jeudi 29 août 2019

Procès en laudation

Anthony Trollope, 1815 – 1882

Si vous ne connaissez pas Anthony Trollope, ce qui était encore mon cas voilà quelques semaines (merci au Père B. pour m'avoir incité à sa découverte), vous devriez vous précipiter sur ses romans, sans vouloir vous commander. Il en a écrit beaucoup, ce Victorien malicieux, parfois caustique, mais peu ont été traduits, et on les trouve principalement d'occasion. À mon avis, il peut sans difficulté, dans la littérature anglaise du XIXe siècle, prendre toute sa place auprès de Dickens et de Thackeray, pour ne parler que de ses stricts contemporains. D'ailleurs, il ne m'a pas attendu pour l'occuper, je crois. Le roman par lequel je l'ai découvert s'intitule Les Tours de Barchester : livre foisonnant, drôle, assez mordant, sarcastique et néanmoins bienveillant, mettant essentiellement aux prises les hommes d'Église (anglicane, l'Église, ce qui nous vaut quelques portraits d'épouses, de fiancées, etc. plutôt croquignolets) d'une ville imaginaire, leurs manœuvres pour conquérir de minuscules pouvoirs ou le cœur et la main de jeunes filles convenablement dotées, voire de veuves encore attrayantes. 

J'ai enchaîné presque directement sur un autre copieux roman du même : Quelle époque ! (en v.o. : The Way We Live Now). Cette fois, nous plongeons dans les milieux politiques, financiers, aristocratiques de Londres et du Suffolk. On y trouve un lacis d'intrigues diverses et pourtant liées, des portraits savoureux… et toujours des jeunes filles et des dots, ainsi que – ça va ensemble – de jeunes lords désargentés, souvent joueurs et alcooliques, ceci expliquant en partie cela. C'est sans doute par ce roman-ci que je conseillerais pour l'instant d'aborder Trollope. Je dis “pour l'instant” car j'ai demandé à Herr Momox de m'en expédier trois autres, et il n'est pas impossible que, dans ceux-là, se trouve une perle encore plus rare.

À la page 362 de l'édition Fayard, Trollope lance une idée que j'ai trouvée judicieuse. Nous sommes au beau milieu d'une campagne électorale : il s'agit d'élire et d'envoyer aux Communes le nouveau député de Westminster. L'un des candidats, qui est aussi le personnage pivot du roman, Mr Melmotte, est un financier richissime, ou s'affichant tel, d'extraction incertaine, qui s'est lancé dans la campagne avec tout le poids de ses relations et de l'argent qu'il manie. Il me fait un peu penser à Robert Hersant lorsqu'il tentait de devenir député de Neuilly, en 1978, et que, malgré son argent et l'artillerie lourde de ses journaux, il s'était fait renvoyer dans le mur par la très aristocratique Florence d'Harcourt. Dans le roman, un journal se lance dans une contre-campagne systématique, destinée à barrer la route au “nouveau riche”, avec tous les risques de procès en diffamation que cela pourrait entraîner. Et, à cette occasion, Trollope fait la remarque suivante, à laquelle je voulais venir :

« On n'a jamais traîné devant les tribunaux […] un propriétaire ou un rédacteur en chef de journal parce qu'il a attribué une dimension quasi divine à un très médiocre spécimen de l'humanité mortelle. On n'a jamais réclamé des dommages et intérêts à un homme, parce qu'il a attribué à quelqu'un des mobiles nobles. Ce serait peut-être bon pour la politique, pour la littérature, pour l'art – et pour la vérité en général, s'il était possible de le faire. »

Je ne sais pas si ce serait bon, mais je suis sûr que ce serait hautement réjouissant. On pourrait appeler cela des procès en laudation, qui fonctionneraient selon le même principe que leurs frères en diffamation, mais en situation inversée. C'est ainsi, par exemple, que l'on verrait traîner devant les tribunaux – on pourrait même créer une chambre correctionnelle spécialement à cet effet – un journaliste qui aurait écrit que M. Balkany est un homme politique désintéressé, se souciant uniquement du bien de ses administrés. Il serait tôt rejoint par un imprudent animateur de télévision ayant affirmé que tel ou tel imam de banlieue parisienne est un homme de tolérance et de paix, etc. Cela reviendrait, au fond, à compléter les procès contre des phobies de plus en plus nombreuses par des condamnations pour philies ô combien rafraîchissantes.

Je vous laisse méditer sur cette joyeuse perspective, sur ces lendemains rigolards. En attendant, lisez Anthony Trollope, vous vous en trouverez bien.

mardi 20 août 2019

Le caviar à la brouette


Il y a quelques jours de cela, sous un billet particulièrement échevelé qu'elle venait de publier à propos du féminicide, ce nouveau cheval à bascule de nos sœurs de combat, je laissais à la très-charmante Élodie un commentaire qui se voulait en bonne partie humoristique. C'était une façon comme une autre de lui montrer que j'étais passé par chez elle, si on veut, et je crois bien qu'elle l'a pris ainsi. Là-dessus, surgit un énergumène congestionné qui, à son tour, laisse le commentaire suivant, adressé directement à la maîtresse des lieux :

« On se demande pourquoi vous répondez à ce gros beauf enfariné, tortillant son gros cul merdeux, qu'est ce Goux dégoûtant. Ce con mérite à minima le mépris, au pire un crachat sa sale gueule de pédant. »

En tant que pédant estampillé, je me suis empressé de signaler à l'éructant énervé que dans l'expression a minima, il ne fallait pas mettre d'accent sur l'a. Mais ce n'est pas mon objet. Ce qui m'a fasciné (enfin, n'exagérons rien…), c'est de constater, une fois de plus, à quel point certaines créatures, d'un ordre probablement inférieur, mais je ne suis pas zoologue, ignorent tout du maniement de l'injure, de l'insulte, de l'épithète infamante, etc. Et, de ce fait, sont capables, par leur maladresse, de les rendre tout à fait inoffensives. Ils sont inaptes à voir que les insultes sont comme des perles, qui ne prennent tout leur éclat que solitaires et soigneusement serties : l'accumulation sans mesure les affadit, éteint leurs couleurs, brouille leurs reflets, finit par les rendre aussi indiscernables que de vulgaires cailloux. C'est comme d'ajouter dix litres d'eau à trente centilitres d'un grand cru, dans l'espoir d'obtenir davantage de vin et donc d'ivresse : on ne multiplie, à boire le mélange, que les envies de pisser.

Il y a même des effets franchement négatifs : on s'est imaginé cracheur de venin et l'on n'a, au bout du compte, rien fait d'autre que dégobiller sur son propre plastron. Simplement parce que l'olibrius a confondu la richesse et l'excès, ce qui arrive souvent aux esprits rudimentaires. Or, l'excès juge celui qui s'y adonne, de manière souvent implacable et irréversible. Si vous vous présentez chez des amis et leur tendez une jolie boîte de caviar (attention à ne pas rompre la chaîne du froid, malheureux !), vous passerez pour un hôte raffiné. Mais si, empoigné par l'hubris, vous déversez sur leur paillasson une pleine brouette de grains de beluga, il y a grand risque que l'on vous tire longue figure.

Mais allez donc faire comprendre ce genre de subtilité byzantine à un hominidé ne sachant même pas écrire a minima

jeudi 15 août 2019

Puisque nous sommes au jour de Marie…


Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C’est la maclotte qui sautille
Toute les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie

Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu’elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux

Les brebis s’en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d’argent
Des soldats passent et que n’ai-je
Un cœur à moi ce cœur changeant
Changeant et puis encor que sais-je

Sais-je où s’en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l’automne
Que jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s’écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine

dimanche 11 août 2019

De l'ignominie communiste en période de libération


D'anti-allemand et anti-pétainiste qu'il était durant toute la guerre, le journal de Jean Galtier-Boissière devient, dès la Libération, d'un anti-communisme d'autant plus efficace qu'il est toujours d'une ironie cinglante. Toute personne idéalisant encore les FFI (les fifis) et continuant de vouer un culte à tous les ignobles personnages du PCF, les Thorez, les Duclos, les Aragon, et tant d'autres dont les noms ne méritent pas de ressortir des poubelles de l'histoire où ils sont enfouis, tous ces naïfs (au mieux) et crétins (au pire) se devraient de lire ce journal. Ils verraient, au jour le jour et suivant des faits bien précis, jusqu'à quel degré d'ignominie sont descendus les communistes. Là encore, je parle des dirigeants communistes, et non de l'immense troupeau d'imbéciles qui les suivaient sans piper, décervelés qu'ils étaient par une propagande de tous les instants, honteuse, grossière mais très efficace sur leurs esprits faiblards. Ils verraient, ces lecteurs, à quel point fut troublant (et parfaitement mis en lumière par Galtier) le parallélisme entre les méthodes de l'occupant nazi, pour étouffer toute velléité de contestation, et celles du “parti de la Résistance” visant exactement au même but. Et, accessoirement, à faire oublier, dans le tintamarre de ses surenchères, son engagement “collabo” entre septembre 1939 et juin 1941.

Jean Galtier-Boissière, Journal 1940 – 1950, Quai Voltaire, 1077 p. 

samedi 10 août 2019

Palinodies sabbatiques


Depuis quelques jours, le dénommé Guy-Alain Bembelly, alias le Lyonnais exotique, affiche en tête de son blog un tableau d'André Derain ; qu'il accompagne d'une dizaine de lignes prétentieuses et amphigouriques, comme c'est son habitude. Je m'étonne beaucoup de son choix, lui si chatouilleux de la déviance idéologique, si fin détecteur de la plus légère nauséabonderie : personne ne lui a dit que son peintre élu avait, à l'automne 1941, fait partie du tristement célèbre “voyage à Berlin” ? Ni que le même artiste avait, quelques mois plus tard, en juin 1942, été invité à la réception parisienne donnée en l'honneur d'Arno Breker, le sculpteur favori de Hitler, et qu'on l'y avait vu, tout sourire, entouré d'inaltérables démocrates tels que Brasillach, Luchaire ou Déat, toute cette petite bande évoluant sous le regard attendri d'Otto Abetz ? 

Ou bien, en mettant ainsi Derain à l'honneur, notre bon petit gone de la Croix-Rousse n'aurait-il fait que laisser enfin, à son esprit défendant, s'exprimer d'informulées fascinations fascistes qui le tarauderaient depuis toujours, des pulsions de désir inconscientes envers la grande épopée nazie qui n'en pourraient plus de mijoter sous le couvercle progressiste ? Je me demande s'il ne faudrait pas transmettre tout de suite ce dossier explosif et vaguement méphitique au camarade Roland P., alias Gauche de combat, alias d'alias Adolfo Ramirez : lui saura sûrement quoi faire. Non, parce que, si on ne réagit pas tout de suite et énergiquement, dans trois semaines, le mal gagnant, on aura droit, entre Bellecour et Terreaux, à la grande rétrospective Léni Riefenstahl : ça fout un peu la trouille.

jeudi 8 août 2019

Charlus II et Nicolas 1er :


 En version posée…



… et façon selfie !

mercredi 7 août 2019

Tout pour le tsar


Je vais récupérer Nicolas 1er, tsar breton du Kremlin-Bicêtre, à la gare de Vernon, à six heures moins le quart, pour peu que la SNCF respecte ses engagements horaires. Tout est en ordre pour le recevoir selon son rang : bière et vins blancs sont au frigo, les fromages en vont sortir bientôt, la blanquette de veau n'attend plus que d'être doucement mise à réchauffer, le tiramisu est prêt. En outre, j'ai fait disparaître les mouches mortes jonchant les parquets, de manière à ce que l'hôte n'ait pas l'impression d'être reçu dans une bauge. J'ai même ramassé les merdes de Charlus ponctuant le jardin, bien que l'auguste visiteur ne soit guère du genre à aller spontanément gambader dans l'herbe. Il était au départ question qu'il nous arrive flanqué de son garde du corps nègre, mais celui-ci s'est honteusement défilé : il y a des remises en esclavage qui se perdent. Enfin : pour n'être que tripartite, la conférence promet d'être tout de même joyeuse, avinée, calorique et volubile.

lundi 5 août 2019

Une famille des années 60…


Ma sœur Isabelle étant née en décembre 1964, j'en déduis que cette photo – dont je me souviens parfaitement : mon père était tout fier de son nouvel appareil qui possédait ce qu'on appelle, je crois, un “déclencheur à distance”, ou “différé” ; enfin, on voit ce que je veux dire –, que cette photo, donc, a été prise au tout début de 1965, vu le très jeune âge de la benjamine, dans les bras de notre mère. Je suis assis au centre, très reconnaissable grâce aux bretelles. Philippe se croise les bras, sans doute pour se faire passer pour plus sérieux qu'il n'est, ou bien parce qu'il s'est cru dans une photo de classe. Quant à mon père, son sourire un peu crispé s'explique par le fait qu'il lui fallait se dépêcher de s'installer, son cadet dans le giron, avant que le déclencheur automatique fasse son office. C'était à Lahr, Allemagne, et nous avions, tous, la vie devant nous.

jeudi 1 août 2019

D'un journal à l'autre


Il fut l'hôte permanent de ce mois de juillet.