vendredi 27 novembre 2015

jeudi 26 novembre 2015

La discorde et le glaive


Le père Hervé Benoît s'est mis lui-même au cœur d'une tourmente dont il risque fort, je le crains, de ne pas sortir indemne, vu l'ambiance d'hystérie pleurnichardo-guerrière dans laquelle nous barbotons actuellement. Son crime ? Avoir esquissé un parallèle entre les tueurs du Bataclan et les jeunes gens qui s'y trouvaient massés pour y subir les flots de décibels d'une musique de merde. Bien entendu, de tous ceux qui, depuis hier ou avant-hier, réclament, exigent sa tête, aucun ne prend la peine d'examiner, au besoin pour le réfuter, ce qui est dit dans cette tribune, et qui méritait pourtant qu'on s'y arrête ne serait-ce qu'un moment. Non, bien sûr. Il est tellement plus facile et plus agréable d'anathémiser, de défourailler les armes absolues de langage (fasciste, etc.) ! Le père Benoît compare les assassins et leurs victimes ? Aussitôt, chez les neuneus de service, les Gauche de Combat bembellysés, on hurle que le même père Benoît justifie les massacres de l'autre nuit ; il ne fait évidemment rien de tel. La seule chose, sans doute, qui est en trop dans son article, certes violent (mais le Christ lui-même n'a-t-il pas dit qu'il était venu nous apporter la discorde et le glaive ?), c'est la phrase consacrée aux avortements, mis en regards de la tuerie ; elle est de trop parce qu'elle constitue un irrésistible appeau à progressistes déments; et parce qu'elle n'apporte finalement pas grand-chose. Pour le reste, qu'on l'approuve totalement ou seulement en partie, la charge sonnée par le père Benoît me paraît salutaire. Et on peut l'admirer de n'avoir pas eu la lâche prudence d'attendre quelques mois pour la donner à lire, quand tout le monde aura à peu près oublié ce sinistre vendredi.

samedi 21 novembre 2015

Quel est ce barbu qui s'avance, bu qui s'avance ?


L'objet est tombé ce matin dans la boîte. C'est, comme on dit, une belle réussite éditoriale, un volume que l'on pourra offrir sans rougir, mais surtout acheter pour soi et le lire ; car on ne voit pas pourquoi il serait de qualité moindre que Berthe au grand pied, du même Rémi Usseil, dont je vous entretins naguère. Il sera même sans doute plus riche, le sujet étant davantage foisonnant et le souffle de l'auteur plus large, l'expérience aidant. Je n'ai eu que le temps de lire la préface, dont l'érudition ne le cède qu'à l'élégance du style, et de regarder les images ; ce qui m'a laissé pressentir beaucoup de bonheur pour les jours à venir. J'y reviendrai plus longuement, lorsque je serai parvenu au bout de l'épopée et que je serai en mesure de vous faire part de mes impressions d'enfances.

(Et je me demande si je ne vais pas exiger d'avoir moi aussi un preux chevalier sur ma couverture : yapadréson.)

vendredi 20 novembre 2015

Philippe Muray par Philippe Muray



Je comptais, et compte toujours, écrire un assez long billet à propos de ce deuxième tome du journal de Muray, tout récemment paru, et encore plus fraîchement lu ; volume étonnant par bien des côtés, et notamment par ses différences avec le précédent. Le temps m'en a manqué aujourd'hui. Puis, je me suis dit qu'après tout le plus rapide moyen d'intéresser d'éventuels lecteurs à un journal d'écrivain était peut-être encore de leur en proposer quelques menus extraits. En voici une dizaine, dont il n'est pas besoin, je pense, de préciser que je ne les ai pas piqués au hasard des 550 pages…



22 janvier 1986. Entre la droite et la gauche, il y a la différence qu'il y a entre ce qu'on dit de moi et ce que je dis de moi. L'homme de droite, en général, est dit de droite. On le parle. On l'accuse. On le définit. Être de droite, c'est être dans une attitude passive, une situation de défini. Masochisme. L'homme de gauche, en revanche, se dit de gauche. C'est de lui-même que vient sa propre définition. Quand il le dit, il manifeste en même temps une immense satisfaction de son être. Il faut entendre ce qu'il dit de lui-même comme un soupir de satisfaction.

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4 mars. Fatigué d'écrire à contre-courant de tout. J'ai écrit contre tout le socialisme et tout l'occultisme, c'est-à-dire contre un maximum de gens. J'écris contre les enfants, la volonté d'enfants, alors que la droite, la gauche, les hommes, les femmes, les pédés, tout le monde, s'alarme de la dénatalité. Ce que j'écris est un crime. On ne peut pas m'aimer. Encore heureux si un jour j'arrive à les obliger à se souvenir de moi !

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7 juin. Il faudrait qu'un jour je parle aussi de tous les crétins qui passent leur vie à s'identifier à vous, à essayer de vous confondre avec eux, à vous démontrer que vous n'avez pas plus de droits qu'eux, que « vous ne valez pas plus cher (ni moins) qu'eux », etc. Qui ont horreur de la moindre hiérarchie. Qui croient pouvoir discuter avec vous sur un pied d'égalité. Et il faudrait être aimable, compréhensif, faire comme si on ne voyait rien, accepter en souriant l'escroquerie. Se laisser rabaisser. Humilier. Ramener dans leur malveillance.

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3 juillet. La culpabilité des hommes, pour les femmes, c'est la vie même. C'est la source même de la vie parce que, s'ils n'éprouvaient pas de culpabilité à les avoir baisées, ils n'accepteraient pas qu'elles leur fassent des enfants. Il faut donc (c'est la clé de la résistance des femmes au sexe) que la baise ait toujours plus ou moins les couleurs d'un viol. Sinon, elles n'auraient aucun droit à demander ensuite le remboursement, la réparation – l'enfant.

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21 février 1987. Pas assez de cul, de seins. Culotte de cheval. Muscles fessiers insuffisants. Trop de cul. « J'ai du ventre »… Vergetures… C'est un désastre… Les écouter parler d'elles-mêmes est une épreuve. Il faut avoir la queue bien accrochée aux couilles pour lever quand même. Heureusement, la façon dont on s'en sert n'a rien à voir avec la manière dont elles se regardent. Deux anatomies différentes. Deux découpages. Un petit cul peut produire des effets érotiques stupéfiants, s'il est bien offert et bien enfilé. Une sale gueule intelligemment intéressée par l'affaire peut devenir une vraie gargouille d'amour dans laquelle on adorera se vider. Des loches relâchées peuvent avoir une indépendance et des initiatives surprenantes. Ce qui compte, Mesdames, c'est que vous aimiez vous faire grimper et que ça se voie, voilà la vraie intelligence, le grand Talent ! Pas donné à toute pétasse. Et qui ne se simule pas !

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28 février. Les femmes ont souvent fait des fausses couches avec moi, ce qui signifie que leurs « entrailles » ont eu plus de raison, plus d'intelligence qu'elles-mêmes. Leurs entrailles ont eu peur de ce que leur raison ne craignait pas. Une viscéralité les a averties qu'elles ne comprenaient pas tout, qu'il y avait d'autres choses que celles qu'elles voyaient. Enfin, que leur optimisme ne les mènerait à rien de bon pour elles.

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Même date. Tout ce que j'ai écrit sur Céline et l'antisémitisme (comme obsession du « virus » à supprimer : le Juif) est à réadapter. L'attitude de Céline était hygiéniste. Maintenant que les gens ne peuvent plus s'attaquer – ou n'osent plus s'attaquer – aux Juifs, aux Noirs, etc., ils s'attaquent aux fumeurs, aux chasseurs, aux amateurs de corridas. Même si les conséquences sont bien entendu moins meurtrières, la logique est la même. Il s'agit toujours de faire une planète « propre »…

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10 mars 1988. Les théoriciens durs et purs – philosophes, sociologues, etc. – si impressionnants quand ils déploient leur arsenal rhétorique, et qui par ailleurs écrivent des poèmes alanguis, des romans kitsch, font de la photo surréaliste… Les comparer à ces filles bardées de diplômes, positives, archi-executives, et qui se conduisent en bonniches midinettes dès qu'il s'agit de relations « amoureuses ».

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26 octobre. Je ne sais conclure ni mes articles, ni mes livres, ni mes coïts. La dernière phrase est aussi abusive que la première, aussi arbitraire, mais à l'inverse de la première elle arrive toujours trop vite. Je ne vois jamais la fin à rien de ce que j'ai commencé. La décharge de foutre, que je sais retenir longtemps, arrive toujours trop tôt à mes yeux. « Il se déversa en elle à longs jets brûlants »… Tu parles ! Un type sait bien que sa giclée ne va être qu'un minuscule « oui » en réponse au long bavardage de sa partenaire jouissant. D'où l'espèce d'humiliation obscure, ressentie de tout temps par les hommes, à éjaculer ; même s'ils font semblant de considérer l'éjaculation comme une victoire sur la partenaire, même s'ils savent qu'ils ne peuvent évidemment qu'en passer par là, ils gardent une vague conscience de l'insuffisance de leur argumentation, de la pauvreté de leur réplique. Décrire la baise comme un dialogue de théâtre en faisant ressortir la disproportion frappante entre le monologue interminable que représente l'orgasme féminin et la réponse mâle pratiquement monosyllabique.

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Et enfin cette dernière, sans que j'aie besoin de dire pourquoi : 

11 octobre. Cauchemar BM de quinze jours. Terminé cette nuit. Il y a encore deux ans, je les liquidais en huit jours (cinq ou six jours il y a quatre ans). Comme à chaque fois que je sors de mon tunnel : qu'est-ce qui s'est passé pendant mon absence ? Etc. 

Et toute vie, ainsi, sans moi s'écoulera.

mercredi 18 novembre 2015

Encore deux petits mois de patience…


On doit pouvoir cliquer sur la photo pour éviter de se crever les yeux sur le texte…

mardi 17 novembre 2015

Pour sourire…

samedi 14 novembre 2015

René Girard : hommage excessif


Les actes de guerre perpétrés hier soir représentent certes un hommage au penseur récemment disparu, pour ce qu'il illustre parfaitement le phénomène que, à la suite de Clausewitz, il nomme la “montée aux extrêmes”, chacun, dans ce combat, étant persuadé que l'autre est le véritable agresseur tandis que lui-même ne fait que se défendre ; on peut tout de même penser que le coup de chapeau est exagéré, aussi bien dans ses modalités d'expression que dans ses conséquences. Et il n'est malheureusement pas interdit de craindre que, dans cette escalade en miroir, nous ne soyons même pas à mi-pente de la montée, c'est-à-dire encore fort loin des extrêmes.

jeudi 12 novembre 2015

Marchons d'un pas allègre vers la guerre d'extermination


Le dernier livre important de René Girard s'intitule Achever Clausewitz ; il est paru en 2007. C'est la première fois, à ma connaissance, que le Girard anthropologue quittait le terrain qui était le sien, l'humanité primitive, pour s'occuper du monde moderne et contemporain. Sa lecture de De la guerre est franchement apocalyptique, et elle l'est de manière tout à fait volontaire et consciente. Pour Girard, “achever” Clausewitz, c'est pousser les découvertes et intuitions du théoricien prussien jusqu'à leurs conséquences logiques, en tenant compte des presque deux siècles qui se sont écoulés depuis qu'il écrivait son traité. C'est par conséquent se rendre compte  que les notions clausewitziennes de “duel”, d'“action réciproque” ou de “montée aux extrêmes” tendent désormais à s'imposer comme unique loi de l'histoire. La guerre n'est plus “la politique poursuivie par d'autres moyens” : les moyens guerriers sont devenus des fins, l'apocalypse a commencé, la violence des hommes, devenue hors de contrôle, menace désormais la planète entière, et notre survie même. En voici un extrait, pris à la page 57 (éditions Carnets Nord), au début d'un sous-chapitre intitulé La guerre d'extermination – rappelons que le texte date de 2007 :

« Est-ce un principe de mort qui finit de s'épuiser et va ouvrir sur tout autre chose ? Ou au contraire une fatalité ? Je ne peux trancher. Ce que je peux dire en revanche, c'est que nous constatons l'infécondité croissante de la violence, incapable aujourd'hui de tisser le moindre mythe pour se justifier et rester caché. C'est bien cette montée de l'indifférenciation que Clausewitz entrevoit derrière la loi du duel. Les massacres de civils auxquels nous assistons sont donc autant de ratages sacrificiels, d'impossibilités de résoudre la violence par la violence, d'expulser violemment la récprocité. La polarisation sur des victimes émissaires étant devenue impossible, les rivalités mimétiques se déchaînent de façon contagieuse sans jamais pouvoir être conjurées.

« Ces échecs de résolution sont fréquents, quand deux groupes “montent aux extrêmes” : nous l'avons vu dans le drame yougoslave, nous l'avons vu au Rwanda. Nous avons beaucoup à craindre aujourd'hui de l'affrontement ces chiites et des sunnites en Irak et au Liban. La pendaison de Saddam Hussein ne pouvait que l'accélérer. Bush est, de ce point de vue, la caricature même de ce qui manque à l'homme politique, incapable de penser de façon apocalyptique. Il n'a réussi qu'une chose : rompre une coexistence maintenue tant bien que mal entre ces frères ennemis de toujours. Le pire est maintenant probable au Proche-Orient, où les chiites et les sunnites montent aux extrêmes. Cette escalade peut tout aussi bien avoir lieu entre les pays arabes et le monde occidental.

« Notez qu'elle a déjà commencé : ce va-et-vient des attentats et des “interventions” américaines ne peut que s'accélérer, chacun répondant à l'autre. Et la violence continuera sa route. L'affrontement sino-américain suivra : tout est déjà en place, même s'il ne sera pas forcément militaire au début. C'est pourquoi Clausewitz se réfugie pour finir dans la politique, et dissimule son intuition première. Cette montée aux extrêmes est un phénomène totalement irrationnel, dont seul, à mon avis, le christianisme peut rendre compte. Car il a révélé depuis plus de deux mille ans l'inanité des sacrifices, n'en déplaise à ceux qui voudraient encore croire à leur utilité. Le Christ a retiré aux hommes leurs béquilles sacrificielles, et il les a laissés devant un choix terrible : ou croire à la violence, ou ne plus y croire. Le christianisme, c'est l'incroyance. » 

jeudi 5 novembre 2015

mardi 3 novembre 2015

Jusqu'où descendrons-nous ?


Le film, fantastico-thrilleresque, s'intitule Fin ; ce qui, en espagnol, signifie “Fin” : on voit que les distributeurs français se trouvaient devant un épineux problème à résoudre. Il y a peu de chose à dire de l'œuvre elle-même, sinon qu'elle est plutôt moins bonne que si les Américains s'en étaient chargés et nettement meilleure que si le scénario était tombé entre les griffes d'un gâcheur de pellicule hexagonal. Mais revenons à notre titre. Comment faire, se sont demandé les professionnels de la profession, pour attirer le public français ? Quel titre donner au film, qui sera capable de faire saliver des gens tout imprégnés du génie particulier de la France ? À force de se triturer les lobes, la goutte de génie a fini par tomber sur la feuille blanche : en France, le film s'est appelé The end.

On peut rire, bien sûr ; ce billet est fait pour ça, en un sens. En un autre sens, il pourrait aussi nous plonger dans un désespoir si agissant que l'envie nous viendrait spontanément d'aller défoncer quelques crânes de distributeurs de chez nous au moyen de koalas préalablement congelés (l'Amiral Woland ne faisant plus de billets, je lui ai racheté à prix cassés son stock de bestioles). Mais on aurait tort : ces cuistres malfaisants ne sont que le reflet d'un mal qui les dépasse largement : le renoncement à être soi-même qui infecte désormais toutes les catégories plus ou moins “pensantes” de notre pays – et de l'Europe, plus généralement –, le désir abject et délicieux de se vautrer dans sa soue, devant l'œil mi-goguenard, mi-navré de nos anciens serviteurs qui, notre bonne volonté leur semblant sans limites, ne devraient plus tarder à prendre le contrôle des abattoirs. Bien alignés, nous irons en grognant d'impatience et de ravissement, à condition toutefois que l'on préserve nos petits nerfs en ne prononçant jamais le mot Fin.