mercredi 4 décembre 2024

Tout est au duc ou Les mémoires interrompus


 Je viens de tirer d'une très longue léthargie le premier tome des Mémoires du duc de Saint-Simon, Louis de Rouvroy pour les intimes : voilà une grosse quarantaine d'années qu'il est en ma possession, et il ne… Mais je sens qu'il me faut reprendre toute l'affaire depuis le début.

En 1975, tricentenaire de la naissance du vidame de Chartres et futur duc de Saint-Simon, une édition reprenant celle de Boislisle — elle-même mise en chantier peu après le bicentenaire de la dite naissance — avait été proposée à la convoitise des saint-simoniens frustrés ; au nombre desquels je n'avais encore jamais songé à me compter. Édition en 25 très beaux volumes et limitée à 3000 collections, acquérables par souscription.

C'est monsieur Pain, le démiurge de la librairie “Variétés” de Neuilly, qui me proposa un jour, au début des années quatre-vingt, de devenir l'un de ces trois mille. Il me suffirait pour cela, me fit-il miroiter, d'acheter le premier volume, de payer en même temps les deux derniers, à titre de garantie, puis d'acquérir les 22 volumes intermédiaires à raison d'un par mois. Comme la proposition était parfaitement déraisonnable, notamment à cause du prix relativement élevé de ces livres — surtout en regard de mon salaire de l'époque —, je souscrivis sans hésiter et me retrouvai ainsi l'heureux possesseur, largement virtuel encore, de la collection n° 705. Le mois suivant, j'achetai le second tome, puis le troisième trente jours plus tard, puis le quatrième, puis...

Puis plus rien. Je me suis arrêté là. Pourquoi ? Disons, pour faire bref : par imbécilité de jeunesse ; ou par inconséquence d'ivrogne ; ou l'inverse. J'ai d'abord laissé passer un mois, pour cause de situation financière vraiment épineuse ; puis un deuxième, vu que je n'avais rien fait pour redresser entre-temps les comptes de la nation, puis encore un autre... et comme cela jusqu'à la fermeture définitive des “Variétés” de M. Pain. Sur le moment, je crois n'en avoir eu aucun regret, même pas celui des tomes 24 et 25 que j'avais payés d'avance et que je n'ai jamais eus. Ce n'est que beaucoup plus tard, tout récemment même, que, racontant cela à Michel Desgranges, il m'a fait sentir, sans même me dire rien, combien j'avais été léger et inconséquent et sot en cette affaire. Surtout lorsqu'il m'a renseigné sur les prix qu'atteignent aujourd'hui les collections complètes de cette édition du tricentenaire...

Cela dit, pourquoi regretter mon non-achat, dans la mesure où je n'ai même jamais lu les quatre volumes en ma possession, me contentant au fil des années de quelques “coups de sonde” assez paresseux dans ces fameux mémoires que, finalement je ne connais pas, ou si peu, ou si mal ? Même si, de chacune de ces plongées brèves, je ressortais ébloui par cette langue sancta-simonienne, tressautante, vibrante, obscure parfois mais crépitante d'éclairs ; une langue ne ressemblant à rien qu'à elle-même, et comme tombée d'une planète non encore découverte. Il n'empêche que, chaque fois, j'abandonnais très vite ce pauvre duc fertois.

Mais alors, mais alors… pourquoi en avoir rouvert le tome premier tout à l'heure ? Je serais infoutu de le dire. Ça fait partie, sans doute, de ces envies fugacissimes qui nous traversent régulièrement le cerveau sans s'y arrêter — mais qui parfois s'y arrêtent, la preuve.

Il reste maintenant à espérer, pour les finances conjugales, que je ne me prenne pas d'une passion aussi dévorante que sénile pour Saint-Simon. Car alors, parvenu au bout des quatre volumes qui dorment dans la Case, il faudra bien que j'achète le reste. Oh ! Pas dans l'édition Boislisles du tricentenaire, non ! Je ne suis pas, ou plus, auto-munificent à ce point. Mais même en “simples” volumes de la Pléiade, ça risque de me coûter chaud...

Quel crétin il a été, quand j'y repense, ce jeune Didier Goux de 1982 ou 3 ! Il aurait pu penser à moi, quand même…

dimanche 1 décembre 2024

Plaine, ô mon immense plaine


 En novembre, nous fûmes soviétiques en diable.

dimanche 24 novembre 2024

La nécropole Léautaud


 Depuis deux ou trois semaines, je termine mes après-midi avec Paul Léautaud, c'est-à-dire avec son Journal littéraire, lecture qui se marie parfaitement avec la tombée du jour. Ce n'est pas ma première relecture, il s'en faut. Mais chaque fois, la surprise est intacte, de constater à quel point tout est encore intensément vivant dans ces presque sept mille pages bien tassées.

Le journal est vivant, mais que de morts on y croise ! Je ne parle pas des disparus de corps : ils le sont évidemment tous. Je parle des morts littéraires. De tous ces gens de lettres devenus armée des ombres. Certains sont encore vaguement connus de nom. D'autre même pas, qui n'existent plus que par un fil : celui, justement, qui les relie à ce journal léautaldien. Pourtant, tous ont écrit et publié ; ils ont eu des ambitions, se sont agités, poussés, autopromus ; ils ont obtenu des prix, des médailles, des prébendes, parfois même des ambassades. Et que reste-t-il d'eux ?

Lors de cette nouvelle relecture, j'ai pris une nouvelle habitude : chaque fois qu'apparaît entre les pages l'un de ces fantômes, je demande à Dame Ternette de me renseigner sur sa situation, de me fournir en quelque sorte ses états de service. Quatre fois sur cinq, sa réponse est un couperet : gloire et renom sont tombés en poussière, poussière elle-même invisible, et aucun des multiples livres de l'écrivain visé par ma recherche n'a été réédité depuis sa mort physique. Pas un. Parfois, on trouve tout de même certains de leurs ouvrages dans des éditions séculaires, comme cryogénisés dans l'une ou l'autre des nombreuses catacombes de l'occasion qui se sont creusées à notre époque. Mais qui pour les décongeler et les lire ?

C'est ainsi que ce journal, si vivant en lui-même, se met à prendre des allures de cimetière à gens de plume. Ses trois tomes sont des stèles et ses pages une nécropole. La nécropole Léautaud, du nom de son intuable gardien. Voici ce que j'en disais en 2015, lors d'une précédente relecture : 

Enchantement intact ! Chaque paragraphe y déborde de vie, le quartier de l'Odéon s'anime, les rues de Paris s'emplissent de cris, d'odeurs, du bruit des voitures à chevaux, des appels des marchands ; on croise Vallette et Gourmont, Rachilde et Van Bever, Charles-Louis Philippe ou Paul Valéry, Apollinaire et Carco, Gide, Gallimard et Paulhan ; eux aussi vivent leur existence à pleine force ; un monde entier, géographiquement restreint certes, sort tout bruissant de ces pages, donnant l'impression au lecteur qu'il lui suffirait de quitter son fauteuil et de faire un pas en avant pour y pénétrer physiquement et sans retour. 


Et puis, bien sûr, il y a Léautaud lui-même, courtois et emporté, sarcastique et timide, provocateur fleur bleue (comme il me haïrait pour le traiter ainsi !), vivant, grognant, riant, écrivant pour se demander s'il doit écrire, s'examinant sans complaisance, se soupesant au juste poids, uniquement préoccupé de soi mais ne laissant rien échapper du monde alentour, tiraillé entre la femme de chair qui l'encombre et les filles fantômes qu'il ne cesse de ramener du passé pour soupirer après elles ; Léautaud irritant et touchant, Léautaud écrivain de belle race, Léautaud gentilhomme égaré dans son siècle comme il l'aurait été en d'autres.
 
Car il y a tout de même, en effet, d'autres encore-vivants que l'auteur, dans ce journal ; et qui, parfois, vivent davantage ici que dans leurs propres œuvres. Contradictoire ? Mais ce journal vit en grande partie de ses contradictions, c'est peut-être la plus précieuse partie de son charme !

J'avais en tête encore d'autres choses à noter ici ; des choses essentielles, évidemment, comme toutes celles que finalement on n'écrit pas. Mais voici qu'approche l'heure d'aller nourrir le chien. Et s'il y a une personne qui ne me pardonnerait pas le moindre retard de gamelle, la plus courte rétention de croquettes, c'est bien Léautaud.

jeudi 21 novembre 2024

La yourte au chat


 Autant l'avouer : quand Catherine a fait l'acquisition de cette espèce d'abri pour félins sans-papiers, j'étais un peu sceptique quant à son attrait sur Petit Loup. Comme pour me donner raison, il l'a d'abord ostensiblement négligé, en ressortant en toute hâte dès que Catherine l'y installait, dédaignant ostensiblement les pièges qu'elle ourdissait pour l'y attirer.

Finalement, sur un coup de tête dont il serait vain de chercher à déterminer les puissants ressorts, le chat a décidé que cette sorte de yourte mongole serait dorénavant à lui, chez lui, et il est allé s'y installer sans que l'on ait besoin de l'en prier.

C'est moi qui ai décidé que ce cocon pelucheux serait une yourte. J'ai bien fait : depuis neuf heures ce matin, il neige sur le Plessis ; assez dru, même s'il serait sans doute exagéré de parler de “peaux de lapins”. Disons des peaux de hamsters et n'en parlons plus. En tout cas, ce n'est pas ce temps ouaté qui risque d'inciter Petit Loup à mettre le museau dehors.

mercredi 13 novembre 2024

Un dernier écho, puis le silence


 J'ai bien fait d'ouvrir La Fin de l'homme rouge de Svetlana Alexievitch juste après en avoir fini avec Les Chuchoteurs d'Orlando Figes : s'ils sont très différents de conception et d'écriture, ces deux livres remarquables ressortissent malgré tout au même genre, que j'appellerai faute de mieux la “littérature de temoignage(s)”. 

Il s'agit, dans les deux cas, d'aller au devant de ces fameuses et difficilement saisissables “vraies gens”, afin de les faire parler d'eux-mêmes avant qu'ils ne disparaissent, de tenter de comprendre quel regard ils portent sur leur propre vie et sur l'époque où le hasard les a fait naître. De plus, il se trouve que les deux livres se font plus ou moins suite chronologiquement, celui de Figes couvrant la période allant du coup d'État léniniste jusqu'au “dégel” khrouchtchevien, tandis que celui de Mme Alexievitch débute avec l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev, mais enrichi par de nombreux “coups de sonde” dans la préhistoire brejnévienne, voire stalinienne.

Enfin, ces deux livres “soviétiques” peuvent également être rattachés à celui de Daniel Mendelsohn, Les Disparus, qui, lui aussi, ô combien, était une sorte de corps à corps avec la mémoire des encore vivants et l'ombre ténue mais tenace des sacrifiés.

lundi 11 novembre 2024

Pensées impies


  Je me demandais tout à l'heure pourquoi le 11 novembre continuait à être jour férié, alors qu'il ne reste aucun ancien combattant vivant de la Première Guerre, et ce depuis déjà quelques années. À qui rend-on désormais hommage ? On me dira qu'il est bon, pour l'édification de nos chères têtes crépues, de perpétuer le souvenir de bla bla bla. Certes. Mais, à ce compte-là, pourquoi ne pas décréter férié le 27 juillet en mémoire de Bouvines, le 14 septembre pour commémorer Marignan, et ainsi de suite ?

La question, d'ailleurs, ne devrait pas tarder à se poser aussi pour la Seconde Guerre, les plus jeunes de ses rares anciens combattants survivants — deux ou trois mille à peine — devant désormais frôler le centenariat. D'autant plus que, à la victoire finale contre l'Allemagne nazie, la France n'a pris qu'une part infime, en dépit des gesticulations d'un de Gaulle.

On viendra m'objecter que l'on persiste bien à ne point travailler le 25 décembre, afin de célébrer une naissance s'étant produite il y a plus de deux millénaires. Mais quand toutes les raisons de célébrer Noël viendraient à s'évanouir, il en resterait toujours au moins une, et non des moins agissantes : celle d'emmerder jusqu'à la gauche nos islamolâtres-sous-X.

Plaisir qui, à l'instar du Paris des âges anciens, vaut bien une messe.

vendredi 8 novembre 2024

L'Amérique en trans


 Les inondations espagnoles sont un aimable pipi de chat, à côté du raz-de-marée à mèche blonde qui a déjà commencé à ravager l'Amérique. Il faut s'attendre à du pogrom et du meurtre de masse comme s'il en neigeait. Déjà, désespérément plus lucides que vous et moi, certains s'y préparent, en tirant toutes les sonnettes d'alarme leur passant à portée de phalanges. Ainsi, tel ravagé-sous-X :

« si vous ne suivez pas beaucoup de personnes trans, sachez que nous on a passé la journée à voir les trans américain-es de notre tl se demander s'iels avaient d'autre choix que de détransitionner ou se tuer. c'est là qu'on est. »

Je ne suis pas trop expert en détransitionnement, je le reconnais. Mais, pour ce qui est de se tuer, c'est parfaitement inutile : chacun sait bien que, dès le 21 janvier de l'année qui menace — ou à la rigueur le 22 si le 21 tombe un dimanche — L'Attila-à-la-houppe va envoyer ses armées dans toutes les villes américaines afin qu'elles massacrent tous les dégenrés à la mitrailleuse lourde. En incendiant au passage toutes les officines avortifères.

C'est pour tenter de s'armer contre ces horreurs se profilant que l'université de Harvard, comme me le signalait il y a un instant un mien et jubilant ami, vient de décider la suspension de certains cours, afin de permettre à ses étudiant.es de surmonter leur traumatisme électoral.

J'ai peur que la mesure ne suffise point. Et je sais bien que, si j'étais moi-même étudiant à Harvard en ces temps de cauchemar, je songerais sérieusement à me désétudiantiser dare-dare. Je n'hésite pas à le proclamer à son de trompe.

C'est là qu'on est.

vendredi 1 novembre 2024

De divers voyages vers l'Est

Daniel Mendelsohn, 1960 — 20..

 Cet homme nous aura beaucoup promenés en octobre.

dimanche 27 octobre 2024

Préparez vos mouchoirs !

 

Catherine a beau disposer à l'envers ses boîtes de kleenex, Petit Loup a très vite compris qu'il était facile de les retourner d'un coup de patte pour, ensuite, se livrer à sa passion dominante : en extraire un voire plusieurs tire-jus et les emporter entre ses mâchoires pour aller les déchiqueter un peu partout dans la maison.

C'est sans doute pour cela que j'ai moins la cote que Catherine auprès de lui : je n'utilise que des mouchoirs en tissu…

mercredi 16 octobre 2024

Tempête sous un crâne approximatif

Jacob Wassermann (1873 — 1934), écrivain ostracisé.
 

Voilà ce qui arrive, quand on prétend faire des économies de bouts de chandelles, dont on pourrait, en outre, se dispenser sans la moindre douleur budgétaire. Sur l'amicale incitation de Me Rosalie, experte en bizarreries (voir ma blogoliste, à gauche), j'ai acheté récemment L'Affaire Maurizius de Jacob Wassermann, écrivain juif allemand dont j'ignorais — honte sur moi pour sept générations — jusqu'à l'existence.

J'étais fort satisfait d'avoir trouvé un exemplaire du roman pour une somme ridicule, deux ou trois euros : quelle bonne affaire je réalisais là ! quelles savoureuses et longues heures de lecture pour le prix de deux ou trois baguettes, même pas “tradition” !

Las… Ce que j'ai reçu — j'aurais pu et dû m'en aviser au moment de la commande —, c'est un livre de poche aux pages jaunies par les années, le volume étant sorti des presses à peu près dans le temps où, résigné, fataliste, je quittais les entrailles de ma mère ; et les caractères en étaient si minuscules et tassés qu'après une soixantaine de pages péniblement lues, j'ai bien dû m'avouer vaincu et jeter l'éponge — ou plutôt le livre.

Il ne me reste, asteure, qu'une alternative : racheter le roman de Herr Wassermann, cet écrivain que je viens de méchamment ostraciser, stigmatiser, invisibiliser, tout ce qu'on voudra, par le truchement de la poubelle jaune — jaune comme l'étoile que sa mort judicieusement précoce l'a empêché de porter —, dans une édition meilleure, et donc probablement plus coûteuse ; ou bien renoncer à sa lecture.

Au moment de cliquer sur “publier”, aucune décision irréversible n'a encore été prise...

samedi 12 octobre 2024

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau

 

Parlant des millions de morts provoquées tant par Hitler que par Staline et Pol Pot, Daniel Mendelsohn évoque vers la fin de son extraordinaire livre (1) “les pensées qui ne seront jamais pensées, les découvertes qui ne seront jamais faites, l'art qui ne sera jamais créé”.

Pour l'art et les pensées, nous sommes d'accord. Mais je crois qu'il se trompe pour ce qui est des “découvertes” ; lesquelles seront, elles, nécesssairement faites ultérieurement par quelqu'un d'autre. Car on ne peut découvrir que ce qui est pré-existant. L'objet d'une découverte est toujours déjà là, comme dirait l'autre. 

Ainsi, avant même la naissance d'Einstein, et depuis la plus haute Antiquité, l'énergie de masse était déjà égale au produit de cette masse dans un référentiel par le carré de la vitesse de la lumière dans le vide. Et, donc, si Albert était malencontreusement tombé dans le Danube, ou la Blau, ou l'Iller vers 1885, par exemple, un autre physicien aurait fini par établir que E vaut MC2, et vice-versa. 

En revanche, Rembrandt succombant à une quelconque fièvre puerpérale à cause de l'humidité malsaine des canaux amstellodamois, personne, jamais, n'aurait peint la Ronde de nuit. Ce qui aurait été une perte sèche pour le Rijksmuseum. 

De même, si le petit Marcel s'était étouffé avec sa madeleine en mangeant comme un goinfre, nul n'aurait, à sa place, écrit À la recherche du temps perdu — et les boulangers-pâtissiers d'Illiers (qui ne serait pas devenu Illiers-Combray en 1971) ne pourraient que pleurer leur manque à gagner.

À moins qu'ils ne se soient décidés à vendre des macarons.

(1) Daniel Mendelsohn, Les Disparus, Flammarion, 650 p.

samedi 5 octobre 2024

Petit billet franchement librairophobe


 Il n'empêche : si l'on m'avait dit, il y a seulement une quinzaine d'années, qu'un jour j'achèterais la plupart de mes livres à une société allemande par l'intermédiaire d'une entreprise japonaise, et tout ça sans même soulever le cul de mon fauteuil, je crois que j'aurais eu un certain mal à le croire.

D'un autre côté, je suis plutôt content de ne plus rapporter le moindre liard aux “petits libraires” qui, de plus en plus — mais je sais qu'il subsiste d'héroïques exceptions —, se comportent comme de minuscules idéologues à la mords-moi-la-nouille, prétendant décider à la place de leurs malheureux clients de ce qu'ils peuvent lire et de ce qu'ils doivent fuir avec des moues de dégoût, des livres fréquentables et de ceux qui mériteraient le bûcher ou, à défaut, le plus épais et gluant silence : qu'ils crèvent.

Vivent Herr Momox et Rakuten-san, bon sang !

mardi 1 octobre 2024

Septembre, mois judéo-centré

 


 En septembre, les Juifs ont envahi le Plessis-Hébert  

comme une vulgaire bande de Gaza…

vendredi 27 septembre 2024

Surtout, ne dites rien à GdV !

Allant faire quelques emplettes tout à l'heure, nous avons croisé, au bas de la côte de la déchèterie, un camion qui arborait sur ses flancs l'inscription suivante : SAS Trans — mais moins impressionnant que celui de la photo ci-dessus.

Je me suis dit in petto (je m'adresse régulièrement à moi-même de cette manière) que ce pauvre Gérard de Villiers était mort à temps pour ne pas connaître une pareille horreur : voir son fier et viril prince Malko Linge muter brusquement en une vulgaire Malka Lingette, probablement maquillée comme un char de gay pride, lui aurait à coup sûr causé un choc irrémédiable.

mercredi 25 septembre 2024

Mémoires d'outre-futur

 

Au printemps 1792, retour d'Amérique, Chateaubriand redécouvre Paris après un an d'absence. Voici le souvenir qu'il en gardait encore trente ans plus tard, écrivant ses Mémoires d'outre-tombe :

« Tandis que la tragédie rougissait les rues, la bergerie florissait au théâtre ; il n'était question que d'innocents pasteurs et de virginales pastourelles : champs, ruisseaux, prairies, moutons, colombes, âge d'or sous le chaume, revivaient aux soupirs du pipeau devant les roucoulants Tircis et les naïves tricoteuses qui sortaient du spectacle de la guillotine. [...] Les Conventionnels se piquaient d'être les plus bénins des hommes : bons pères, bons fils, bons maris, ils menaient promener les petits enfants ; ils leur servaient de nourrices ; ils pleuraient de tendresse à leurs simples jeux ; ils prenaient doucement dans leurs bras ces petits agneaux, afin de leur montrer le dada des charrettes qui conduisaient  les victimes au supplice. Ils chantaient la nature, la paix, la pitié, la bienfaisance, la candeur, les vertus domestiques ; ces béats de philanthropie faisaient couper le cou à leurs voisins avec une extrême sensibilité, pour le plus grand bonheur de l'espèce humaine. »

Comment un homme mort depuis près de deux cents ans a-t-il fait pour voir et comprendre aussi bien notre merveilleux début de XXIe siècle ? Quel est ce prodige ?
 
Car enfin, je ne rêve pas : on les rencontre un peu partout, ces tricoteuses qui, dames de charité durant le jour, réclament à grands cris le couperet virilicide dès qu'elles retrouvent leur clavier vespéral.
 
Ils sont à chaque carrefour, ces “plus bénins des hommes”, déconstruits à s'en pisser parmi, heureux d'être transformés en nourrice, s'attendrissant à toute niaiserie, mais qui, à la moindre moquerie, au plus petit sourire en coin, exigent envers l'insolent “le bâillon pour la bouche et pour la main le clou”.
 
Et ce sont bien ceux-là, non ?, que le bonheur futur de l'espèce humaine, dont ils sont certains d'être les bâtisseurs, fait éructer de menaces et baver d'anathèmes.
 
Enfin, quelle peut être cette diable d'époque où le sang coule dans les rues, tandis que s'étale sur les scènes subventionnées et les écrans désertés le doucereux catéchisme d'une fraternité d'autant plus contrainte qu'elle est plus bêlante ?
 
 

vendredi 20 septembre 2024

Le Nazi et le Barbier

Edgar Hilsenrath, 1926 — 2018.

 Malgré ce que le béret pourrait incliner à croire, Edgar Hilsenrath n'était nullement français mais allemand ; juif de surcroît et, durant un temps, pensionnaire obligé de divers ghettos. Ce fut aussi un écrivain, ce qui explique qu'il resurgisse ici.

Très curieux roman que Le Nazi et le Barbier, où le macabre et le burlesque sont intimement liés, où la farce et l'horrible forment un mélange parfait, mais où l'insupportable est tempéré par l'exagération volontaire. C'est ainsi que le narrateur se fait enculer par l'amant de sa mère — lequel est doté d'une bite énorme — alors qu'il est âgé d'à peine une semaine. Plus loin, on rencontre une quinquagénaire allemande, affligée d'une jambe de bois, que les Russes, au moment de la prise de Berlin en 1945, ont violée 59 fois.

Ce narrateur, Max Schultz, n'est pas qu'une victime, loin s'en faut. Fils d'une putain aryenne “de souche”, on le voit s'engager dans la SS et devenir exterminateur dans un camp de la mort, où il massacre sans hésiter plus que cela Itzig Finkelstein, son ami d'enfance, juif indiscutable mais au physique de parfait aryen, tandis que son bourreau, lui, ressemble par une incompréhensible ironie génétique à une caricature de youpin publiée dans le Völkischer Beobachter.

Ce faciès outrancièrement typé va être sa chance ; ou, disons, sa planche de salut : en 45, à l'écroulement de ce Reich qu'il a servi avec zèle et conscience, Max Schulz endosse l'identité de son ami tué par ses soins, après s'être fait déprépucer par un médecin complaisant, un ex-nazi compréhensif. Devenu juif par ce tour de passe-passe, il choisit fort logiquement d'émigrer en Palestine, où il  reprend son premier métier, coiffeur, et devient un intransigeant sioniste. La suite ? La fin ? Je ne sais pas : il m'en reste à lire.

Si j'ai écrit plus haut les mots “bite”, “enculer” et “youpin”, ce n'est pas par puéril désir de choquer les prudes ni les antiracistes de profession, mais parce que Hilsenrath lui-même manie une langue sans périphrase ni litote, une langue souvent verte et roide, qui tressaute et rebondit, un peu à l'image de son effrayant et pitoyable “héros”. Il y a, dans ces quatre cents et quelques pages, un peu de Rabelais et pas mal de Père Ubu : on s'y amuse beaucoup.

Mais enfin, il faut admettre que c'est plutôt une boisson d'homme.

jeudi 19 septembre 2024

Recette de la pintade au chat


Prenez deux bestioles de plusieurs livres.

Une fois que vous avez les ingrédients de base, 

le plus dur est fait.

Pour les proportions et les temps de cuisson… 

débrouillez-vous.

 

mercredi 18 septembre 2024

Loin d'où ?

 Claudio Magris a 85 ans, ce qui prouve bien que le temps passe, contrairement à ce que voudraient nous faire croire certains rêveurs pernicieux. De plus, il est italien, ce qui constitue un second motif de se réjouir. De lui, je ne connais qu'un livre, lu deux fois avec le même plaisir : Danube. Il s'agit d'une promenade ; ou d'un voyage ; ou d'une expédition, si l'on ne craint pas les mots qui ronflent un peu. L'important, est que nul autre que Magris, ce grand amoureux et connaisseur de la Mitteleuropa, ne nous sert de guide.

On tourne la première page pas très loin de Fribourg-en-Brisgau, à Donauschingen précisément, là que sort de terre la source du fleuve éponyme (et où je me souviens d'être allé avec mes parents, quelque part dans les années soixante), et quand on referme la dernière, on est au bord de la Mer Noire. Entre les deux, on a contemplé des paysages, on est entré dans des maisons, masures ou palais, on a découvert des peuplades, leur histoire et leurs histoires, on a goûté des cuisines locales. On a aussi, chemin faisant, fait la révérence devant Goethe, salué prudemment Kafka, adressé un petit signe fraternel à Joseph Roth puis à Élias Canetti, pris un verre ou deux avec le trio des roumains francisés : Mircéa Éliade, Panaït Istrati et Cioran. On n'a pas perdu son temps, à avaler ainsi les kilomètres ; ou, plutôt, on l'a perdu de la meilleure et plus agréable façon qui puisse être.

Revenu sur terre, je pensais en être quitte avec Claudio Magris.

Et voilà que, ce matin, m'étant plus ou moins perdu dans un lacis de chemins qui bifurquent, je me suis retrouvé à lire sa fiche ouiqui. Et que découvris-je ? Que mon Triestin — terroir qu'il possède en commun avec le merveilleux Italo Svevo que j'évoquais ici même il y a six ans — avait, à l'aube des années soixante-dix, consacré tout un livre à ce même Joseph Roth que l'on vient de laisser sur les bords du Danube, et à qui j'ai consacré plusieurs billets, que l'on retrouvera en tapant son nom dans la petite fenêtre idoine (juste à votre gauche, en levant un peu les yeux…).

Le titre de cet essai de jeunesse est celui que j'ai choisi à mon tour pour ce billet. Le sous-titre est : Joseph Roth et la tradition juive-orientale. Sortant de deux semaines passées dans la compagnie d'Isaac Bashevis Singer (lui aussi “chroniqué” dans ce blog), commander ce livre était évidemment un excellent moyen de ne pas quitter encore la dite tradition, qui exerce tant d'attraits sur ma goyesque personne.

Commande qui fut aussitôt passée.

mardi 17 septembre 2024

Y a-t-il un surineur zen dans la salle ?


 Quelque part en France, donc, un homme de 41 ans a, le week-end dernier, je ne sais déjà plus où, poignardé sa femme et ses deux filles. Le Parisien parle d'un “coup de folie”, ce que c'est à l'évidence. Mais une certaine Marianne Maximi, députée LFI, ne l'entend pas de cette oreille, et s'indigne sous X :

« Ce n'est pas un “coup de folie” mais un féminicide et de multiples infanticides. Mal nommer ces violences, c'est les réduire à des faits divers. Et en invisibiliser l'origine [...]. »

Sa première phrase est idiote, en ceci qu'elle ne dit absolument rien : des mots alignés machinalement, comme on est agité d'un tic nerveux irrépressible. Le fait que les victimes soient une femme et des enfants (les siens en plus !) n'exclue nullement que cet homme ait été pris d'un coup de folie : ce n'est pas l'un ou l'autre. Au contraire : on ne voit pas très bien comment notre manieur de lame aurait pu se livrer à une telle boucherie “familiale” en restant maître de lui-même et parfaitement serein : un genre de surineur zen, en quelque sorte.

Quant à la seconde phrase de notre insoumise en surchauffe, elle appellerait plutôt le rire sarcastique, si on avait l'esprit au sarcasme, ce qu'à Dieu ne plaise. Car “mal nommer les violences”, les “réduire à des faits divers” et en “invisibiliser l'origine”, c'est précisément ce que les gens de sa sorte, les chevaliers de la Justice et les grandes prêtresses du Bien, s'empressent de faire chaque fois qu'un allogène d'outre-Méditerranée égorge un passant ou en écrase quatre ou cinq d'un coup au volant d'une camionnette d'emprunt, en braillant Allah Akhbar ! Là, pour Mme Maximi et ses pareils, il s'agit bel et bien d'invisibiliser l'origine le plus vite et le plus complètement possible. Ils sont alors les premiers à brandir le “coup de folie” multifonctions et à pratiquer une réduction expresse au fait divers.

Mais le coup-de-folie est un outil qu'ils ont préempté depuis déjà jolie lurette, et il ferait beau voir que d'autres qu'eux s'avisassent de s'en servir !

jeudi 12 septembre 2024

Revenons à l'essentiel…

Petit Loup sur son pouf : un mois et demi d'existence…

 Non, parce que ça va un moment, les billets consacrés aux malfaisants laïques ou aux monstres cathos !

Le chat lui-même, malgré son âge tendre, semble se demander quel petit démon pervers a bien pu me pousser, ces jours derniers, à parler des deux bipèdes en question.

Je n'ai aucune réponse convaincante à lui fournir.

mardi 10 septembre 2024

Entre les dents, la soutane, Monsieur l'abbé !


 Je trouve tout à fait réjouissante la récente et brusque mutation de l'abbé Pierre, passant du statut de saint auréolé, ou quasi, à celui de pustuleux monstre ; d'un coup, sans passer par la case purgatoire. De ce fait, par ce “saut qualitatif”, il se retrouve tout à fait digne d'occuper une place d'honneur dans un roman de Sade — et donc d'entrer dans la Pléiade, ce qui n'est pas donné à tout le monde. 

J'imagine par ailleurs la frustration rageuse des Justine modernes, nos metooffettes à l'infortunée vertu, leur victime ayant eu la diabolique habileté de mourir avant qu'elles ne puissent sortir les griffes. Évidemment, il y aurait toujours la ressource de déterrer le cadavre délictueux et de lui arracher publiquement ce qu'il peut lui rester de gonades, lors d'une grande cérémonie expiatoire, éco-responsable et inclusive, avant de le faire passer par les onze mille verges. 

Malheureusement, ce pourrait être mal perçu par quelques dizaines de millions d'attardés moraux, ces réfractaires de la pureté, ces handicapés de l'avenir radieux, pas encore tout à fait prêts pour applaudir aux ravages du Bien absolu.

jeudi 5 septembre 2024

Sous la bannière de Barnier


 Nouveau Premier commis : Michel Barnier ! Homme de la droite ripolinée, du genre incolore, inodore et sans saveur. 

La gauche dans son ensemble est verte de rage et rouge d'indignation frustrée. Le bien-en-chaire professeur Saint-Graal vire même, sous X, au violacé flamboyant. 

Telles qu'on les connaît et les aime, les mettooffettes doivent déjà s'agiter pour dénicher au matignonné de fraîche date une affaire bien saignante d'attouchement sexuel ou d'emprise masculiniste sur une documentaliste stagiaire des années 80 ou 90. 

Bref : un grand merci, M. Macron, pour cet excellent choix, qui nous promet des lendemains fort réjouissants. 

dimanche 1 septembre 2024

Le spectre et le vivant


 

Notre mois d'août fut essentiellement félin.

dimanche 25 août 2024

Georges, le greffier et son maître


 Dans le volume de Simenon que je relis actuellement est proposé le roman qui s'intitule Le Chat.

Ça tombe bien.

jeudi 22 août 2024

Les Saint-Loup se suivent… (Billet félin)


 


Le pauvre Saint-Loup n'aura eu, selon toute vraisemblance, qu'une existence éphémère ; en tout cas chez nous : à peine avait-il eu le temps d'apprivoiser le jardin, si je puis dire, qu'il a proprement disparu, sans doute en profitant d'un trou de clôture non repéré par les humains approximatifs que nous sommes. Notre cohabitation aura duré huit semaines…

Hier soir, pour remédier à une compréhensible frustration, le voisin d'en face, notre pourvoyeur félin désormais attitré, nous en a apporté un autre. Minuscule : deux mois d'existence en comptant large. Il a été décidé unanimement qu'il s'appellerait lui aussi Saint-Loup, le premier du nom étant devenu trop rapidement fantôme pour prétendre à l'exclusivité du patronyme : il s'agissait de relever la lignée, de perpétuer une grande race. Il est probable qu'il va rapidement devenir Saint-Loup Jr, puis Junior tout court — mais on ne peut être sûr de rien.

La présentation officielle à Charlus a eu lieu ce matin dès l'aube, à l'heure où la campagne n'était pas loin de blanchir. Présentation fugitive et de loin, le rejeton sancto-lupin hébergeant une intéressante et assez nombreuse colonie de puces, dont il devrait, pipette vétérinaire aidant, être rapidement débarrassé. 

En attendant, il vit dans la salle de bain, ce qui est une excellente incitation à la propreté.



lundi 12 août 2024

De la convergence des fantasmes


 Il est curieux et divertissant de constater que les féministes actuelles ont adopté, sans s'en aviser le moins du monde, les façons de “penser” (les guillemets sont de prudence...) des racistes old fashion.

Pour Vanessa et Céleste, en gros, il y a d'un côté les hommes,  groupe nombreux et toujours menaçant, perpétuellement violent et violeur dès que possible, oppresseur et méprisant, bâtisseur de plafonds de verre et consolideur de patriarcat en béton.

De l'autre côté, existent quelques hommes, ceux qu'elles connaissent et fréquentent quotidiennement, dont elles affirmeront fort volontiers que ça n'a rien à voir, qu'ils sont différents  des autres, qu'ils les traitent en parfaites égales, se montrent respectueux, gentils, “à l'écoute”, et jamais ne se risqueraient avec elles à lancer des plaisanteries grossièrement machistes, encore moins à tenter des gestes déplacés — ces gestes déplacés que, pourtant, elles souhaiteraient parfois, confusément, qu'ils fissent.

Bref, on retrouve la même dichotomie tranquille que celle qu'on rencontrait naguère, et qu'on rencontre peut-être encore, chez ce sacré Robert et ce bon vieux Jean-Paul, lesquels ont toujours affirmé une solide détestation des bougnoules et des nègres, mais sont constamment fourrés avec Mohammed et Kofi, parce que, eux, tu comprends, ils ne sont vraiment pas comme les autres.

Les féministes ont leurs bon mâles comme les racistes avaient leurs bons immigrés. 

Et les unes comme les autres doivent parfois se dire que c'est vraiment un sacré coup de bol d'être tombés justement sur ces exceptions, quand l'immense masse de tous les autres persiste à être si répugnante et hostile.

jeudi 1 août 2024

Ma vie dans les palaces


 

Rien de mieux pour des vacances de juillet

mardi 23 juillet 2024

Les dessous de la gastronomie hospitalière


 Durant ces cinq jours où je fus exclusivement nourri de l'incomparable gastronomie hospitalière, j'en suis arrivé à une conclusion que je juge irréfutable. Il doit exister, quelque part en France, probablement en des infrastructures souterraines afin de prévenir d'éventuelles insurrections paysannes contre elle, il doit exister, disais-je, une école particulière de cuisine, dans laquelle on forme les futurs marmitons hospitaliers. Ce n'est pas possible autrement.

Le but principal de l'enseignement qui leur est dispensé, leur Premier Commandement en quelque sorte, est de leur apprendre à surtout ne jamais réussir un plat, ni même à ne le rater qu'à demi. Un plat mangeable, c'est l'avertissement ; deux, le blâme ; trois, le renvoi définitif. C'est moins facile qu'un vain peuple pourrait le penser. 

Essayez par exemple, en dehors de toute formation rigoureuse, de transformer un honnête steak haché en une sorte de feuilleté de contreplaqué, à peine entamable au couteau : seuls les plus inspirés y parviendront peut-être. Ou bien, prenez un filet de poisson parfaitement frais (les services sanitaires sont au taquet 24 heures sur 24) et concoctez-lui une sauce qui puisse faire croire qu'il a été pêché il y a trois mois et conservé ensuite dans une remise bien chauffée : humiliant échec garanti.

Il reste maintenant à déterminer à quels signes aussi discrets que mystérieux ces gâte-sauces démoniaques se reconnaissent entre eux.

Et si, parfois, une puisssnce encore plus diabolique qu'eux-mêmes les contraint à ingérer ce qui sort de leurs chaudrons.

lundi 15 juillet 2024

Patience, patience dans l'azur…

 

 
Une phrase de Simenon, dans le premier chapitre de son roman Le Train : « Il avait aussi des pigeons voyageurs et, les dimanches de concours, restait des heures immobile au fond de son jardin à guetter le retour de ses bêtes au colombier. »

Je cesse aussitôt de lire, brusquement transporté dans l'espace et le temps. Me voilà revenu au début des années soixante et dans le parc de la Chambre de commerce de Sedan. René, mon grand-père paternel, et moi sommes assis chacun sur une chaise paillée ; ses pieds raclent les gravillons du sol, les miens battent l'air. La Chambre de commerce élève sa masse formidable juste dans notre dos, nous avons tous les deux les yeux braqués sur le pigeonnier auquel nous faisons face. 

C'est dimanche ; transportés dans de grandes malles d'osier, les pigeons ont été lâchés je ne sais où il y a déjà plusieurs heures. Et, maintenant, ils devraient arriver, bon sang ! Qu'est-ce qu'ils foutent, ces fainéants volatiles ? Patience, patience dans l'azur, comme disait Paul le Sétois… La récompense arrive finalement : un premier pigeon vient de se poser sur le rebord de la gouttière ! À présent, il s'agit qu'il rentre au bercail...

La colombophilie, dans ces moments-là, est une école de zénitude et d'endurance. Car, pour que le retour d'un oiseau soit homologué, il faut — en tout cas à cette époque dont je parle — s'en saisir et introduire la bague de sa patte dans une grosse (grosse aux yeux de l'enfant) horloge lourde et cubique. Mais comment l'attraper si cet imbécile s'obstine à musarder sur les tuiles du toit ? C'est ainsi que l'on perd de précieuses minutes...

René écrase les gravillons sous ses semelles, à force de trépigner d'impatience — et je trépignerais avec lui si mes jambes étaient assez longues. Heureusement,  après avoir volé durant deux cents ou trois cents kilomètres, les voyageurs sont généralement affamés et s'empressent de rentrer au colombier pour se diriger en dandinant du croupion vers les grains de blé reconstituants. Mais il y a toujours des distraits, des flâneurs, des têtes dures, des ascètes, des provocateurs, des oiseaux de carême...

Cela, ce musardage faîtier, n'a pas empêché René, au fil des années, de grimper régulièrement sur la première marche du podium colombophile, comme en attestent les coupes dorées ou argentées alignées sur le buffet de la salle à manger.

Du moins en font-elles foi dans ma mémoire ; car, dans le monde matériel où nous traînons encore, nul ne sait ce que sont ces trophées devenus.

Ni les chaises paillées qui, à René et à moi, tenaient lieu de perchoirs jumeaux.

vendredi 12 juillet 2024

Jeu, câlin… et dodo ! (Billet "spécial gâteux")



 
Les séances de jeu ont plus souvent lieu le matin, selon des modalités apparemment précises, dûment codifiées. Il s'agit de faire semblant de s'entr'agresser. C'est généralement Charlus qui attrape Saint-Loup, par la tête comme ici, ou bien en plongeant ses mâchoires dans son ventre, ou encore en lui happant les pattes arrière, comme s'il avait dans l'idée de le démembrer une bonne fois pour toutes.
 
Mais dès que le chien fait mine de cesser le combat et qu'il se redresse pour rejoindre son coin du ring, c'est au tour du chat de lui sauter à la tête en bondissant des quatre pattes, lui agrippant les oreilles et lui boxant la truffe.

La différence le plus immédiatement perceptible entre les deux belligérants est que le félin se bat dans un complet silence, tandis que le canin halète et grogne comme s'il avait été pitbull dans une existence antérieure et que ça lui revenait brusquement.

 
Lorsque les deux bestiaux sont parvenus au bout de leur agressivité en trompe-l'œil, ils éprouvent généralement un soudain besoin de tendresse. C'est alors que s'inverse les différences sonores : Saint-Loup se met à ronronner bruyamment, cependant que Charlus se tait ; il laisse le chat se frotter et se refrotter contre lui, avec une bienveillance qui a quelque chose de momentanément maternel.


Comme tout cela est finalement assez fatigant, la dernière phase se passe d'explication…