jeudi 30 juin 2022

Journal précoce

 

Une journée d'avance pour juin ?

Souhaitons que Nastassja s'en remette !

mercredi 22 juin 2022

Saint-Pierre Ithaque semper

 Comment a-t-il fait, ce livre, pour échapper à ma sagacité depuis 2017 qu'il est paru, à moi qui, depuis une quinzaine d'années, me veux un fervent nicolien (ou nicolo-eugéniste…) ? Enfin, peu importe : il est bien là, et déjà aux deux tiers lu depuis le lever du soleil.

Avant même d'ouvrir le volume, il m'était déjà un peu mystérieux. Sur la couverture, le titre se présente ainsi : “Retour d'Ulysse à Saint-Pierre”. Seulement, lorsqu'on cite un titre dans le courant d'un texte, il convient de l'écrire en italique ; et, donc, de rétablir “Ulysse” en romain ; ce qui donne ceci : Retour d'Ulysse à Saint-Pierre, typographie fort laide mais inévitable…

Et aussitôt, une première question : qu'est-ce donc que cet Ulysse-en-italique qui fait retour dans l'archipel ? Un navire ? Un avion ? Le futur lecteur se perd en conjectures plus ou moins oiseuses…

Et la réponse lui est donnée dès les premières pages : il s'agit du roman de James Joyce, qu'Eugène Nicole a emporté avec lui, pour le relire, lors de ce nouveau séjour dans son île natale. Il n'en est pas resté éloigné durant vingt ans, pourtant Ulysse fut plus chanceux que lui car, de retour à Ithaque, il retrouva debout son palais. Alors que la “Maison Jacquet”, où Nicole est né et a grandi, a disparu, démolie pour céder la place à un square, après qu'il avait été, un temps, question de la rénover pour en faire un “musée de l'habitat traditionnel”, idée qui avait sa séduction, pour le vieil enfant poussé là. Mais de même qu'Ulysse retrouve son palais envahi par les prétendants, Nicole doit constater qu'ici, sur son double caillou, ce sont les démolisseurs qui prospèrent. Et passe l'ombre de Baudelaire, même s'il n'est jamais nommément évoqué dans le cours de ces deux cents pages :

                                              la forme d'une ville

Change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel

Mais aussi :

Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !

Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

Baudelaire absent, on croise tout de même beaucoup du monde entre ces pages. C'est que l'on voyage dans l'espace – Paris, New York, Florence, la Vendée, l'Iowa, etc. : c'est une Odyssée – mais aussi dans le temps, dont les incessantes fluctuations sont la marque d'Eugène Nicole et de son talent. Apparaissent puis disparaissent nombre de Saint-Pierrais, souvent déjà rencontrés au fil des différents volumes de L'Œuvre des mers, mais aussi des personnages plus illustres, comme Nixon ou de Gaulle. Ainsi que Valery Larbaud et son double pérégrin : Barnabooth ; Larbaud qui, on s'en souvient, fut et reste le traducteur en français de l'Ulysse de Joyce…

La destruction ne ravage pas que Saint-Pierre-et-Miquelon. Les Twin Towers sont bien présentes ; d'abord en sentinelles, telles que Nicole les contemple depuis son appartement new-yorkais, puis écroulées en gravats, ainsi que le furent les murailles de Troie après le sac des Achéens. C'est l'histoire qui n'en finit pas de convulser. Une histoire dont, par un miracle que les lecteurs d'Eugène Nicole connaissent bien, Saint-Pierre-et-Miquelon est, pour un temps, celui de la lecture de ce Retour d'Ulysse à Saint-Pierre, redevenu l'épicentre.

On finit toujours, quels que soient les aléas et les déconvenues, par revenir à Ithaque. À nos risques et périls car, comme le chantait Richard Desjardins :

Revenir d'exil

Comporte des risques

Comme rentrer une aiguille

Dans un vieux disque


(Demeure une question : pourquoi, en 2013, dans ce square saint-pierrais où se dresse encore le fantôme de sa maison d'enfance, Eugène Nicole relit-il l'Ulysse de Joyce dans l'édition de la Pléiade, alors que, vivant et enseignant à New York depuis un quart de siècle, il est à coup sûr capable de le faire dans sa langue originelle ?)



 J'ai déjà consacré un certain nombre de textes à l'œuvre, à mes yeux précieuse, d'Eugène Nicole. On pourra les (re)lire en tapant son nom dans la petite lucarne “mes blogs à la loupe”, en haut et à gauche de cette page.

mardi 14 juin 2022

Du balai, Bellet !

Jules Vallès, furieux à juste titre…

Si l'on tape dans Goux Gueule le nom de Roger Bellet, qui fut professeur à l'université Lumière-Lyon II, on tombe sur un genre d'hommage qui lui a été rendu après sa mort, survenue en 1998, dans lequel il est dit que “son nom restera indéfectiblement attaché à celui de Jules Vallès”. 

Indéfectible voulant dire en gros “qui durera toujours”, l'assertion me paraît pour le moins hasardeuse : je suis à peu près sûr que même des doigts gourds parviendraient sans trop de peine à dénouer ce lien-là. À moins qu'on ne choisisse de le faire disparaître façon nœud gordien. 

Mais ils sont comme ça, nos universitaires, toujours assurés d'avoir une quelconque importance, au point d'en devenir indispensables. Ils doivent s'imaginer plus ou moins qu'après leur mort ils seront accueillis en paradis par les sanglots de reconnaissance et les tremblements de gratitude de tous les écrivains sur lesquels ils auront tristement grouillé leur vie durant, tels des bataillons de larves sur une charogne baudelairienne.

Pour en revenir à notre Bellet, j'aurais bien aimé que l'on tranchât les fils dont il avait embobiné Jules Vallès – Lilliputien diplômé d'un Gulliver créateur – avant qu'il n'envahisse de sa présence et n'inonde de ses commentaires les deux volumes de la Pléiade consacrés au glorieux communard. Car tout de même : sur un livre de deux mille pages, en annexer à soi seul six cents uniquement pour y répandre ses petites notes et notices, n'est-ce pas faire preuve d'un cruel manque de savoir-vivre – et je m'efforce là de rester poli ?

Bien entendu,  ce qui s'étale dans ces notes, c'est le cocktail hélas habituel désormais : un dé d'information intéressante dilué dans deux grands verres de cuistrerie absconse, les deux impeccablement mélangés au shaker. Je ne donnerai qu'un minuscule et anodin exemple. Dans le chapitre XXVI de son Bachelier, Vallès parle à un moment “des gymnases antiques, des jeunes Grecs, de la robe prétexte”. Là, appel de note. Mi-résigné, mi-agacé, le lecteur saute à la fin du volume. Il tombe sur une note composée de deux phrases. La première :

« La robe ou plutôt la toge prétexte est la toge blanche, bordée de rouge, que portaient à Rome les jeunes patriciens jusqu'à la puberté. »

Eh ! Voilà notre lecteur tout prêt déjà à absoudre M. Bellet des péchés dont il l'avait chargé ! Car le rappel lui semble utile et sobre, tout le monde ne se souvient pas forcément de ce qu'était la robe prétexte… Malheureusement, enivré par sa propre acuité intellectuelle, Bellet y va d'une seconde phrase :

« Mais Vallès joue aussi sur le mot : tout se passe comme si un pré-texte grec s'imposait comme écriture moderne. »

Et c'est à ce moment que le lecteur, dents grinçantes, se prend à regretter que M. Bellet ne soit plus de ce monde ; tant il se sent l'envie de lui envoyer une salade de phalanges en travers du museau, avant de le pendre haut et court au moyen de son lien indéfectible.

lundi 13 juin 2022

Surréaliste électorale


 Hier matin, entre dix heures vingt et dix heures et demie, j'ai brusquement décidé de rendosser mon costume de citoyen durable et solidaire. Comme j'étais déjà habillé, je me suis contenté de glisser ma carte tricolorée dans une poche et me suis dirigé d'un pas allègre mais ferme vers la mairie du Plessis, qui est au bout de ma rue.

Elle était, à ce moment, vide d'électeur. Derrière leur table, les préposés à l'urne avait cet air ennuyé et tout de même responsable qui sied si bien à leur épisodique sacerdoce, dominical et républicain. Sur une autre table, à droite, sous la fenêtre, les candidats m'attendaient, impeccablement alignés en petites piles ; le frémissement imperceptible qui les parcourait ne devait rien à un courant d'air inexistant ; mais, je le sentais bien, tout à l'imminence de mon choix.

Or, de choix, il n'y eut point. Ou, si l'on préfère, il y en eut un mais je ne pourrais dire lequel.

Je pris avec délicatesse – mais détermination – un bulletin sur chaque tas, ainsi que la petite enveloppe qui, bientôt, allait symboliser, représenter, résumer ma toute-puissance d'homo votandus. Et, aux yeux mi-éteints des assesseurs, je disparus derrière le rideau feutré de l'isoloir.

Là, j'entrepris de mélanger les bulletins, comme on battrait un jeu de cartes molles. Puis je fermai les miens, d'yeux, et, du bout des doigts de la main gauche, je tirai une feuille de mon petit paquet, qu'à tâtons je glissai dans l'enveloppe avant de la fermer.

Sorti du confessionnal laïque, la suite fut solennelle et coutumière, cérémonie démocratogène dont le “A voté !” fut en quelque sorte l'expression orgasmique.

Et c'était vrai : j'avais voté.

Mais je ne saurai jamais pour qui.

samedi 11 juin 2022

La tagada tactique du balancier

Jules Vallès, gauchiste matinal.

Depuis hier, en lecture d'après-midi, Léon Daudet a cédé la place à Maurice Barrès. Voilà qui ne devrait guère, je le crains, redorer mon image de marque auprès des cohortes bienpensantes, même en arguant du fait que, suivant de près mon déjeuner, ni Léon ni Maurice ne sont de taille à résister bien longtemps à l'invincible léthargie post-prandiale qu'implique mon grand âge…

D'un autre côté, pour tenter d'apaiser l'ire de ces ravagés de la modernité, je pourrais arguer du fait que mes matinées sont tout entières vouées à Jules Vallès, impénitent gauchiste et communard inflexible. Du coup, L'Insurgé pourrait rétablir l'équilibre du balancier, mis à mal par Le Culte du moi. Les deux me feraient en quelque sorte une double cuirasse : 

Si, vers le milieu de la matinée, les hordes progressistes débarquent ici pour me pendre à un réverbère au nom de la Tolérance et du Progrès, je leur brandirai Vallès sous le nez ; et, avec un peu de chance, ils m'acclameront comme un des leurs.

Et quand, juste après la sieste, les grandes compagnies nauséabondes envahiront mon maigre jardin dans le but de me faire subir un sort analogue, au nom cette fois des Valeurs chrétiennes et de l'éternelle Patrie, il me suffira de m'abriter derrière le grand Lorrain pour qu'ils m'enrôlent sous leurs bannières et que nous partions tous ensemble gravir la première Colline inspirée qui se présentera, en chantant des hymnes à Jeanne d'Arc.

Père, gardez-vous à droite… Père, gardez-vous à gauche…

Il n'est malheureusement pas exclu qu'un de ces jours, les premiers étant partis trop tôt et les seconds ayant traîné en chemin, mes post- et mes anti-modernes ne se trouvent arriver ensemble chez moi, se réconcilient sur mon dos de bouc émissaire et décident de me pendre doublement. Le fait que Vallès et Barrès riment ensemble devrait d'ailleurs faciliter cette trêve, très fâcheuse pour mes cervicales.

C'est ce qui risque toujours d'arriver, quand on se mêle de lire autre chose que des mangas ou des romans de filles. On serait mal venu, ensuite, de venir se plaindre.


Maurice Barrès, réactionnaire post-prandial.

 

mercredi 8 juin 2022

Coule, Raoul

Raoul Ponchon, 1848 – 1937.

 Rien de tel qu'un natif de La Roche-sur-Yon pour vous mitonner un authentique Parisien. C'est ce qui est arrivé à Raoul Ponchon, qui a passé l'essentiel de sa vie dans les rues et dans les troquets de la Rive gauche, entre la révolution qui l'a vu naître et une guerre mondiale à quoi il a échappé de justesse. Cette longue existence a été presque entièrement consacrée à vider et à écrire des verres et des vers ; la seconde de ces activités, qu'il pratiquait dans les journaux et les revues de l'époque, lui permettant de satisfaire à la première, en compagnie d'amis choisis, tels que Jean Richepin, Paul Bourget, Forain, et d'autres du même capiteux tonneau. Comme poète de comptoir, il fut apprécié par Verlaine, puis par Apollinaire, ce qui n'est pas si mal – et amplement mérité.

Ponchon était si occupé à déambuler de zincs en arrière-salles qu'il attendit d'avoir 72 ans – et quelque pressant besoin d'argent (qui donc a dit : « L'argent liquide est fait pour être bu. » ? Ne sais plus…) pour réunir quelques-uns de ses poèmes afin de les faire éditer en recueil : ce fut La Muse au cabaret, judicieusement réédité à la fin du XXe siècle par Grasset dans ses fameux Cahiers rouges, et qu'il est facile de se procurer – je puis en témoigner, pour l'avoir fait récemment – moyennant le prix d'un ballon de sancerre ou de pouilly fumé. Trois autres Muse verront le jour après sa mort : la Vagabonde, la Frondeuse et la Gaillarde, qu'on doit pouvoir trouver également.

Sur ses très vieux jours, en 1924, ses amis se coaliseront pour le faire élire à l'Académie Goncourt, afin qu'il bénéficie de la petite rente accrochée à son fauteuil. Comme il est bon garçon, il les et se laissera faire ; ce qui ne l'empêchera pas de mourir à l'hôpital comme le plus anonyme des pochards – ou des pochtrons si l'on tient à faire rimer son patronyme.

Piéton de Paris à l'instar de Léon-Paul Fargue, Ponchon fut amoureux comme lui  des deux ou trois quartiers qu'il a arpentés, du café de Cluny à son “bouillon” favori de la rue Racine, sans compter les quelques étapes intermédiaires qu'il avait garde de négliger. Mais ce Parisien d'élection avait aussi ses dégoûts et ses mépris, comme le montre ce quatrain, que je vous gardais en réserve (du patron) pour ma conclusion ; en guise, si l'on veut, de dernier-pour-la-route :

                                             

                                                   Je hais les tours de Saint-Sulpice

                                                  Quand je les rencontre

                                                  Je pisse

                                                 Contre

lundi 6 juin 2022

Moi Léon, toi Jane…

Il arrive à chacun, je suppose, de se demander parfois, avec Villon et nostalgie : Mais où sont les neiges d'antan ?

On peut en rencontrer certaines dans les différents livres de souvenirs publiés par Léon Daudet entre 1914 et 1930 approximativement. 

Ainsi, dans Paris vécu, qui date de 1929, surgit soudain le fantôme de Jane Hading, toute ruisselante de sa beauté d'alors, ou du moins de celle que lui prête le déjà vieux Daudet lorsqu'il se souvient de ses émois d'étudiant des années 1880 touchant à leur terme.

Jane Hading (1859 – 1941) était cette comédienne qui créa la Sapho d'Alphonse Daudet. Saphique, elle ne l'était point, en tout cas pas à plein temps, puisqu'elle vivait avec Victor Koning – dit “le ver de noisette”… –, directeur de théâtres de son état.

Contrairement à ce que son nom de scène pourrait laisser croire, Jane Hading était marseillaise. On comprendra aisément le recours à ce pseudonyme lorsqu'on aura dit qu'elle s'appelait Alfredine Tréfouret, patronyme difficile à porter pour n'importe quelle femme, et encore plus pour une actrice, vu les forts soupçons qui pèsent, ou pesaient, généralement sur la rectitude de leurs mœurs. 

Mais enfin, Alfredine ou Jane, Hading ou Tréfouret, le sémillant Léon en était tombé amoureux, comme on tombe amoureux à dix-huit ans. Une passion dont les ondes se font encore sentir quarante ans plus tard, lorsqu'il écrit Paris vécu :

« Épris de Mme Hading, comme d'une madone inaccessible, comme Pétrarque pouvait l'être de Laure, j'allais guetter ses sorties en voiture tout au bout du boulevard Malesherbes, où elle vivait conjugalement avec le ver de noisette. C'était le temps des coupés à chevaux. Elle passait, camée fugitif, rieuse ou préoccupée (je la préférais encore préoccupée) et je la saluais sans qu'elle me reconnût. »

C'est à ce moment que le lecteur de 2022 a l'impression de quitter les boulevards pour sauter à pieds joints entre les pages de Proust. Car ce timide et embrasé jeune homme, qui vient tous les jours, sans lassitude, se poster au coin de la rue où doit surgir “Elle, la Seule, l'Incomparable, la Divine”, ce n'est plus Léon : c'est Marcel-le-narrateur, sortant chaque matin de l'appartement familial pour voir passer et saluer la duchesse de Guermantes en ses équipages…
 

mercredi 1 juin 2022

D.G. engeôlé !


 Passé pas mal de temps à l'ombre, en mai