En mars tombait mon anniversaire.
Ce fut aussi ma fête.
En guise de préliminaire, on notera que, pour un public francophone, les deux plus amusants à l'oreille sont évidemment Sawsix et Sawsept. À présent, entrons dans le dur.
Le principe est simple : au centre de tout, un justicier sanguinaire (photo) qui invente des pièges diaboliques pour punir un certain nombre de crapules ayant toujours échappé à la justice. Un redresseur de torts, si l'on veut. Néanmoins, il leur laisse toujours un moyen de s'en tirer... à peu près aussi sadique que le piège lui-même. Je vais donner un exemple qui, à ma connaissance, n'est dans aucun des films, mais résume assez bien l'ambiance hémoglobino-festive de l'ensemble.
Après avoir été kidnappé, un riche bonhomme se réveille brusquement au milieu d'une cave crasseuse, au bout d'un temps qui n'est jamais précisé. Il est allongé nu sur une planche, les chevilles et un poignet solidement attachés. En face de lui, à ses pieds, une grosse scie circulaire. Aussitôt, une télé s'allume et une voix caverneuse en surgit. Elle lui explique que, quand la scie va se mettre en rotation et avancer vers son entrejambe, il disposera de trois minutes pour se sortir de là avant d'être proprement coupé en deux par le milieu.
Comment peut-il sauver sa vie ? En saisissant le scalpel qu'il a à sa main libre et en s'énucléant l'œil droit (ou gauche si vous préférez), afin de récupérer la clé de ses fers, qu'un habile chirurgien a, quelque temps auparavant, quand il était dans le cirage, introduit dans sa chair, derrière l'œil qu'il va devoir sacrifier s'il veut vivre.
Tel est le principe. La plupart des “méchants” acceptent ce genre de pari sanguinaire, mais souvent après avoir perdu un temps précieux à des gamineries (je secoue mes chaînes, je crie help ! help !, ce genre de choses). Si bien que, pour reprendre mon exemple, quand le prisonnier, désormais borgne et pissant le raisiné, parvient à ouvrir la menotte de sa seconde cheville, c'est trop tard : la scie a déjà séparé sa couille droite de sa gauche et poursuit gaillardement sa route vers la pomme d'Adam.
Cela dit, comme il subsiste, dans ces films, un fond d'optimisme un peu fleur bleue, il convient de signaler que quelques rares suppliciés parviennent bel et bien à s'en sortir, un peu cabossés mais vivants.
Ce qui fait toujours chaud au cœur aux spectateurs qui, comme moi, ont bon fond.
Aux temps lointains où les mâles de ma génération subissaient les tourments et tourbillons de l'adolescence, le fantasme numéro un était représenté par les longues et flexibles Scandinaves blondes, toutes supposées couver en leurs tréfonds les chaleurs qui manquaient à leur décor natal, et naturellement enclines à s'abandonner à la fougue des semi-Arabes que nous devions être à leurs yeux arctiques.
J'en parle d'autant plus à mon aise que cette fixette boréale ne m'empoignait guère : j'ai toujours, dans mes goûts érotico-sexuels, été bien davantage “pourtour méditerranéen” que “fjords nordiques”. Mais enfin, je voyais bien les ravages qu'elle exerçait autour de moi, même si elle me demeurait en partie mystérieuse : si les femelles scandinaves étaient à ce point bandantes, pourquoi, sur les cartes, leur contrée ressemblait-elle autant à une grosse bite éternellement molle ?
Or, il est advenu que, ces dernières années, nous avons pris l'habitude vespérale de regarder quelques séries policières issues de ces contrées septentrionales, souvent vaguement ennuyeuses mais qui font plaisir à Catherine, car lui rappelant son enfance danoise. Et j'ai alors pu constater cette chose stupéfiante : presque toutes les jeunes comédiennes que l'on y voit évoluer sont soit laides, soit totalement éteintes, soit les deux.
Que s'est-passé, entre jadis et aujourd'hui ? Comment les Scandinaves ont-elles muté en Scandinases ? Par quelle diablerie les bombes à neutrons érotiques des années soixante-dix ont-elles été grand-remplacées par ces tristes assemblages de chair terne ? Sont-elles toutes restées emprisonnées dans les cassettes VHS des pornos suédois, que votre grand-oncle Victor conserve précieusement dans la solide armoire de sa chambre depuis l'orée des seventies ?
Du reste, il n'est nul besoin de regarder les productions netflicardes pour constater l'inquiétant phénomène dont je parle. Il suffit pour cela de répondre à cette simple question : quelle est aujourd'hui la jeune Scandinave la plus connue, et de fort loin, sur les cinq continents ? La réponse, morne, lugubre, jaillit aussitôt : Greta Thunberg !
Or, il faut admettre l'évidence : aucun jeune mâle d'entre Meuse et Bidassoa, à moins d'être un végane particulièrement dépressif, n'aura jamais le moindre début d'amorce de projet d'érection en convoquant l'image renfrognée de cet acide petit pruneau, fripé avant d'avoir mûri. Constatant la totale léthargie de ses corps caverneux, il en viendra peut-être à se demander, tout comme je le fais, où ont bien pu passer toutes ces Ingrid, Ulla et autres Liselotte naturellement bandogènes qui faisaient tant rêver l'oncle Victor il y a un demi-siècle. Ce qui n'effacera pas l'image de la terrifiante Greta, à jamais imprimée sur sa rétine et régnant en souveraine sur ses cauchemars nocturnes.
Pour tenter de combattre sa déprime croissante, l'infortuné adolescent retournera faute de mieux sur Netflix. En se disant qu'il doit sans doute y avoir quelque chose de pourri au royaume de Danemark.
« Au train dont va de nouveau la France, de plus en plus envahie d'étrangers, et de provenances peu sympathiques, — il est bien difficile pour un Français, surtout dans les grandes villes, surtout à Paris, de ressentir ce qu'on appelle le sentiment de la patrie. Sur vingt passants qu'on coudoie, plus de la moitié s'expriment dans on ne sait quelle langue, ou dans un Français dont ils ne savent que quelques mots appris depuis peu, leurs faciès encore plus révélateurs de leurs origines. Et je ne parle pas des marchés en plein vent, dans des quartiers populeux, où la basse classe de ces nouveaux venus vend sa pacotille. Ouvrez le Journal officiel. À chaque numéro, pas loin de trois cents naturalisations nouvelles. Ce sera le Français, bientôt, au milieu de ces envahisseurs, qui aura la sensation de se trouver en terre étrangère. »
Si ce n'est pas déjà fait — ce qui serait bien étonnant : faisons confiance à nos vigilants toujours au taquet —, il serait grand temps de faire disparaître de toutes les bibliothèques les écrits méphitiques de ce clodo fascisto-raciste, afin d'en préserver nos chères têtes blondes.
Si toutefois il existe encore des têtes blondes dans les rues et des livres dans les bibliothèques.
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Rue Hérold, plus ou moins parallèle à celle du Louvre. Le Matin de Paris occupait le bâtiment juste à droite. Le Big Buddah était sur le même trottoir, presque au bout de la rue. |
Penser à Jean-François Kahn — chose qui ne m'arrive à peu près jamais quand je suis dans mon état normal — a ramené à ma mémoire la figure de Bernard Veillet-Lavallée, journaliste d'une vingtaine d'années plus âgé que moi. Il travaillait au Matin de Paris, rue Hérold, tandis que je tenais assise au Big Buddah, à six ou sept portes de là, dans la même rue.
Après le bouclage du journal, il n'était pas rare de voir ce Bernard-là venir s'échouer au comptoir du petit restaurant en question, dont le patron était un autre Bernard, Leroy-Deval, mon ami de grands ris et de franches lippées, d'origine vietnamienne comme son nom tendrait à l'occulter.
Je n'ai pas choisi le verbe “s'échouer” par hasard : Veillet-Lavallée était un splendide et précieux ivrogne. Et il n'était pas si rare de le voir (et de l'entendre...) s'écrouler sans sommation de son tabouret de bar pour s'affaler sur le carrelage, d'où il fallait se mettre à deux pour le relever.
(En ces mêmes temps, au Big Buddah, décidément bien achalandé, on pouvait aussi croiser un tout jeune Claude Askolovitch, frais émoulu du CFJ voisin et encore plus fraîche recrue du Matin. C'était alors un joyeux compagnon, ne répugnant pas à lever le coude si l'ambiance y était, assez éloigné, au moins dans mon souvenir, du pontifiant dispensateur de bonne pensée qu'il est ensuite devenu.)
Mais revenons à mes deux Bernard. À cette époque où Kahn fut brièvement directeur du quotidien de la rue Hérold — ce devait être en 82 ou 83, il faudrait vérifier —, Veillet-Lavallée était pour lui une sorte de bras droit, et encore plus lorsqu'il est parti avec lui créer L'Événement du Jeudi. Du coup, on le voyait moins au Big Buddah, mais il lui arrivait d'en retrouver le chemin, certains soirs, ce qui me faisait toujours plaisir : j'aimais bien le personnage.
Un jour que je lui demandais ce qu'il faisait exactement au sein de l'hebdomadaire nouvellement créé, il m'avait expliqué, un peu bredouillant, mi-goguenard, mi-sérieux, que Jean-Francois Kahn avait dix idées par jour : huit aberrantes, une bonne et une géniale, et qu'il lui était à charge, de façon toute officieuse, d'orienter son bouillonnant patron vers les deux dernières, tout en opérant d'habiles diversions pour qu'il oubliât les huit autres.
C'était au milieu des années quatre-vingt. Vers la fin de la décennie, le Big Buddah a fermé définitivement. Bernard Veillet-Lavallée ne lui a pas survécu longtemps : il est mort en 1990.
Quant à l'autre Bernard, Leroy-Deval, il a fini par aller s'installer au Vietnam, pays qu'il n'avait jamais connu, étant né en France comme tout un chacun. J'espère pour lui qu'il y est encore, et bien vivant.
Dans les années 1430, Maître Guillaume était un très ordinaire répétiteur de droit, à Paris : personne n'a jamais jugé bon de laisser le moindre témoignage de ce qu'a pu être son enseignement. Comme de juste, il logeait dans le quartier des écoles ; plus précisément à la collégiale Saint-Benoît-le-Bétourné dont il était l'un des modestes chapelains. L'église était ainsi qualifiée car son chœur était orienté à l'ouest et non à l'est comme il est d'usage. Elle était située rue Saint-Jacques, à droite quand on vient de la Seine, entre le boulevard Saint-Germain et la rue des Écoles.
Ce n'est pas non plus son nom de baptême qui risquait de distinguer notre clerc obscur : en ces temps de fin de guerre de Cent Ans, un Parisien sur cinq se prénommait Guillaume. D'où la forge de divers diminutifs pour les différencier, dont nous avons gardé les traces : Guillemin, Guillaumin, Guillermot, Guillot, etc. À l'instar de 99% d'entre nous, Maître Guillaume aurait donc dû s'évanouir sans laisser la moindre trace de son bref passage sublunaire.
Or il advint que, vers 1435 ou 36, il prit en charge un tout jeune enfant, François de Montcorbier, dont il était peut-être vaguement parent, mais rien n'est moins certain. Qu'on ne songe pas à une adoption au sens moderne du mot : il s'agissait plus d'avoir à sa disposition un petit domestique gratuit, chargé d'allumer le feu dans l'âtre les matins frisquets et qu'on envoyait faire les courses à la supérette du coin. En échange, Maître Guillaume entreprit de pourvoir à l'éducation du petit François.
Ce fut à la fois un succès, un échec et un triomphe.
Un succès car François de Montcorbier devint, au début des années cinquante de son siècle, bachelier puis maître ès-arts, c'est-à-dire licencié ; un échec parce qu'il tourna plus ou moins caillera, au point d'être, à l'orée de la décennie suivante, condamné à la pendaison, peine qui fut commuée en un bannissement de dix années hors de Paris.
Ce fut aussi un triomphe, mais posthume. Car François de Montcorbier, entre ses études et sa condamnation terminale, s'était mis à écrire des vers, encore des vers ; des ballades surtout. Et, quand il fut question de les signer, afin de rendre hommage à celui qu'il appelait son “plus que père”, François décida qu'il quitterait son nom de Montcorbier au profit du sien.
C'est ainsi que le nom de Maître Guillaume de Villon commença à monter au firmament glorieux. À la date où nous sommes, il n'en est toujours pas redescendu.
Comme elles sont rafraîchissantes, les pensées saines de Rémy de Gourmont, qui lui vaudraient pourtant la géhenne s'il avait la fâcheuse idée de ressusciter demain matin :
Qu'une femme tue son mâle, ou un mâle sa femelle — qui cela peut-il émouvoir ? Et qui cela peut-il intéresser hormis les statisticiens et quelques philosophes ? Je veux bien que l'on me protège contre les ennemis inconnus, l'escarpe ou le cambrioleur, — mais contre moi-même, vices ou passions, non. L'intervention de la justice en de tels cas est absurde.
S'il avait existé un genre de MetooLittérature au carrefour des XIXe et XXe siècles, j'en connais, dans les parages du Mercure de France, qui se seraient fait méchamment épurer. Même si le bon Rémy, lorsqu'il envisage le surinage conjugal, fait preuve d'un exemplaire sens de la parité et d'un souci louable de la plus scrupuleuse réciprocité.
Ainsi, tout soudain, eux qui traitaient depuis des mois les Israéliens d'héritiers de Hitler, voilà nos amis gauchistes saisis par une sainte indignation devant l'antisémitisme de Jean-Marie Le Pen.
Autre chose divertissante : depuis des lustres, tous ces irréprochables concessionnaires à vie du Camp du Bien nous somment d'appeler, par respect humain (moi aussi je peux jargonner, quand je veux...), les nains des personnes de petite taille, les clodos des sans-abri, les aveugles des non-voyants, les sourds des mal-entendants et les culs-de-jatte des personnes en situation de non-jambisme, mais cela ne les empêche nullement de célébrer à son de trompes la mort du “Borgne”.
De l'indignation réversible et du respect humain à géométrie variable...
Hier soir, pour rester dans le climat “Grande Guerre” où nous avait plongés la veille le remarquable À l'Ouest, rien de nouveau (film allemand de 2022) proposé par le gang des Netflicards, nous avons regardé le film d'Albert Dupontel intitulé Au revoir là-haut : mauvaise idée.
Rien ne tient debout, dans ce film : personnages masculins caricaturaux — en particulier le “salaud” interprété par Laurent Laffitte —, féminins inconsistants et superflus, situations téléphonées, coïncidences cousues de fil blanc, invraisemblances historiques, etc. Je pourrais détailler tout cela, mais je me suis suffisamment ennuyé durant deux heures en regardant la chose, je ne vais certainement pas lui consacrer une demi-heure supplémentaire aujourd'hui.
Albert Dupontel, pour qui j'éprouve une certaine sympathie en raison de ses deux ou trois premiers films, a tiré celui-ci d'un roman, prix Goncourt 2013, écrit par un certain Pierre Lemaître, qui a par ailleurs co-signé l'adaptation de son opus magnum : encore un romancier dont je ne risque pas d'ouvrir les chefs-d'œuvre, même dans un moment de distraction.
Car il me paraît évident que toutes les faiblesses, invraisemblances et absurdités vues hier sur l'écran devaient déjà se trouver entre les pages du livre. Ainsi que le climat frelaté de faux merveilleux qui met fâcheusement en valeur la vague niaiserie de l'ensemble.
Prix Goncourt, n'est-ce pas ? J'aurais dû me méfier : chez Drouant, rien de nouveau...