il y a les Moskat qui, à partir de 1917, se laissent happer par la tentation diabolique du communisme russe. Enfin, il faut compter avec les influences diverses et contradictoires des éléments extérieurs à la famille proprement dite.

Tout cela donne un foisonnement de personnages aux prénoms exotiques, mais au milieu de qui le lecteur ne se perd jamais ; sauf dans la dixième et dernière partie, mais c'est normal : à ce moment, alors que tous les Moskat se retrouvent à Varsovie pour la Pâque de 1939, la famille n'est déjà plus qu'un champ de ruines, et ses membres eux-mêmes ont bien du mal à se reconnaître entre eux, à retisser les liens de parenté, entre ceux qui arrivent de New York, les autres qui débarquent de Jérusalem et les derniers qui sont demeurés dans la capitale polonaise. Peu de temps après cette ultime réunion, qui n'est déjà plus qu'un simulacre désespéré pour retenir le temps, les bombes se mettent à pleuvoir sur Varsovie. Le roman se termine par ces lignes :

Et Hertz Yanovar éclata en sanglots. Il tira d'une de ses poches un mouchoir jaune et se moucha. L'air à la fois confus et honteux, il ajouta, comme pour s'excuser :
« Je n'ai plus du tout de force. »
Il hésita un instant, puis dit en polonais :
« Le Messie va bientôt arriver. »
Asa Heshel, stupéfait, le regarda :
« Que voulez-vous dire ?
– La mort est le Messie. Voilà la vérité. »

jeudi 5 avril 2018

Dialogue express


« Pour ce soir, j'ai prévu des haricots rouges à la bretonne…

 – ?

 – Un chili Concarneau. »

mercredi 4 avril 2018

Demain, nous serons t'ici…


À compter de demain après-midi – sauf si voyage pourvu d'anicroches –, nous bivouaquerons entre ces murs jusqu'à samedi matin, accompagnés de Charlus dont ce sera le baptême du feu hôtelier…


… Le vendredi en fin d'après-midi, après une journée passée pour moitié (la première) dans les rues d'Obernai et pour moitié (la seconde) au mont Saint-Odile voisin, Catherine ira se faire tripatouiller en cet endroit aqueux et glauque, où l'on ne court aucun risque de me voir risquer un orteil : chacun son goût, n'est-SPA ?…


… Enfin, à l'heure où les vieux fauves alsaciens et normands vont boire, c'est ici que nous recevrons nos amis strasbourgeois (en réalité ils sont schilikois, mais il m'a semblé que ce serait un peu trop forcer sur la couleur locale) : nous tâcherons de célébrer dignement et joyeusement, quoique avec un peu de retard, la fin du carême pré-pascal. Je suis presque certain qu'on va y arriver.

dimanche 1 avril 2018

L'air de la bêtise, 3


ART

– L'art est aussi la cause principale de la dépravation des hommes au point de vue des relations sexuelles, si importantes dans la vie sociale.
Léon Tolstoï, Qu'est-ce que l'art ? 1898.

– Pour faire une œuvre d'art, la matière première ne suffit pas ; il faut un artiste.
Le Gaulois, 10 novembre 1902.


ATOME

– Le moment est venu d'extirper de la physique aryenne les derniers vestiges de l'esprit sémite. L'atome allemand ne ressemble en rien à l'atome judéo-marxiste.
Johannes Stark, prix Nobel 1919, Les Grands Hommes devant la science, 1938.


AUTOPSIE

– On tente de camoufler en accident le lâche assassinat de Marseille. Mais l'autopsie démontre que la victime a été tuée d'un coup de feu tiré par les communistes.
L'Ami du peuple, 28 avril 1936.


AUTRUCHE

– L'élevage de l'autruche commence, à Madagascar, à être très actif. Cet animal est appelé par les indigènes “oiseau-chameau”, parce qu'il se couche comme le chameau, en pliant les jambes de devant, en appliquant à terre sa poitrine, puis en pliant les jambes de derrière.
Le Petit Var, 16 juin 1908.


AVIATION

– Je ne crois pas du tout que l'aéronautique entre jamais en jeu pour modifier de façon importante les moyens de transport.
H.-G. Wells, Anticipation, 1902.


BAISER

– Le baiser sur la bouche, c'est-à-dire sur les lèvres, dit baiser nominal, est certainement préhistorique, mais sûrement pas si ancien que la femme. Je le fais désormais remonter, au plus, à l'âge de bronze.
Dr Marcel Baudouin, Le Maraîchinage, coutume sexuelle du pays de Mont (Vendée), 1917.

– Un vrai baiser produit tant de chaleur qu'il détruit les germes.
Dr S. L. Katzoff, avril 1940.


BALZAC

– Il a tout l'air d'être occupé à finir comme il a commencé… par cent volumes que personne ne lira.
Sainte-Beuve, Portraits contemporains, 1840.

– Quel homme aurait été Balzac s'il eût su écrire !
Gustave Flaubert, Correspondance, décembre 1852.


BAUDELAIRE

– Il eut la chance de trouver Edgar Poe et de le traduire. Il eût dû n'être jamais qu'un traducteur, lui qui ne savait ni inventer ni voir, et qui, à court d'idées, à bout de ressources, pour conquérir au moins la réputation d'originalité, fourbit son imagination et affola sa sensibilité.
Jules Vallès, La Rue, 7 septembre 1867.


BEETHOVEN

– Beethoven a toujours été pour moi comme des sacs de clous qu'on renverserait avec, de temps à autre, un coup de marteau.
John Ruskin, Correspondance, 6 février 1881.