jeudi 31 octobre 2013

Dernier voyage à Saint-Pierre-et-Miquelon




Les Eaux territoriales, le livre d'Eugène Nicole que j'ai reçu avant-hier et dont j'ai lu environ les deux tiers, est tout à fait prenant, poignant par instants, même, mais à condition d'avoir préalablement lu L'Œuvre des mers, dont il est le prolongement, ou plutôt une sorte d'addendum, de codicille. J'ai un peu l'impression, moi aussi, comme l'auteur, de revenir à Saint-Pierre-et-Miquelon après une assez longue absence, et je ne suis pas loin d'éprouver un commencement de nostalgie face à tout ce qui a disparu, changé, etc., depuis mon précédent passage. J'ai par exemple été bien étonné de retrouver en prêtre l'ancien instituteur, celui qui fit un assez long séjour dans un hôpital psychiatrique, en métropole, parce qu'il en était arrivé – le théâtre entrant dans la vie et l'annexant – à se prendre réellement pour Jacques Cartier, ce qui n'était pas d'un très bon exemple pour les enfants dont il avait la charge. On notera aussi, avec une certaine tristesse teintée de fatalisme, que, durant ce temps où nous étions occupés ailleurs, Nicole et moi, le théâtre qui donne son nom à cette épopée minuscule, L'Œuvre-des-mers (avec traits d'union, oui, pour le différencier du cycle romanesque qui a pris naissance dans les plis de son grand rideau rouge) a été démoli et qu'il n'en reste plus rien. Du reste, beaucoup de choses, de maisons, de gens se sont évanouis ; et ce qui demeure semble devenu plus petit, resserré, étriqué, à l'image de ces eaux territoriales qui, sous la pression du Canada, se réduisent comme peau de chagrin devant les pêcheurs navrés, pressentant leur disparition prochaine, leur évanouissement dans les brumes de juillet. Les observant avec discrétion, le lecteur comprend que, cette fois, le rideau de l'Œuvre-des-mers, devenu invisble et impalpable, est en train de retomber pour de bon. Comme nous sommes revenus ici afin de porter en terre le père de l'écrivain, nous sentons bien que, pour lui ni pour nous, il n'y aura plus de nouvelle escale.

mercredi 30 octobre 2013

Tu reviendras à Pont-Aven

Jean-Pierre-Marielle et Jeanne Goupil dans Les Galettes de Pont-Aven

Mes plus jeunes amis, de pauvres trentenaires que je plains beaucoup de devoir hanter encore ce monde durant un demi-siècle, et surtout de constater ce qu'il va devenir, ces amis me demandent parfois à quoi ressemblaient réellement les années soixante-dix. (Entrée en matière purement rhétorique : ils ne me demandent évidemment rien, et ils ont raison ; mais je sens souvent, chez eux, une tendance sournoise à idéaliser (ou au contraire à vouer aux gémonies, ce qui revient au même) cette époque qu'ils n'ont pu connaître et à propos de quoi ils fantasmagorisent comme le font les vieux cons de mon âge quand il s'agit de l'immédiat après-guerre, des robes vichy, des choucroutes décolorées et des 4 CV se traînant sur la Nationale 7. Je n'ai rien à leur dire, à leur répondre, sinon ceci : qu'est-ce que vous en avez à faire de ces années-là ? Elles ne vous concernent pas, laissez-les moi, laissez-les nous.

Néanmoins, si vraiment vous souhaitez savoir à quoi ressemblait la France avant qu'elle ne vous vît naître, si vous avez envie de humer son parfum, ses odeurs, ses remugles, alors mettez votre téléviseur sous tension et regardez attentivement les films de Claude Sautet et de Joël Séria. Je ne dis pas que ces deux cinéastes se ressemblent, mais ils parlent de la même époque et, chacun par le bout de sa lorgnette propre, montrent le même monde, entièrement englouti. Laissons, si vous le voulez bien, Sautet de côté pour ce soir.

Joël Séria, nous apprend Wikipédia, est né en 1936. Son premier film, Mais ne nous délivrez pas du mal, est très “prise de tête”, pour parler comme aujourd'hui, et à peu près irregardable – j'en ai fait l'expérience il y a peu. Néanmoins, il est incendié par les 20 ans de Jeanne Goupil, qui représente assez bien les années dont nous parlons, mais qui le fera bien mieux dans un autre film de Séria (lequel, salaud, s'est arrogé la sublime Jeanne pour soi seul, au moins au début : les cinéastes sont vraiment des égoïstes, mais ils ont bon goût – en tout cas le même que le mien), le seul qui lui ait valu succès public : Les Galettes de Pont-Aven. Le film semble porté par Marielle, beauf superbe et tendre, flamboyant, candide aussi, musculeux et fragile, intensément français, terriblement d'époque ; et il l'est en effet : toute la France d'alors passe dans ses sourires de bravache moustachu, ses effets de muscles, son poids de chair ; et cette espèce de peur qui flotte dans ses regards, celle d'un homme qui paraît comprendre qu'il n'en a plus pour très longtemps. Les rodomontades de Marielle, c'est l'adieu que nous adresse la France de de Gaulle, laquelle se refuse encore à mourir, pourtant : il y a, dans ce film, une sorte de volonté de vivre à la fois roborative et déprimante – pour nous qui connaissons la suite –, une exubérance de fin du monde, symbolisée par ces touffes efflorescentes qui prolifèrent aux aisselles et entre les cuisses de Jeanne Goupil.

Séria refera un film avec Marielle, deux ou trois ans plus tard. Il s'appelle Comme la lune. Il ressemble aux Galettes, il est moins bon, il ne jubile plus tout à fait. C'est sans doute que les années soixante-dix ont commencé à pâlir. Et, en plus, il n'y a pas Jeanne.

Qui sait ce qu'est devenue Jeanne Goupil ? Et les années soixante-dix ? Où sont-elles donc ?  Et combien sommes-nous, dans ce sommeil de vieillard qui est désormais le nôtre, à regretter une époque qui n'a peut-être jamais existé ?

mardi 29 octobre 2013

Silence, hôpital !


Ce n'est plus un journal, c'est un bulletin de santé

dimanche 27 octobre 2013

Était-il nécessaire de descendre aussi bas ?


J'aurais aussi bien pu ne pas m'en apercevoir, aller me coucher directement. Mais l'habitude a voulu qu'avant d'éteindre le récepteur magique, mon index se mît à jouer avec la télécommande. C'est ainsi que j'ai fait irruption, around midnight, sur la deuxième chaîne, celle qu'il devient difficile d'appeler sans pouffer “de service public”. Et qui découvrai-je alors, dans le fauteuil réservé aux invités du pitre Ruquier ? Alain Finkielkraut. Il tentait de parler, mais ses propos étaient en grande partie couverts par les continuels aboiements aigus d'un roquet hors-champ : Aymeric Caron. Tout en reconnaissant à Finkielkraut le droit de participer à diverses émissions dans le but de faire connaître et vendre son Identité malheureuse, je me suis demandé s'il était bien raisonnable, pour cela, de descendre aussi profondément dans l'abjection divertissante et d'accepter de tendre ses mollets aux chicots noirâtres du bruyant petit cador déjà nommé. Ma question est restée sans réponse ; et comme le spectacle était décidément trop triste, j'ai changé de chaîne pour aller voir la fin de Scream 3.

samedi 26 octobre 2013

La poule


Depuis des générations on me fait une réputation de stupidité incurable, au prétexte que j'aurais, paraît-il, une très fâcheuse tendance à traverser les routes devant le mufle des automobiles, au lieu d'attendre benoitement sur le bas-côté qu'elles aient fini de passer. D'abord, je ferai observer que c'est pure calomnie : je traverse très souvent derrière les voitures ; sauf qu'alors personne ne s'en aperçoit. Car quel conducteur, sur un lacet de campagne, s'aviserait de traquer du regard une poule dans son rétroviseur ? D'autre part, je signale tout de même que j'étais là bien avant vos fichues autos et que je ne vois pas pourquoi ce serait forcément à moi de m'adapter à vos lubies et inventions plutôt que l'inverse. Par conséquent, je m'entêterai à traverser rues et routes comme il me chantera. Et tant pis si je continue à vos yeux de passer pour une dinde.

Partant de ce préjugé que rien ne justifie, les humains ont forgé un certain nombre d'expressions destinées à dauber ma sottise, ma maladresse, ma balourdise, etc. Nager comme une poule dans un tonneau de ferraille ou bien se comporter comme une poule mouillée, ou encore rester telle une poule ayant trouvé un couteau, etc. ; autant de lazzis cruels et attentatoires à ma dignité, venant de créatures qui, je le rappelle, n'hésitent pas à dévorer mes enfants lorsqu'ils sont encore à l'état fœtal, ce qui ne dénote pas beaucoup d'intelligence et encore moins de délicatesse. « On ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs ! », lâchent-ils de ce ton péremptoire qui les rend si horripilants aux animaux de basse-cour ; et ils s'imaginent être quittes avec ce dicton à la con ? Du reste, s'ils étaient aussi malins qu'ils se croient, il y a beau temps qu'ils auraient imaginé pour nous des protections efficaces contre les renards – je dis ça, je ne dis rien.

La vérité qu'il essaient de cacher est que nous sommes, nous autres gallinacés, largement aussi futés qu'eux ; et même davantage, en un certain nombre de circonstances : contre les désagréments de la chair de poule, par exemple, nous avons tout de même été capables d'inventer les plumes, on ne peut pas en dire autant de tout le monde…

D'autre part, je ferai observer que quand mes poussins brisent leur coquille, dans l'heure qui suit ils font preuve d'une réjouissante débrouillardise et sont tout de suite capables de se nourrir et d'organiser seuls leur petite vie à la ferme ; tandis qu'il faut bien vingt ans aux rejetons humains pour parvenir au même résultat, et encore : à condition de ne pas rater leur bac. D'ailleurs, est-on bien sûr que les petits des hommes se transforment finalement en adultes autonomes, comme il arrive chez les poules et aussi chez leurs mâles chatoyants, gueulards et prétentieux, ces avantageux de la crête que l'on appelle des coqs ? De la même manière que les roses tiennent pour immortels les jardiniers, je ne suis pas la seule, ici, à considérer cela comme une pure légende, aucune d'entre nous n'ayant jamais vu un poussin humain devenir exploitant agricole. Mais il vaut mieux que je m'arrête là, je serais capable de m'énerver et ça risquerait de faire monter mes blancs en neige.

Une dernière chose tout de même : les humains se moquent volontiers de nous quand ils nous voient picorer avec ardeur les minuscules cailloux de la cour ; ce serait pour eux la preuve que nous sommes sans cervelle. Je leur répondrai que, quand on arbore des mines d'extase et des regards vides simplement parce que l'on fume de l'herbe, on devrait la mettre un peu en veilleuse sur les petites habitudes des autres. Les gravillons, au moins, sont en vente libre.

mercredi 23 octobre 2013

Un bon toilettage et on se retrouve tout neuf !




Elstir a passé presque trois heures chez la toiletteuse, ça nous a coûté une patte, mais ça valait la peine…

mardi 22 octobre 2013

Une taupe dans les services


Parce qu'elle tentait de me résumer le film anglais d'espionnage qu'elle a regardé hier soir, et dont je n'ai vu, moi, que la première demi-heure, Catherine me dit soudain quelque chose comme : « Là, ils se rendent compte qu'il y a une taupe dans les services… » J'ai immédiatement cessé d'écouter ce qu'elle me racontait, parce qu'une image, cocasse mais tenace, s'est brusquement imposée à moi : celle de locaux aseptisés, climatisés, sans fenêtre, où glissent silencieusement des hommes et des femmes aux visages impénétrables ; et, çà et là, de gros monticules de terre coniques sortant de la moquette crème. Parfois, les agents qui travaillent ici, dans le plus grand secret et l'anonymat le plus rigoureux, peuvent voir une nouvelle taupinière se former, et même deux grosses mains humaines sortir des entrailles de l'immeuble afin de repousser la terre vers l'extérieur. Mais jamais la taupe ne passe la tête au jour, si bien qu'ils en restent pour leurs frais et continuent d'ignorer l'identité de cet agent doublement secret – ce qui les fait bien enrager. 

dimanche 20 octobre 2013

Alain Finkielkraut et le politiquement correct

La lecture du dernier livre d'Alain Finkielkraut, L'identité malheureuse (Stock), n'incite ni à l'optimisme ni à la rigolade, il faut bien le dire ; elle me paraît pourtant salutaire, voire indispensable pour tous ceux qui souhaiteraient ne pas crever sans avoir su pourquoi.  Il se produit tout de même, à cette lecture, un phénomène réjouissant, c'est qu'à chaque page ou presque le lecteur entend nettement les piaillements de volaille que ce qu'il est occupé à lire va immanquablement déclencher au sein des officines. Mais, hors ces quelques sourires fugitifs, l'ambiance générale est plutôt semblable à celle qui s'instaure lorsqu'on prend connaissance d'un avis de décès – à plus forte raison qu'ici il s'agit du nôtre.  Notre mort semble si avérée que même Finkielkraut l'entérine sans paraître s'en apercevoir, et c'est bien la seule chose qui, au fil de ces deux cents pages, m'a un peu irrité contre lui : il emploie des formules comme “quartiers sensibles” ou “le vivre-ensemble” sans les moindres guillemets ni pincettes, comme si ces monstruosités langagières et idéologiques allaient désormais de soi, qu'elles étaient la réalité même et non plus son travestissement. Pour donner un peu de corps à ce billet, et n'ayant guère envie de gloser plus avant, je vous livre le passage (pp. 180 – 182) où Finkielkraut se penche sur le fameux et omnipotent politiquement correct :

« Arrêtons-nous un instant sur cette expression et tâchons de la définir. Le politiquement correct, c'est le conformisme idéologique de notre temps. La démocratie, en effet, c'est-à-dire le droit de tous à la parole, produit du conformisme. Tocqueville, le premier, a mis en lumière la logique de ce phénomène paradoxal : « Lorsque les conditions sont inégales et les hommes dissemblables, il y a quelques individus très éclairés, très savants, très puissants par leur intelligence et une multitude très ignorante et très bornée. Les gens qui vivent dans les siècles d'aristocratie sont donc naturellement portés à prendre pour guide de leurs opinions la raison supérieure d'un homme ou d'une classe, tandis qu'ils sont peut disposés à reconnaître l'infaillibilité de la masse. Le contraire arrive dans les siècle d'égalité. » Les hommes sont alors rétifs à l'idée même d'une raison supérieure car, pour eux, le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. Est-ce à dire qu'ils font vraiment usage du leur ? Non, répond Tocqueville : ils pensent comme on pense, ils se déchargent du soin de juger les autres, sur la masse indistincte, car “il ne leur paraît pas vraisemblable que tous ayant des lumières pareilles, la vérité ne se rencontre pas du côté du grand nombre”.  Dans les temps démocratiques, toutes les autorités deviennent suspectes, sauf l'autorité de l'opinion. Il n'est aucun pouvoir que la société ne conteste, sinon précisément le pouvoir social. Ce pouvoir s'exerce avec une efficacité d'autant plus redoutable qu'il n'est pas ressenti comme tel par ses sujets. Affranchi de la tradition et de la transcendance, l'homme démocratique pense comme tout le monde en croyant penser par lui-même. Il ne se contente pas d'adhérer au jugement du public, il l'épouse jusqu'à ne plus pouvoir le discerner du sien propre. Il ne sacrifie pas la sincérité à l'idéologie dominante, il est tout à la fois sincère et docile, individualiste et suiviste, authentique et opportuniste, grondeur et grégaire. Ses engouements, ses aversions, ses convictions, ses indignations mêmes reflètent l'esprit du temps, et c'est bien au chaud dans la doxa du jour qu'il déboulonne les idées moribondes et qu'il mène contre les tabous chancelants une guerre impitoyable. »

samedi 19 octobre 2013

Mme Taubira, le singe et l'antenne parabolique


Les indignés multifonctions ont du grain à moudre, ces temps-ci, tellement qu'on en est essoufflé pour eux : occupés d'une main à faire remonter la petite grosse kosovareuse dans son bus scolaire, il leur faut en plus asperger de napalm une certaine Mme Leclere, sous prétexte, disent-ils, qu'elle aurait osé comparer Mme Taubira, ministre de la détention en plein air, à un singe. Ce qui est deux fois stupide.

C'est d'abord leur indignation qui est stupide, et même sans objet, parce qu'il n'y a absolument rien de choquant dans le fait de comparer Mme Taubira à un singe ; pas plus qu'à une antenne parabolique ou un dégorgeoir à poissons. Comparer deux choses, deux idées, deux êtres, c'est les poser l'un à côté de l'autre et examiner, peser, évaluer leurs dissemblances, leurs similitudes, leurs mérites, leurs défauts, leurs avantages et inconvénients mutuels, leurs forces et faiblesses réciproques, etc. Bref, c'est se servir de son sens de l'observation, de ses facultés de jugement, de son acuité d'esprit ; en un mot de son intelligence. Comparer Mme Taubira a un singe non seulement serait donc autorisé mais devrait même être vivement encouragé, notamment dans toutes nos charmantes zones d'éducation prioritaire.

Ce qui est également stupide, c'est ce que Mme Leclere a fait, à savoir assimiler Mme Taubira à un singe (ou à une antenne parabolique ou à un dégorgeoir à poissons). En plus d'être stupide, c'est très vilain : on n'assimile pas un être humain à un animal, surtout si c'est une femme et qu'en plus elle est de gauche et noire. Car il semble nettement moins vilain de caricaturer MM. Sarkozy et Pasqua en roquet et bouledogue, allez savoir pourquoi : question de galanterie typiquement française, sans doute. Il y eut même une époque, pas si éloignée, où ce n'était pas du tout malsain et faisait rire tout le monde, les futurs progresseux en tout premier lieu : c'était quand un dessinateur nommé Morchoisne transformait d'un coup de crayon les hommes politiques en animaux – vous vous souvenez ? Ravaler l'homme au niveau de la bête : il y aurait pourtant eu de quoi s'indigner à s'en faire péter la glotte, non ? Eh bien que dalle ! Pas un murmure dans les rangs, ça passait comme une lettre à la poste.

Aujourd'hui, le Morchoisne, s'il s'avisait de transformer Mme Taubira en singe sur papier Canson, il ne faudrait pas quarante-huit heures pour l'enchaîner à fond de cale avant de l'envoyer cuver sa nauséabonderie à l'île du Diable. Ou alors, on le conduirait sous bonne escorte armée jusqu'à la frontière franco-kosovarienne et on l'échangerait contre le boudin balkanique. Ça lui apprendrait à faire le malin.

Les miracles culinaires de la gauche cardiaque


Elle te prend un boudin, elle t'en fait un fromage.

vendredi 18 octobre 2013

Leonarda Vinci Code


Et une fois de plus, la grande parade des indignés congénitaux, l'enfilage en couronne des blogueurs de gauche, le sirtaki des officines stipendiées, tout cela se résout en une inénarrable clownerie, qui devrait les faire tous rentrer sous terre s'ils avaient la moindre once de sens du ridicule (ne parlons même pas d'honneur, restons à leur mesure). Mais non, bien sûr : La place de Leonarda dans son bus est encore tiède que déjà ils furètent le nez au sol en quête d'une autre nauséabonderie – et ils la trouveront, il suffit d'attendre quelques jours –, et celle-ci, à son tour, se terminera en un grand éclat de rire sardonique dont nos bons amis progresseux ne sentiront même pas les éclaboussures.

Inutile que je perde mon temps et dilapide le vôtre en me livrant à un résumé de cette pantalonnade humaniste : vous avez lu cela partout et n'ignorez plus rien, désormais, du papa cogneur et voleur, de la fille italienne ou assimilée, de l'aîné qu'est comme un melon et pis qu'a un gros nez, la mère qui n'dit rien ou bien n'importe quoi, la toute vieille qu'en finit pas d'vibrer, et autres joyeusetés annexes. Je pourrais quand même faire observer que, quand on a eu la chance de naître italienne, ce qui serait donc le cas de la Génitrix, on ne se mêle pas d'épousailler un Kosavar, surtout si celui-ci a comme plan de carrière d'aller faire délinquant en France. Je sais bien que l'amour est enfant de Bohême, comme le cristal, mais enfin, les Balkans sont tout de même nettement plus au sud, si mes souvenirs de géographie sont moins incertains que ceux de Mme Duflot – bref, qu'elle ne vienne pas se plaindre, cette dame. De toute façon, elle ne doit pas être une meilleure mère que le père n'est un bon père, sinon il y a beau temps qu'ils auraient mis leur boudin au régime et lui aurait payé une séance d'épilation des sourcils avec l'argent de la mendicité rapporté par les plus petits.

Mais tout cela est secondaire, et même sans aucune importance, pour personne. Les sangloteuses de la gauche cardiaque se moquent évidemment de savoir ce qu'il adviendra demain de notre petite boulote hirsute : la seule chose qui compte est de hurler à l'épuration ethnique et d'exiger la démission d'un ministre (au moins), en vérifiant du coin de l'œil dans le miroir que l'on a bien pris la pose avantageuse et héroïque qui convient à la circonstance. On se donne le plaisir d'être Bonaparte au pont d'Arcole durant un quart d'heure, on fait mine de se lancer à l'assaut des redoutes ennemies ; puis, quand les muscles de la nuque commencent à ankyloser, à cause des coups de menton donnés dix ou douze fois par heure, on replie les étendards et on retourne fourrer sa truffe chez Twitter afin d'y dénicher le prochain rata. 

Pendant ce temps, comme au Tour de France, nous sommes de plus en plus nombreux à nous asseoir sur les talus pour regarder pédaler les matamores. On les encourage de la voix et du geste, mais en se gardant bien de leur signaler la présence de profonds et très insalubres marécages, là-bas, juste au bout de la route qu'ils avalent avec cette fureur grandiloquente et impuissante si comique à voir. Quand ils seront tous devenus aphones, la bouche emplie de la sanie des palus où leurs corps disparaissent rapidement, il restera peut-être, sur le bord, quelques vélos à récupérer. S'il y en a suffisamment, on les regroupera et on ira monter une société de vélibs au Kosovo.

jeudi 17 octobre 2013

Leonarda et le rêve de flammes


Elle n'y est évidemment pas pour grand-chose, la petite clandestine kosovarde – ou kosovarane, ou kosovarienne, ou kosovareuse, I don't care –, mais à cause d'elle j'ai replongé la nuit dernière dans ce délicieux rêve récurrent que je fais depuis plusieurs années et dont je suis toujours désolé, m'éveillant, de constater la nature purement onirique.

Il a pour théâtre une cité sinistre et multicule, trois blocs d'appartements, avec antenne parabolique à chaque balcon, disposés en carré ouvert, le centre commercial – deux boutiques sur trois définitivement fermées, rideau de tôle tagué jusqu'au dégoût – formant le quatrième côté. Au milieu, posé sur un souvenir de pelouse, à côté des deux bacs à sable : celui des enfants un peu plus vaste que celui réservé aux chiens, un bâtiment rectangulaire à un seul niveau, assemblage de plaques préfabriquées et avec des panneaux d'affichage devant : c'est un genre de centre culturel, de “maison pour tous” dans laquelle personne ne met jamais les pieds, sauf les deux permanents d'une association à subventions municipales et régulières, qui s'y relaient pour ouvrir le matin et fermer le soir. Entre les deux, ils ramassent les cannettes de bière vides et les emballages de Mac Do qui jonchent les trois marches et le semblant de perron protégé de la pluie par un auvent de plastique plus ou moins translucide.

Mais, dans mon rêve, la maison pour tous affiche complet, exceptionnellement. C'est que s'y tient la réunion mensuelle des antennes locales de diverses officines pleurnichardes et procédurières : LDH, RESF, Debout la Cité !, Ainsi front, front, front (la dernière née, spécialisée dans la lutte antifasciste par les armes du surréalisme), DAL, Valls à trois temps (citoyens en colère contre les expulsions d'enfants au berceau et de femmes indisposées), plus deux ou trois autres que je n'ai pas le temps de nommer ici mais dont, il n'en faut pas douter, l'histoire retiendra tous les noms. Ils sont au moins cinquante, là-dedans, en état de surchauffe physique et émotionnelle. Ça schlingue la transpiration de vieux, la brillantine qui tourne, la fuite urinaire mal colmatée – ça sent le militant citoyen, si vous voulez vous faire une idée du mélange. La motion qui vient d'être présentée par le président de section d'Ainsi front, front, front lézarde un tantinet la belle unité d'action : certains, notamment parmi les plus de 75 ans, rechignent un peu à aller s'allonger en plein cagnard sur le tarmac de l'aéroport voisin, à seule fin d'empêcher de décoller l'avion qui doit reconduire la famille Popolescu en sa Roumanie natale. On va pour mettre aux voix, c'est alors que ça se produit.

Six types sautent à bas du camion débâché qui vient de s'arrêter devant la galerie marchande. Ils portent des casques de moto à visières fumées, deux grosses bouteilles dans le dos et un bizarre fusil entre les mains. Ils piétinent sans vergogne l'absence de pelouse et se déploient en demi-cercle autour de la maison pour tous. C'est au moment où ils pressent avec un bel ensemble la queue de détente de leurs armes que Mohammed Diop, accoudé à sa fenêtre au troisième étage du bloc B (escalier 1), comprend qu'il ne s'agit pas de fusils mais de lance-flammes.

La maison pour tous s'embrase presque tout de suite ; l'hospice se fait mouroir, des parfums de barbecue couvrent les relents de pisse vendanges tardives. Les couinements citoyens qui s'échappent du brasier sont en grande partie couverts par les sifflements furieux des bouches à flammes. Il ne se passe pas plus de cinq minutes avant que les anges exterminateurs – mission terminée, aucun survivant – ne remontent dans leur camion, lequel tourne rapidement le coin de l'avenue Albert-Jacquard avant de filer vers la cité des Primevères qui borde l'autoroute de Paris.

En général, c'est à ce moment-là que je me réveille.

mercredi 16 octobre 2013

Je viens de commander ça…


Commande en ligne, bien entendu : encore un livre dont il est permis de supposer que les “petits libraires” progresseux ne pousseront pas la vente…

Je vous tiendrai au courant quand il aura été lu, probablement la semaine prochaine.

lundi 14 octobre 2013

Celui qui chuchotait dans les ténèbres


À Ludovic.

Parmi tous les talents dont la nature a comblé Howard Phillips Lovecraft – par une sorte de compensation, elle l'a également affligé d'un certain nombre de tares, particulièrement invalidantes lorsqu'il s'agit de mener dans le siècle une vie à peu près normale –, il en est un qui frappe particulièrement, sans doute parce qu'il saisit le lecteur à froid et le happe d'une façon assez peu résistible ; je veux parler des “entames” de ses nouvelles, et notamment de celles qui composent à la fois le cœur et le sommet de son œuvre, ce qu'il convient d'appeler le cycle de Cthulhu. Ceux de mes lecteurs qui sont aussi ceux du maître de Providence (Rhode Island) savent déjà de quoi je veux parler, mais c'est aux autres que je m'adresse, les petits chanceux qui ignorent encore ce qu'ils vont découvrir, sous quelle coupe ils vont tomber. Plutôt que de me lancer dans des explications lourdaudes et hasardées, il me semble préférable de donner simplement à lire cinq ou six premières phrases (ou premiers paragraphes) de nouvelles ayant toutes le mythe de Cthulhu (et de Nyarlathotep : on oublie trop souvent Nyarlathotep…) pour sujet, ou en tout cas pour arrière-plan. Voici donc :

« Dans mes oreilles agonisantes résonne sans cesse et toujours s'agite un cauchemar composé de bruits giratoires, de claquements animaux  et d'un lointain et distant aboiement, qui pourrait être celui de quelque gigantesque molosse. Ce n'est pas un rêve – ce n'est même pas, j'en ai peur, la folie – car trop de choses me sont arrivées déjà pour que je puisse nourrir encore quelque doute miséricordieux. » (Le Molosse, 1922.)

« J'écris couché sur ce que le docteur dit être mon lit de mort, et ma plus grande déception serait qu'il se soit trompé. Mon enterrement devrait avoir lieu la semaine prochaine… » (Le Descendant, 1926.)

« Gardez bien présent à l'esprit que je ne vis à la fin aucune horreur se commettre sous mes yeux. » (Celui qui chuchotait dans les ténèbres, 1930.)

« Les personnes prudentes désireuses d'effectuer des recherches sur ce point hésiteront à remettre en question la conviction commune selon laquelle Robert Blake fut tué par la foudre ou par le profond choc nerveux que lui aurait causé une décharge électrique. » (Celui qui hantait les ténèbres, 1935.)

Enfin, les deux dernières, que j'ai gardées pour la bonne bouche, tant je les trouve parfaites :

« Après vingt-deux ans de cauchemar et d'effroi, soutenu par la seule conviction désespérée que certaines impressions sont d'origine imaginaire, je me refuse à garantir la véracité de ce que je crois avoir découvert en Australie occidentale dans la nuit du 17 au 18 juillet 1935. » (Dans l'abîme du temps, 1935.)

« Il est vrai que j'ai logé six balles dans la tête de mon meilleur ami, et pourtant j'espère montrer par le présent récit que je ne suis pas son meurtrier. » (Le Monstre sur le seuil, 1933.)

À présent, excellente lecture… et bon courage.

dimanche 13 octobre 2013

Le diamant dans le tombeau


Le Comte de Monte-Cristo est une sorte de roman hindou ; et pas seulement parce que le comte en question, une fois sa vengeance consommée à Paris, effectuera dans les années 1850 un périple dangereux dans les hautes vallées des Indes, du moins si l'on veut bien en croire François Taillandier*. Il l'est parce qu'il n'y est question, au fond, que de morts et de renaissances sous une forme nouvelle, c'est-à-dire de métempsycose. Monte-Cristo n'est pas Edmond Dantès déguisé, ni même transfiguré : il est véritablement quelqu'un d'autre, qui ne peut venir au monde qu'en raison de la mort de Dantès. Le plus étrange est que le jeune marin de Marseille semble le savoir : ne se glisse-t-il pas de lui-même dans le suaire ? Dix ans plus tard, le comte lui-même devra mourir afin de se délivrer de ce qu'il vient d'accomplir de terrible : dans les dernières pages du roman de Dumas, on le voit disparaître, aux sens classique et moderne du terme, en une sorte d'assomption horizontale, puisque  ce n'est pas le zénith qui le ravit à l'affection de Maximilien Morrel et de Valentine de Villefort, mais le point de fuite de l'horizon marin.

La mort et la renaissance impliquent la tombe, le caveau, la crypte ; de fait les sépulcres sont bien là, mais ils ne se contentent pas de remplir leur simple fonction de réceptacles pour gisants ; c'est même la seule chose qu'ils ne font pas. Le cachot du château d'If est à l'évidence un tombeau, mais il enferme un Dantès vivant, qui ne mourra qu'au moment où, précisément, il s'en extraira. La grotte secrète de l'île est aussi une tombe ; elle a même des allures de sépulture pharaonique, en raison des fabuleuses richesses qu'elle abrite et de son inviolabilité ayant résisté aux siècles. Mais c'est une tombe qui ne renferme aucun cadavre et qui, au contraire, va donner la vie, engendrer un homme, le comte de Monte-Cristo : cette tombe se fait berceau, tel le Nil pour Moïse. Elle redeviendra sépulcre à la toute fin du livre, mais de nouveau un sépulcre vide de corps, puisque le bateau disparaît déjà au loin de l'île, emportant le nouvel avatar du personnage. C'est d'ailleurs par là que Dantès est une figure hautement christique (en plus d'être hindoue : un syncrétisme acrobatique qui ne lui va pas si mal) : il entre au tombeau en plongeant dans son cimetière marin et, quand il ressort peu après de la grotte insulaire, il est devenu quelqu'un d'autre, son visage est si changé que personne ne le reconnaît, ainsi qu'il est dit de Jésus après la résurrection. (Il y a aussi la tombe du nouveau-né enterré vivant dans le jardin de la maison d'Auteuil et “ressuscité” aussitôt après : encore une sépulture vide…)

Évidemment, qui dit Christ dit Dieu et sous-entend Diable. C'est là que surgit le personnage central du roman, son pivot, sa colonne maîtresse : l'abbé Faria. Son surgissement même le place d'abord du côté du démon : il jaillit littéralement des profondeurs de la terre, de sous le tombeau ; il est celui qui peut vivre dans l'absolue ténèbre. Mais, tout de suite après, il se transforme en une sorte de démiurge qui, s'emparant de la glaise brute qu'est Dantès, va façonner Monte-Cristo. L'abbé Faria est le diamant enfoui dans ce tombeau, à quoi répond le trésor contenu dans l'autre tombeau, celui de l'île. Cesse-t-il pour autant d'être le Diable ? Pas sûr. Car cette nouvelle créature à qui il insuffle la vie, il va la posséder, au sens le plus démoniaque du mot, sous le nom d'esprit de vengeance ; le propulsant comme une flèche, il va lui faire répandre avec une effrayante efficacité la misère (Danglars), la destruction (Morcerf), la pestilence (Villefort), la mort. De cette emprise, Monte-Cristo va se défaire in extremis, en épargnant la vie de Danglars et en sauvant celle de Valentine de Villefort. Il paie cette liberté cruellement acquise en mourant une seconde fois, pour tenter de devenir un troisième homme, dont Dumas ne dira rien : à nous de l'imaginer, comme a tenté de le faire Taillandier, avec, il me semble, un succès très mitigé.

Un troisième homme ? Et si c'était toujours le même ? Si, au fond, il n'avait jamais cessé d'être le fils de Louis Dantès (1745 – 1815), mais transfiguré par les traversées qu'il a dû affronter : enfer, purgatoire et paradis ? Ces étapes, il les a vécues dans un ordre différent de celui proposé par La Divine Comédie : le paradis en premier (Marseille et Mercedes), l'enfer en second (le château d'If), et pour finir le purgatoire (la vengeance parisienne et le renoncement de dernière minute). Mais c'est sans doute parce qu'il a bien visité ces trois lieux, et que chacun l'a profondément transformé, qu'Edmond a reçu le nom de Dantès.

*François Taillandier, Mémoires de Monte-Cristo, éditions de Fallois.

samedi 12 octobre 2013

49 jours pour devenir un vrai militant anti-écolo *


Je ne l'ai pas (encore) lu, mais ce qu'en dit Isabelle Marchandier rend ce petit livre fort tentant, il me semble. Voyez donc :

« Végétaliens convertis, technophobes fanatiques, arracheurs d’OGM, adorateurs de Mère Nature, sauveurs de Mer d’Aral, tous ces écolos vous insupportent ? Le livre d’Olivier Griette est fait pour vous.
» Son manuel de désobéissance anti-écolo propose, dans un style vif et réjouissant, méthodes, principes, astuces, conseils, techniques de guérilla pour se rééduquer, se déculpabiliser et pour finir se rebeller contre l’ordre de la vertu écolo exercée par l’impitoyable dictature des « Khmers verts ».
» À raison d’une fiche par jour, l’esprit se dépolluera de tous les préjugés écolos. Et au bout de 49 jours, vous serez un parfait énergivore, pollueur, délinquant du quotidien, consommateur frénétique de sacs plastiques et emballages en tout genre, conducteur passionné de Hummer, et cogneur agressif de chiens qui excelle dans l’art de « taser » les cyclistes en vélib.
» Olivier Griette, en jetant un regard ironique sur les pseudo-risques des progrès technologiques prouve que c’est la biophilie extrémiste qui met finalement en péril la survie de l’espèce humaine.
» Si vous voulez rigoler un bon coup et sauver votre âme de la régression programmée de tout ce qui fait notre civilisation, alors lisez ces fiches délicieusement subversives de toute urgence, une clope au bec, la fenêtre ouverte et le chauffage à fond ! »

*  Olivier Griette, éditions Xenia.

vendredi 11 octobre 2013

Le ridicule et le méprisable


Les blogueurs s'exposent assez volontiers au ridicule – sans doute parce qu'ils ne le discernent pas très bien –, notamment lorsqu'ils décident d'utiliser un pseudonyme. Ils sont ridicules parce qu'ils ont l'impression de se draper en lui comme dans une toge de sénateur, alors qu'ils ne font que se cacher derrière, bien accroupis et ramassés en boule tels des déféqueurs de pleine forêt. Certains parviennent à élever ce ridicule à la puissance deux ou trois, par le choix qu'ils font du pseudonyme en question : je ne citerai aucun exemple, chacun ayant les siens. Enfin, il y a ceux qui échappent au ridicule par le bas, en tombant dans le méprisable. 

En commentaire sous mon précédent billet, Georges écrit : « Que peut-il bien exister de plus méprisable que de se faire passer pour qui on n'est pas ? Que le connard qui me poursuit de sa haine depuis déjà longtemps ne trouve rien de mieux que cette minable trouvaille en dit long sur le pauvre type qu'il est. »

En effet, hier ou avant-hier – j'ai déjà oublié : le mépris n'a guère la mémoire des dates –, trois commentaires sont arrivés en rafale dans ma boitamel, signés de ce même pseudonyme, lequel correspond à une personne clairement identifiée et qui ne fait pas mystère de son véritable nom. J'ai tout de suite été presque certain, même si le lien du nom renvoyait effectivement sur le blog de Georges de la la Fuly, qu'il s'agissait d'un imposteur, c'est-à-dire d'un méprisable cloporte. C'est à cause de ce “presque” que je les ai tout de même validés, et aussi parce que, veste déjà aux épaules et clé de voiture à la main, je n'étais passé qu'en coup de vent devant le clavier avant de m'enfuir vers d'autres contrées, heureusement peu lointaines – en rentrant, évidemment, je n'y ai plus pensé.

Il reste que Georges a raison : substituer sa propre indignité à l'identité d'une personne existante afin de tenter dérisoirement de la déconsidérer, transformer un humain en marionnette (ce qui est faire de l'anti-gepettisme) pour lui faire débiter les niaiseries ou les fiellosités que l'on trouve soi-même si drôles, voilà qui relève du plus bas de l'humain. 

La vermine qui creuse ainsi sa petite galerie se croit évidemment indétectable, lovée dans son URL comme une larve dans son cocon. Elle a tort : on perçoit nettement le visqueux de ses paumes et le chargé de son haleine, exactement comme ceux de l'immonde Uriah Heep s'échappent en remugles des pages de David Copperfield. Et nul Dickens ne viendra jamais se pencher sur son cas, il mourra anonyme comme il se complaît à vivre.

mardi 8 octobre 2013

Revenir chez Balzac, redécouvrir Stendhal


« Mon sort est-il donc de passer ma vie entre des légitimistes fous, égoïstes et polis, adorant le passé, et des républicains fous, généreux et ennuyeux, adorant l'avenir ? Maintenant, je comprends mon père, quand il s'écrie : « Que ne suis-je né en 1710, avec cinquante mille livres de rente ! »

Stendhal, Lucien Leuwen, Folio, p. 171.

Moi-même, à l'instar de M. Leuwen père, je n'aurais rien eu contre le fait de naître en 1710 avec cinquante mille livres de rente ; à la condition non négociable de mourir au plus tard en 1788, afin de ne pas voir la démence s'abattre sur cette France que j'aurais probablement beaucoup aimée, sans cesser de la fustiger jamais, néanmoins.

Rouvrir n'importe lequel des romans de Balzac, c'est revenir chez soi après une absence plus ou moins longue : l'œil reconnaît instantanément les meubles et les objets qu'il a laissés en partant, l'oreille se réjouit d'entendre fidèlement gémir la quatrième marche de l'escalier menant aux chambres, la narine s'épanouit de l'odeur d'encaustique et de poussière humide, etc. Faire la même chose avec un livre de Stendhal s'apparente chaque fois à une découverte, à une surprise aussi forte et intacte que si l'on n'était jamais venu. Cette écriture rapide, vive, ces embardées de la syntaxe, ces haussements d'épaules du style, on jurerait qu'ils ont le brillant de l'inédit ; et c'est tout juste si l'on ne sent pas monter des pages comme un ténu parfum d'encre fraîche. – Il va de soi que je n'édicte pas une règle et que ce phénomène ne vaut que pour moi ; mais pour moi il ne manque jamais de se produire, dans un cas comme dans l'autre. Cela tient peut-être à ce que Balzac aime les maisons dont il est le bâtisseur, au point de s'y contenir tout entier, de devenir elles ; cependant que Stendhal semble toujours prêt à s'en extraire avec une certaine impatience rageuse, à leur tourner le dos pour aller ruer plus loin, à l'air libre : pour celui-là les murs abritent et recèlent, pour l'autre ils enferment et contraignent. Et on ne verrait pas, je crois, un personnage de Balzac soupirer après l'année 1710 et la rente qu'il rêve de voir aller avec : les deux pieds campés dans la boue XIXe siècle, il y plongerait aussi les bras pour tâcher d'en faire sortir de l'or ; il y parviendrait ou non, selon l'intensité de son désir et la somme des forces qu'il ferait tendre vers ce but.

lundi 7 octobre 2013

Syntaxe des élites


Dans le dernier numéro de la revue Le Débat, fort intéressant par ailleurs, et même par ici, on apprend que, le 23 mars 2011, Nicolas Sarkozy chargeait Joseph Zimet, adjoint au directeur de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives au ministère de la Défense et des anciens combattants – et Monsieur Rama Yade à la ville –, de rédiger un rapport concernant les futures célébrations du centenaire de la Grande Guerre. Bien. À cette fin, le président de la République adressait une assez longue lettre au nouveau chargé de mission, afin de préciser ce qu'il attendait de lui. Re-bien. La missive en question se terminait par la phrase suivante, apprend-on dans la revue déjà nommée : 

« Vous me remettrez ce rapport au plus tard avant l'été 2011. »

Imagine-ton un de Gaulle, un Pompidou, un Mitterrand laissant passer cette phrase pataude jusqu'à l'absurde, et allant même jusqu'à la prendre à leur compte en traçant leur signature au bas du document ? Serait-elle même, cette phrase, arrivée jusque sous les yeux de ces présidents-là ? Parce que, enfin, on peut raisonnablement imaginer que la lettre en question a été rédigée par un troisième couteau, puis lue par un second couteau, avalidée par le premier couteau, revue par le secrétaire général de je ne sais quoi, par le grand chambellan de la syntaxe citoyenne, qui sais-je encore. 

Et pas un de ces grands serviteurs de l'État ne s'est avisé que le conglomérat “au plus tard avant” n'avait aucun sens ? Je serais personnellement très ennuyé si je devais remettre à quelqu'un un rapport, ou un article, ou ma petite sœur, au plus tard avant l'été. Ça tombe quel jour, ça, au plus tard avant l'été ? Et devrais-je en déduire que je suis censé m'acquitter de ma tâche, à l'inverse, au plus tôt après le printemps ? À la fin du mitan de l'hiver ?

Cette patauderie prouve simplement que celui qui l'a commise ne comprend pas la langue qu'il tente de manier ; ce qui n'est pas grave puisque, manifestement, la phrase ayant franchi avec panache tous les barrages, il s'adressait à des sourds. Des sourds hiérarchisés jusqu'au sommet : pour finir, M. Nicolas Sarkozy, président de la République française, a cautionné cette aberration de son paraphe sans que cela ne lui fasse bouger une oreille (suppose-t-on).

C'est d'autant plus regrettable que, si j'avais été présent, en ce 23 mars 2011, j'eusse facilement pu lui éviter ce ridicule, en retenant la main présidentielle au plus tard avant qu'elle ne signe.

samedi 5 octobre 2013

Que crèvent les libraires et que retombe leur sang sur la tête de leur descendance !

La librairie telle qu'on l'aime
Cet après-midi, parce que je refusais de me transporter jusqu'à l'un de ces vide-grenier idéologiques que, par une sorte de passéisme touchant, on s'obstine à appeler encore des librairies, j'ai commandé quatre livres chez Amazon. Tout ce que je cherchais se trouvait en rayon, c'était merveille ; j'ai pu flâner dans les allées sans qu'un semi-clodo barbichu ne me poursuive de ses assiduités pseudo-littéraires afin de me fourguer le “coup de cœur des libraires”, savoir le premier roman d'une jeune militante associative racontant dans une langue volontairement simple et proche des gens la rédemption d'un brigadier de la P.A.F. jusque-là tenté par le vote F-Haine et tombant amoureux d'un transsexuel tamoul, arrivé de la veille au centre de détention pour sans-papiers dont lui et ses camarades assurent la porosité (titre de l'œuvre : La Chaude Lumière de l'Autre.  En lettres blanches sur le rouge du bandeau : L'Amour plus fort que les tabous) ; arrivé à la caisse dénuée de file d'attente, j'ai eu la bonne surprise de constater que l'hôtesse en était muette, ce qui ne l'a nullement empêchée de m'accorder avec un gracieux sourire une remise spontanée de 5 % ; j'allais prendre mes livres sous mon bras droit (de la main gauche je cherchais ma clé de bagnole) lorsqu'un hologramme de jeune homme issu de la majorité invisible m'a fort courtoisement signalé que je n'avais pas à me donner cette peine, puisque la maison se ferait un plaisir de les livrer gratuitement à ma porte dans les meilleurs délais – et tout cela sans la moindre “musique” de fond, ni de ces conversations claironnantes entre simili-lettrés, qui sont parfois drôles dans les films de M. Allen mais toujours éprouvantes dans les vide-grenier idéologiques. 

Très content de moi-même et du monde, je me suis fait le serment de ne retourner dans une librairie ou une autre que le jour où l'on contraindrait – par la force si nécessaire – leurs tauliers à revêtir de ces charmants petits pulls sans manches orange fluo qui me semblent être l'avenir de leur profession. Sinon, qu'ils crèvent.

vendredi 4 octobre 2013

Le ciron


Curieux destin, vous avouerez, que celui d'un être à la fois minuscule et énorme : c'est le mien. Pour presque tous mes frères acariens, avec mon demi-millimètre de long – en mesure humaine –, je figure une sorte de Godzilla à poils vibratiles particulièrement effrayant, même si je suis d'une nature franchement pacifique ; mais pour vous autres, bipèdes à poils inertes et sujets à la calvitie précoce, j'ai longtemps été le plus petit animal de la création, sous prétexte que le grossier appareillage oculaire dont vous êtes équipés était incapable de distinguer moins gigantesque que moi : je reconnais bien là votre risible propension à vous poser comme étalon de toutes choses. 

De ma taille, j'ai tiré ce statut paradoxal qui est le mien, et dont je me serais bien passé : ma vocation et mon bonheur étaient de fabriquer tranquillement les croûtes de vos tommes et mimolettes, tout en me gavant de ces délicieux fromages, mais certainement pas d'aller plastronner entre les pages de vos auteurs à grande renommée ! Il avait fumé quoi, ce Blaise Pascal, pour voir en moi le reflet inversé de l'infinité de l'univers, vous pouvez me le dire ? Et l'autre – comment déjà ? Ah ! La Fontaine ! – qui m'a mis à toutes les sauces dans ses fables : c'est sérieux, ça, dites-moi ? Et je préfère ne rien dire de votre Malebranche…

Si encore parader sous vos sunlights avait pu me rendre illustre, admiré, envié, chez ceux de ma famille ( de ma race, de mon embranchement : je me perds un peu dans vos classements…) ; si tous les acariens avaient eu vent de ma gloire, j'aurais pu leur en imposer facilement ; même à ma cousine la tique, cette grosse outre sanguinaire qui me regarde de haut depuis le dévonien supérieur, sous prétexte qu'elle fait quatre fois ma taille et dix fois mon poids – comme s'il y avait de quoi se vanter ! Mais voyez l'ironie : à peine visible des hommes bien que célèbre, je demeure ignoré des miens malgré ma carrure d'Hercule Farnèse. Il y aurait bien de quoi, parti acarien, finir acariâtre.


L'acarien étant par nature assez peu photogénique, j'ai choisi d'illustrer par une vue de la rivière nommée également Ciron.

mercredi 2 octobre 2013

Pour plus de sécurité, exigeons le permis de port d'arme dissimulée !


Les Américains, peuple sage et surtout pragmatique, semblent être de plus en plus nombreux, je parle en fait de leurs États, à autoriser ce qu'on appelle le port d'arme dissimulée. Partout où c'est le cas, la grande criminalité aurait diminué dans des proportions significatives, alors qu'elle resterait stable, voire en augmentation, dans les États refusant d'accorder ce droit. Une piste féconde pour l'avenir des Européens ?

Avant de hurler à la mort (!), camarades progressistes, je vous encourage vivement à lire la trilogie d'articles fort documentés que vient de publier l'irremplaçable Aristide.

On en reparlera demain, en ce qui me concerne.