mercredi 30 décembre 2015

Des épreuves, toujours des épreuves…


Les épreuves en question sont arrivées en novembre.

dimanche 27 décembre 2015

Hosties sanglantes à Sainte-Marie


Enfin, ça y est, depuis le temps qu'on l'attendait : le vivre-ensemble est là, concret, généreux, réjouissant, indubitable. Le 24 décembre au soir, comprenant à quel point les catholiques risquaient d'être menacés dans ce pays de France qui leur est naturellement hostile depuis des siècles, de braves et bons musulmans ont décidé de protéger les messes de minuit ; qui, sans eux, auraient peut-être pu se finir à la kalach au moment de l'élévation. Hosties sanglantes à Sainte-Marie : bon titre.

Mais protéger contre qui ? Des bouddhistes enfouraillés ? Des brahmanes au kriss entre les dents (Gloire ! Noël ! Kriss nous est né !) Des animistes fanatiques ? Des athées bourrés ? Des adventistes sous acide ? On ne le dira pas, les membres du gouvernement étaient ailleurs, les plumitifs réveillonnaient. Nos gentils musulmans nous gardaient (grâce leur soit rendue) d'on ne savait qui. L'information intéressante était que, enfin, dans ce climat de peur provoqué par on ne sait qui, venu on ne sait d'où, les musulmans avaient décidé de prendre en main la sécurité du petit Jésus, du bœuf, de l'âne et de la clique. Il y avait de quoi sangloter d'émotion.

C'est ce qu'a fait aussitôt un certain Cazeneuve, que l'on prétend ministre de la République laïque, socialiste de surcroît. Ce folklorique épouvantail a signifié officiellement son respect aux courageux enturbannés qui ont pris sur leur temps de ripailles pour venir défendre nefs, chœurs, transepts, cryptes, travées, fidèles, officiants et triforiums des hordes d'adorateurs du Dieu Soleil qui les menaçaient.

À quelque temps de là, une couple d'heures, le même fantomatique maroquiné s'indignait hautement de ce que plusieurs centaines de Corses aient pu réagir de manière virile au piège tendu à leurs pompiers locaux, sans doute par des fidèles de la Terre Mère, ou des sectateurs du Grand Laboureur Cosmique, au cri fédérateur de : « Sales Corses dehors, vous n'êtes pas chez vous ici ! »

Monsieur le ministre de l'Intérieur, des Cultes, du Sourcil froncé et de la Fraternité bien comprise ne semble pas s'être avisé qu'il s'inclinait avec componction devant ce qu'il condamnait d'autre part, à savoir des sortes de milices privées, ayant décidé de suppléer à l'incurie de ses propres services pour protéger eux-mêmes des gens menacés par… par on ne sait et ne saura qui.

Il est vrai que M. Cazeneuve ne peut pas être partout, ni penser à deux choses simultanément ; même si elles se ressemblent.

samedi 26 décembre 2015

Bien fait !


Il arrive que la stupidité bêlante soit punie ; c'est somme toute assez rare, mais enfin ça se produit parfois, et la jouissance qu'en retire le spectateur pestilentiel et méphitique (je ne supporte plus le sempiternel nauséabond) est d'une qualité exceptionnelle. Ainsi, devant la déconfiture de ce couple de bisounours sud-africains qui avaient cru se bricoler une âme belle et généreuse en accueillant dans leur ferme tous les clandestins de Centrafrique qui croisaient dans le secteur (143, tout de même…) : comme le New Observer nous en informe, Mr and Mrs Duconneau viennent de se faire proprement éjecter de leur gourbi champêtre par ceux qu'ils avaient installés chez eux, avec menaces de mort, violences et destructions ; bref, l'habituel folklore en usage dans ces aimables contrées.

La morale de l'histoire s'impose d'elle-même : c'est bien fait, trois fois bien fait, pour Mr and Mrs Duconneau. Et en plus d'être désormais sans domicile, ils sont très laids. 


lundi 21 décembre 2015

Fluctuat neeeeec mergitur


C'est le genre de nouvelles qui vous fait dire que tout n'est pas perdu ; que la France, à l'instar du Veau d'or, est toujours debout ; que la vaillance et la noblesse chevillent toujours le cœur des hommes de ce pays. Lorsque j'ai découvert ce titre, sur Atlantico, aussitôt les larmes m'ont perlé :

Les Français pourront finalement réveillonner
sur les Champs-Élysées

Ah, j'en connais qui doivent tirer des gueules longues comme un jour sans barbe, au fond de leurs déserts sinistres ! Ils pensaient nous avoir mortellement atteints avec leurs attentats, ces jaloux de notre culture de la tolérance et du miam-miam collectif ? Ils s'attendaient à ce que tous les Français se terrassent dans leurs demeures silencieuses au soir de la Saint-Sylvestre du changement de l'année qu'elle est finie ? La gifle ! Tout tranquillement, moderne Sainte-Geneviève-du-Vélib, Mme Hidalguette (promouvons la féminisation de ces insupportables noms à relents machistes) leur déclare droit dans leur face pileuse que, ce soir-là, guéguerre ou pas guéguerre, elle mènera ses moutons au pré comme d'habitude, et qu'elle leur servira un émouvant et bien français vidéo mapping pour célébrer le vivre-ensemble, auquel, chacun en est bien conscient, on n'accorde pas, le restant de l'année, toute la révérence qu'il mérite. Bien sûr, ce grand acte de résistance s'accomplira au centre d'une quadruple ceinture de policiers surarmés et nerveux, et je n'aimerais pas être le petit Mohammed qui, entre les rues de Berri et de Washington, va imprudemment plonger la main dans la poche de son blouson pour y prendre son paquet de cigarettes : il se pourrait qu'il se retrouve l'heureux bénéficiaire d'un “contrôle aléatoire accru”. Mais quoi : on ne fait pas de couscous sans bousculer un peu les grains de semoule ; et si, pour affirmer au monde qu'inaliénable est notre droit à descendre une avenue à date fixe, il faut prendre quelques risques, eh bien nous les prendrons ! Non mèèèè !

jeudi 17 décembre 2015

Qui parle de qui ?


Je suis tombé hier sur ce rapide portrait d'un homme politique de premier plan, exécuté par un journaliste connu. Ce sera la devinette du jour, bien qu'on ne soit pas dimanche. J'ai supprimé quelques mots (signalés entre crochets), qui constituaient des pistes un peu trop voyantes. Donc, voici :

« XX était ainsi le premier homme politique que j'eusse sérieusement détesté, dont j'eusse réclamé l'assassinat comme une mesure de salut public. Il figurait pour nous la démocratie dans son débraillé le plus sordide, dans ses chimères les plus niaises, dans sa vulgaire ignorance de l'histoire et des réalités humaines. Retors, doué d'une méprisable habileté pour se maintenir et évoluer dans le bourbier du Parlement, il était cornard dès qu'il s'attablait avec l'étranger pour défendre devant lui les intérêts de la France. Il mettait à l'encan les fruits les plus légitimes de nos terribles sacrifices […], pour nous offrir en échange de risibles parchemins. Il traînait avec lui les plus grotesques et haïssables bonshommes d'un régime manifestement putride […]. »

mercredi 16 décembre 2015

Ce fier exil, ce triste exil


C'est notre pénible condition, deux matinées par mois : être tiré du lit dès avant l'aurore, devoir avaler son tout premier café dans la fièvre et l'angoisse de ce qui se profile, en guettant la rue d'un œil apeuré. On espère toujours plus ou moins que ça n'arrivera pas, pas cette fois-ci, un incident bienheureux, quelque chose ; la déception choit, brutale : la femme de ménage est là. Derrière ses sourires doucereux se cache un implacable Hercule, qui va chasser les mini-Augias que nous sommes de leur pauvre petite écurie. On fait à la hâte, et avec d'incontrôlables tremblements des mains, son baluchon de livres et de mots croisés, on appelle le chien (depuis longtemps déjà, les chats ont fui vers les haies) et l'on prend le chemin de l'exil jusqu'à la Case, où il va falloir s'occuper jusqu'à midi, cependant que, de la maison, nous parviennent les échos de l'ouragan détersif qui s'y déchaîne. On est désemparé, incertain, flottant, malheureux ; mais on se force à sourire pour ne pas aggraver le désarroi de l'autre. 

Ce triste exil, cet arrachement au carrelage natal dure longtemps, on ne peut en discerner la fin avant qu'elle se produise effectivement, ce qui coupe à la racine tout espoir d'une vie et d'un monde meilleurs, qui ferait passer plus vite les heures. On tente de se consoler en se répétant que cet exode intérieur, cette répétition en petit nous sont peut-être un excellent entraînement à ce qui nous attend, mais cela ne fonctionne qu'à demi. Pendant ce temps, ces longs quarts d'heure mornes, l'occupante a cet air assuré et tranquille, mais avec encore une trace légère de goguenardise quand elle jette un regard par ici, des gens qui sont désormais chez eux et qui le savent.

dimanche 13 décembre 2015

Les braves petits soldats du progressisme

Dragon fasciste planant sur les cohortes du vivre-ensemble

En 2002, déjà, le spectacle avait valu que l'on y prenne son billet. Un lundi matin de début mai, tout ce que notre beau pays comptait de résistants à l'hydre brune s'était réveillé avec du coton hydrophile plein la bouche et de superbes cornes au front : grâce à eux, Jacques Chirac venait de retrouver son fauteuil avec un score de roi nègre. Dessaoulés de la veille, la tripe de gauche passablement éviscérée, les troupes du progrès payaient d'une gueule de bois d'anthologie leurs deux semaines d'ébriété résistante. On avait bien ri, je m'en souviens.

Eh bien, ça ne leur a nullement servi de leçon. À peine leurs centurions de progrès et de tolérance avaient-ils embouché les vieilles trompettes qu'on les a vus par milliers sortir de leurs trous à rats multiethniques pour se précipiter vers les boîtes à vote et faire rempart de leurs petits bulletins sévèrement urnés au moloch décoloré et bicéphale qui s'apprêtait, leur assurait-on, à transformer la France en un vaste champ de ruines, cerné au nord et au sud par deux camps de concentration jumeaux ; on leur refredonnait la comptine des deux blondes : Bergen et Belsen sont dans un bateau ivre

Cette fois-ci, l'affaire était plus délicate, il ne fallait pas se tromper dans les attributions maquisardes. « Toi, tu es quoi, déjà ? – Écolo, Sir ! – Très bien, tu iras voter pour Bertrand à Hénin-Beaumont. – Sir, yes, Sir ! – Et toi, là ? Front de gauche, Sir ! Révolutionnaire émérite ! – OK, tu mettras un bulletin Estrosi dans le bazar, compris ? – Sir, yes, Sir ! – Magne-toi le train du progrès : en partant maintenant, tu peux être à Martigues dimanche midi… » Et ainsi de suite.

Et ils l'ont fait, nos braves légionnaires, prêts à se faire tous tuer pour anéantir les deux cavalières de l'Apocalypse, la pestilence et la guerre civile. C'était beau à voir, toutes ces légions en marche, qui se croyaient manipulaires et n'étaient que manipulées, ces décuries d'Augias masquant l'incurie, et les centuries 21 chargées du campement.

C'était presque aussi grandiose que Game of Thrones ; ce n'était que la foire du Trône.

mercredi 9 décembre 2015

La chute de Philippe M.


Comment parler de Postérité, le roman de Philippe Muray dont je viens de terminer les 540 pages très serrées ? Quels mots employer pour décrire la stupéfaction saisissant le lecteur de Muray, celui des Exorcismes, lorsqu'il se trouve soudain englué dans cet énorme pudding gélatineux, tout de même parsemé de quelques trop rares fruits confits vraiment savoureux ? Comment l'écrivain d'Après l'histoire ou de L'Empire du Bien a-t-il pu accoucher de ce monstre inviable ? Par quel aveuglement a-t-il pu croire que ces ratiocinations enroulées les unes dans les autres, statiques, ne débouchant sur rien, écrites dans une langue horripilante à force de métaphores clonées se présentant systématiquement par petits trains de cinq ou six, à la queue-leu-leu ; et cet échantillon de dix ou douze figurines interchangeables, indiscernables et découpées dans le contreplaqué le plus mince, par quel sortilège Muray en est-il venu à penser que cet amas constituait un roman ? Je ne sais pas. Vraiment, je ne sais pas. Avant de commencer celui-ci, j'envisageais plus ou moins, après, de lire son roman suivant, On ferme ; je m'en garderai : l'accablement et l'irritation sont tels, ce soir, qu'une dose supplémentaire, j'en ai peur, risquerait de me faire dangereusement désaimer l'autre Muray, celui que je lis depuis plus de dix ans – et relirai encore. Avec celui-là, j'espère que La Gloire de Rubens va me rabibocher.

lundi 7 décembre 2015

Ils devraient être heureux, pourtant, tous ces socialistes !


Enfin, moi, si un destin funeste m'avait fait socialiste ou assimilé, il me semble que je le serais, depuis hier soir. Comment ? me répéterais-je in petto, tu as porté au pouvoir le pire président que la France ait jamais eu, même en tenant compte de l'époque où ils descendaient des trains en pyjama, ton parti est dirigé par un Cambadélis, le chômage grimpe en flèche, tous les pouilleux de la terre ont frontières ouvertes, les banlieues sont devenues incontrôlables et les supermarchés y bradent leurs kalachnikovs tellement leurs stocks sont importants, et malgré tout ça, les camarades candidats vont parvenir à sauver au moins trois ou quatre régions ? Mais c'est inespéré, réfléchissez, mes bons amis roses ! Et faites-moi le plaisir de retrouver ces sourires angéliques qui sont une grande partie de votre charme ! D'autant plus que, je vous le signale en passant, vous venez probablement d'assister au premier pas décisif de Nicolas Sarkozy – votre petit Satan à vous autres – en direction de la maison de retraite, voire du sépulcre – métaphoriquement parlant. Et, accessoirement, de réduire à peau de zobi les braillards qui gesticulaient sur votre gauche. Il n'y a vraiment pas de quoi faire ces têtes-là, je vous assure !

Si j'étais de droite, alors là, en revanche (si je puis dire…), je l'aurais mauvaise. Parvenir en tête du premier tour dans seulement quatre régions, avec les avenues pourtant si bien ouvertes par l'incurie gouvernementale, c'est la Bérézina sans les pontonniers du général Eblé. Et le plus dur reste probablement à venir ; ce sera lorsque, dimanche prochain, ils vont s'apercevoir, ces braves petits soldats de l'alternance, que même avec l'appoint de leurs supplétifs socialistes ils n'auront été capables ni de terrasser l'hydre fasciste septentrionale, ni d'abattre la Perséphone nazillarde des bords de Mare Nostrum. La droite s'achemine vers des lendemains qui ululent, je vous le dis.

jeudi 3 décembre 2015

La maturité de Rémi Usseil

Je vais faire pour ce livre, ce que j'ai fait pour le précédent de son auteur : plutôt qu'une “critique” dont je ne me sens pas vraiment capable, reproduire ce que j'ai pu en noter dans mon journal, panaché d'un échange de mails avec l'auteur. Avant cela, je tiens à dire ceci : si Rémi Usseil accomplit un bond comparable, entre ce livre et le prochain, à celui qu'il a fait depuis Berthe au grand pied, alors il va nous donner quelque chose d'extraordinaire, dans l'avenir proche. Donc, ç'a commencé comme ça, par un mail envoyé à l'auteur :

Mon cher Rémi,

Ayant liquidé mes lectures en cours, j'ai enfin pu, ce matin, retomber en Enfances. Je t'avouerai que, avant de commencer, je doutais de ma capacité à lire ton livre jusqu'au bout : 420 pages de “geste”, peste ! cela risquait d'outrepasser mes capacités…

Or, les vingt premières pages lues, j'ai su avec certitude que, oui, j'irais au bout, et que j'irais d'un bon pas. Étant parvenu à la fin de la première, de ces “enfances”, je suis déjà sûr d'une chose : tu as considérablement progressé depuis Berthe ; une liberté de ton, une aisance que tu n'avais pas encore dans le premier livre, assorties à une écriture qui me semble avoir gagné à la fois en ampleur, en souplesse et en raffinement : c'est véritablement un grand bonheur que de te lire. Le plus étonnant, pour moi, est que tu parviennes aussi bien à faire que les parties versifiées (les “arias” de ton opéra) ne paraissent jamais artificielles ou forcées, qu'elles ne soient pas ressenties par le lecteur comme une contrainte liée au genre, mais qu'elle coulent aussi naturellement et agréablement.

Je trouve très fort aussi, dans ce premier chapitre, la façon dont tu parviens à rendre vivante et animée ta "chanson dans la chanson", celle d'Aymard : du grand art, puisque que, à plusieurs reprises, j'ai pu oublier que j'étais dans un livre consacré à Charlemagne et non aux hauts faits de Clovis.

Bref – et ce sera ma conclusion provisoire : si, ce matin, je m'effrayais un peu de ces quatre cents pages, je me réjouis maintenant d'en avoir encore trois cent cinquante devant moi.

Amitiés,

Didier

Quelques heures plus tard, ceci, dans le journal :

Depuis ce courrier, j'ai lu une cinquantaine de pages de plus – soit tout le chapitre II –, et mon enthousiasme n'a fait que croître. Le rassemblement de ses quelques fidèles autour du jeune Charles (victimes de ses deux enculés de demi-frères bâtards) et leurs portraits sont d'un picaresque réjouissant : on ne se croirait pas très loin de l'abbaye de Thélème ou de la forêt de Sherwood. Mon avis – mais je me trompe sûrement – est que les cinq chevaliers fidèles ont été créés par Rémi ; peut-être pas eux-mêmes, ex nihilo, mais au moins les portraits qu'il en dresse. Il faudra que je pense à lui demander ce qu'il en est.

Mais il y a mieux et plus haut, dans ce chapitre : la première moitié est occupée par la description du chemin de croix (c'est bien de cela qu'il s'agit) du très jeune Charles, portant la dépouille de son père, Pépin, empoisonné le même jour que son épouse Berthe, entre Paris et Saint-Denis, en passant par la Montjoie. Pages d'une maîtrise parfaite, où la fatigue, la douleur, l'insensé courage deviennent perceptibles par le lecteur, vraiment ressentis par lui. Et puis, aux qualités propres du texte qu'on lit vient s'ajouter, comme en surimpression, le sentiment étrange et mélancolique que, au fond, en refaisant vivre ces chevaliers pétris de bravoure et d'honneur, toujours prêts à se sacrifier pour Dieu et le roi, mais aussi ce petit peuple de paysans, de gardes ou de marmitons, il nous réaffirme, l'air de ne pas trop y toucher, dissimulé derrière les plis de ses étoffes et les armoiries de ses écus, que la France a réellement existé, que son histoire aura été longue et fertile en très riches heures ; une vérité qui, en ces temps d'agonie où nous sommes entrés pour n'en plus ressortir, sans doute, fait à la fois l'effet d'un baume et celui d'un fer porté au rouge. En ce sens, Les Enfances de Charlemagne, en plus de son côté puissamment onirique, peut aussi être considéré comme un livre de combat.

Le lendemain, je notais ceci :

Continué la lecture du Charlemagne de Rémi, avec toujours autant de gourmandise. Les chapitres III et IV nous transportent à la cour du roi mahométan de Tolède. Les divers affrontements entre les chevaliers français et leurs homologues sarrasins (mot qui, nous rappelle-t-on en note, est pour les auteurs de chansons de geste rigoureusement synonyme de “païens”), ainsi que la bataille du chapitre IV, baignent vraiment dans une atmosphère de merveilleux, avec ses excès et ses invraisemblances que l'on ne se préoccupe pas de justifier, mais que, quand elles deviennent vraiment trop grosses, on fait passer par une invocation à Dieu ; lequel, il va de soi, ne peut que favoriser ses chrétiens au détriment des adorateurs de fausses divinités. N'y manque pas non plus l'élément cocasse représenté par le très méchant fils du roi de Tolède, Marsile ; lequel, à force de réclamer sans se lasser, la décapitation ou la pendaison de tous les Français qui défilent devant le trône de son père, finit par ressembler à la fois au grand vizir Iznogoud de Goscinny et au Chinois fou d'Hergé dans Le Lotus bleu. J'ajoute que les parties “poétisées” (décasyllabes à 4/6 ou alexandrins, tantôt rimés, tantôt assonancés) sont parfaitement enchâssées dans le cours du texte en prose et semblent être non pas les interruptions d'un voyage, mais des îles éparses dans le lit du fleuve sur quoi nous sommes embarqués, ravissant l'œil sans interrompre la navigation.

Sur quoi, l'auteur me répondait ceci :

Mon cher Didier,

Tu as bien deviné : les cinq chevaliers fidèles sont en grande partie de ma création. Dans les textes sources, ils ne sont guère plus que des noms et de vagues silhouettes.

Par ailleurs, je suis ravi que tu aies apprécié le chemin de croix de Charles vers Saint-Denis, autre passage qui me tenait à cœur.

Rémi

Que dire de plus, pour l'instant ? J'approche de la moitié, le jeune Charles est en train – ce con – de tomber amoureux de la fille du roi mahométan de Tolède (je ne la sens pas, cette péronnelle, je ne la sens pas…). Mais il y a de la vaillance dans l'air, il y a un panache impossible à imiter chez Rémi Usseil ; et ce pouvoir qu'il a, de mêler les époques en un style impérial – ce qui est bien le moins quand on parle de Charlemagne.

Je vais vous le dire bien net : toute personne qui ne se précipitera pas sur ce livre devrait décemment cesser de lire mon blog, car nous vivons à l'évidence dans des mondes différents.

mardi 1 décembre 2015

La parole est à monsieur Gabriel Matzneff


Quelques jours après la tribune du Père Benoît, il me paraît intéressant de donner à lire celle de Gabriel Matzneff, parue ici, dans laquelle il dit à peu près la même chose autrement ; la voici :

Trafalgar Square et la gare de Waterloo sont à Londres. La gare d'Austerlitz et la rue d'Arcole sont, elles, à Paris. Aux lieux, aux monuments, on donne des noms de victoires, non de défaites. De même, dans les écoles militaires les promotions de jeunes officiers prennent les noms de soldats victorieux : « Maréchal de Turenne », « Général Lassalle », « Lieutenant-Colonel Amilakvari ». Quand, par extraordinaire, il s'agit de vaincus, ce sont des vaincus qui se sont battus héroïquement jusqu'au bout, ont été vaincus avec tous les honneurs de la guerre : une des promotions de Saint-Cyr se nomme « Ceux de Diên Biên Phu ».
Quel est le suicidaire crétin qui a donné le nom de « génération Bataclan » aux jeunes femmes et jeunes hommes qui ont l'âge des victimes du vendredi 13 novembre 2015 ? C'est l'État islamique qui doit donner ce nom à ses jeunes citoyens, non la France, pour qui ce vendredi 13 novembre 2015 demeurera la date d'une de ses plus spectaculaires et déprimantes défaites.

Ce choix de « génération Bataclan » exprime un masochisme, un mépris de soi ahurissant. Et l'on est accablé par la médiocrité petite-bourgeoise, l'insignifiance des propos tenus par les survivants de cette « génération Bataclan » lorsqu'ils sont interrogés par les journalistes ou s'expriment sur les réseaux sociaux. Le zozo qui s'est mis une ceinture de cœurs autour de la taille, l'autre imbécile qui se balade avec une pancarte « Vous êtes tous super ! », le troisième qui déclare fièrement que son but dans la vie est de continuer à se distraire, à voir les copains, ces petits bourgeois qui tiennent pour un acte de courage de dîner au restaurant le vendredi soir.
S'il s'agissait de gamins de douze ans, ce serait admissible. Hélas, ce n'est pas le cas. Ceux qui se comportent de manière si niaise, si médiocre sont des adultes, des barbus. J'ai dit « ahurissant », mais le mot juste est « consternant ». Comme a été consternante la cérémonie d'hommage aux victimes dans la cour des Invalides. J'adore Barbara et je connais par cœur certaines de ses chansons, mais ce jour-là, c'est le « Dies irae » qui, après La Marseillaise, devait retentir en ce haut lieu, non une gentille chansonnette, et nous aurions été autrement saisis aux tripes si, à la place du discours fadasse de M. Hollande, un acteur de la Comédie-Française nous avait lu le Sermon sur la mort de Bossuet.

Cette niaiserie, cette médiocrité s'expliquent par le total vide spirituel de tant de nos compatriotes. Ils ne vivent pas, ils existent, ils ont une vue horizontale des êtres et des choses. Ce sont les trois petits cochons d'une chanson que M. Hollande aurait dû faire chanter aux Invalides, elle lui va comme un gant : « Qui a peur du grand méchant loup ? C'est pas nous, c'est pas nous ! Nous sommes les trois petits cochons qui dansons en rond. »
À part le pape de Rome et le patriarche de Moscou, qui, en Europe, fait appel aux forces de l'Esprit, invite les gens à la transcendance ? Personne. En tout cas, personne en France où les responsables politiques pleurnichent contre la montée de l'islamisme, mais leur unique réponse, pour endiguer cette montée, est d'interdire les crèches de Noël dans les mairies. Bientôt, j'en fais le pari, la passionnante fête de la Nativité, du mystère de l'incarnation, du Verbe qui se fait Chair, du Christ Dieu et homme, sera, comme en Union soviétique à l'époque de la persécution antichrétienne, remplacée par une fête du Bonhomme Hiver, Diadia Moroz, mouture léniniste du père Noël.

Jadis, du général de Gaulle à François Mitterrand, certains chefs d'État surent parler de transcendance aux petits cochons à béret basque et baguette de pain, les inviter à se dépasser, à lire Sénèque, Plutarque et Pascal. Aujourd'hui, l'État n'invite pas les Français à renouer avec les vivifiants trésors de leur patrimoine gréco-romain et chrétien, il en est incapable. L'État ne parle jamais de leur âme aux Français de la « génération Bataclan », et ceux-ci persistent à n'avoir d'autre souci que de gagner de l'argent, en foutre le moins possible, partir en vacances et s'amuser. Les trois petits cochons tiennent à leur vie pépère, le tragique leur fait horreur, ils ne veulent pas entendre parler de la mort, ni de l'éternité, ni du salut de leurs âmes, ni de l'ascèse, ni du jeûne, ni de Dieu ; ce qu'ils désirent, c'est continuer à boire des bocks de bière et surtout, surtout, que les vilains terroristes du méchant calife Abou Bakr al-Baghdadi les laissent tranquilles, na !

Pendant ce temps-là, dans nos banlieues où l'on s'ennuie, où au lieu d'inviter les jeunes Français d'origine maghrébine à – comme le firent naguère les jeunes Français d'origine arménienne, russe, espagnole, italienne, polonaise – lire Les Trois Mousquetaires, visiter le Louvre, voir Les Enfants du paradis, l'État n'enseigne que le football et d'abstraites « vertus républicaines » qui ne font bander personne, c'est le méchant calife qui leur parle de leur âme ; leur enseigne la transcendance ; leur explique que ce qui fait la grandeur de l'homme, comme l'enseignèrent jadis le Bouddha, Épicure, le Christ, ce n'est pas le Sum, mais le Sursum ; non pas le soi, mais le dépassement de soi ; non pas le confort, mais le sacrifice. C'est ce que ces adolescents rebelles, écorchés vifs, comme le sont depuis toujours les adolescents sensibles, ont soif d'entendre. Éduqués, instruits, ils pourraient devenir de lumineux Aliocha Karamazov, mais, grandissant parmi des adultes plats comme des limandes, ils basculent du côté du calife, de l'archange noir de la mort, du grand méchant loup. Il faut être très bête, ou d'une extraordinaire mauvaise foi, pour s'en étonner.

vendredi 27 novembre 2015

jeudi 26 novembre 2015

La discorde et le glaive


Le père Hervé Benoît s'est mis lui-même au cœur d'une tourmente dont il risque fort, je le crains, de ne pas sortir indemne, vu l'ambiance d'hystérie pleurnichardo-guerrière dans laquelle nous barbotons actuellement. Son crime ? Avoir esquissé un parallèle entre les tueurs du Bataclan et les jeunes gens qui s'y trouvaient massés pour y subir les flots de décibels d'une musique de merde. Bien entendu, de tous ceux qui, depuis hier ou avant-hier, réclament, exigent sa tête, aucun ne prend la peine d'examiner, au besoin pour le réfuter, ce qui est dit dans cette tribune, et qui méritait pourtant qu'on s'y arrête ne serait-ce qu'un moment. Non, bien sûr. Il est tellement plus facile et plus agréable d'anathémiser, de défourailler les armes absolues de langage (fasciste, etc.) ! Le père Benoît compare les assassins et leurs victimes ? Aussitôt, chez les neuneus de service, les Gauche de Combat bembellysés, on hurle que le même père Benoît justifie les massacres de l'autre nuit ; il ne fait évidemment rien de tel. La seule chose, sans doute, qui est en trop dans son article, certes violent (mais le Christ lui-même n'a-t-il pas dit qu'il était venu nous apporter la discorde et le glaive ?), c'est la phrase consacrée aux avortements, mis en regards de la tuerie ; elle est de trop parce qu'elle constitue un irrésistible appeau à progressistes déments; et parce qu'elle n'apporte finalement pas grand-chose. Pour le reste, qu'on l'approuve totalement ou seulement en partie, la charge sonnée par le père Benoît me paraît salutaire. Et on peut l'admirer de n'avoir pas eu la lâche prudence d'attendre quelques mois pour la donner à lire, quand tout le monde aura à peu près oublié ce sinistre vendredi.

samedi 21 novembre 2015

Quel est ce barbu qui s'avance, bu qui s'avance ?


L'objet est tombé ce matin dans la boîte. C'est, comme on dit, une belle réussite éditoriale, un volume que l'on pourra offrir sans rougir, mais surtout acheter pour soi et le lire ; car on ne voit pas pourquoi il serait de qualité moindre que Berthe au grand pied, du même Rémi Usseil, dont je vous entretins naguère. Il sera même sans doute plus riche, le sujet étant davantage foisonnant et le souffle de l'auteur plus large, l'expérience aidant. Je n'ai eu que le temps de lire la préface, dont l'érudition ne le cède qu'à l'élégance du style, et de regarder les images ; ce qui m'a laissé pressentir beaucoup de bonheur pour les jours à venir. J'y reviendrai plus longuement, lorsque je serai parvenu au bout de l'épopée et que je serai en mesure de vous faire part de mes impressions d'enfances.

(Et je me demande si je ne vais pas exiger d'avoir moi aussi un preux chevalier sur ma couverture : yapadréson.)

vendredi 20 novembre 2015

Philippe Muray par Philippe Muray



Je comptais, et compte toujours, écrire un assez long billet à propos de ce deuxième tome du journal de Muray, tout récemment paru, et encore plus fraîchement lu ; volume étonnant par bien des côtés, et notamment par ses différences avec le précédent. Le temps m'en a manqué aujourd'hui. Puis, je me suis dit qu'après tout le plus rapide moyen d'intéresser d'éventuels lecteurs à un journal d'écrivain était peut-être encore de leur en proposer quelques menus extraits. En voici une dizaine, dont il n'est pas besoin, je pense, de préciser que je ne les ai pas piqués au hasard des 550 pages…



22 janvier 1986. Entre la droite et la gauche, il y a la différence qu'il y a entre ce qu'on dit de moi et ce que je dis de moi. L'homme de droite, en général, est dit de droite. On le parle. On l'accuse. On le définit. Être de droite, c'est être dans une attitude passive, une situation de défini. Masochisme. L'homme de gauche, en revanche, se dit de gauche. C'est de lui-même que vient sa propre définition. Quand il le dit, il manifeste en même temps une immense satisfaction de son être. Il faut entendre ce qu'il dit de lui-même comme un soupir de satisfaction.

*****

4 mars. Fatigué d'écrire à contre-courant de tout. J'ai écrit contre tout le socialisme et tout l'occultisme, c'est-à-dire contre un maximum de gens. J'écris contre les enfants, la volonté d'enfants, alors que la droite, la gauche, les hommes, les femmes, les pédés, tout le monde, s'alarme de la dénatalité. Ce que j'écris est un crime. On ne peut pas m'aimer. Encore heureux si un jour j'arrive à les obliger à se souvenir de moi !

*****

7 juin. Il faudrait qu'un jour je parle aussi de tous les crétins qui passent leur vie à s'identifier à vous, à essayer de vous confondre avec eux, à vous démontrer que vous n'avez pas plus de droits qu'eux, que « vous ne valez pas plus cher (ni moins) qu'eux », etc. Qui ont horreur de la moindre hiérarchie. Qui croient pouvoir discuter avec vous sur un pied d'égalité. Et il faudrait être aimable, compréhensif, faire comme si on ne voyait rien, accepter en souriant l'escroquerie. Se laisser rabaisser. Humilier. Ramener dans leur malveillance.

*****

3 juillet. La culpabilité des hommes, pour les femmes, c'est la vie même. C'est la source même de la vie parce que, s'ils n'éprouvaient pas de culpabilité à les avoir baisées, ils n'accepteraient pas qu'elles leur fassent des enfants. Il faut donc (c'est la clé de la résistance des femmes au sexe) que la baise ait toujours plus ou moins les couleurs d'un viol. Sinon, elles n'auraient aucun droit à demander ensuite le remboursement, la réparation – l'enfant.

*****

21 février 1987. Pas assez de cul, de seins. Culotte de cheval. Muscles fessiers insuffisants. Trop de cul. « J'ai du ventre »… Vergetures… C'est un désastre… Les écouter parler d'elles-mêmes est une épreuve. Il faut avoir la queue bien accrochée aux couilles pour lever quand même. Heureusement, la façon dont on s'en sert n'a rien à voir avec la manière dont elles se regardent. Deux anatomies différentes. Deux découpages. Un petit cul peut produire des effets érotiques stupéfiants, s'il est bien offert et bien enfilé. Une sale gueule intelligemment intéressée par l'affaire peut devenir une vraie gargouille d'amour dans laquelle on adorera se vider. Des loches relâchées peuvent avoir une indépendance et des initiatives surprenantes. Ce qui compte, Mesdames, c'est que vous aimiez vous faire grimper et que ça se voie, voilà la vraie intelligence, le grand Talent ! Pas donné à toute pétasse. Et qui ne se simule pas !

*****

28 février. Les femmes ont souvent fait des fausses couches avec moi, ce qui signifie que leurs « entrailles » ont eu plus de raison, plus d'intelligence qu'elles-mêmes. Leurs entrailles ont eu peur de ce que leur raison ne craignait pas. Une viscéralité les a averties qu'elles ne comprenaient pas tout, qu'il y avait d'autres choses que celles qu'elles voyaient. Enfin, que leur optimisme ne les mènerait à rien de bon pour elles.

*****

Même date. Tout ce que j'ai écrit sur Céline et l'antisémitisme (comme obsession du « virus » à supprimer : le Juif) est à réadapter. L'attitude de Céline était hygiéniste. Maintenant que les gens ne peuvent plus s'attaquer – ou n'osent plus s'attaquer – aux Juifs, aux Noirs, etc., ils s'attaquent aux fumeurs, aux chasseurs, aux amateurs de corridas. Même si les conséquences sont bien entendu moins meurtrières, la logique est la même. Il s'agit toujours de faire une planète « propre »…

*****

10 mars 1988. Les théoriciens durs et purs – philosophes, sociologues, etc. – si impressionnants quand ils déploient leur arsenal rhétorique, et qui par ailleurs écrivent des poèmes alanguis, des romans kitsch, font de la photo surréaliste… Les comparer à ces filles bardées de diplômes, positives, archi-executives, et qui se conduisent en bonniches midinettes dès qu'il s'agit de relations « amoureuses ».

*****

26 octobre. Je ne sais conclure ni mes articles, ni mes livres, ni mes coïts. La dernière phrase est aussi abusive que la première, aussi arbitraire, mais à l'inverse de la première elle arrive toujours trop vite. Je ne vois jamais la fin à rien de ce que j'ai commencé. La décharge de foutre, que je sais retenir longtemps, arrive toujours trop tôt à mes yeux. « Il se déversa en elle à longs jets brûlants »… Tu parles ! Un type sait bien que sa giclée ne va être qu'un minuscule « oui » en réponse au long bavardage de sa partenaire jouissant. D'où l'espèce d'humiliation obscure, ressentie de tout temps par les hommes, à éjaculer ; même s'ils font semblant de considérer l'éjaculation comme une victoire sur la partenaire, même s'ils savent qu'ils ne peuvent évidemment qu'en passer par là, ils gardent une vague conscience de l'insuffisance de leur argumentation, de la pauvreté de leur réplique. Décrire la baise comme un dialogue de théâtre en faisant ressortir la disproportion frappante entre le monologue interminable que représente l'orgasme féminin et la réponse mâle pratiquement monosyllabique.

*****

Et enfin cette dernière, sans que j'aie besoin de dire pourquoi : 

11 octobre. Cauchemar BM de quinze jours. Terminé cette nuit. Il y a encore deux ans, je les liquidais en huit jours (cinq ou six jours il y a quatre ans). Comme à chaque fois que je sors de mon tunnel : qu'est-ce qui s'est passé pendant mon absence ? Etc. 

Et toute vie, ainsi, sans moi s'écoulera.

mercredi 18 novembre 2015

Encore deux petits mois de patience…


On doit pouvoir cliquer sur la photo pour éviter de se crever les yeux sur le texte…

mardi 17 novembre 2015

Pour sourire…

samedi 14 novembre 2015

René Girard : hommage excessif


Les actes de guerre perpétrés hier soir représentent certes un hommage au penseur récemment disparu, pour ce qu'il illustre parfaitement le phénomène que, à la suite de Clausewitz, il nomme la “montée aux extrêmes”, chacun, dans ce combat, étant persuadé que l'autre est le véritable agresseur tandis que lui-même ne fait que se défendre ; on peut tout de même penser que le coup de chapeau est exagéré, aussi bien dans ses modalités d'expression que dans ses conséquences. Et il n'est malheureusement pas interdit de craindre que, dans cette escalade en miroir, nous ne soyons même pas à mi-pente de la montée, c'est-à-dire encore fort loin des extrêmes.

jeudi 12 novembre 2015

Marchons d'un pas allègre vers la guerre d'extermination


Le dernier livre important de René Girard s'intitule Achever Clausewitz ; il est paru en 2007. C'est la première fois, à ma connaissance, que le Girard anthropologue quittait le terrain qui était le sien, l'humanité primitive, pour s'occuper du monde moderne et contemporain. Sa lecture de De la guerre est franchement apocalyptique, et elle l'est de manière tout à fait volontaire et consciente. Pour Girard, “achever” Clausewitz, c'est pousser les découvertes et intuitions du théoricien prussien jusqu'à leurs conséquences logiques, en tenant compte des presque deux siècles qui se sont écoulés depuis qu'il écrivait son traité. C'est par conséquent se rendre compte  que les notions clausewitziennes de “duel”, d'“action réciproque” ou de “montée aux extrêmes” tendent désormais à s'imposer comme unique loi de l'histoire. La guerre n'est plus “la politique poursuivie par d'autres moyens” : les moyens guerriers sont devenus des fins, l'apocalypse a commencé, la violence des hommes, devenue hors de contrôle, menace désormais la planète entière, et notre survie même. En voici un extrait, pris à la page 57 (éditions Carnets Nord), au début d'un sous-chapitre intitulé La guerre d'extermination – rappelons que le texte date de 2007 :

« Est-ce un principe de mort qui finit de s'épuiser et va ouvrir sur tout autre chose ? Ou au contraire une fatalité ? Je ne peux trancher. Ce que je peux dire en revanche, c'est que nous constatons l'infécondité croissante de la violence, incapable aujourd'hui de tisser le moindre mythe pour se justifier et rester caché. C'est bien cette montée de l'indifférenciation que Clausewitz entrevoit derrière la loi du duel. Les massacres de civils auxquels nous assistons sont donc autant de ratages sacrificiels, d'impossibilités de résoudre la violence par la violence, d'expulser violemment la récprocité. La polarisation sur des victimes émissaires étant devenue impossible, les rivalités mimétiques se déchaînent de façon contagieuse sans jamais pouvoir être conjurées.

« Ces échecs de résolution sont fréquents, quand deux groupes “montent aux extrêmes” : nous l'avons vu dans le drame yougoslave, nous l'avons vu au Rwanda. Nous avons beaucoup à craindre aujourd'hui de l'affrontement ces chiites et des sunnites en Irak et au Liban. La pendaison de Saddam Hussein ne pouvait que l'accélérer. Bush est, de ce point de vue, la caricature même de ce qui manque à l'homme politique, incapable de penser de façon apocalyptique. Il n'a réussi qu'une chose : rompre une coexistence maintenue tant bien que mal entre ces frères ennemis de toujours. Le pire est maintenant probable au Proche-Orient, où les chiites et les sunnites montent aux extrêmes. Cette escalade peut tout aussi bien avoir lieu entre les pays arabes et le monde occidental.

« Notez qu'elle a déjà commencé : ce va-et-vient des attentats et des “interventions” américaines ne peut que s'accélérer, chacun répondant à l'autre. Et la violence continuera sa route. L'affrontement sino-américain suivra : tout est déjà en place, même s'il ne sera pas forcément militaire au début. C'est pourquoi Clausewitz se réfugie pour finir dans la politique, et dissimule son intuition première. Cette montée aux extrêmes est un phénomène totalement irrationnel, dont seul, à mon avis, le christianisme peut rendre compte. Car il a révélé depuis plus de deux mille ans l'inanité des sacrifices, n'en déplaise à ceux qui voudraient encore croire à leur utilité. Le Christ a retiré aux hommes leurs béquilles sacrificielles, et il les a laissés devant un choix terrible : ou croire à la violence, ou ne plus y croire. Le christianisme, c'est l'incroyance. » 

jeudi 5 novembre 2015

mardi 3 novembre 2015

Jusqu'où descendrons-nous ?


Le film, fantastico-thrilleresque, s'intitule Fin ; ce qui, en espagnol, signifie “Fin” : on voit que les distributeurs français se trouvaient devant un épineux problème à résoudre. Il y a peu de chose à dire de l'œuvre elle-même, sinon qu'elle est plutôt moins bonne que si les Américains s'en étaient chargés et nettement meilleure que si le scénario était tombé entre les griffes d'un gâcheur de pellicule hexagonal. Mais revenons à notre titre. Comment faire, se sont demandé les professionnels de la profession, pour attirer le public français ? Quel titre donner au film, qui sera capable de faire saliver des gens tout imprégnés du génie particulier de la France ? À force de se triturer les lobes, la goutte de génie a fini par tomber sur la feuille blanche : en France, le film s'est appelé The end.

On peut rire, bien sûr ; ce billet est fait pour ça, en un sens. En un autre sens, il pourrait aussi nous plonger dans un désespoir si agissant que l'envie nous viendrait spontanément d'aller défoncer quelques crânes de distributeurs de chez nous au moyen de koalas préalablement congelés (l'Amiral Woland ne faisant plus de billets, je lui ai racheté à prix cassés son stock de bestioles). Mais on aurait tort : ces cuistres malfaisants ne sont que le reflet d'un mal qui les dépasse largement : le renoncement à être soi-même qui infecte désormais toutes les catégories plus ou moins “pensantes” de notre pays – et de l'Europe, plus généralement –, le désir abject et délicieux de se vautrer dans sa soue, devant l'œil mi-goguenard, mi-navré de nos anciens serviteurs qui, notre bonne volonté leur semblant sans limites, ne devraient plus tarder à prendre le contrôle des abattoirs. Bien alignés, nous irons en grognant d'impatience et de ravissement, à condition toutefois que l'on préserve nos petits nerfs en ne prononçant jamais le mot Fin.

jeudi 29 octobre 2015

…Plutôt que le Zambèze


Journal de septembre, avec de vrais morceaux de Corrèze dedans.

lundi 26 octobre 2015

Les Fous du roi, de Robert Penn Warren


Découvrir l'existence d'un grand écrivain n'est pas, à mon âge, une expérience que l'on fait tous les jours : d'une manière générale, même ceux que l'on n'a pas pris la peine de lire encore, on connaît au moins leurs noms. On ne les a pas lus pour des tonnes de raisons, parce qu'on avait des choses moins importantes à faire, parce que la personne qui nous a recommandé tel ou tel l'a fait avec des phrases qui sonnaient mal, un petit sourire déplaisant, ou simplement parce que le temps a manqué.

Le temps ne manque pas dans le maître roman de Robert Penn Warren, écrivain “sudiste” américain, dont le nom m'était resté inconnu jusqu'à ce que, le mois dernier, une main généreuse ne mît Les Fous du roi dans la mienne. C'est même lui le principal personnage de ces cinq cents pages serrées, lui qui agite, ballote et emporte tous les autres comme un ressac. Il n'est probablement pas innocent que le roman se termine sur le mot Temps, comme dans celui de Proust et nanti de la même majuscule initiale. Voici la dernière phrase : « Bientôt, dans un moment, nous sortirons de la maison pour nous jeter dans la fournaise du monde ; après en être sortis, nous rentrerons dans l'histoire et nous affronterons le verdict inexorable du Temps. » Sortir de la maison pour se jeter dans la fournaise du monde, c'est ce qu'on appelle généralement une naissance. Tous les événements, anodins ou tragiques, d'avant cette phrase ultime auraient eu lieu in utero ? Ce n'est pas impossible, je dispose d'un autre indice.

Mais, avant, il faut tout de même planter un peu le décor. Nous sommes dans la seconde moitié des années trente, dans un État du Sud dont Willie Stark, dit “le Patron”, une sorte de bouseux idéaliste, a, contre toute attente, réussi à se faire élire gouverneur, avec la volonté sans doute sincère de lutter contre la corruption, les trafics d'influence, les chantages, combines et autres crapuleries qui sont la règle – et auxquels, bien entendu, il n'échappera pas lui-même, en le sachant fort bien. Stark, du reste, affirmera, vers le milieu du roman, que le Bien, dans notre monde, ne jaillit jamais que du Mal, qu'il ne peut pas avoir d'autres sources. Et puis, ceci (p. 472) : « Bien sûr, rétorquait le Patron d'un air dégagé, bien sûr, nous distribuons quelques pots-de-vin, mais juste assez pour faire tourner les roues sans qu'elles grincent. Et rappelez-vous ceci : jamais une machine construite par l'homme n'a fonctionné sans une déperdition d'énergie. » Et, dès le paragraphe suivant : « On pourrait appeler ça : théorie de la neutralité morale de l'histoire. Une méthode, en tant que méthode, n'est ni moralement bonne, ni moralement mauvaise. Nous pouvons juger les résultats, non la méthode. L'individu moralement bon est susceptible de commettre une action qui est mauvaise. Il se peut qu'un homme doive vendre son âme pour acquérir le pouvoir de faire le bien. La théorie du coût de l'histoire, la théorie de la neutralité morale de l'histoire, il fallait un génie pour les concevoir, un génie capable de respirer l'air raréfié des cimes enneigées, d'endurer les coups de bec des busards qui viendraient lui boulotter le foie, lui crever les yeux. »

Autour de ce roi gravitent les fous, dont le narrateur, Jack Burden, mi-journaliste, mi-historien. Tous sont pris dans un insidieux va-et-vient entre le présent et différents passés, que Penn Warren mêle, entrelace avec une science du temps dont peu d'écrivains sont capables (Flaubert parfois ; Tolstoï souvent et superbement ; Dostoïevski ou Proust jamais) ; il manie l'incertitude temporelle sans que jamais le lecteur ne s'y perde, le présent allant fouiller le passé, lequel ressuscite un passé encore plus ancien, qui va revenir frapper et détruire les protagonistes du présent. Du reste, y a-t-il réellement un présent ? Dès les deux premières phrases du roman, Penn Warren nous dit qu'on ferait mieux de ne pas trop construire de certitudes là-dessus (c'est moi qui souligne) : « Pour s'y rendre, on sort de la ville par la route nationale 58, direction nord-est ; c'est une bonne route, neuve. Ou plutôt elle l'était ce jour-là. » Dès l'entrée, donc, les différentes époques deviennent des sous-ensembles flous, pour reprendre le titre de Jacques Laurent ; le temps n'est plus disposé en strates, tel un empilement géologique, mais plutôt comme des liquides de densités légèrement différentes : les personnages, à commencer par Jack Burden, découvriront le prix à payer quand on s'occupe de vouloir les agiter. Du mélange momentané ainsi créé ne peut sortir que la violence, les regrets, des malentendus longtemps enfouis, la mort.

Y a-t-il réellement un présent ? Reposons la question. Ce que nous croyons avoir vécu avec les protagonistes a-t-il réellement eu lieu, ou n'était-ce qu'un préambule avant l'irruption dans le monde, qui clôt le roman ? Et si cette ductilité du temps, magistralement à l'œuvre d'un bout à l'autre du livre, n'était que le signe d'un état finalement a-temporel ? Penn Warren ne nous interdit pas de le penser, et même semble discrètement nous y inciter, si l'on s'avise de rapprocher l'une de l'autre une phrase de la page 22 (éditions des Belles Lettres, 2015) et celle qui ouvre l'ultime paragraphe du roman (p. 523). Les voici :

« Voilà comment j'ai vu Mason City, il y a trois ans environ, pendant l'été 1936. »

« Ainsi, quand viendra l'été de cette année 1939, nous aurons quitté Burden's Landing. »

Où le présent du récit pourrait-il prendre place entre ces deux ?

Je ne dirai rien des autres personnages, de leurs rapports, leurs interactions sans cesse rendues incertaines par la toile d'araignée temporelle, qui vibre au moindre contact et attire le monstre tapi : cela outrepasserait le temps que je puis consacrer à cette note, et probablement aussi mes capacités. Il aurait aussi fallu parler de l'écriture, du style de Penn Warren, de son sens de la métaphore ou de l'image à la fois étrange et d'une justesse imparable. Je me contenterai d'un citer une, prise (p. 46) presque au hasard parmi cent (c'est encore moi qui souligne) : « Assis en rond, nous remuions les cuisses sur le crin de cheval ou sur les sièges cannés, le regard fixé sur le plancher de bois blanc ou sur les motifs du linoléum tout neuf, comme si nous assistions à des funérailles et que nous devions de l'argent au défunt. »

Le livre refermé, il s'accomplit cette sorte de miracle : une brève mais violente nostalgie saisit le lecteur, de cette partie d'échecs dont il ne voulait pas croire qu'elle pût avoir une fin ; et il éprouve une certaine réticence à se replonger tout de suite dans la fournaise du monde.

samedi 24 octobre 2015

Petit voyage en islamie et à Disneylang

Extrait de mon journal du jour (huit heures du soir) :

[…] En dehors de ça, j'ai lu le livre que Michel Leter vient de faire paraître aux Belles Lettres et qui s'intitule Tout est culture, volume accompagné d'une aimable dédicace, probablement due à ce que j'avais pu dire, ici même, du tome premier de son travail remarquable sur le Capital de Marx. Il s'agit de chroniques déjà anciennes (1989 – 1999), sur des thèmes apparemment divers, mais en fait rigoureusement articulés entre eux. L'auteur y fait preuve d'une érudition que mes confrères gazetiers qualifieraient automatiquement de sans faille, s'il leur prenait l'idée d'ouvrir, et de lire, un tel livre, ce que je les encourage à faire, par ailleurs. Leter s'en prend de façon réjouissante à Malraux – ce qui n'est pas très difficile, je crois –, puis à Voltaire, ce qui demande déjà plus de culture et de doigté. Voltaire lui permet d'aborder le thème périlleux de l'islam, dont il paraît avoir une connaissance réelle et profonde, ce qui change agréablement des imprécations des uns et des sentences bénisseuses des autres. J'ai failli oublier de dire que la première partie du livre, consacrée à cette saloperie modernœuse qu'est le culturel, s'intitule Disneylang, et nous ramène, par des chemins plutôt boueux, au Cochons-sur-Marne de Léon Bloy : un homme qui peut ramasser et organiser autant d'idées en un mot si justement trouvé mérite assurément d'être lu – et c'est ce que j'ai fait.

mercredi 21 octobre 2015

On se risque sur le chinois ?


Le choix du film que nous allons regarder le soir même à la télévision obéit chaque jour à un rituel qui, pour n'être pas intransgressible, n'en est pas moins prégnant. Il se met généralement en place dès le début de la matinée, au moment où l'un des deux grands prêtres du culte a l'idée de s'emparer du magazine dédié à la présentation des programmes, afin d'y éliminer d'emblée ce qui n'est pas strictement cinématographique, ainsi que tout ce qui semble s'apparenter, de près ou de loin, à une production française ; ce dernier ostracisme n'étant nullement le fruit d'un quelconque snobisme, mais la conséquence de quelques douloureux échaudages. Ensuite, il se renferme dans un silence qu'il ne lui appartient pas de rompre.

La seconde phase du rite, qui est sa partie proprement opératoire, intervient un peu plus tard, plutôt vers le mitan de l'après-midi, quand le second grand-prêtre empoigne à son tour le magazine, en prononçant la phrase consacrée : « Tu as vu quelque chose, pour ce soir ? » Le premier officiant est alors tenu d'énoncer aussi clairement que possible – s'il s'en souvient, ce qui n'est pas toujours le cas –  les titres et avantages des deux ou trois longs métrages, ou épisodes de série, qu'il a sélectionnés ; parmi lesquels, généralement, le second officiant procède au choix définitif. Par exemple, aujourd'hui que je tenais le rôle du premier officiant, j'ai répondu à la question de Catherine : « À mon avis, soit on se risque sur le chinois de la 24, soit on revient à Rome. » Après réflexion et consultation des oracles, le chinois l'a emporté d'une courte natte.

Ce qui a joué en défaveur de la superbe série créée par John Millius, c'est que nous venons de recevoir le coffret “blue-ray” de la deuxième saison, et malheureusement dernière, ce qui fait que nous pouvons en regarder les dix épisodes n'importe quand, c'est-à-dire de préférence un soir où les deux grands prêtres du culte s'avoueront impuissants à préférer, dans les programmes du jour, une daube à toutes les autres. Qu'il me soit permis, au passage, de remercier M. Desgranges, pour m'avoir vivement encouragé, il y a déjà quelque temps, à découvrir cette merveille, dont il m'arrive, tant elle est réaliste, de regretter qu'elle ne fût point dialoguée en latin.

Quant au film chinois dont nous allons tenter la découverte dans quelques heures, il s'intitule A Touch of Sin et la réalisation en est due à Jia Zhang Ke, bien connu des amateurs. Le résumé dit ceci : « Quatre Chinois, excédés par la corruption des puissants et les mauvais traitements qu'ils subissent, se révoltent et utilisent les grands moyens. »

Ça va chier.

lundi 19 octobre 2015

Didier Goux aggrave son cas


Voici le livre que ce salaud vient de commander en un clic, et sans que sa main tremble. Cet indécrottable vert-de-gris, malhabilement camouflé sous les traits patelins d'un aimable pré-retraité de la presse joyeuse, avait déjà lu Les Décombres au début des années quatre-vingt, dans l'édition (tronquée) qu'en avait donnée Pauvert. Bien que fermement de gauche, alors, il avait trouvé le livre remarquable, ce qui montre bien la profonde schizophrénie idéologique et morale de ce centaure maladif. Cependant, notre homme a une excuse valable pour cet achat nauséabond : il lui faut bien passer sans trop d'ennui les trois mois qui nous séparent encore de la parution, dans une nouvelle traduction, de Mein Kampf, qui tombera dans le domaine public en janvier prochain. 2016, une année qui commence bien, éditorialement parlant ; des chefs-d'œuvre comme s'il en pleuvait…

jeudi 15 octobre 2015

Shakespeare nous parle


La traduction de l'extrait de Troïlus et Cressida qu'on va lire est de Jean-Michel Deprats ; elle diffère sensiblement de celle, classique, du fils Hugo. Par exemple, et c'est important ici, Deprats traduit le Degree anglais par son équivalent français, “degré” (auquel il confère la majuscule initiale) ; alors que Hugo lui préfère un terme sans doute plus explicite, mais aussi plus restricif, celui de “hiérarchie”. L'extrait appartient à la troisième scène du premier acte, c'est Ulysse qui parle :


Oh ! quand le Degré est ébranlé,
Qui sert d'échelle à tous les hauts desseins,
L'entreprise est malade ! Comment les communautés,
Les grades [degrees] dans les écoles et les corporations dans les villes,
Le commerce pacifique entre des rivages séparés,
Le droit d'aînesse et de naissance,
Les prérogatives de l'âge, les couronnes, les sceptres, les lauriers
Pourraient-il, sans degrés, rester à leur place authentique ?
Supprimez seulement le Degré, faussez cette corde,
Et écoutez la dissonance : toutes choses s'entrechoquent
Avec une obstination stupide ; les eaux, naguère contenues,
Gonflent leurs seins au-dessus des rives
Et donnent à la terre ferme l'inconsistance d'une soupe ;
La Force devient le Droit, ou plutôt le juste et l'injuste,
Dont l'éternel écart est le lieu même de la justice,
Perdent leur nom, et Justice le sien.


Ce qu'Ulysse décrit ici, c'est ce que René Girard nomme une crise des différences, laquelle, en s'étendant et s'aggravant, ne peut que déboucher sur des rivalités mimétiques de plus en plus nombreuses et violentes. Le seigneur d'Ithaque parle de nous : le simple fait que nous ne cessions plus d'invoquer les différences, pour les glorifier comme des veaux d'or, montrent bien qu'elles s'effacent un peu plus chaque jour, tendent à disparaître, cependant que, parallèlement, la guerre de tous contre tous se dissimule de moins en moins, tout en prenant le sobriquet substantivé de vivre ensemble. Shakespeare ne serait pas dépaysé.

samedi 10 octobre 2015

Plaidoyer exhumé



En tapant le nom d'Alain Delon dans Google, je suis tombé – dernier article de la première page – sur un billet vieux de deux ans, que j'avais tout à fait oublié. Comme je suis, pour des raisons professionnelles, plongé depuis quelques jours dans sa biographie, je me suis dit qu'il n'y avait pas de raison pour que j'y demeurasse seul. Revoici donc ce Plaidoyer pour Alain Delon, du 20 septembre 2013 :

Il était, et est resté longtemps, d'une beauté que l'on disait volontiers solaire, peut être parce que Plein Soleil l'a révélé. Il avait en tout cas un sourire, une mèche, des yeux et un corps à vous faire regretter, parfois, de n'être pas homosexuel. Encore que non, à la réflexion : si nous l'avions été, homosexuel, la frustration aurait sans doute été terrible de n'avoir aucune chance de le rencontrer jamais ; quant à devenir femme pour approcher l'idole, le prix à payer aurait tout de même été bien lourd. Mais, du jour au lendemain, Delon était là ; la veille, inconnu ; le jour d'après, il ne faisait pas partie du paysage : il était un paysage nouveau à soi seul. Pour devenir acteur indispensable, il n'a même pas eu besoin d'aller faire le guignol chez Godard, même s'il y est finalement allé ; après un fécond détour par chez Visconti, il s'est contenté de décrocher de la patère le costume croisé qui pendait à côté de ceux de Gabin, de Blier et de Ventura : l'affaire était faite.

De sa beauté, les folliculaires disaient aussi qu'elle était insolente. Mais il l'était tout entier, insolent, et l'est demeuré. C'est avec insolence qu'il s'est mis à gagner beaucoup d'argent, à s'instituer star, à parler de Delon comme d'un autre que lui (et personne ne semble avoir vu qu'il pouvait s'agir là d'une preuve de profonde humilité, d'étonnement incrédule face à soi-même) ; Delon rajeunissait, se mettait à jouer, et devait bien rire des trépignements que ses poses et ses écharpes blanches suscitaient dans les cercles vertueux et grisâtres qu'il traversait en dansant.

Et puis, la loi commune étant ce qu'elle est, Delon s'est mis à vieillir. De Delon tout court, il est peut-être redevenu Alain Delon, comme au début. Le panache ne l'a pas quitté pour cela, il n'a cherché à rien esquiver, et surtout pas le pathétique de la grandeur déchue. Il dit assez simplement, dès que l'occasion lui est offerte, la douleur et la déception qu'il y a, quand on vit encore et que tous les autres sont morts, à se savoir appartenir au passé, au patrimoine ; il ne craint pas d'exposer sans fleurs les désarrois de la vieillesse, de toutes les petites pertes irrémédiables qui se succèdent en bon ordre.

Alain Delon est une belle figure, même aujourd'hui où le soleil s'avance vers son crépuscule, et qu'il le sait. 

vendredi 9 octobre 2015

Une vraie décision de réacs


C'est une décision qui fut prise, entre crémant et riesling, presque sans y penser : nous allions ranimer la France, celle des blouses de commerçant au sourire emprunté et des petits costumes d'adolescents assis sur des tonneaux. Au moins, faute de ressusciter ces fantômes posant, nous voulions soudain leur rendre leur temps, le temps réel, charnel, incertain, changeant, celui du soleil impavide et des endormeuses saisons. Comment sommes-nous venus à parler de ce couple modernœud, d'une sottise d'airain : l'heure d'hiver / l'heure d'été ? Ne sais. Mais la décision fut prise, lorsque sonnerait bientôt le moment de la retraite, c'est-à-dire celui de la délivrance du monde, de nous en affranchir. Le sujet se glissant entre les phrases comme un orvet dans les herbes, Catherine en vint à me raconter, une fois de plus (le radotage est l'un des plus hauts plaisirs du couple, et même sa plus solide raison d'être, quoi qu'en pensent les partisans de l'agitation amoureuse et des familles recomposés), la spécificité de son village d'Estrée, en Picardie, où, jusqu'au mitan des années soixante, on vivait encore à l'heure française, c'est-à-dire qu'il y était onze heures quand il sonnait midi dans le reste de la France allemande – France allemande que nous sommes toujours, et même, si je comprends bien, de plus en plus, à mesure qu'elle devient européenne, c'est-à-dire rien.

Sur la lancée où nous étions, nous prîmes alors cette décision difficile mais exaltante : celle, dès que nous pourrions nous moquer totalement de votre monde, et revenir, pour notre usage exclusivement personnel, à l'heure française, celle qui gouverne les romans de Simenon, de Colette et d'autres. Comme ma retraite – nous en reparlerons – semble s'approcher à plus grands pas que je ne le pensais, il se pourrait que, bientôt, à cette heure officielle de neuf heures dix qu'il est actuellement, Catherine et Didier Goux ne soient encore qu'à sept heures dix. La nuit de décembre, pour nous, redescendra vers trois heures et demie de l'après-midi, et les splendeurs de la mi-juin n'excèderont pas neuf heures. Et il se trouvera que, par ce biais, certes un peu puéril, ces deux vieux cons que nous sommes vous congédieront élégamment de leur univers.

mercredi 7 octobre 2015

Désynchronopost


Petit pas de deux assez ridicule avec mes différents livreurs de livres (pas pu faire autrement, désolé…). Ce matin, un mail de Chronopost m'annonçant que mon colis… (là, une interminable suite de lettres et de chiffres alternés au petit bonheur) … me serait livré entre 9 h 35 et 11 h 05. La précision me laisse tout bloblotant d'admiration, évidemment. Le service public est tout de même une grande et belle chose.

À trois heures de l'après-midi, comme aucune camionnette ne s'était arrêtée devant le portail, je me suis décidé à tondre le jardin ; bien m'en a pris : à peine avais-je fini de ratiboiser le dernier carré que l'ondée cheyait. (Je sais que le verbe “choir” n'admet pas d'imparfait de l'indicatif, mais il me plaît, à moi, de lui en donner un ; au moins pour ce soir.).

L'âme apaisée et les muscles endoloris, je reviens devant cet ordinateur, et c'est alors que le téléphone sonne : message enregistré de Chronopost m'informant que son livreur n'a pas été en mesure de me remettre mon colis ce matin, comme il avait l'ardente obligation – et sans doute le violent désir – de le faire (tu parles : ni Catherine ni moi n'avons bougé d'ici, et Bergotte aboie comme une damnée dès que quelque véhicule s'arrête devant chez nous, ou seulement fait mine), que je dois me rendre sur chronopost point effère, y entrer un code long comme le bras, puis un mot de passe à six chiffres, afin de convenir d'un nouveau rendez-vous. Je fixe celui-ci à demain, en maugréant car, la biographie de Delon que j'attendais aujourd'hui, je comptais travailler dessus demain midi, durant l'heure et demie que je vais très probablement passer dans la salle d'attente du gastro-entérologue lovérien qui m'a donné rendez-vous il y a trois semaines.

Sur ce, je regagne le salon afin d'y poursuivre ma lecture des Jeunes Filles de Montherlant (terminées ce soir, juste avant le dîner). Aboi de Bergotte, déboîtement des cervicales chez votre serviteur en direction du portail : une camionnette blanche est garée devant. J'y cours, frétillant, et reçoit des mains du livreur, arrondi et de taille modeste, un paquet Amazon. Je m'étonne de le voir déjà, vu que je viens de prendre rendez-vous pour demain suite au pataquès de ce matin. Il m'informe alors que non, lui, il “est” UPS, et que mon rendez-vous manqué ce devait être avec Chronopost, parce que « Chronopost c'est vraiment de la merde ! » Là-dessus, il ajoute que je pourrais peut-être voir la concurrence arriver plus tôt que prévu, mais que je ne dois pas trop compter dessus tout de même : « Je viens de le croiser à Pacy, le gars de Chronopost. C'est un black, il a l'air de planer à quinze mille… » On se quitte bons amis, unis par une complicité goguenarde.

L'histoire se termine bien puisque, dans le colis acheminé par UPS, se trouvait la biographie delonienne, que je pourrai donc emporter demain à Louviers. Quant au paquet chronoposté, nul ne sait quand il arrivera, ni même ce qu'il contient.

samedi 3 octobre 2015

Retour de Corrèze…

Pour la photo, les explications sont par là.

 … et replongée dans le journal d'août.
 

vendredi 25 septembre 2015

On va essayer d'éviter François H.


Demain matin, pas trop tôt, on n'est pas des esclaves, nous mettrons Bergotte dans le coffre de Liselotte et prendrons la route pour rallier, quelques heures plus tard, le village de Saint-Augustin, sis au cœur de la Corrèze, et qui sera probablement débaptisé bientôt afin de ne pas froisser la susceptibilité religieuse de nos frères mahométans. Nous comptons y passer une semaine, durant laquelle, bien entendu, nous rencontrerons Messire Étienne du Lonzac en sa nouvelle seigneurie ; semaine durant laquelle nous serons bienheureusement privés de toute connexion fâcheuse avec le monde virtuel. C'est la raison pour laquelle le journal d'août ne paraîtra pas avant le 6 octobre. 

Si je fournis toutes ces précisions, c'est afin que MM. les monte-en-l'air sachent qu'ils pourront opérer chez nous en toute tranquillité durant ce temps. Qu'ils se méfient tout de même : notre voisin le plus immédiat est un homme perspicace et armé.

mardi 22 septembre 2015

Renault mirage


Comme je descendais des fleuves impassibles la côte de la déchetterie pour aller chercher deux baguettes “tradition” à la boulangerie de Pacy – celle de la mairie –, j'éprouvai soudain une stupeur proche de l'hallucination : face à moi, grimpant cette même côte avec un vrombissement caractéristique, qui me remontait d'un demi-siècle, venait de surgir une R8 Gordini ; une belle bleue, avec ses deux lignes blanches, exactement comme sur la photo. Pendant une très longue fraction de seconde, j'eus l'impression, culottes courtes aux miches et cartable à la main, que je revenais de l'école vers la Glockengumpen, la cité militaire où ma mère devait m'attendre pour le goûter. Le mirage se dissipa dès que j'eus vérifié que j'avais toujours une moustache.

dimanche 13 septembre 2015

Le gros livre de Michel Houellebecq


Il y a deux semaines, Laurent Ruquier faisait de Michel Houellebecq son invité d'honneur : long entretien d'une quarantaine de minutes, durant lequel l'écrivain parvint à dire des choses sensibles, justes, intelligentes, malgré les tirs de barrage de Mme Salamé qui, faute sans doute d'être capable d'autre chose, cherchait constamment à le ramener dans les petites ornières idéologiques familières et convenues. J'ai regardé ça cet après-midi, sur internet. Vers la fin, le romancier dit qu'il a toujours ce fantasme de parvenir à écrire un grand livre. En réalité, assez curieusement, il parle d'un gros livre ; en précisant : “avec des passages un peu ennuyeux”. Il conclue en reconnaissant que la chose ne s'est pas encore faite. En somme, Michel Houellebecq attend et espère le chef-d'œuvre de Michel Houellebecq. Il n'est pas le seul.

lundi 7 septembre 2015

À quoi ressemblait un journaliste “people” dans les années quatre-vingt ?




Photographies accablantes, retrouvées hier par ma mère, traîtreusement, alors qu'elles dormaient sagement depuis près de trente ans dans un tiroir de buffet.

Rien à dire : on avait le sens de la fête, en ce temps-là, ma bonne dame. Et en plus, pour ça, on était très bien payé.

vendredi 4 septembre 2015

Vertige, écroulements, déroutes et pitié


Donc, nous en sommes là. Il n'y a désormais plus qu'un seul moyen de tirer les Européens en phase terminale de leur stupeur aphasique, c'est de leur titiller la glande émotionnelle ; pour se frayer un chemin jusqu'à ce qui leur reste d'esprit, il faut se résoudre à ramper dans leur conduit lacrymal. Pleurnicher ensemble nous tiendra lieu d'action commune : le petit garçon en bleu et rouge sera efficace jusqu'au départ en week-end ; la semaine prochaine, il faudra dénicher autre chose ; on trouvera, ne vous inquiétez pas, vous aurez votre quota de gros sanglots. Comme pour un malade au long cours, dont on change la molécule apaisante parce qu'il s'est trop habitué à l'ancien traitement, on essaiera de varier un peu : une petite fille africaine en pleurs, par exemple, offrira une diversion bienvenue, tout en présentant toutes les garanties. Car vous avez le mouchoir délicat et regardant : pas question de s'arracher les cheveux, de pousser de grands braiments de pleureuse méditerranéenne, pour une victime insuffisamment estampillée, à la souffrance douteuse, au curriculum incertain. On n'oubliera pas non plus que la communion lacrymale exige le lointain ; une quantité assez précise d'exotisme est nécessaire, pour pouvoir se sentir frères éplorés : on vous trouvera ça aussi, n'ayez nul tourment. Et ce sera délicieux puisque, cette fois encore, comme avant et comme après, on n'exigera rien de vous : ni intelligence, ni lucidité, ni compréhension ; juste une forte dose de compassion bruyante qui, rassurez-vous, a ce mérite précieux, à l'issue de son passage, de ne laisser aucune trace dans l'organisme.

mercredi 2 septembre 2015

L'abbé et le furet


Hier soir, nous nous sommes laissés aller à regarder les deux numéros de Secrets d'histoire que Stéphane Bern consacrait à Louis XIV, à l'occasion du trois-centième anniversaire de sa mort. Le second volet, de loin le plus intéressant, englobait la régence de Philippe d'Orléans. C'est dans cette partie que j'ai appris une chose amusante, de la bouche de Michel de Decker, estampillé écrivain normand, ce qui le rend d'emblée sympathique. À propos de l'abbé Dubois et de ses participations aux parties fines du Régent, il a affirmé que la fameuse et innocente comptine que nous avons tous fredonnée à l'âge des genoux écorchés et des Choco BN, composée à l'époque : Il court, il court, le furet, le furet du bois, Mesdames…, que cette ritournelle, donc, était en fait une malicieuse contrepèterie, et qu'il fallait y entendre :

Il fourre, il fourre, le curé,
Le curé Dubois, Mesdames.

Encore un lambeau d'enfance qui fout le camp.

vendredi 28 août 2015

Adieu Paludes


Tel est le titre du journal de juillet.

jeudi 27 août 2015

Et nous revenons chez nous


Ce n'était pas arrivé depuis des mois. J'avoue avoir aimé la sécheresse, en raison de mon peu d'appétence pour la tondeuse à gazon, dont ce climat stupidement méditerranéen monté vers le nord m'a dispensé durant deux mois. Or, depuis ce matin, et même peut-être avant, je ne sais pas, je dormais, il pleut. Lentement, lourdement, une pluie appliquée et consciencieuse, régulière, ininterrompue, tranquillement normande ; elle me convient. Les odeurs s'exhalent, le monde semble s'étrécir par le poids des nuages. D'où je suis, je vois Boulou, le chat obèse, replié sur le paillasson et attendant que la porte lui soit ouverte. Il y a les bruits, piquetés, discrets, insistants tout de même, rassurants d'une certaine manière, des gouttières et des arbres. On se demande alors comment vivent les bêtes, dehors, et notamment les petits de l'année, qui ont cru naître le mois dernier dans une sorte de garrigue touristique et se retrouvent dans cette terre détrempée, grasse, patiente, environnées par cette herbe redevenue goulue, sous ce modeste déluge qui semble éternel. Boulou attend, je le vois. Bien sûr, cette reverdure va nous obliger, demain, après-demain, à sortir la tondeuse. On fait semblant de s'en désoler, on en est en fait très content.

Le temps d'écrire ces dix lignes, la pluie s'arrête. Mais nous sommes assurés depuis ce matin d'être en Normandie ; elle va donc reprendre. Le vent a disparu, pour que les gouttes tombent droites et impassibles. Il reste quelques gargouillis dans les gouttières. Puis tout se tait, le silence tombe comme une chape. Boulou, sur son paillasson, s'est endormi. – Non, ça y est, il s'en va.