mercredi 30 août 2017

Retour au camp de base


En juillet, on a décidé de rentrer…

lundi 28 août 2017

Les moines et leurs règles


C'était il y a bien des années. En ces temps, le rewriting de FD ne se composait que d'hommes : nous formions comme une sorte de petite fraternité de moines copistes, à la fois enjoués et studieux. Une fin d'après-midi – car ces conversations ne peuvent éclore qu'à ce moment-là de la journée, et de préférence vers la fin de l'automne –, nous en arrivâmes, Dieu sait comment – défaut de travail peut-être ? –, à ce pont aux ânes masculin qui peut s'énoncer comme suit : « Si d'aventure un magicien nous transformait en femme pour une unique journée, que ferions-nous de ces vingt-quatre heures ? »

Chacun, aussitôt, y alla de sa résolution. (Nous avions d'un commun accord admis qu'il était exclu de nous transgenrer autrement que sous les pleins et les déliés d'une créature hautement désirable.) Les projets fusaient :

« Moi, je veux faire tirer leur langue au maximum de mecs sans rien leur accorder : ça me soulagera.

– Moi, je me cantonnerai dans le lesbianisme : l'idée de me prendre une… enfin, bon : lesbienne exclusive !

– Moi, c'est l'inverse : je veux me faire enfiler autant que je pourrai : j'arriverai peut-être à comprendre ce qu'elles nous trouvent…

– Eh bien moi, je…

– Moi, par contre… »

Au bout d'un certain temps, seul Dominique Qu.-F. (je me sens tenu de respecter l'anonymat de ce valeureux travailleur du verbe) n'avait rien dit, et semblait même se désintéresser de la discussion, pourtant primordiale si l'on songe au nombre incroyablement élevé de magiciens farceurs qui circulent dans les rédactions des journaux populaires. Finalement, l'un de nous lui posa la question, sans doute à peu près en ces termes : « Et toi, tu ferais quoi ? »

Dominique prit alors un air qui oscillait entre le vaguement désabusé et le franchement malheureux, soupira et laissa tomber : « Moi, si je devais être une femme pendant vingt-quatre heures, je trouverais encore le moyen d'avoir mes règles… »

Il était l'heure de sortir le whisky des placards.

dimanche 27 août 2017

Nos dimanches Dávila, 1


– Même la vérité la plus discrète apparaît aux modernes comme une intolérable impertinence.

– Quand une langue se corrompt, ses locuteurs s'imaginent qu'elle rajeunit. Sur la verdeur de la prose actuelle on distingue des moirures de charogne.

– Ce qui n'est pas niais paraît à l'homme moderne soit criminel soit obsolète.

– Le métèque ne fait aucune concession à l'autochtone.

– Le marxisme a mis à la disposition de ceux qui ne comprennent pas les questions le répertoire de réponses le plus adéquat.

– Exiger de l'intelligence qu'elle s'abstienne de juger mutile sa faculté de comprendre. C'est dans le jugement de valeur que culmine la compréhension.

– “Conscientiser” : variante pudique d'endoctriner.

– La plus grave accusation contre le monde moderne, c'est son architecture.

– L'université est le lieu où les jeunes gens devraient apprendre à se taire.

– Le sot se met à hurler que nous nions le problème lorsque nous montrons la fausseté de sa solution favorite.

– Est moderne l'homme qui oublie ce que l'homme sait de l'homme.

– Les cultures se dessèchent lorsque leurs ingrédients religieux s'évaporent.
 

samedi 26 août 2017

Nos dimanches Dávila : avant-première

Nicolás Gómez Dávila, 1913 – 1994

J'ai déjà oublié pour quelle raison, par quel détour, je me suis remis hier à picorer (influence pernicieuse des gallinacées sur le vocabulaire de l'écrivain en bâtiment…) les aphorismes de Nicolás Gómez Dávila, écrivain colombien dont le nom m'oblige à changer de clavier afin de lui attribuer les trois accents toniques auquel il prétend. Toujours est-il que, à l'instar de certains qui, chaque dimanche, mettent en ligne des chansons stupides et anglophones, ou d'autres qui proposent à leurs lecteurs les mornes lieux communs de politiciens dont le nom s'efface déjà, l'idée m'est venue de créer un nouveau “libellé” : Davilana, sous lequel, le Jour du Seigneur revenant, j'offrirai à votre sagacité quelques sentences de mon Colombien. Je vous les servirai par douze, comme les œufs au marché. Vous pourrez, à votre convenance, les battre en omelette et les avaler d'un seul coup, ou bien les déguster une par une, à la coque ; vous aurez aussi la possibilité de me les envoyer à la figure pour exprimer votre éventuel mécontentement.

Les phrases que vous lirez, semaine après semaine, seront extraites de deux livres parus aux éditions du Rocher vers le milieu des années deux mille, sous les titres un peu trop racoleurs (et restrictifs) à mon goût de Le Réactionnaire authentique et Les Horreurs de la démocratie, titres qui ne sont nullement dus à l'auteur. Dans ces deux recueils, une large part est faite à Dieu et au christianisme, Gómez Dávila ne se cachant nullement d'être catholique (pourquoi, d'ailleurs, s'en cacherait-il ?) : on n'en trouvera que fort peu de traces dans ma sélection, non par je ne sais quelle volonté de “censure”, mais parce que, souvent, le pauvre incroyant borné que je me désole d'être ne s'est pas estimé à même de jauger – et encore moins de juger de – leur intérêt. De même, les pensées les plus profondes de l'auteur ont-elles probablement été éliminées, simplement parce qu'elles sont demeurées loin de mon entendement.

Quoi qu'il en soit, on commencera demain.

vendredi 25 août 2017

Squatteuses à plumes et à bec


Et je m'assois où, moi, maintenant ?


jeudi 24 août 2017

Contrariants, ces Prussiens


En 1870, mis en appétit par Sedan, les Prussiens ont décidé d'envahir la France, et ils sont arrivés sans coup férir à Versailles. 

En 1914, les Allemands ont décidé d'envahir la France et, ma foi, sans l'intervention in extremis des Américains, ils y seraient peut-être bien parvenus.

En 1940, les armées du Reich ont transformé la traversée de notre territoire en une promenade de santé, à l'ombre des platanes séculaires.

Trois épisodes hautement déplorables, de notre point de vue.

En 1792, par contre, nous n'aurions eu qu'à nous féliciter si les hussards du duc de Brunswick avaient pu se rendre maîtres de Paris, passant par la même occasion leurs baïonnettes au travers des Danton, Robespierre, Saint-Just, Marat ou Desmoulins qui proliféraient des deux côtés de la Seine, et rétablissant le roi sur son trône, ainsi que le souhaitait une immense majorité de Français.

Eh bien, cette fois-là, ces andouilles de Prussiens ont trouvé le moyen de rater leur coup.

mardi 22 août 2017

Le seuil critique de Barbey d'Aurevilly


À cause de (ou grâce à) Michel Desgranges, je  me suis mis à relire Barbey d'Aurevilly : en alternance Les Diaboliques et ses articles de journaux. Pour ce qui est du premier recueil cité, c'est  effectivement très bien (et je tâcherai d'y revenir). Mais de là à trouver ça supérieur à Flaubert, je persiste à ne pas être d'accord.

Quant à ses articles de critique littéraire, il y a en effet une certaine flamboyance, une acuité certaine, y compris dans la mauvaise foi, laquelle est évidemment réjouissante quand elle rejoint la mienne (par rapport aux Misérables de Hugo, par exemple). Néanmoins, il me semble qu'il a une fâcheuse tendance à tourner indéfiniment autour du pot avant d'entrer dans le vif de son sujet, quand il y entre pour de bon. Dans les moins réussis de ses articles, on a presque l'impression d'une sorte de Juan Asensio, mais qui, évidemment, écrirait dans un français étincelant au lieu de produire le magma bourbeux de l'autre zouave. Il y a aussi de gênant chez lui que, à cette époque, il convenait de réduire Zola en miettes selon les mêmes arguments convenus et ressassés à base de scatologie, comme le faisaient les Goncourt, Daudet et quelques autres, et comme on en retrouve la trace jusque chez Kléber Haedens qui, ce jour-là, aurait mieux fait de reprendre un verre et de se taire. On reconnaît le critique à courte vue de la fin du XIXe siècle à ceci qu'il ne comprend rien à Zola ; lequel reste, en dépit de ses faiblesses, l'un des quatre ou cinq grands romanciers de son siècle.

lundi 21 août 2017

Odette et Nana, seconde génération


Pour ne pas être trop longtemps encombrés du fantôme des précédentes, et très fugitives, locataires du poulailler, nous fûmes, lundi dernier, en chercher deux autres, presque en tous points semblables aux en-allées. Elles ont si bien pris possession du territoire que quand le chat pointe ses moustaches aux abords, Odette marche droit sur lui, en gonflant ses plumes et caquetant mezzo voce. Golo, plus par courtoisie que par crainte réelle, veut-on croire, se retire alors, suffisamment lentement pour que reste intacte sa dignité féline.

dimanche 20 août 2017

C'est dimanche, on joue !


J'ai, au premier coup d'œil, reconnu huit des neuf écrivains de cette couverture ; mais le dernier, celui qui se trouve tout en bas de la colonne centrale, m'a résisté quelques heures. Je pense pourtant avoir fini par l'identifier. À votre tour, hypocrites lecteurs, mes semblables, mes frères, saurez-vous accrocher un nom à chacun de ces visages ? (Pour faire durer un peu le jeu, je ne publierai vos éventuelles réponses qu'en fin de journée.)

samedi 19 août 2017

La phtisie tue parfois très lentement



Victor Baillot avait vu le jour en l'an de disgrâce 1792, le 22 avril. Son âge a fait que, en 1815, il a été pris dans la dernière conscription de Napoléon, retour de l'île d'Elbe ; si bien qu'il se retrouve aussitôt à Waterloo. « Ah ! Waterloo. Il  en avait du monde, là. Et le canon tonnait dur. Les blés et les seigles étaient grands. Mais quand la cavalerie avait passé là-dessus, ça faisait de belles routes. J'ai tout vu et rien vu. J'y étais et c'est comme si j'y avais pas été. On s'est mis à se battre, je suis tombé […]. »

J'ai tout vu et rien vu. J'y étais et c'est comme si j'y avais pas été. On croirait relire, fortement résumé, le premier chapitre de la Chartreuse de Stendhal : Fabrice aussi “y était”, Fabrice non plus n'a rien vu. Toujours est-il que, blessé, Victor Baillot est fait prisonnier par les Anglais et envoyé sur les pontons. Lorsqu'il revient en France, il est aussitôt réformé, comme phtisique au dernier degré. Malgré cette tuberculose ancienne manière, Victor Baillot deviendra le dernier survivant recensé des armées napoléoniennes et ne consentira à mourir qu'au rivage de 1898, à l'âge de 106 ans, après avoir obtenu à l'arraché la croix de la Légion d'honneur, épinglée à son revers par le président Félix Faure entre deux turlutes steinheiliennes.

L'histoire de ce vétéran est contée par Guy Dupré dans Je dis nous, recueil des chroniques que ce précieux et discret écrivain a données à divers journaux entre 1952 et… 2005 ; celle qui nous occupe est de 1968, et n'est d'ailleurs pas un article mais une préface à la Chronique de la Grande Guerre de Maurice Barrès. Guy Dupré n'avait que 24 ans lorsqu'il a publié cet étrange et séduisant roman au titre non moins étrange et séduisant : Les Fiancées sont froides, salué notamment par André Breton et Julien Gracq, et que je vais m'empresser de relire dès que vous me laisserez un moment à moi.

Me penchant tout à l'heure sur le cas de Guy Dupré, j'ai eu la surprise de constater que, né en 1928, il était toujours de ce triste monde ; ce qui le met sur la bonne piste pour tenter d'égaler le record de Victor Baillot.

mercredi 16 août 2017

La longue marche des rhinocéros


Pendant ce temps, tout ce que nos pays en phase terminale comptent de joyeux progressistes s'est levé comme un seul homme pour s'alarmer du raz-de-marée nazi qui, dans une ville du sud des États-Unis, a tué… une personne. Ils sont tellement occupés, ces gentils nounours en guimauve, à reformer les cohortes sacrées pour aller combattre l'hydre, qu'ils n'ont plus une seconde à eux pour enregistrer les voitures qui, en France, foncent droit sur les devantures des cafés, en tuant un homme par-ci, une fillette par-là. Il est vrai que ces véhicules-là ne sont pas conduits par des gestapistes mais par de simples “déséquilibrés”, naturellement plus à plaindre qu'à blâmer. D'ailleurs, avec un minimum d'effort conceptuel, nos angéliques racaillolâtres, nos antifas clavioteurs devraient réussir à établir que si, chez nous, certains malheureux en sont réduits à foncer sur les terrasses de bistrots pare-choc en avant, c'est parce qu'ils ont été littéralement rendus fous de terreur par la remontée du nazisme américain : coup double gagnant. 

Face à leurs envolées avortées de poules caquetantes, dont chaque paragraphe est une insulte à l'intelligence, on perd jusqu'à l'envie d'argumenter, par exemple en faisant remarquer que rien ne serait arrivé à Charlottesville si les pressions conjuguées des gauchistes décervelés et des noirs vociférants (on pourra sans dommage inverser les deux adjectifs) n'avaient conduit au déboulonnage de cet enstatué remarquable que fut le général Lee ; et si, d'autre part, ces mêmes gauchistes décerférants et vocivelés, ne s'étaient pas lancés dans une “contre-manifestation” qui n'était rien d'autre qu'une invitation pressante à la baston générale. À quoi bon discuter, objecter, contredire ? Affronter la bêtise à front de taureau armé de la simple muleta du verbe, voilà qui allait bien quand on était jeune. Aujourd'hui, les taureaux s'étant faits rhinocéros, il nous reste le rire qui finira bien par dissoudre leur corne ; et à passer loin d'eux pour éviter de marcher dans leurs bouses.

vendredi 11 août 2017

Fantômes de blog



C'est très intéressant, de relire, comme je le fais depuis quelques jours, les billets de blog que l'on s'est laissé aller à publier, entre 2013 et maintenant. D'abord parce qu'on se rend compte que neuf sur dix d'entre eux auraient gagné à n'être pas écrits. Mais, ça, je le savais déjà, depuis que j'avais passé au crible ceux de 2008 à 2013, pour composer En territoire ennemi. Le plus amusant est de balayer du regard les commentaires qui font suite à chacun d'entre eux : c'est une procession de fantômes. Certains de ces spectres jacassants sont encore là aujourd'hui : ils n'ont pas changé, ils disent les mêmes choses qu'alors ; comme, suppose-t-on, soi-même. Beaucoup ont disparu : on en regrette certains (Georges, Marchenoir…), on se félicite de la disparition d'autres, qui publiaient des tartines sous chaque billet, et dont on va oublier les noms : ceux-là, à les relire, sont aussi pesants et dormitifs qu'ils l'étaient à l'époque ; c'est leur malédiction personnelle, je suppose. Néanmoins, les uns comme les autres prennent place dans une sorte de temps incertain, dont on a la surprise de se retrouver un peu nostalgique. Et, pour ceux-là qui semblent évanouis, on se demande s'ils se sont simplement échappés dans un ailleurs ensoleillé (on n'y croit qu'à moitié, mais on le leur souhaite quand même), ou s'il leur est arrivé des choses plus pénibles et irrémédiables, dont personne ne nous aurait tenu au courant. En tout cas, à la relecture, leur silence est retentissant.

mercredi 9 août 2017

Les Guimbardes de Bordeaux


Les livres d'occasions recèlent parfois des surprises que n'offriront jamais les volumes neufs. J'ai reçu ce matin Les Guimbardes de Bordeaux, livre de Stephen Hecquet (nous reviendrons sur les deux, l'auteur et son ouvrage, dans les prochains jours, sans doute), publié par La Table Ronde en avril 1958. J'y découvris d'abord, entre les premières pages jaunies et odorantes, une feuille de papier pliée en deux, visiblement depuis longtemps si j'en juge par le soin qu'il m'a fallu pour l'ouvrir ; l'ensemble avait à peu près le format d'une carte d'anniversaire. Une fois dépliée, on y voyait, sur la page de droite, le dessin d'un jeune homme en uniforme : large béret incliné sur l'oreille droite, chemise à manches retroussées et ornée d'un insigne tricolore, pantalon large façon golf, chaussettes roulées sur de grosses chaussures noires : le jeune homme fait le salut militaire, dans un cadre lui aussi tricolore ; dessous, ces lettres : C.J.F.

Sur la page de gauche, deux lignes d'écriture. La première, à l'encre bleue : « En souvenir de nos “Chantiers” 1941. » La seconde est inscrite en rouge : « Fait le S. 25 avril 1959. » On croit comprendre qu'il s'agit d'un cadeau fait par un ancien membre des Chantiers de la Jeunesse française, créés en juillet 1940, à l'un de ses camarades de l'époque ; lequel camarade, scrupuleux, a inscrit au crayon à papier sur la dernière page du livre : « Lu du Jeudi 16 au Vendredi 24 avril 1959. » Si bien que, soudain, à cause de la discordance des dates, on ne sait plus trop qui est l'auteur du dessin et de l'envoi. Ce n'est pas tout. 

Entre les dernières pages sont intercalées trois coupures de journaux. La plus importante est aussi la plus ancienne : une pleine page de Rivarol, du 1er mai 1958, dans laquelle Lucien Rebatet dit tout le bien qu'il pense du livre que l'on tient entre les mains. La deuxième est un simple entrefilet, daté à la main du 6 mai 1960, d'un journal inconnu, qui annonce la mort de Stephen Hecquet, à l'âge de 40 ans. La troisième, enfin, est une sorte de portrait de l'écrivain, paru dans Carrefour le 24 janvier 1962 ; il n'est pas signé mais est présenté sous le titre de ce qui doit être une tribune régulière : Propos du magot solitaire.

Lorsqu'on a mélancoliquement épilogué sur ces divers personnages, le connu et les autres, en se disant qu'ils doivent être tous morts depuis déjà un moment, que l'on a réveillé quelque chose qui n'aurait peut-être pas dû l'être, qu'on les a troublés dans leurs conciliabules d'ombres, on sent que l'on est désormais tenu de lire ce livre tombeau, et de le faire avec une certaine touche de gravité.

jeudi 3 août 2017

Hector Berlioz, antifestif et rebeyle


Réjouissants, ces Mémoires d'Hector Berlioz, pour quoi j'ai quitté hier Debussy. Je ne sais trop quelle image je me faisais de cet homme-là au travers de sa musique (que je n'écoute pas tous les jours), mais son humour continue à me surprendre et, donc, par son côté inattendu, à me ravir. Où je suis rendu – 200 pages sur 650 –, Berlioz n'a pas tout à fait 30 ans et se trouve pensionnaire de la Villa Médicis, où il s'ennuie fort. Du coup, son caractère, plutôt du genre bouillonnant, s'en ressent, et le débord menace à chaque page. Voici par exemple ce qu'écrit cet antifestif avant l'heure : « J'étais méchant comme un dogue à la chaîne. Les efforts de mes camarades pour me faire partager leurs amusements ne servaient même qu'à m'irriter davantage.  Le charme qu'ils trouvaient aux joies du carnaval surtout m'exaspérait. Je ne pouvais concevoir (je ne le puis encore) quel plaisir on peut prendre aux divertissements de ce qu'on appelle à Rome comme à Paris les jours gras !… fort gras, en effet ; gras de boue, gras de fard, de blanc, de lie de vin, de sales quolibets, de grossières injures, de filles de joie, de mouchards ivres, de masques ignobles, de chevaux éreintés, d'imbéciles qui rient, de niais qui admirent, et d'oisifs qui s'ennuient. »

Trois paragraphes plus loin, Berlioz met en scène l'excitation du peuple roi (l'expression est soulignée par lui) à l'apparition des “élites” : on a l'impression de se trouver au bas des marches du palais cannois  des festivals, quand les gogos en short et leurs matrones en collants boudineux lèchent des yeux et des smartphones les saltimbanques empingouinés qui abordent les ondulations régulières du tapis écarlate. Cela donne ceci : 

« Mirate ! Mirate ! voilà l'ambassadeur d'Autriche !
– Non, c'est l'envoyé d'Angleterre !
– Voyez ses armes, une espèce d'aigle ! »

Cela continue dans ce ton durant quelques répliques de la même eau, et puis soudain :

« Et ce petit homme, au ventre arrondi, au sourire malicieux, qui veut avoir l'air grave ?
– C'est un homme d'esprit qui écrit sur les arts d'imagination, c'est le consul de Civita-Vecchia, qui s'est cru obligé par la fashion de quitter son poste sur la Méditerranée, pour venir se balancer en calèche autour de l'égout de la place Navone ; il médite en ce moment quelque nouveau chapitre pour son roman de Rouge et noir. »

Se doutant que nombre de ses lecteurs ignoreront à qui il vient de faire allusion, Berlioz précise en note : « M. Beyle, qui a écrit une Vie de Rossini sous le pseudonyme de Stendhal et les plus irritantes stupidités sur la musique, dont il croyait avoir le sentiment. »

Le “dogue à la chaîne” a tout de même trouvé le moyen de mordre.

mercredi 2 août 2017

Férocité de plume : Debussy aussi


Lecture très agréable que celle de Monsieur Croche. Dans ces chroniques publiées au début de son siècle, d'abord à la Revue blanche, puis au Gil Blas, puis encore ailleurs mais j'ai oublié où, Claude Debussy se montre armé d'une plume volontiers sarcastique et nanti d'un jugement pour le moins tranché. Le revers de la médaille est que l'ironie est tellement répandue entre ses paragraphes que, quand il fait des compliments à tel chef d'orchestre ou loue le morceau de tel compositeur, on se demande toujours à quel degré il faut prendre les lauriers qu'il distribue, au premier ou au second. 

Pour donner une idée de sa manière, voici ce qu'il dit d'un certain Émile Sauer dont, en mars 1903, le Concert Lamoureux vient de donner un concerto pour piano et orchestre : « Cet homme qui n'a pourtant pas l'air méchant a le concerto sans pitié ; par un artifice diabolique, il paraît devoir finir, mais il recommence des petites choses folles, pas gaies du tout, où, de temps en temps, intervient une valse infernale, pendant laquelle M. Émile Sauer projette des mains d'escamoteur, de façon à inquiéter les araignées mélomanes du plafond. Notez qu'il joue fort bien du piano, qu'il a une autorité incontestable sur les diverses façons de faire les gammes ; pourquoi se croit-il obligé d'écrire des concertos ? Est-ce la conséquence d'un vœu ? Ou bien est-il né comme cela ? » 

Par moment, on songe à Paul Léautaud, quand il revêtait l'habit  critique de Maurice Boissard, même si Debussy n'a tout de même pas son aisance de style ni son goût parfait en la matière.