jeudi 30 juin 2011

La touchante modestie des blogueurs de gauche

Les primaires du PS, c'est pis que les aoûtats : mes petits amis blogueurs de gauche ont commencé à se gratter, et on sent bien à la fureur qu'ils y mettent qu'ils ne s'arrêteront même pas au premier sang. De là à conclure que les blogueurs de gauche, c'est rien qu'une bande d'ongulés, il y a un pas que je me garderai de franchir.

Non, ce qui m'amuse, dans ce grand marché citoyen où chacun a à cœur d'exhiber le contenu de son petit panier, c'est le vocabulaire en cours. Faites un peu le tour du poulailler (pour cela, une seule adresse : la blogoliste de Nicolas) et vous verrez : impossible de trouver l'un de ces modestes pour dire qu'il va voter pour Hollande ou pour Aubry ou pour… Non, non : quand un blogueur s'engage, c'est pour soutenir son candidat – lequel, n'en doutons pas une seconde, s'effondrerait sans cela, tel un palais vénitien brusquement privé de ses piliers de soutènement. À lui tout seul, le blogueur, avec ses petits bras musclés et rien d'autre, si ce n'est sa résolution de progrès et son enthousiasme durable, il hisse bien haut le pavois sur lequel il a juché son idole. Laquelle en sanglote de reconnaissance, forcément.

Imaginez la scène : François Hollande (on peut changer le nom si on veut…) rentre ce soir chez lui, un magnum de roteux dans une main et quatre tranches de saumon d'Écosse dans l'autre, la tronche barrée d'un sourire extatique : « Ma chérie, tu ne sais pas ce qui m'arrive ? C'est merveilleux : tout à l'heure, j'ai reçu le soutien de révolutioniste.net ! Avec ça, il ne peut plus rien m'arriver, j'irai au bout quoi qu'il advienne ! D'autant que, vu son influence, il pourrait bien entraîner le ralliement de gauchissime.blogspot.fr ! C'est dans la fouille, que je te dis, cette primaire ! Allez, on fait péter le flacon… »

Et si, quarante-huit heures plus tard, révolutioniste.net change d'avis et décide de voter pour un candidat rival du premier, il le soutiendra tout pareil et avec la même satisfaction tranquille : en langage de mineur, c'est ce qu'on appelle un soutènement marchant.

Remarquez, si je me moque des blogueurs de gauche, c'est pour être à la hauteur de ma réputation. En réalité, je pense que, le moment venu, les blogueurs de droite feront preuve de la même touchante modestie.

mercredi 29 juin 2011

Mois de mai, mois de mari



Vous trouvez le titre de ce billet énigmatique ?

L'explication est dans le journal

mardi 28 juin 2011

Modernœud et Groréac sont dans une voiture : fable

Ils sont assis tous les deux à l'avant ; ils ne se parlent pas ; on les sent un peu crispés. Ils doivent être dans une voiture d'auto-école car chacun dispose, à sa place, de deux pédales, accélérateur et frein : on en déduit qu'il s'agit d'un véhicule à boîte de vitesses automatique. La bizarrerie est qu'il y a également deux volants : ils sont couplés de telle manière que lorsque l'un est en action, l'autre devient tout à fait inopérant – et réciproquement.

Modernœud et Groréac roulent sur une très longue portion rectiligne de route déserte, dans une campagne très vallonnée, limite montagneuse si on voulait dramatiser. Ils voient très bien que là-bas, tout au bout, ils vont devoir affronter des virages serrés et dangereux, bordés tantôt d'un côté, tantôt de l'autre par un ravin abrupt – et chacun se demande comment il va pouvoir neutraliser son co-pilote afin de garder la pleine maîtrise du volant, dans le but de préserver leurs deux vies. Car chacun, il convient de bien le noter, a conscience de devoir œuvrer pour le bien commun de leur minuscule communauté, d'être responsable pour l'autre qui, nul n'en doute, perdra le contrôle de lui-même et du véhicule à la première difficulté périlleuse.

La route est peut-être droite mais elle n'est pas horizontale, pas du tout. Au contraire, elle suit une pente assez forte, et qui va encore s'accentuant à mesure que l'on se rapproche de la succession de virages. Le problème est que – jeu de la brume ? Miroitement de la lumière ? Traîtrise des plans et des couleurs ? Aberration optique des protagonistes ? – il est impossible de savoir si cette pente est ascendante ou son contraire.

Voyant nettement la route monter vers des sommets où le soleil lui semble triompher de la brume, Modernœud se dit qu'ils doivent prendre de la vitesse s'ils ne veulent pas caler dès le second ou troisième virage : il enfonce l'accélérateur – mais progressivement, pour ne pas faire hurler son compagnon de voyage, toujours prompt à s'émouvoir du moindre changement. De son côté – c'est lui qui tient la place du mort –, Groréac est bien certain que la route dévale vers la zone dangereuse : voulant l'aborder aussi lentement que possible, voire immobiliser la voiture en bout de ligne droite si la chose est encore possible, le voilà debout sur le frein.

Chacun ne tarde pas à comprendre la manœuvre de l'autre et se met à agiter son volant en tous sens, dans l'espoir d'ôter à son voisin la maîtrise du véhicule. Le seul résultat est que les deux volants, maniés simultanément et au mépris de toute contingence mécanique, les deux volants se déconnectent avec un ensemble parfait. Modernœud et Groréac se rendent compte alors que tout est foutu et qu'il ne leur reste plus qu'à imputer à l'autre la totalité du désastre imminent, en sautant en marche de la voiture juste avant le premier virage. Ils relâchent tous deux la pédale qu'ils enfonçaient du pied et ouvrent chacun sa portière, juste à l'amorce du premier virage – un méchant, bien serré à gauche, avec un peu de gravillons en bord de bitume.

Et le ravin est là, juste en face.

La voiture plonge dans la brume crémeuse, désormais en léger contrebas ; il fait un soleil superbe.

lundi 27 juin 2011

Robert Marchenoir, correspondant de guerre fromagère


Encore tout hirsute des combats auxquels il vient de participer, Robert Marchenoir nous a adressé le texte qu'on va lire. Quant à moi, si jamais une armée de gueux munis de faux et de fourches s'approche de ce blog, le blasphème et la menace en bouche, pour se faire justice, je saurai à qui les adresser…



Baston générale chez Fromage Plus



Il y a une dizaine de jours, voulant sans doute calmer les bagarres qui surviennent périodiquement, bien malgré lui, sur son excellent blog, l’infortuné Fromage Plus a cru bon de faire un post consensuel, pacifique, plein d’amour et de charité chrétienne, exclusivement composé de photos de son (je suppose) pèlerinage de Lille à Chartres.

Sans le moindre commentaire de sa part.

Hélas, quelqu’un dans l’ecclesia (je veux dire l’assemblée) fit remarquer le caractère funeste d’une des photos, représentant l’un de ces fameux lotissements pavillonnaires qui défigurent le paysage de la France rurale et éternelle, tel un furoncle sur le beau visage d'Adriana Lima

Ce à quoi je répondis, en gros, qu’il fallait bien que les gens se logeassent.

Du coup, la baston générale a éclaté.

Elle dure sans doute encore à l’heure où vous lirez ces lignes.

Je vous résume le film. A ma gauche (je simplifie), le gang des catholiques traditionnalistes, paléo ou néo-ruraux, voire agriculteurs, décroissants, auto-suffisants, et, bien entendu, anti-libéraux. À ma droite (je caricature), la fine fleur des citadins libéraux-conservateurs, pour ne pas dire réactionnaires et nauséabonds – dont votre serviteur.

Nous étions donc entre amis.

Entre deux bourre-pifs, nous devisâmes civilement de maisonnettes, de maçonnerie et d’agriculture. Ce qui donna lieu, entre autres, aux déclarations suivantes (orthographe respectée) :

« Ça me fais bien mal de savoir que je trime pour nourrir des connards dans vôtre genre qui n’ont même pas conscience qu’ils ne sont rien sans nous. Ne rêvez pas la famine vous pend au nez, et ce jour la on vous verra dégueuler dans les campagnes quémander de quoi bouffer. »

« Je vois pas pourquoi jme casserai le derche à nourrir des gens comme ça. »

« Venez pas mendier : moi, j’aurai TOUJOURS de quoi bouffer. »

Formidable auto-radioscopie de la mentalité du “paysan” français, et, d'ailleurs, du Français en général. On voit tout de suite le fantasme : sous prétexte qu'il fait pousser des patates ou n'importe quoi d'autre, le type s'imagine qu'il nourrit les Français, alors que ce sont bien évidemment les Français qui le nourrissent.

Ben oui : ses patates, il ne les donne pas, comme ça, bénévolement, par charité. Il les vend. Ce sont donc bien ses clients qui, en acceptant de lui acheter ses produits, lui permettent de “bouffer”, c'est-à-dire de subvenir à ses besoins.

Y compris alimentaires, bien évidemment. Le “paysan”, il fournit un produit, peut-être quelques-uns, mais certainement pas tout ce dont il a besoin pour “bouffer”. Son sucre, il l'achète au supermarché, comme tout le monde. Son café, son poivre, ses bananes, il aurait un peu de mal à les faire pousser lui-même. S'il fait du fromage en montagne, il ne fait pas de blé. Et vice-versa. Son merlan, il ne le pêche pas dans l'étang derrière chez lui. Son bœuf, il a bien besoin d'un “connard” pour l'abattre. Il ne va pas lui prendre le filet sur pied pour le mettre au gril. Son pain, il a bien besoin d'un autre “connard” pour le cuire.

L'électricité, l'essence, la voiture, les machines et Internet, dont il a besoin pour “nourrir tous ces connards”, ce sont d'autres “connards” qui les lui fournissent. Dont certains, même, abomination de la désolation, habitent en ville.

Mais ça ne fait rien. Dès qu'on ne se prosterne pas devant lui, dès qu'on conteste un tant soit peu sa vision du monde et des choses, ses droizacquis et ses subventions, il se promet d'affamer ses contemporains.

Menace qu'il ne mettra jamais à exécution, naturellement.

Quand bien même il le ferait, les “connards” continueraient, bien évidemment, à “bouffer” sans s'apercevoir de rien. Car il y a des centaines de millions de “connards”, à travers le monde, qui ne demandent pas mieux que de “nourrir ces connards de Français”.

Et c'est bien ce qui emmerde le p'tit paysan qui est si sympa, si altruiste, si dévoué, si généreux de son temps et de sa peine, si respectueux des hommes et de la nature.

On peut se passer de lui.

Le monde ne tourne pas autour de son nombril et de son lopin de terre. Il serait même légèrement en surnombre que ça ne m'étonnerait pas.

C'est bien pour cela qu'il dit : « Vous êtes des connards, vous n'êtes rien sans nous. »

On voit bien quel est son rêve secret. Être un petit Hitler, un petit Staline, un petit Pol Pot. Tenir tous ces “connards” sous sa botte.

Et c'est bien pourquoi il est anti-libéral : il est contre la liberté.

D'ailleurs, un fonctionnaire ne peut qu'être anti-libéral. Il sait très bien où est son intérêt. Une profession dont la moitié des revenus provient de subventions est composée de fonctionnaires. Une profession dont l'outil de travail, la terre, est nationalisé, puisqu'il ne se vend qu'avec l'autorisation d'un organisme monopolistique et para-public, est naturellement portée à être socialiste.

Tout en cultivant son image d'individualisme buté et hargneux, comme le montrent à l'évidence les réflexions ci-dessus.

Les pires vices de l'individualisme alliés aux pires vices du socialisme : voilà le profil du pitit paysan franchouille, que le monde entier nous envie.

Et le pitit paysan franchouille, observant la crise financière mondiale, se frotte les mains en espérant le retour de l'Occupation : « Ne rêvez pas la famine vous pend au nez, et ce jour la on vous verra dégueuler dans les campagnes quémander de quoi bouffer. »

Ça, ça le fait positivement bander, le pitit paysan français. Il l’a vu dans les films, à la télé : les expéditions à la campagne pour le ravitaillement, le marché noir… Vivement que tout ça se casse la gueule, qu'on puisse enfin se faire des couilles en or sur le dos de ces “connards”.

Un grand humaniste, on vous le dit, contrairement à ces salopards de “rats des villes”. Le cœur sur la main, toujours prêt à rendre service. Le genre de type auquel on a envie de vouer une gratitude infinie, en temps normal, de bien vouloir être assez bon pour nous “nourrir”, nous autres les “connards”.

Évidemment, là aussi, le zentil pitit producteur se fourre le doigt dans l'œil, et nous raconte des histoires : l'agriculture française de 2011 n'est pas celle de 1940. Dans leur immense majorité, les agriculteurs seraient autant aux abois que les citadins, si le fameux cataclysme que certains ont la bêtise d'appeler de leurs vœux se produisait.

En 1940, le tracteur ou la voiture s'appelaient cheval, le congélateur n'existait pas, le cours des denrées n'était pas sur Internet… et il n'y avait pas de subventions.

Toutes ces menaces, ces insultes et ces rodomontades expliquent, rétrospectivement, bien des choses. On en comprend un peu plus sur les HLPSDNH, la collaboration, la permanence d'une certaine mentalité française : toute de “solidarité” et “d'humanisme” en façade, mais rêvant au jour où, enfin, surviendra l'occasion d'escroquer son prochain dans les grandes largeurs.

Bref : le socialisme, issu en droite ligne de la Révolution. La guerre civile de 1789 n'est pas terminée.

Remarquez que cette mentalité n'est pas circonscrite aux paysans. Les membres de toutes les professions s'imaginent qu'ils sont indispensables.

Cette profonde maxime : « Ça me fais bien mal de savoir que je trime pour nourrir des connards dans vôtre genre qui n’ont même pas conscience qu’ils ne sont rien sans nous », devrait être inscrite au fronton des monuments de la République. Elle en est, véritablement, la devise.

C'est ce que pensent, et disent, un nombre incalculable de gens dans toutes les strates de la société, du haut fonctionnaire le plus puissant à l'artisan le plus modeste.

C'est, bien entendu, au premier chef, la mentalité des fonctionnaires. Alors qu'ils devraient être les premiers à se sentir, et à se dire, au service de la population, ils se comportent, et ils le disent, comme si c'était la population qui leur était redevable. De lui fournir l'éducation, la médecine, les transports, de bien vouloir être assez bons pour lui soutirer 56 % de ce qu'elle gagne sous forme d'impôts…

Cette ahurissante inversion des valeurs et des responsabilités a contaminé toute la société, secteur privé compris. Le type qui fournit un bien ou un service sur le marché, en échange d'un paiement, est sincèrement persuadé non pas qu'il devrait remercier, tous les matins que Dieu fait, ses clients de l'avoir choisi, non pas qu'il participe à un échange équilibré où chacun rend service à l'autre, mais qu'il est bien bon “de trimer toute la journée pour rendre service à ces connards de clients” qui n'ont même pas conscience de leur chance que le roi du monde et de ses environs daigne s'intéresser à eux.

En somme, l'argent qui change de mains à cette occasion est une sorte d'impôt. C'est un dû.

Et quand, par le plus grand des hasards, il manque à se matérialiser, cela devient la faute du gouvernement. Ou de l'ultra-libéralisme. Et en général les deux.

La contradiction ne semble pas les gêner. Ils n'en sont plus à ça près.

Remarquez que toute cette construction économico-intellectuelle (il faut le dire vite…) ne tient que grâce à la dette publique, qui, contrairement à ce que prétendent certains à l'esstrêm' drouâte, n'est pas due aux Chouifs, ni aux banksters internationaux, ni à l'ultra-libéralisme, mais bien à l'ultra-étatisme.

En somme, au socialisme.

Rendez-vous compte que tous les Français de moins de 54 ans ont vécu toute leur vie de citoyens, c'est-à-dire à partir de l'âge de 18 ans, sans avoir jamais connu un seul budget public à l'équilibre.

Je répète : depuis 1975, la France a toujours été, année après année, en déficit. Si vous aviez 18 ans en 1975, l'âge auquel on a le droit de s'impliquer dans les affaires publiques aujourd'hui, ou si vous étiez plus jeune, ou si vous n'étiez pas né, eh bien vous n'avez jamais eu le droit de vote à un moment où la France ne dépensait pas davantage qu'elle ne gagnait. Quel que fût le parti au pouvoir.

Autrement dit, tous les Français de moins de 54 ans ont des raisons de trouver normal que l'argent pousse sur un arbre planté dans la cour de l'Élysée, puisqu'ils n'ont jamais connu autre chose de leur vie d'adulte, et que tout leur a semblé fonctionner normalement pendant ce temps.

Évidemment, ça ne peut pas durer.

Certains pensent pouvoir s'en tirer en affamant, le jour venu, leurs “connards” de concitoyens. Et ils s'imaginent que les “aigris”, ce sont les autres. Ils pensent que les insultes et le chantage vont suffire à leur garantir leur petit confort.

Ils se préparent de douloureux lendemains.

dimanche 26 juin 2011

Didier Goux se couvre de ridicule puis fait sa nuit

Hier, nous recevions ma sœur et son homme à déjeuner. À l'issue de celui-ci, les hôtes, la puissance invitante et le réfugié matrimonial décidèrent de sacrifier à cette tradition que pour ma part je réprouve : la promenade digestive. Demeuré seul, je décidai qu'une courte sieste me ferait le plus grand bien, pour laisser au chablis premier cru le temps de se faire oublier.

Comme personne ne jugea utile de me réveiller en rentrant de la promenade, et les effets de la Montée de Tonnerre étant ce qu'ils sont, il faisait grand soleil lorsque je m'éveillai et mon réveil indiquait neuf heures moins le quart. Bref, il était plus que temps de se lever. Ma première surprise fut de découvrir Catherine devant la télé, ce qu'elle ne fait jamais le matin. La deuxième – moins agréable – de constater qu'elle n'avait même pas pris la peine de mettre en route le café, ce que je fis en maugréant. C'est en allant en prendre la première tasse dans le jardin que je pus m'apercevoir que le soleil ne se levait pas au bon endroit. Il me fallut encore deux à trois secondes pour que tout se remette en place.

Il était neuf heures du soir et nous étions toujours hier (par rapport à aujourd'hui, veux-je dire ; car au moment où ça s'est produit, j'ai au contraire pensé qu'on était encore aujourd'hui et non demain : essayez de suivre, c'est déjà assez pénible comme ça). C'est alors que je me suis dit que j'avais probablement eu tort, me croyant le matin, de prendre une deuxième ration de médicaments – mais il n'en est rien résulté de fâcheux jusqu'à présent – et que je me suis demandé comment j'allais faire pour me rendormir. J'ai évidemment trouvé la solution : deux petites bières supplémentaires, pour faire glisser mon petit-déjeuner vespéral, et au lit.

Lorsque je me suis de nouveau réveillé, peu après huit heures, je n'ai pu m'empêcher de jeter un coup d'œil torve et soupçonneux en direction du soleil qui me semblait briller d'une manière plus ironique qu'à l'accoutumée.

À part ça, tout va bien.

vendredi 24 juin 2011

Les bobos de Montreuil font sous eux



Nathalie, comédienne grandie dans un mas cévenol retapé et équipé de toilettes sèches, a voté Voynet ce jour-là.


Je vous conseille vivement de savourer avec lenteur tout l'article dont cette phrase est issue : la stupidité arrogante de Modernœud, superbement quintessenciée…

jeudi 23 juin 2011

Didier Goux passe le bac et finit en ruines


Donc, après moult atermoiement engendré par un temps éminemment variable, nous partîmes pour Jumièges – pas plus énervés que cela. Allez savoir pourquoi, en ces confins de l'Eure et de la Seine-Maritime (proverbe local : avant l'Eure c'est pas l'Eure, après l'Eure c'est la Seine-Maritime), le fleuve se franchit par bacs : traversée un peu frustrante puisque après dix minutes d'attente elle doit en durer moins de deux…


Néanmoins, l'abbaye ou plutôt ce qu'il en reste (“Plus belle ruine de France”, aurait sentencé Victor Hugo, qui se croyait obligé de bricoler une phrase impérissable devant chaque monument que croisait sa route) “mérite un détour”, voire “vaut le voyage” comme on dit dans les guides sérieux. Première impression : il est étonnant – et fort déprimant si l'on y songe – de constater que des bâtiments médiévaux presque totalement défigurés par le temps et les vandales post-révolutionnaires présentent encore mille fois plus de beauté que n'importe quelle réalisation architecturale contemporaine. Peut-être simplement parce qu'ils sont encore là alors même qu'ils ont cessé d'être.


L'aspect le plus immédiatement séduisant de Jumièges est qu'il est possible de tout découvrir ou presque, chaque détail d'architecture, voussure, amorce d'arcs, échappée de paysage, à travers les cadres naturels formés par les différentes fenêtres restant debout, et qui donnent à voir des tableaux sans cesse changeants à mesure que l'on se déplace de quelques pas dans un sens ou dans un autre. Chaque élément, pierre ou frondaison, se présente dans un écrin d'air et de lumière, tantôt roman, tantôt gothique, et même l'un après l'autre, selon l'endroit où l'on se place pour le regarder.



La présence des échafaudages, bien sûr regrettable, mais il est nécessaire de consolider les ruines, ne réussit pas à gâcher cette certitude du miracle que l'on éprouve ici, faite sans doute de deux impressions en principe contradictoires, celle d'une beauté fragile, toujours sur le point de s'évanouir, et celle d'une éternité à peine de ce monde-ci – et peut-être en a-t-il été de même, durant plus de mille ans, du lien qui unissait à Dieu les hommes qui ont vécu et prié entre ces murs dont on ne sait plus bien, au moment de repartir, ce qui subsiste d'eux, de l'ébauche ou du souvenir.

D'autres photos…


mercredi 22 juin 2011

Nous n'irons pas à Jumièges aujourd'hui


C'est pourtant ce qu'hier soir, à l'heure où les écrivains en bâtiment s'affaissent dans leur fauteuil, assommés par le travail qu'ils n'ont pas fourni, nous avions prévu de faire. Parce que ce n'est pas très loin, et pour le plaisir enfantin de traverser la Seine sur un bac plutôt que sur un pont – la période des ponts étant close et celle du bac battant son plein. Mais si vous vivez dans la partie nord de la France et que vous jetez un rapide coup d'œil par la fenêtre la plus proche, vous comprendrez que nous ayons renoncé à la promenade : non seulement le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, mais en outre il dégouline telle une vieille passoire de ménage. Par conséquent, en guise de fleuves impassibles je n'aurai que la flaque qui se forme régulièrement au pied de l'escalier montant à la terrasse, et en fait de ruines majestueuses je pourrai toujours contempler mon âge dans les miroirs disponibles, tout en traversant morosement un chapitre de Brigade : on a les Ponts-de-Cé qu'on peut.


(Le titre de ce billet est à fredonner pour soi-même, sur l'air de la chanson de Piaf écrite par Francis Blanche : Le prisonnier de la tour s'est tué ce matin/Grand-mère/Nous n'irons pas à la messe demain…)

lundi 20 juin 2011

Coluche, rebelle de confort – canal historique

C'est curieux comme les progressistes, tout pointés vers l'avenir qu'ils sont, adorent commémorer en pleurnichant. Certes leur mémoire ne s'exerce pas au-delà de la Seconde Guerre mondiale, puisque grâce aux vertus dissipatrices de l'Éduc' nat', ils ignorent désormais qu'il y a eu des siècles. Mais cette mince poignée de décennies entre la Bête immonde et nous est suffisamment poissonneuse pour que Modernœud y aille régulièrement de sa petite déploration lacrymogène.

Ces jours-ci, c'est Coluche. Que l'on célèbre selon deux modes différents, soit en exaltant le rebelle-comme-on-n'en-fait-plus, soit en génuflexant devant l'image de sous-abbé Pierre qu'il s'était bricolée les derniers mois de sa vie, en réinventant la soupe populaire. On n'insistera pas sur le second mode : que nos petits deophobes autoproclamés éprouvent à ce point le besoin de s'inventer des saints laïques, et qu'ils soient contraints d'aller les chercher si bas, est suffisamment pitoyable et drôle en soi pour qu'il n'y ait besoin d'insister. Le premier mode est plus intéressant.

Je me souviens bien, moi, des débuts de la vague coluchienne, en 1974. Sur qui tapait-il, ce chevalier Bayard de la rebellitude pour qui Modernœud, près de quarante ans plus tard, reste tout pantelant de révérence ? L'armée, la police, l'Église catholique, les anciens combattants, c'est-à-dire des corps, constitués ou non, qui, déjà à cette époque, n'avaient plus les moyens, ni même sans doute le désir, de riposter. Après tout, Brassens cognait déjà sur les mêmes vingt ans plus tôt – en y mettant un peu de talent, lui.

Mais surtout, Coluche tapait sur le Franchouillard. C'est-à-dire le “beauf” inventé quelques années plus tôt par son ami Cabu, autre rebelle de confort insubmersible. Le Franchouillard de droite (bien sûr), raciste (ça va de soi), stupide (mais pourquoi le préciser ?), etc. – je ne vous fais pas un dessin. Le Franchouillard qui, en outre, est naturellement un fervent supporter des cibles secondaires de “l'artiste”, que l'on a rapidement énumérées plus haut. Très logiquement, lorsque l'officine crypto-socialiste SOS-Racisme est sortie des limbes, notre mutin de Panurge en fut aussitôt l'une des plus enthousiastes caisses de résonance.

Il me semble par conséquent que pleurnicher aujourd'hui que Coluche nous manque et qu'il n'a pas été remplacé est une double erreur. D'abord parce qu'il ne me manque nullement, à moi ; et ensuite parce qu'il a moult petits disciples, sur les ondes et les écrans, qui continuent après lui de taper sur tout ce qui promet de ne pas se défendre ni même de se fâcher : les petits Guillon, les minuscules Morel, les infinitésimaux Porte, les infra-moléculaires Aram, etc. : vous complèterez la liste mieux que moi.

En ce sens – la férocité vulgaire exercée contre qui ne peut ou ne veut se défendre en rendant coup pour coup, la posture de rébellion contre des idées ou des mœurs déjà réduites en miettes, le profond respect des lubies idéologiques en vogue, etc. –, Coluche fut en effet bel et bien un précurseur de ce qui n'en finit pas de proliférer sous nos yeux : le conformisme à nez rouge.

Pour la peine, pour avoir créé Coluche, ce personnage avec lequel on nous concasse encore les burettes vingt-cinq ans après sa mort, Michel Colucci subira donc ce tourment cruellement raffiné de reposer pour l'éternité sous une ignoble tombe en forme d'abribus banlieusard.

dimanche 19 juin 2011

Les Caennais ont bien fait de prendre Duron : la joie dans la douleur


Elle a de l'allure, la façade de l'Hôtel de Ville de Caen, non ? Mais, évidemment, son classicisme la rendait tout de même un peu austère, un peu fade, pas très festive. Alors le maire PS (évidemment PS…) de la ville, un certain Philippe Duron, a eu l'idée de profiter de la gouine parade fiote footing lesbien & gay pride d'hier pour affirmer hautement sa solidarité avec… avec qui d'ailleurs ? Avec quoi ? Avec les victimes de l'homophobie, bien sûr ! Et comme la solidarité de ce Duron ne semblait pas suffisante à ses propres yeux de Modernœud rose, il a décidé que tous les Caennais seraient solidaires derrière lui, qu'ils le veuillent ou non. Donc, pour bien signifier qu'il se foutait de leur avis comme de sa première élection, il a eu la mirobolante idée d'accrocher au fronton de la mairie un drapeau gay friendly – si quelqu'un peut m'expliquer comment un drapeau peut être gay friendly, je suis preneur.

Cela dit, il reste tout de même assez modéré dans sa démence idéologique, le Duron, pas enfermable immédiatement : il a placé son chiffon à côté du drapeau français, alors qu'il aurait très bien pu le mettre à la place. C'est sans doute pour ne pas heurter de front les derniers Caennais réactionnaires, frileux, moisis, sales, abjects, visqueux, fêlés, qui s'accrocheraient encore à leurs pestilences anciennes ; ceux qui, on l'espère, aux prochaines élections municipales, refuseront de reprendre Duron.

samedi 18 juin 2011

2012 : Sarkofrance révèle pourquoi la droite a déjà gagné

Le blog Sarkofrance, tenu par un Juan qui ne s'appelle pas Juan, c'est en quelque sorte le Vatican de la gauchosphère antisarkozyste, et le camarade susnommé en est le Souverain Pontife. Par conséquent, on peut le croire lorsqu'il prédit une défaite cuisante pour la gauche et la reconduction tranquille de son modèle-obstacle à l'Élysée. Oh, bien sûr, il ne le dit pas ! C'est mieux : il le prouve. Lisez donc :

« Pour ma part, je ne voterai pas aux primaires écologistes, mais j’applaudis Laure Leforestier (qui soutient Hulot, avec un très bon billet) ou Denis. Ecologiste, je soutiendrai (très certainement) Ségolène Royal (comme Gabale ou Intox2007), mais j’applaudis Rimbus qui penche pour Montebourg, ou Jegoun qui votera Aubry ou Hollande (n’est-ce-pas ?), CeeCee qui ne sait pas, Mrs Clooney qui doute, Vogelsong qui nous affranchit. J’applaudirai aussi Disparitus (par précaution, car on se connaît dans la vraie vie), Olympe, ou Luc (qui a disparu). Je soutiendrai Gauchedecombat, qui soutient Mélenchon, ou Romain qui est avec un non-candidat dénommé Julien Dray. J’en oublie, évidemment, mais l’essentiel est ailleurs. »

Si vous voulez lire la version longue, c'est par ici. Mais je vous préviens : j'ai extrait le plus rigolo. D'autre part, j'ai laissé ses innombrables liens par flemme de les enlever, mais ils sont presque tous hautement dispensables.

vendredi 17 juin 2011

Renaud Camus commencerait-il à me trouver encombrant ?

Il y a quelques jours, alors que nous arrivions chez lui pour y dîner, Joseph Vebret a cru bon de me narguer, sous le puéril prétexte qu'il possédait déjà le journal 2010 de Renaud Camus alors que moi pas : comme je m'étais conduit de la même indigne manière lors de la parution de la cuvée 2009, j'ai encaissé sans moufter. D'un même mouvement il m'a tendu le volume, en me disant : « D'ailleurs, il parle de toi à plusieurs endroits… » Évidemment, je n'ai pu m'empêcher de faire ce que fait dans ces cas-là n'importe quel ouistiti imbu de lui-même : j'ai foncé à l'index pour pointer les pages où il était question de votre serviteur dévoué. À la page 136, peut-être parce qu'elle correspond au dimanche de Pâques, je me fais gentiment sonner les cloches par le maître des lieux. Revenant sur son contentieux avec Juan A., il conclut le dernier paragraphe comme suit :

« Il n'empêche que je vais devoir me coltiner l'A. [c'est moi qui brouille…] nouvelle manière jusqu'à la fin de mes jours, je le sens bien – c'est un joli cadeau de Didier Goux, qui ferait mieux de se fabriquer des ennemis pour lui-même plutôt que de les lâcher sur moi une fois qu'il les a bien exaspérés. »

J'y travaille, Cher Maître, j'y travaille…

jeudi 16 juin 2011

L'Éduc' Nat' ou : les ânes parlent aux ânons


Lucien de Lacvivier, en plus d'être doté d'un nom fort élégant, est un jeune homme qui a de la mémoire. Il se souvient très bien notamment des années qu'il a passées au sein de la fabrique de crétins qu'on appelle encore Éducation nationale, on se demande bien pourquoi. Hier, il s'est amusé à évoquer ici quelques-uns de ses souvenirs les plus drôles (ou les plus déprimants : tout dépend de votre humeur générale du jour…). J'en extrais une poignée pour vous mettre en appétit pédagogique :



- Première L. Jour de rentrée des classes. Ma prof de français et de littérature, également prof principale, affirme sans sourciller que Descartes est un philosophe des Lumières.

- Troisième. Rédaction - pardon : épreuve d'expression écrite - dont le thème est la Grande Guerre. J'insère dans le texte - traitez-moi de tricheur, je le mérite - un assez large extrait de La Comédie de Charleroi de Drieu, que je connais à l'époque par coeur. Le texte de Drieu, à la correction, se trouve être beaucoup plus raturé que le mien. Il y a des "mal dit" par paquets dans la marge.

- Cinquième. Ma prof de sport - d'EPS, comme on dit - fait courir un sprint à tout le monde. Elle note les places et les temps de chacun, puis refait courir le même sprint avec des handicaps pour les meilleurs. Elle note en fonction des résultats du second sprint. (Cette pratique est généralisée : on l'appelle VMA, si j'ai bien compris le nom du monstre.) J'étais second de ma classe, je finis dix ou onzième.

- Sixième. Ma prof de maths pointe Nesrine du doigt - une cancre ayant redoublé deux fois; puis moi; puis elle affirme : "Si Nesrine travaillait plus, je suis sûre qu'elle serait meilleure que Lacvivier. Personne n'est plus intelligent que les autres." A l'époque, je suis bon en maths. De tels encouragements me font chaud au coeur, et m'encouragent à persévérer dans cette voie.

- Première L. Ma prof de français demande aux élèves de donner le nom des grands écrivains du XXème. Je propose Giono; elle me répond textuellement, en une formule qui plaira fort, sans doute, au Maître des lieux : La campagne, c'est chiant.

- CM2. Mon instituteur, qui organise une chorale par semaine pour l’école entière, à un élève qui bavarde tandis qu’il accorde sa guitare : « Toi, pauvre con, tu vas bouger ton gros tas. » L’élève est un peu gros et il rougit devant tout le monde. Notons que l’homme est un humaniste et qu’il n’a trouvé, dans le vaste répertoire français, que Lili de Pierre Perret et Cent ans dans la peau d’un esclave de Francis Cabrel à nous faire apprendre.

- Dans un manuel d’éducation civique, pour l’école primaire, un exercice : Montrez que Jean-Marie Le Pen est hostile à la démocratie.

- Troisième. Ma prof d’Histoire, pour le dernier trimestre, ne donne que des notes collectives, et elle tient absolument à ce que les groupes soient hétéroclites. Ainsi Cindy qui a 2 de moyenne générale pourra faire remonter la note de Pierre qui a 18,5. Vous comprenez le principe ?

- Autre Procuste, mon prof d'Histoire de quatrième : lui ne note qu'entre 9 et 13. Ainsi, il suffit de gribouiller deux ou trois lignes incohérentes pour se voir attribuer à peu près la même note que le meilleur de la classe.

- Première L. Celle qui trouve que la campagne bah c’est vachement chiant et que Descartes eh ben c'est l'pote à Rousseau nous déconseille de lire Lewis Carroll, qui n’est somme toute « qu’un pédophile ».

mercredi 15 juin 2011

Modernœud des villes, modernœud des champs


Le dimanche 26 juin – que ce jour soit à jamais maudit dans nos mémoires –, pour la première fois de son histoire, Le Plessis-Hébert va s'offrir une véritable fête des voisins. Chacun va préparer son propre panier-repas pour venir en ingérer le contenu, le cul dans l'herbe humide, sur le semblant de terrain de football dont nous sommes dotés.

Rien de ce qui fait l'aliénation urbaine ne sera épargné aux culs-terreux que nous sommes.

La mixité a comme un coup de mou


Comme le fait très justement remarquer mon amie Élisabeth (mais avec d'autres mots…), à chaque fois que vous mariez un couple de gouines, c'est la parité qui trinque.

(Existe aussi en version pédés.)

mardi 14 juin 2011

La laïcité de Malika Sorel, vue par Robert Marchenoir

Il y a quelques jours, Robert Marchenoir m'a fait parvenir, par des voies mystérieuses parce qu'immatérielles, le texte qu'on va lire. Il y revient sur cette notion rabâchée de laïcité, ce qui, en ce mardi pluvieux, ne peut pas nous faire de mal. Voici :




LA LAÏCITÉ NE DISSOUT PAS LES RACES



Malika Sorel est une chic fille. Non, sérieux. Un membre du Haut Conseil à l’intégration, d’origine musulmane, professant des thèses qui ne dépareraient pas sur Fdesouche, c’est à peu près aussi rare qu’un cégétiste thatchérien. C’est donc quelqu’un qui mérite des égards. Malika Sorel est culturellement musulmane, elle a par conséquent le droit (tout relatif) de dire des choses qui conduiraient qui que ce soit d’autre à la relégation sociale et médiatique, voire judiciaire.

Hélas, Malika Sorel se raccroche aux branches. Plus particulièrement à la grosse branche pourrie de la laïcité, qui serait le remède magique aux maux de l’immigration, du multiculturalisme et de l’islam.

Malika Sorel défend l’identité française avec l’énergie du désespoir, contre une grande partie de sa communauté et bien davantage que de nombreux Français d’origine. Elle fait preuve en cela d’un courage certain.

Mais tout se passe comme si ses origines ethniques l’empêchaient d’aller jusqu’au bout, de tirer les dernières conclusions qui menaceraient de trop près sa propre identité et sa propre situation. Elle croit au laïcisme à la française, dissolvant radical des antagonismes ethniques, rédempteur du racisme comme de l’anti-racisme.

« Le peuple français possède sa propre identité. Le comparer au peuple américain sur cette question de la laïcité n’a aucun sens. Les Américains ne possèdent pas la même notion de vivre-ensemble. Le séparatisme est poussé à l’extrême sur leur propre sol. Les sourires sont de façade dans la vie publique, mais sitôt quitté l’espace public, les gens ne se mélangent quasiment jamais. Barack Obama a lui-même fustigé ce séparatisme et ce qu’il appelle l’impasse raciale. »

« Il vous faut également savoir que dans nos ministères se trouvent certaines personnalités très catholiques qui, pour certaines, n’ont toujours pas compris que la laïcité protégeait aussi les catholiques. Aujourd’hui, ces hommes et ces femmes parfois très influents empêchent d’agir au service de la laïcité et participent de ce fait à mettre le peuple français en danger. »

Malika Sorel


Certes, comme vous le dites, aux Etats-Unis, les gens ne se mélangent pas. Mais que veut dire exactement “les gens” ? Cela veut dire les ethnies, et notamment (mais pas seulement) les blancs et les noirs. Il est utile de dire clairement de quoi on parle.

Et pourquoi ne se mélangent-ils pas, à votre avis ? Est-ce dû à une histoire particulière des États-Unis, à une culture politique spécifique, qui n'existerait pas chez nous ? Ou pas ailleurs dans le monde ?

Qu'est-ce qui vous fait croire que la “laïcité” à la française permettrait, miraculeusement, ce mélange qui n'existe pas aux États-Unis ? Je veux dire : un mélange harmonieux, pacifique et mutuellement consenti, bien entendu ? Car c'est bien ce que vous souhaitez, n'est-ce pas ? Nous sommes bien d'accord que si ce mélange conduit à la guerre civile permanente, à la haine mutuelle et à des bains de sang, il n'est pas souhaitable, n'est-ce pas ?

Or, est-ce que la “laïcité” a jamais, en France, permis la coexistence pacifique d'ethnies différentes ? Quand ? Où ?

Est-ce que la “laïcité”, ou tout autre concept politico-social, a permis, où que ce soit dans le monde, la coexistence pacifique, à égalité, sur un même territoire, d'ethnies différentes ? De musulmans et de non musulmans ? De blancs et de noirs ? Où ? Quand ?

Avez-vous un seul exemple à nous donner d'une miraculeuse cohabitation de ce type ?

La laïcité à la française, ce n'est pas, cela n'a jamais été, contrairement à ce que nous disent aujourd'hui les “républicains”, une recette magique qui permettrait de mélanger harmonieusement n'importe quelles ethnies et n'importe quelles religions sur un même territoire, au sein d'une même entité politique.

La laïcité à la française, c'est un armistice politique entre, d'une part, les catholiques de droite et, d'autre part, les athées de gauche, en 1905, dans un contexte historique très précis, hérité de la Révolution.

Les gens qu'il s'agissait de faire cohabiter étaient de la même nationalité, de la même ethnie, de la même race. C'étaient des Français de souche, blancs européens, qui n'étaient séparés “que” par la croyance en Dieu et les opinions politiques. Mais ils étaient tous blancs, et tous issus de la civilisation gréco-judéo-chrétienne, qu'ils soient catholiques ou athées convaincus.

Encore cet armistice politico-social n'a-t-il été obtenu qu'au prix de tensions persistantes. Ce ne fut nullement, contrairement à ce que l'on essaie de nous faire croire aujourd'hui, un état de paix paradisiaque et fraternel. Ce fut un moindre mal. Une cote mal taillée. Un couvercle appliqué sur une cocotte-minute bouillonnante.

Il suffit de voir la hargne renouvelée avec laquelle les laïcistes de 2011 s'attaquent aux catholiques.

Le “pacte laïc” de 1905 n'est même pas capable de faire régner l'harmonie au sein d'un peuple qui vit ensemble depuis plus d'un millénaire, qui est de la même race et qui partage le même héritage culturel chrétien, et l'on prétendrait que, par de simples incantations à l'Assemblée nationale ou à l'Élysée, il serait capable de souder ensemble des races, des peuples et des religions qui n'ont jamais été capables de vivre en paix entre eux, où que ce soit dans le monde ?

À moins, bien sûr, d'une domination de l'un de ces peuples, races ou religions sur tous les autres, qui aurait pour contrepartie l'asservissement des autres aux premiers, et l'emploi de moyens de coercition violents qui ne sont, j'en suis sûr, pas dans votre esprit quand vous parlez de coexistence.

Ce n'est pas sérieux. Nous sommes dans l'incantation, le fantasme politique et historique, le racontage de belles histoires ; mais sûrement pas dans la réalité.

Le “mélange” a existé quand la France ou l'Angleterre ont bâti leur empire. Mais il y avait alors un maître, et des dominés. Est-ce cela que vous souhaitez ? Le “mélange” a existé quand les Américains ont importé les noirs comme esclaves. Mais il y avait alors un maître, et des dominés. Est-ce cela que vous souhaitez ? Le “mélange” a existé quand les Arabes musulmans, puis les Turcs, ont bâti leur empire. Mais il y avait alors un maître, et des dominés. Est-ce cela que vous souhaitez ?

Robert Marchenoir

lundi 13 juin 2011

Ce que je pense des printemps arabes


Et même pas de truffes…

Vous reprendrez bien un peu de kébab au cochon ?

Samedi après-midi, ne trouvant aucune autre excuse pour ne pas travailler, j'ai accompagné l'Irremplaçable à la ferme-charcuterie – je ne sais trop comment appeler cet endroit hybride – où nous achetons désormais notre porc. Du reste, celui qui est en photo à gauche ne devrait pas tarder à atterrir dans nos marmites. Nous fûmes accueillis par une fermière-charcutière d'un certain âge, fort aimable et causante. Durant le temps que nous passâmes dans son échoppe, elle crut utile de nous informer que si le fermier-charcutier n'était pas là aujourd'hui (on ne s'était inquiété de rien de semblable), c'est parce qu'il organisait un kébab pour les visiteurs de je ne sais plus quelle réjouissance locale devant avoir lieu le soir-même.

« Kébab de porc, évidemment ! », nous précisa-t-elle dans la foulée, avec une fierté bien compréhensible dans la voix. Puis, baissant d'un ton, et regard furtif balayant rapidement le périmètre, elle nous expliqua que son mari louait la broche tournante à une petite société tenue par des Maghrébins et que, pour ne pas se voir refuser l'indispensable ustensile, il leur avait fait croire qu'il comptait s'en servir pour rôtir un gigot de mouton.

« On ne sait jamais, conclut notre matrone cochonicide, des fois qu'il y aurait des petits démons malfaisants, dans nos bêtes ! » Et son sourire s'est teinté d'espièglerie, comme celui d'une gamine qui vient de faire un pied de nez dans le dos de l'adulte grave et grotesque, parce qu'elle n'ose pas encore lui balancer un coup de savate au cul.

dimanche 12 juin 2011

Richard Millet connaîtrait-il mes Ruminants ? On dirait…

« Elle me dit avec des frissons quasi extatiques le bonheur qu'elle trouve à vivre à Montreuil-sous-Bois, “deuxième ville malienne du monde”, et cela malgré les nuisances, qu'elle reconnaît, occasionnées par cette population immigrée. Je lui rétorque que si Montreuil est une ville malienne, elle y est une étrangère, quoique blanche et française. Elle me regarde alors avec colère, cette sexagénaire qui a combattu pour le Vietnam, le Larzac, Lip, l'avortement, les homosexuels, les prisonniers, les immigrés, et qui veut militer pour la légalisation des drogues douces, et qui, avec ses rides, ses longs cheveux gris, son teint jaunâtre de fumeuse, son haleine fétide, sa parole effondrée, a bien la tête dégénérée de ces gens qui fument du haschich depuis plus de quarante ans. »

Richard Millet, Fatigue du sens, p. 147.

samedi 11 juin 2011

Les charmes puissants de l'apartheid

« Que signifie l'apartheid volontaire ? Un exil intérieur, une solitude absolue, un refus de mettre sur le même plan le sang et le droit. Je marche au milieu d'une multitude de néo-Français en m'abstrayant mentalement de leur nombre, sachant que je n'ai rien de commun avec ces gens, dont l'ignorance des qualités françaises rejoint celle des Français de souche : étrange communauté de destin que cette ignorance programmatique de la servitude volontaire… Dans ce climat d'apocalypse libérale, je me garde bien d'identifier l'ennemi et l'immigré : moi qui n'ai pas d'amis et ne me compte que d'éphémères alliés, je sais que l'ennemi n'est pas un visage (une race, une ethnie, une religion) mais un état d'esprit, une condition : la servitude volontaire des masses occidentales, dans lesquelles il faut inclure celles du Tiers-Monde en tant que candidates à la servilité consumériste occidentale. Autrement dit, l'ennemi peut me ressembler, et c'est cette apparence (qui peut aller jusqu'au simulacre ou à la tentative de falsification de mes façons de penser) dont je dois me méfier, car elle s'avance masquée. Dans l'état de guerre civile où nous vivons (et dont l'apartheid volontaire constitue la révélation), le fait que celle-ci ne soit jamais reconnue pour telle constitue un argument en faveur de la guerre ; n'étant pas déclarée, la terreur devient légitime parce qu'elle vise à préserver le consensus ; d'où l'état d'urgence de l'apartheid volontaire. »

Richard Millet, Fatigue du sens, éditions Pierre-Guillaume de Roux, p. 89 & 90.

Nous entrerons dans la mort par un écran plat

Journée d'hier éprouvante à plus d'un titre. D'abord parce que j'ai conduit durant six cents kilomètres (est-ce qu'on conduit durant des kilomètres ? J'ai un doute…) pour me rendre à Tours et en revenir presque de suite, le tout sans emprunter le moindre tronçon d'autoroute ; et ensuite parce qu'il m'a fallu supporter la crémation de Daniel, laquelle m'a fait l'effet d'une pitoyable singerie. Singerie au sens propre et bête : l'espèce de cérémonie à laquelle j'ai assisté n'était qu'une caricature vide de la messe d'enterrement telle que des générations de chrétiens l'ont connue avant nous – et certains encore maintenant. Je veux bien que l'on rejette le christianisme et les pratiques culturelles qui vont avec, mais alors qu'on le fasse vraiment et à fond. Que l'on abolisse d'urgence ce qui s'est déroulé hier sous mes yeux, et qui était aussi grotesque qu'indigne. Si l'on tient tant que cela à vider la mort de tout contenu sacré, qu'on évite au moins d'en exhiber les oripeaux malhabilement rapiécés : cette “cérémonie” était à la messe (j'ai failli écrire : messe d'antan…) ce qu'un épouvantail à moineaux est à l'homme qui cultive le champ. Au nom de quelle autorité morale, de quel magistère, ce fonctionnaire crématorien nous a-t-il fait plusieurs fois lever puis rasseoir ? Nous nous levions devant qui, d'ailleurs ? Et cette minute de “recueillement” (une minute à peine : pas que ça à foutre non plus…) qu'il nous a si généreusement accordée, elle correspondait à quoi ? Dans quelle oreille résonnait notre silence ? En fait, il ne restait que les mots : cérémonie, recueillement, hommage, etc. – de la paille sèche bourrée à la hâte dans de vieux habits que plus personne ne veut endosser. Le comble du pitoyable a été atteint par notre officiant osant cette phrase : « Si certaines personnes désirent voir entrer le cercueil dans le four, je les prie de bien vouloir me suivre dans la pièce à côté… »

Et puis, il y avait, fixé à la paroi inclinée qui nous faisait face, juste au-dessus de la bière, l'incongruité violente de ce téléviseur dernier cri (eh oui : dernier cri…), dont j'ai compris qu'il devait servir à certaines familles, plus avancées dans la modernodosité que d'autres, pour projeter des vidéos du trépassé. Il est donc désormais admis que l'immortalité de l'âme se mesure en pixels et que nous entrerons tous dans la mort par le truchement d'un écran plat.

Le résultat fut que, durant cette journée presque exclusivement solitaire, la demi-heure que j'ai passée dans cet endroit insupportablement neuf aura été le seul moment où je n'ai pas pensé au mort à qui nous étions censés rendre hommage. Heureusement que ma voiture était là pour faire office de chapelle et de lieu de mémoire.

jeudi 9 juin 2011

Au rendez-vous des rescapés

Au moment où ce billet apparaît sur les écrans radar de vos blogs, je suis déjà sur la route – seul : Dreux, Chartres, Vendôme, Tours, et enfin Esvres-sur-Indre. Dans ce village situé à quelques kilomètres au sud-est de la ville nommée juste avant lui se trouve cette abomination modernœuse que l'on appelle un crématorium – mot horrible et puant le désinfectant que la chose qu'il désigne mérite bien. C'est là que la présence terrestre du Chinois fou va s'abolir, peu après deux heures et demie de l'après-midi. Je sais déjà que, dans la voiture, afin de faire défiler les kilomètres sans les voir, je vais établir le compte de mes morts professionnels, ceux que j'ai connus peuplant la rédaction du magazine où je traîne encore mes semelles, mais en produisant de moins en moins de bruit. Certains rescapés seront aussi présents à Esvres, rang d'oignons silencieux et roides devant la chaudière psychopompe ; et je parlerai avec eux, après ou avant. Mais comme il n'y a pas que tous les feux le feu dans l'existence, je vous laisse avec ce petit texte de Cau, qui m'a semblé résonner convenablement :

« Je tonitrue, parfois, et fais mine, en tapant sur les casseroles de ma prose, de m'intéresser aux affaires en faillite de ce siècle. C'est une illusion que je donne et c'est une parade que je tambourine. Je m'amuse à jouer les rôles d'“indigné”, de “critique”, de “pamphlétaire”, de “révolté”, de “navré à cause de tout ce qui se passe”. Docteur Jekyll d'une révolte et d'un étonnement ; Mister Hyde d'une indifférence. Je m'en fous, voici l'aveu. Je me divertis (au sens pascalien) à vivre luttes et combats mais je sais que les matches sont truqués car j'en connais le résultat. Je m'en fous donc puisque c'est foutu. Je suis sage. Je sais que le règne de ces “amours” dont parle le Narrateur est aboli, derrière moi, et que ce que j'aime est devenu invivable aujourd'hui et ne sera même pas nommé demain. »

Au retour, parce qu'on m'aura frustré d'un véritable et digne enterrement, et attristé aussi, il est possible que je m'offre une bière ou deux ou trois. Oui, c'est ça : vers le soir je me mettrai en bière tout seul, dans la pénombre du salon.


Photo : Irrempe.

mercredi 8 juin 2011

Mon médecin et moi : saynète ridicule

Le docteur Maquis est médecin généraliste à Neuilly-sur-Seine ; autant dire que le risque est fort mince de croiser dans sa salle d'attente des hordes de cailleras ou des pue-la-sueur en troupeau – ou alors il s'agit de domestiques qui, généralement, savent se tenir à leur place. C'est également un praticien de fort bonne compagnie : depuis environ 25 ans que je viens me faire rafistoler dans son cabinet, je n'ai toujours eu qu'à me louer de ses services, et encore plus de sa conversation – laquelle prend généralement pour point de départ le livre avec lequel il me voit entrer chez lui. Nous parlons tellement que, deux fois sur trois, il se plante dans le renouvellement de mon ordonnance, ce qui nous vaut à tous deux les moqueries de Catherine lorsqu'elle s'aperçoit de la bévue du jour (sur le mode : « Ah, ça, pour jacasser sur la littérature vous êtes très forts, mais quand il s'agit de bosser correctement, plus personne ! »).

Aujourd'hui, voulant nous mettre à l'abri des sarcasmes de l'Irremplaçable, j'ai tout bien vérifié avant de quitter le cabinet : m'avait-il fait une ordonnance pour trois mois ? Oui. Dans la partie “100 %” ? Oui aussi. M'avait-il remis une seconde ordonnance pour les prochaines analyses sanguines ? Oui encore. Avais-je récupéré ma carte Vitale ? Oui itou. Nous nous sommes donc quittés fort satisfaits l'un de l'autre. Un certain sentiment d'étrangeté m'a empoigné alors que j'étais au milieu de l'escalier me reconduisant au rez-de-chaussée. Mais ce n'est qu'une fois sur le trottoir de l'avenue de Gaulle que j'ai compris ce qui n'allait pas, et j'ai immédiatement fait demi-tour : le docteur Maquis avait juste oublié de me réclamer le montant de la consultation que, de mon côté, je n'avais nullement songé à lui proposer.

Il est vrai que nous venions d'évoquer, avec une indulgence badine, notre commune jeunesse anarchiste, ce qui n'aide pas à se soucier de l'aspect financier des choses de ce monde.

mardi 7 juin 2011

Marcel Proust ou le dernier livre du dernier homme

J'extrais ce qui suit du livre de Jean Cau, Proust, le chat et moi, datant de 1984 et réédité dans cette excellente collection de La Table Ronde qui s'appelle la petite vermillon (pages 132 & 133) :

Le chat, au coin du feu, écoute son maître. Pour lui, ce monologue n'a aucune importance et n'est que le bruit ronronné d'un autre animal. Tu as raison, Proust [Proust est le nom du chat, note de moi-même], je ne suis aussi qu'une bête provisoirement vivante, essayant de donner des sens – au hasard – à la vie et à la mort de la vie. Je sais que je suis présomptueux de croire que l'homme est toute la Vie mais il n'y va pas de sa faute si les dieux firent cet homme poète racontant des histoires. Reste que n'étant pas hindou et adepte d'une sagesse de fusion, je mesure – chez moi, en mon lieu de la terre – ce qu'il y a de désaccordé entre ce que vagit la littérature et le grondement des énormes lames qui se soulèvent à l'horizon, prêtes à s'abattre sur les plages où nous nous livrons à nos jeux désuets. (…) Et, quand un barbare vainqueur, par violence ou reptation, entrera dans le cœur de nos villes, détruites ou investies, il marchera, botté ou en sandales, sur un tapis de feuilles mortes : milliers de livres. Rien qu'un froissement, sous son pas, de mots desséchés d'absurdité.

Redescendons, en chute non contrôlée, sur ce tapis. Chute brutale. Que deviendra, ô Narrateur, ton œuvre ? Ceci qui est hors de doute : le témoignage de mœurs singulières et de rapports humains incompréhensibles se déroulant en des lieux incroyables. Et les scribes égarés dans ces signes diront : « Nous n'y comprenons rien mais tout indique que ce fut le dernier livre écrit par le dernier homme. Ce fut l'étrange testament d'un monde aboli, le dernier opéra d'une civilisation défunte. Le seul cri encore modulé avant le hurlement. »


Photo : Irrempe.


lundi 6 juin 2011

Le petit CSP attend la révolution à la caisse centrale

Mais quelle triste nouvelle, aussi grise que le temps gris de ce lundi ! Le camarade CSP n'y croit plus. Tel le héros de Vivant Denon, il a réalisé brutalement, entre gonflette et corn flakes, qu'il n'y aurait point de lendemain pour les garde-chiourme de la révolution en marche, ou alors qu'ils seraient aphones, ou qu'ils allaient chanter atrocement faux. En tout cas, CSP boude ; on le sent à deux doigts de retenir sa respiration jusqu'à ce que les nouveaux anticapitalistes de son nouveau parti se résolvent enfin à l'écouter. Mais non, c'est déjà trop tard. Et soudain, effarés, Besancenot et les autres ne peuvent que constater le drame : ils viennent de paumer le petit CSP dans les allées marchandes de l'insurrection qui n'a pas été livrée à temps.

À ce stade on s'effraie : fichtre ! il ne va tout de même pas se mettre à voter à droite notre Musculator trotskyste ? Mais non, voyons ! Pas encore. Laissez-lui-le temps de digérer sa couleuvre, merde ! De toute façon, il ne votera jamais à droite (pour Le Pen ou son successeur, ça en revanche c'est possible : dans extrême gauche, le mot important est extrême). Et vous savez pourquoi, mes bons amis nauséabonds ? Parce que ses idées sont “vraies et justes”, et toc ! Je regrette un peu qu'il ne nous dise pas, d'un même mouvement oratoire, si les miennes sont “fausses et injustes”, ou simplement “vraies mais injustes”, voire “fausses mais justes” : ça m'aurait intéressé. Enfin, les siennes sont parfaites, c'est l'essentiel.

Et heureusement pour lui car il ne lui reste pas grand-chose d'autre à quoi se raccrocher, notre révolutionnaire gyrovague, pour qui NPA signifie de nouveau Nulle part ailleurs, avec hésitation stratégique entre ailleurs et nulle part. Ce qu'il nous annonce est à la fois terrible et un tantinet picrocholin. On songe à cette phrase de Musil, dans L'Homme sans qualités, qui fait allusion au rétrécissement auquel est voué tout garçon dénué de talent particulier, à mesure qu'il vieillit et renonce ce à quoi il professait de tenir. Ce fier militant qui fut à la pointe de tous les combats et au sommet de toutes les barricades, que nous dit-il pour finir ? Qu'il va continuer à bloguer, et peut-être même écrire un livre. On ne saurait avouer plus candidement sa déprime et la solution de toute ambition.

Oh bien sûr, il chute sur une ultime bravade, il a encore ce ressort-là : « Et je serai toujours là pour continuer de tourmenter droitard qui va continuer de serrer ses petits poings de rage impuissante devant son écran. »

On pourrait rire, mais on va se montrer charitable, et même faire semblant d'avoir peur. Il a sa dose pour aujourd'hui, le gentil schtroumpf au couteau à beurre entre ses dents de lait. On ne va pas en plus lui révéler la vérité. Lui dire que non seulement il n'a jamais effrayé ni même agacé le moindre “droitard”, mais qu'il nous serait plutôt une sorte de mascotte, depuis le temps qu'il vaticine. Ou de ces mini ours en peluche que l'on suspend au rétroviseur de la voiture familiale, pour tenter d'amuser les enfants durant les longs trajets estivaux.

samedi 4 juin 2011

Madame de aurait-elle soutenu l'équipe de France ?


Pur moment de grâce, hier soir, avec Madame de, le film virevoltant et tragique de Max Ophüls, perpétuel jeu de miroirs où les miroirs s'assombrissent inexorablement et reflètent toujours autre chose que ce qu'on leur donne à voir. Danielle Darrieux est bien la plus séduisante et diabolique actrice de cette époque-là ; et Ophüls chuchote encore audiblement, même s'il ne semble s'intéresser jamais qu'à la France d'avant – car en 1953 il y avait déjà une France d'avant, allez comprendre.

Puis, me faisant docile aux caprices de Dame Zapette, j'ai apporté durant un quart d'heure mon soutien en demi-teinte à une équipe de football biélorusse, qui faisait ce qu'elle pouvait sans toutefois pouvoir grand-chose, face à un étrange conglomérat arabo-africain dont je me suis tout ce temps demandé quel pauvre pays grabataire il pouvait bien avoir la prétention de représenter, avec ce jeu lourd, sans imagination, sans intelligence, sans réussite ni joie d'être là.

Le coup de sifflet final, je l'attendais avec crainte et impatience – et il a finalement vrillé l'air immobile du stade d'une manière assez lugubre.

Je suis allé me coucher.

vendredi 3 juin 2011

Le dernier voyage du Chinois fou – extrait de journal

Vendredi 3 juin

Midi et demie. – Il y a environ une heure, coup de téléphone de Pierre Lachkareff, ancien grand reporter de FD. Il m'apprend la mort subite de Daniel Groutteau, ce maquettiste que nous appelions le Chinois fou, tellement son amour de l'Extrême-Orient avait fini par le faire en effet ressembler à un vieux mandarin, avec son invraisemblable barbe filasse qui lui descendait jusqu'à mi-poitrine. C'était un petit bonhomme replet, voire franchement gros à certaines époques, qui ne devait sans doute pas atteindre le mètre soixante. Il peignait, dessinait, sculptait, ne vivait que pour l'art et prenait l'obligation de devoir venir gagner sa vie à FD comme une injustice permanente, une sorte d'insulte personnelle. Je me souviens qu'une année (1987 ? 88 ? 89 ? L'une de ces trois, à coup sûr) nous avons passé une bonne partie du mois d'août ensemble, moi parce que c'était traditionnellement la période où j'avais, chaque soir, du mal à me trouver des commensaux et des compagnons de beuverie, lui parce qu'il avait tendance à fuir son appartement du quartier chinois du treizième arrondissement où son père semi-grabataire agonisait interminablement. Nous avons ainsi eu d'assez nombreuses soirées très agréables, car Daniel était un homme cultivé et de belle humeur. Nous dînions généralement dans le triangle d'or Ivry-Choisy-Tolbiac, qu'il connaissait mieux que sa propre cuisine, et nous nous quittions à des heures avancées, assez considérablement torchés mais fort satisfaits l'un de l'autre. Il a dû quitter FD voilà sept ou huit ans, alors qu'il devait en avoir lui-même une soixantaine. D'après Lachkareff, qui ignore encore les détails, il semble avoir succombé à cette bonne vieille crise cardiaque, qui surveille toujours d'un œil réprobateur les joyeux vivants dans notre genre. Il s'était plus ou moins retiré dans sa maison de Touraine, et c'est là que la mort a frappé, non à la porte mais directement au cœur.

Trois heures et demie. – Le hasard a fait que, reprenant tout à l'heure, en salle de conférence, les Croquis de mémoire de Jean Cau, j'en sois arrivé à son texte sur Venise, lequel a évidemment ramené Daniel Groutteau sur le devant de la mienne, de mémoire, qu'il n'avait d'ailleurs guère quitté depuis l'annonce de ce matin. Daniel connaissait presque aussi bien Venise que Pékin ou les steppes de Mongolie extérieure (capitale Oulan-Bator, je ne m'en lasserai jamais). Il y avait même un ami libraire, ce qui n'est pas donné à tout le monde – librairie française, ou plutôt franco-vénitienne. Nous lui rendîmes visite, à cet expatrié marié à une Vénitienne de souche, lors du premier séjour lagunaire que nous fîmes, en 1997 si ma mémoire – toujours elle – est bonne. (Premier séjour commun car, pour ma part, j'y étais allé une première fois à l'automne 1985, avec Philippe Bernalin et Jean-Michel Comte – c'est même vers la fin de ces vacances romano-florentino-vénitiennes que Philippe fut rattrapé par le cancer qui allait le tuer environ deux mois plus tard ; et nous quittâmes Venise un jour plus tôt que prévu, Jean-Michel et moi l'âme très grise, et lui le corps cisaillé par la douleur qui n'allait pratiquement plus cesser jusqu'au terme.)

En 1997, j'avais fait les choses en grand. M'avisant que, mariés – civilement… – en 1994, nous n'avions jamais pris la peine de partir en voyage de noces, et sous le prétexte que je gagnais, à cette époque, plus que confortablement notre vie, j'avais réservé quatre nuits au Gritti, avec voyage aller par l'Orient-Express, pour en faire la surprise à Catherine – surprise que je fus incapable de garder jusqu'au bout, tant était grande mon excitation et mon impatience de sa joie. Exactement comme lorsque, à l'école primaire, on nous faisait confectionner un petit cadeau pour la Fête des mères : pas une fois, je crois, je n'ai pu tenir ma langue jusqu'au dimanche fatidique. Durant une semaine ou deux, le temps de la confection de l'objet, je ne parlais que de cela une fois rentré à la maison. Je crois bien que le danger qu'il y avait à frôler les précipices et le sentiment de toute-puissance sur moi-même que cela me procurait faisaient que, rapidement, je n'étais plus capable d'avoir d'autre sujet de préoccupation et donc de conversation, à la table du soir. Immanquablement, alors que le drapeau d'arrivée était en vue, je chutais d'un mot, impossible à ravaler. Ma mère faisait celle qui n'avait pas entendu, enchaînant un peu trop précipitamment sur autre chose, mais enfin elle savait et je savais qu'elle savait.

Donc, lors de cette lune de miel, s'il faut appeler les choses par leur nom consacré, dûment mandatés par le Chinois fou, nous étions allés rendre une courte visite de courtoisie à son ami libraire en son échoppe, laquelle était située tout près de la place où trône la statue équestre du Colleone. J'y avais acheté un livre, comme je le fais systématiquement lorsque je tombe sur une librairie française à l'étranger (ainsi avais-je déjà fait, en mars 1985, dans celle de Porto, avec son magnifique escalier à double révolution ; et encore plus tôt, en 1981, avec Bernalin, dans celle de Florence), et bien entendu je suis incapable de me rappeler ce dont il pouvait bien s'agir – probablement un livre de poche qui se trouvait déjà à la maison et qui n'a été racheté ce jour-là que pour mémoire : on voit aujourd'hui que j'ai bien fait.