vendredi 22 septembre 2023

Quand j'étais parachutiste…

Au détour d'un paragraphe du Johnny blues de Joyce Carol Oates vient d'apparaître très fugitivement un personnage appelé McKeever. Ce nom m'a fait l'effet, immédiat, total, indubitable, d'une bouchée de madeleine imbibée de thé. 

C'est le plus ancien souvenir que j'ai, se rapportant à la télévision : le feuilleton (on ne parlait pas encore de “série”....) qui s'appelait en français Les Hommes volants. D'après ce que m'apprend Dame Ternette, les 76 épisodes en ont été diffusés chez nous entre juin 1961 et septembre 1963 ; ce qui veut dire qu'il est apparu, à quelques semaines près, au moment où mes parents, fraîchement déménagés de Châlons-sur-Marne à Lahr (Allemagne), s'offraient leur premier poste de télévision – de marque Grundig ; ou peut-être Telefunken. 

Ces soixante dernières années, je n'ai jamais oublié les noms des deux instructeurs parachutistes qui étaient les héros du feuilleton : Ted McKeever et Jim Buckley ; ils demeuraient en moi, familiers et lointains comme ceux d'amis que l'on n'a pas eu l'occasion de voir depuis fort longtemps. Pas oublié non plus que mon frère et moi jouions régulièrement aux “hommes volants” : nous nous placions sous la table de salle à manger – utilisée seulement quand “on avait du monde”, les repas des jours ordinaires étant pris dans la cuisine –, laquelle figurait notre avion. Puis, avancés jusqu'à l'extrême bord du tapis, nous donnions à notre imaginaire pilote d'ultimes instructions qui nous étaient à peu près inintelligibles mais que nous répétions avec une scrupuleuse fidélité dans les termes : “deux degrés nord !”, “vire sur l'aile, Bob !”, des choses comme ça. Enfin, quittant le tapis, nous nous élancions à plat ventre sur le parquet, bras écartés et jambes légèrement pliées, comme des paras en plein ciel.

Je n'ai jamais autant sauté en parachute que durant ces années-là. Je crois bien n'en avoir jamais non plus reparlé avec Philippe qui, né en 1960, ne doit probablement avoir conservé aucun souvenir de nos plongées communes dans l'azur figuré de notre salle à manger, ni des gouffres qui s'ouvraient pour nous au bord du tapis effrangé. 

Il ne sait pas ce qu'il perd.

mercredi 20 septembre 2023

Cathares et tarés

Il est tout à fait excellent, ce Bûcher de Montségur que Zoé Oldenbourg a publié au mitan du dernier siècle dans la célèbre collection gallimardesque des Trente journées qui ont fait la France. On y apprend des choses bien intéressantes sur ces braves hérétiques méridionaux, mais deux d'entre elles ont surtout éveillé mon attention.

D'abord le fait que les cathares se refusaient à consommer le moindre aliment d'origine animale ; et ensuite cette particularité de leur religion qui consistait à nier la réalité des sexes.

Les cathares étaient donc des sortes de transgenres végans.

Du coup (locution spécialement dédiée à miss Élodie J…), les bûchers sur lesquels on les a invités fermement à grimper me semblent déjà moins condamnables, même si d'une sévérité quelque peu excessive. 

De toute façon, la nostalgie est hors de saison, tant on imagine mal ce mollasson de pape François appeler à un nouvel empilement de fagots sur les places publiques : n'est pas Innocent III qui veut. 

Et puis, dites : est-on vraiment sûr que tous ces feux purificateurs seraient bons-pour-la-planète ? qu'ils n'iraient pas nous aggraver notre précieux réchauffement climatique ? nous flinguer ce qui reste de biodiversité ? entrer dans le jeu de l'extrême droite ? faire rater les mayonnaises ?

Allez, tant pis : rangeons nos allumettes…



 

dimanche 17 septembre 2023

Le roi est mort, vive le… ah, non, trop tard !


 J'ai longtemps cru que le règne le plus court de l'histoire de France avait été celui de Jean 1er, fils de Louis X dit le Hutin. Lorsque celui-ci meurt, le 5 juin 1316, son unique héritier mâle n'est encore qu'un fœtus de trois mois et demi dans le sein de la reine Clémence, veuve royale toute fraîche. Il va naître le 15 novembre suivant… et mourir quatre jours plus tard. Quatre ou cinq : les historiens médiévistes continuent de s'étriper à ce sujet…

Bref, durant les longues années où mon intérêt pour l'histoire de France est resté presque exclusivement médiéval, il m'a toujours paru évident que nul ne pouvait faire mieux que mon Jean en matière de brièveté régnante. (Précisons que nous évoquons là un âge pré-internétique, où n'existait pas la ressource de demander simplement à Dame Ternette “quel roi de France a régné le moins longtemps ?” pour avoir instantanément la réponse. J'aurais pu demander à Michel Desgranges, mais je n'y ai point songé.)

Évidemment, je me trompais, ignorant alors tout du roi Louis XIX.

Le 2 août 1830, sentant qu'à force de naviguer sur un volcan le char de l'État est en train d'échapper à son contrôle, le roi Charles X signe son acte d'abdication. Se tournant vers son fils, Louis-Antoine de France, il lui demande de contresigner sa royale déballonnade au profit de leur petit-fils et neveu, le charmant Henri d'Artois, plus connu sous son titre de courtoisie de comte de Chambord. 

Refiler la couronne de France, même vacillante, à un marmot de dix ans qui n'en sera même pas reconnaissant ? Louis-Antoine hésite. On peut le comprendre : le couronnement à Reims, la place assurée à la nécropole dionysienne, les chasses giboyeuses, les maîtresses royales… il y a gros à perdre ! Pourtant, l'obéissance filiale – ou la prudence… – l'emporte, et il signe. Exactement, les témoins en firent ensuite foi, vingt minutes après son père.

Vingt minutes : telle est donc la durée du règne de Louis XIX, d'un paraphe à un autre. Si bien que mon pauvre Jean 1er aura tout de même régné 360 fois plus longtemps que lui. 

Pour la comparaison entre les règnes de Louis XIV (72 ans) et Louis XIX (20 mn), je vous laisse faire le calcul vous-même.


dimanche 3 septembre 2023

Croissez et multipliez… mais sans dispersion !

Le blogueur prénommé Denis, qui se trouve être également maire de son village de l'Eure, déclare solennellement, dans son dernier billet, que jamais, lors d'une élection, il ne votera pour un candidat n'ayant pas d'enfant ou… ayant un jour fréquenté les boites échangistes. 

Deux observations : d'abord je vois assez mal le rapport entre le talent politique, les capacités administratives, etc. d'un individu et le fait qu'il ait engendré ou non, que sa femme et lui se livrent ou se soient livrés à des galipettes inter-couples. 

Ensuite, notre bon maire ne semble pas s'apercevoir qu'il réagit exactement de la même façon impulsive, irraisonnée, “viscérale” qu'un homme qui affirmerait ne jamais pouvoir voter pour un pédé ou bien qui refuserait d'embaucher un Arabe dans son entreprise, deux choses qui susciteraient à coup sûr la vertueuse indignation, voire la fureur tonnante du Denis en question. 

Qu'on me comprenne bien : je ne trouve absolument rien de choquant à ce qu'il refuse de voter pour un partouzard sans progéniture… de même que j'accorde volontiers à quiconque le droit de ne pas embaucher d'Arabe ou de refuser son vote à un homosexuel : chacun doit ou devrait être libre en ces domaines. Mais il me semble fort difficile de prôner la première attitude tout en se scandalisant de la seconde : question de cohérence intellectuelle et morale, pour employer les mots-qui-font-joli-dans-la-phrase.

Enfin, si j'étais d'un naturel moqueur, ce qu'à Dieu ne plaise, je ferais peut-être bien remarquer que brandir ainsi la famille et les vertus conjugales comme conditions sine qua non de la respectabilité électorale a comme un léger parfum, suranné mais pas déplaisant, de bigoterie fin de siècle (le XIXe bien entendu) : chassez les ligues de vertu par la porte du garage, elle rentreront un de ces jours par la fenêtre de la mairie.

vendredi 1 septembre 2023

Marilyn et puis Edith


 La première est passée ici au début d'août...

 


… La seconde a suivi de très près.

mardi 29 août 2023

Un grand écrivain américain en voyage


 Pourquoi n'ai-je encore consacré aucun billet à Édith Wharton, l'un des plus remarquables écrivains américains du premier XXe siècle avec Henry James ? Mystère d'autant moins explicable que, sur la douzaine de romans que je possède d'elle, et que je relis en ce moment l'un après l'autre, huit ou neuf au moins sont absolument réussis : il y a des moments où je me déçois beaucoup…

En plus de son œuvre romanesque, Mrs Wharton a aussi écrit et publié son autobiographie, dont le titre français est : Les Chemins parcourus. Parce qu'elle avait beaucoup d'argent et la bougeotte, Edith Wharton n'a guère arrêté, avant sa vieillesse, de sillonner les continents. Parce qu'elle était supérieurement intelligente et cultivée, elle a rencontré, connu, fréquenté, tout ce que les pays qu'elle abordait avaient de mieux à lui offrir en matière de bipèdes des deux sexes. Est-elle en villégiature à Londres ? C'est pour s'entretenir autour d'un déjeuner ou d'un dîner avec Lord Balfour ou Edmund Gosse ou George Meredith ou Thomas Hardy, etc.

Vient-elle habiter quelques années à Paris ? C'est aussitôt tout le monde de Proust qui jaillit d'entre les pages… à l'exception de Proust lui-même, que Mrs Wharton évitera de rencontrer bien qu'elle en proclame le génie. C'est du reste par son truchement qu'Henry James pourra découvrir – et admirer – Du côté de chez Swann peu de temps avant sa mort en 1916. En revanche, elle se liera, à des degrés d'intimité variables, avec Gide, Cocteau, Jacques-Émile Blanche, Paul Bourget, plus une bonne douzaine d'amis plus ou moins proches de Marcel comme Robert d'Humières, Walter Berry, Anna de Noailles ou encore l'inévitable et charmant abbé Mugnier.

Retraverse-t-elle l'Atlantique en direction de son Amérique natale ? C'est pour déjeuner à la Maison blanche en tête à tête avec le tout nouveau président Roosevelt (pas Franklin : Theodore…) Qu'elle retrouvera ensuite dans divers salon ou maisons de campagne d'amis communs.

Mais, surtout, il y a Henry James. Si elle ne contenait que les pages qui lui sont consacrées, l'autobiographie de Mrs Wharton mériterait encore d'être lue. Car pendant plus de dix ans ils vont se voir constamment et partout, aussi bien dans la grande propriété des Wharton dans le Massachusetts qu'à Londres chez James, à Paris ou en Italie lorsqu'ils y voyagent ensemble. Le portrait qui ressort de l'ensemble est à la fois profond, bienveillant, humoristique, s'élevant parfois jusqu'au burlesque : il faut lire la page où Édith Wharton nous montre Henry James, en voiture avec elle à Londres, essayant de demander le chemin de King's Road et multipliant à un point tel les incises, parenthèses, explications inutiles, etc. que le malheureux Londonien qu'ils ont arrêté à la portière ne parvient même pas à deviner ce qu'on attend de lui.

Je parlais plus haut de la résurrection du monde de Proust. Grâce à James (né en 1843), on remonte aussi plus haut. Un “pèlerinage” effectué en commun à Nohant permet à James d'évoquer Flaubert, Goncourt, Tourgueniev, Daudet, autant d'écrivains morts qu'il a connus et fréquentés dans sa jeunesse parisienne.

Tout cela pourrait ne former qu'un genre de “carnet de bal” sans grand intérêt. Seulement, il y a l'acuité du regard d'Édith Wharton, le scalpel de ses jugements, la manière dont elle dégage les ressemblances et les différences entre les diverses sociétés qui l'accueillent, le radar intellectuel et moral qui lui permet de déceler et de mettre au jour les changements qui affectent chacune d'elles, parfois de façon encore imperceptibles pour ceux qui y sont continuellement plongés.

Et puis, il n'y a pas que la vie mondaine ou pérégrine. Étant avant tout écrivain, avant tout romancière, Édith Wharton parle aussi de ses livres et du processus de création tel qu'il lui semble s'élaborer chez elle. Ce qui ramène à son œuvre elle-même, par quoi il est plus important de l'aborder que par cette autobiographie dont je viens de parler et qui, elle, passionnera surtout les whartonophiles déjà convaincus.

Si l'on peut me permettre d'indiquer une “voie d'accès” à l'œuvre en question, je conseillerais d'acquérir le volume “Omnibus” contenant cinq de ses romans, dont au moins trois sont remarquables. 

De toute façon, une petite plongée dans la haute société new-yorkaise du tournant de siècle n'a jamais fait de mal à personne.


mercredi 23 août 2023

Crime d'appropriation culturelle


 Si tout se passe comme il est à craindre, et compte tenu de l'inévitable décalage horaire, la police huronne devrait débarquer ici entre trois et quatre heures demain matin, afin de me clouer nu au poteau de couleur avant de me cribler de flèches : ça m'apprendra à arborer cyniquement les symboles d'une riche et ancestrale culture que les vieux mâles blancs de mon espèce se sont acharnés à asservir.

jeudi 17 août 2023

Sœur Anne, ne vois-tu rien pâlir ?


 Élodie [note pour Nicolas : pas notre Élodie, juste la mienne…] est tombée récemment, Catherine dixit, sur une série netflicarde consacrée à Anne Boleyn, qu'on ne présente plus. Avec, dans le rôle titre, une actrice noire. Évidemment

Il est tout de même dommage que ces réjouissantes guignoleries soient toujours à sens unique et de plus en plus mornement prévisibles : j'entends d'ici les couinements des ouistitis progressistes si, demain, un cinéaste consacrait un biopic à Louis Armstrong avec Mel Gibson dans le rôle principal ; ou projetait un film sur Rosa Park jouée par Glenn Close. 

Mais hélas, aucun producteur n'aura jamais de pulsions suicidaires assez puissantes pour mettre ne serait-ce qu'un dollar dans une telle “appropriation culturelle”. Dommage, on aurait bien ri...

En attendant, j'espère que les navrants netflicards évoqués plus haut auront pensé à confier le rôle de Henry VIII à un acteur coréen. Ou malgache. Ou à un aborigène d'Australie. Enfin, à n'importe quel bafouilleur de texte qui ne soit surtout pas anglais, ce qui ne manquerait pas de faire le jeu de l'extrême droite.

mardi 15 août 2023

Répugnante transparence


 Dans J'ai réussi à rester en vie, livre consacré à sa première année de veuvage et publié en 2011, Joyce Carol Oates écrit ceci (c'est elle qui souligne) : « Notre époque est celle de la “transparence”. Ceux qui s'y livrent se flagellent, dans une sorte de parodie de repentir public, et supposent alors que flageller, exposer et humilier les autres est justifié. Je trouve cela immoral, contraire à toute éthique. Grossier, cruel et inadmissible. »

De fait, la “transparence” est le grand rêve, le but ultime des tyrannies modernes : on se souvient de Goebbels déclarant, pour s'en réjouir, en février 1933, que désormais aucun Allemand ne serait plus jamais seul. Au moins, à l'époque, face au nazisme et au communisme, ces deux mâchoires du même étau, il devait être encore possible – à condition d'être prudent... – de préserver sa solitude, de se réfugier dans l'opacité. Mais qui y songerait aujourd'hui, quand tout secret protégé prend des allures de monstrueux péché contre l'humanité tout entière ?

Il est urgent de rendre leur épaisseur opaque à notre monde et aux silhouettes vagues et translucides qui le peuplent encore.

dimanche 13 août 2023

Ôte-toi de mon sillon, laboureur !


 Nouveau gloussement de ma part (voir le billet précédent), grâce à la belle (sexiste ! salaud !) Élodie J. Sur son compte Touitteur,  qui est ma Bible – que dis-je ? mon Coran ! – féministe, j'apprends que, en plus de MeToo et de MeTooMedias, que je connaissais déjà, existe aussi maintenant un… MeTooAgricole ! Qu'avec l'esprit putride qui fait une grande partie de mon charme je rebaptise illico MoiTaussiPequenaude

Grâce à la même et décidément indispensable Élodie J., j'ai donc découvert avec stupéfaction puis horreur que nos paysannes, non contentes (?) de subir “le sexisme au quotidien”, ce qui est bien la moindre des choses par les temps qui courent, n'hésitaient plus à s'offrir également des “violences sexuelles” par kilos, exactement comme ces dames de la ville.

Je me dis aussi, le sexisme et les violences étant incessants et universels, qu'en creusant un peu la question, je dénicherai peut-être dans les jours qui viennent toute une ribambelle de petits hashtags coupés sur le même patron : MeTooCharcuterie, MeTooPlomberieZinguerie, MeTooÉtudesNotariales, MeTooMaîtressesNageuses, MeTooToilettageCanin, etc. ad lib.

J'espère seulement ne jamais tomber sur un MeTooRetraitéNormand. Mais je ne fais pas le fiérot.

vendredi 11 août 2023

Violence pour tous !


 Gloussé tout à l'heure en découvrant cette information, piquée dans le marais touitteresque (c'est moi qui souligne) : 

En Irlande, les victimes de “violences conjugales” pourront désormais prendre un congé payé de cinq jours sans fournir de preuve à leur employeur

Autant dire que tout Irlandais marié dispose dorénavant de cinq jours de congés supplémentaires. J'en suis bien sûr fort content pour eux, mais j'imagine déjà l'indignation des célibataires, des pacsés, des à-la-colle et des veufs, hurlant à la discrimination. 

À moins qu'il ne soit plus nécessaire d'être marié, en Irlande, pour “bénéficier” des bienfaits de la violence conjugale ? 

Va-t-on bientôt voir défiler dans les rues de Dublin d'interminables théories de manifestants, brandissant des pancartes vindicatives pour réclamer “la violence conjugale pour tous” ? 

Je n'en serais même pas surpris.

samedi 5 août 2023

Une histoire de bretelle

 

Vous êtes allé chercher votre superbe maîtresse  à l'aéroport JFK et vous rentrez ensemble dans votre Mercedes dernier modèle : direction Park Avenue où se trouve votre appartement à trois millions de dollars. Votre maîtresse, Maria, habite à quelques blocs de là, avec son vieux mari – il a près de trois fois son âge –, un milliardaire juif qui a bâti sa colossale fortune en organisant dans le monde entier des charters pour les musulmans désireux de se rendre à La Mecque. Soudain, parce que la circulation est très dense, vous ratez la bretelle de sortie qui devait vous ramener tout droit à Manhattan... et vous voici dans le Bronx. Un simple détour ? Pas exactement. Vous vous appelez Sherman McCoy, vous faites partie des “maîtres de l'univers” de Wall Street – mais votre descente aux enfers vient de commencer.

Lire les 900 pages du Bûcher des vanités de Tom Wolfe revient à pénétrer au cœur d'un mécanisme d'horlogerie aussi complexe que minutieusement implacable, dont chaque rouage vous broie un peu plus que le précédent. Le roman regorge de personnages aux intérêts différents, et souvent divergents, mais qui, à mesure qu'ils se précisent et se durcissent, se mettent à converger vers une unique certitude : Sherman McCoy doit payer. Depuis le maire blanc de New York jusqu'au “Révérend” noir champion de toutes les grandes causes antiracistes et expert en détournement de fonds publics et privés, en passant par un journaliste anglais alcoolique, deux flics irlandais, un substitut du procureur du Bronx, etc., tout le monde se retrouve d'accord : cet immense chapeau sous lequel ils tiendraient tous ensemble sans problème, il faut s'arranger pour que le petit génie de Wall Street le porte seul. Et ils vont s'y employer, avec une bonne conscience féroce.

Si l'on ne devait lire qu'un seul des quatre gros romans de Tom Wolfe, il faudrait que ce fût celui-là qui est son premier, écrit alors qu'il approchait de la soixantaine : coup d'essai tardif, éclatant coup de maître. Notamment par sa maîtrise totale des personnages, “ondoyants et divers”, dont vous, lecteur, ne saurez jamais avec certitude s'ils sont à aimer, à plaindre, à haïr ou à mépriser, parce que chacun d'eux sera tout cela à divers moment de l'histoire, cette histoire qu'ils croient faire et qui en réalité les emporte.

Comme tous les véritables romans, Le Bûcher des vanités est sans morale préconçue, ni conclusion définitive. Si l'on devait absolument lui en trouver une, il conviendrait qu'elle fût modeste et ce serait sans doute celle-ci : la prochaine fois que vous reviendrez de l'aéroport, faites bien attention à ne pas manquer votre bretelle de sortie.

jeudi 3 août 2023

Imbroglio linguistico-météorologique


 Après une accalmie d'environ une heure, il pleut de nouveau à pierre fendre.

Ou il vente comme vache qui pisse.

Ou il gèle à gros flocons.

Ou il neige à décorner les bœufs

Le dérèglement climatique est désormais si violent, si total, si absolu, si sacré, que même les plus éprouvées des vieilles formules françaises en perdent leur latin.

lundi 31 juillet 2023

Nous aurons les Hurons !


 Les Indiens d'Amérique ont débarqué ici fin juillet.

jeudi 27 juillet 2023

La guerre des buralistes


 Jusqu'à une date récente, quand un fumeur de mon petit coin de France voulait acheter ses cigarettes, il avait le choix entre deux échoppes : “chez les Chinois”, ainsi surnommée parce que tenue par un couple d'Asiatiques aux sexes complémentaires, ou bien “chez les pédés”, où officiait une paire d'homosexuels mâles. J'avais personnellement mes habitudes chez ces derniers, non par je ne sais quelle sinophobie (ni du reste par une quelconque homophilie), mais parce que leur boutique ne faisant pas bistrot, elle m'évitait le côtoiement de consommateurs certes parfaitement européens et probablement de mœurs courantes, néanmoins braillards, avinés et volontiers péremptoires.

Or, il y a déjà quelque temps, est apparu “chez les pédés” un nouveau vendeur... chinois. Comme les deux patrons homos étaient toujours là, je me suis dit qu'ils avaient simplement embauché un grouillot et qu'il l'avaient choisi asiatique histoire d'établir un genre de solidarité entres minorités opprimées. 

Mais voici que, lors de mon dernier achat tabagique, mes minoritaires sexuels avaient proprement disparu du paysage pour céder la place à deux minoritaires raciaux. Depuis, je me perds en conjectures, sur fond d'angoisse diffuse : s'agit-il d'une simple embauche supplémentaire ? Ou bien mes ostracisés de la bébête ont-ils été victimes d'une OPA féroce de la part des Chinois qui, chacun le sait bien, sont toujours fourbes et cruels de nature ? Et dans ce second cas, s'agit-il d'un hasard ou existe-t-il des accointances secrètes entre les Chinois de “chez les Chinois” et les Chinois de “chez les pédés” ? Enfin, les deux Chinois de “chez les pédés” sont-ils eux-mêmes de mœurs hétérodoxes, c'est-à-dire homos, ou bien bêtement hétéronormés, à l'instar du couple chinois de “chez les Chinois” ?

Un tel imbroglio de questions qui ne recevront sans doute jamais de réponses... Ce serait vraiment un coup à cesser de fumer.

mardi 25 juillet 2023

e-Comité de e-salut e-public


 Un crétin twitteroïdal écrit ceci (le “style” est d'origine, qu'on me pardonne…) : 

« Faut se sentir de lâcher en pleine heure de grande écoute au JT commun de France 2 et TF1 “Nul en République n'est au-dessus des lois” quand 1 tiers de ton gouvernement est mis en examen ou bientôt jugé […]. » 

Il ne semble pas être venu à l'esprit de cet abruti qu'être mis en examen prouve justement que l'on n'est pas au-dessus des lois. Ni bien entendu qu'être “bientôt jugé” revient à être toujours innocent, en vertu de la présomption du même nom.

Mais je suppose que, désormais, évoquer la dite présomption conduit, pour ces petits fouquiers et ces minuscules tinvillettes, à faire le jeu de l'extrême droite ; voire, pis encore, à contribuer au réchauffement climatique.

vendredi 21 juillet 2023

Dear old Fellowes !


 Les cinéphiles et les amateurs de séries télévisées connaissent bien Julian Fellowes – devenu Lord Julian Fellowes en 2011 ; les cinéphiles parce qu'il fut le scénariste oscarisé du Gosford Park de Robert Altman ; les autres parce qu'ils ont vu, et donc aimé, Downton Abbey, peut-être aussi ses deux créations moins connues mais tout aussi réussies : Belgravia qui, comme son nom l'indique, se passe à Londres, et The Gilded Age qui nous transporte à New York (mais toujours, Dieu et Julian en soient loués, chez les riches,  ces “heureux du monde” dont parlait Edith Wharton, avec ce qu'il faut d'ironie, il y a un siècle).

Mais savait-on qu'avant d'être scénariste de premier plan, notre dear old Fellowes avait longtemps été acteur de seconde zone, au cinéma comme à la télévision, en Angleterre mais aussi en France (on peut le croiser dans le Place Vendôme de Nicole Garcia) ? Et qui se doutait, ici en tout cas, qu'il était également romancier ? 

Depuis hier je suis plongé dans le premier de ses trois “opus”, sobrement intitulé Snobs. Il m'a été récemment, au milieu d'autres livres de belle facture, offert par un ami (dont je tairai le nom, de peur qu'il ne voie bientôt son humble chaumière envahie par des hordes de blogueurs parasitaires, avides de profiter cyniquement de sa générosité livresque), que je remercie au passage pour les excellentes heures que je passe grâce à lui.

Le nom de Julian Fellowes brillera-t-il en éternelles lettres de feu dans le panthéon magnifique de la littérature anglaise ? Probablement pas, non. But who cares ? Et après tout qu'en sais-je ? De toute façon, la question n'est pas là. D'ailleurs, il n'y a même pas de question : il y a une évidence. Dès les premières pages de Snobs, le lecteur sait qu'il ne lâchera pas l'affaire avant le point final, et que ces quatre cents pages seront comme un voyage parfait, dépourvu de cahots douloureux et d'embardées trop brutales, tout à la fois familier et réservant de petites surprises presque à chaque tournant de route. 

On pourrait dire aussi que l'on tient en main un très beau fruit, dans lequel il suffit de mordre une fois pour savoir que sa pulpe a juste ce qu'il faut d'acidité pour en fouetter la saveur et la texture sans jamais les dénaturer. Ce pourra sembler n'être pas grand-chose, mais cela change agréablement de tous ces romans-fruits qui réussissent le prodige d'être à la fois verts et blets.

Le “pitch” de Snobs pourrait difficilement être plus pauvre et plus mince qu'il n'est en apparence. On pourrait, rien que pour lui, créer le terme de pitchounet. La belle Edith Lavery est la fille d'un expert-comptable vaguement enrichi, lui-même petit-fils d'un Juif ayant fui la Russie pogromesque de Nicolas II. Grâce au narrateur, un comédien de seconde zone (tiens, tiens !) ayant des accointances avec divers membres de la bonne société, sa route croise celle du comte Charles Broughton, le dessus de panier de l'aristocratie. Elle devient par mariage Lady Broughton (je ne casse aucun suspense, la chose étant évidente dès les dix premières pages). Quelques mois plus tard, toujours par l'entremise du narrateur, elle va se trouver en présence de Simon Russel, acteur de séries télévisées (re-tiens, tiens !) beau comme un dieu et gaulé comme un légionnaire.

Voilà, c'est tout. Ce pourrait être le prélude d'une guimauve insipide. Et même, logiquement, ça devrait l'être. En fait, non. Parce que, sur cette tête d'épingle, Julian Fellowes va faire tenir trois planètes et leurs habitants : l'aristocratie pétrie d'une morgue d'autant plus courtoise qu'elle est haute, la bourgeoisie qui ne rêve que d'accéder au “paradis” de la noblesse, et le petit monde du showbiz, qui feint d'être libéré de tous ces préjugés et envies ridicules mais dont Fellowes nous montre qu'il est en réalité régi par des lois de castes aussi impérieuses que les deux autres.

Édith Lavery, c'est le satellite qui se retrouve placé aux confins des sphères d'attraction de ces trois planètes sur lesquelles, tour à tour, elle va tenter de régner. Ou, au moins, de s'y tailler une place qu'elle s'est imaginée enviable.

La force principale de Julian Fellowes, outre le fait essentiel qu'il connaît fort bien les trois “planètes” que j'évoque, c'est qu'il parvient toujours à conserver un équilibre parfait entre l'ironie que lui inspirent les mœurs sociales et culturelles qui y règnent (l'acidité dont je parlais il y a un instant) et la tendresse souriante qu'il ressent pour tous ses personnages sans exception. Le résultat est un roman…

Bon, je pourrais, au prix d'un petit effort, trouver une demi-douzaine de qualificatifs disant tout le bien que je pense de Snobs. Je vais faire plus simple et rapide :

Snobs est un roman qui se lit comme un roman.

lundi 17 juillet 2023

Le parapluie de Joyce


 La façon à la fois drôle et subtilement vicieuse qu'a Joyce Carol Oates de, comme on dit, “ouvrir le parapluie”. Son roman Hudson River est dédié “À mes amis de Princeton, qui ne sont nulle part dans ces pages”. Le parapluie est d'autant plus prudent que le milieu dans lequel elle nous plonge, cette petite ville de l'État de New York, peuplée de nantis, intellectuels ou artistes pour beaucoup, tous impeccablement généreux et de gauche – au moins en apparence –, mais passablement frustrés (les hommes) et névrosés (les femmes), tout cela fait irrésistiblement penser au milieu universitaire dans lequel Oates a baigné durant près de 40 ans. Et comme sa dédicace prend bien soin, pour feindre de l'écarter, de nous désigner Princeton, même le lecteur le plus distrait ne pourra manquer de faire le rapprochement : c'est le côté malicieusement vicelard de la chose. On dirait un peu Proust s'évertuant à persuader Robert de Montesquiou que son baron de Charlus n'a rien, mais alors, là, vraiment rien à voir avec lui.

Il est du reste étonnant, ce roman, étonnant et réjouissant, dans lequel le personnage central meurt d'entrée de jeu, et dont la mort, tel un virus surpuissant se répandant dans l'air, va suffire à ronger tous les masques, détruire les souriantes apparences et rendre béantes les minuscules failles de toute une communauté, pourtant si béatement satisfaite d'elle-même et se contemplant dans tous les miroirs avec une admiration que la modestie affichée dissimule assez mal. En voici le tout premier paragraphe :

« Est-ce juste ? Vous quittez votre maison de Salthill-on-Hudson, un après-midi chaud et humide de 4 juillet, pour vous rendre à un barbecue (une invitation que vous avez acceptée on ne sait pourquoi, sans en avoir vraiment envie), et vous y revenez quelques jours plus tard sous forme de cendres dans une urne funéraire d'un goût douteux : grosse poudre granuleuse, fragments et éclats d'os qui finiront répandus, dispersés et mêlés au râteau à la terre friable de votre propre jardin. De l'engrais pour mauvaises herbes. »

En mourant, Adam Berendt va en effet, durant les cinq cents pages suivantes, servir d'engrais à de mauvaises herbes, dont certaines plutôt du genre toxique ; mais qui ne seront que très secondairement celles de son jardin.

mercredi 12 juillet 2023

Milan sans remords

Milan Kundera, 1 avril 1929 – 11 juillet 2023.

 Naître un premier avril ne prédispose guère au sérieux, du moins le suppose-t-on. C'est sans doute pourquoi les deux premiers livres de Kundera furent par lui intitulés Risibles amours (Směšné lásky pour les tchécophones) et La Plaisanterie (Žert). Le fait d'avoir accroché ces deux poissons de papier dans le dos des mafieux communistes qui, à cette époque, mettaient son pays en coupe réglée a bien failli faire tourner la plaisanterie au vinaigre, mais c'était trop tard : Milan se trouvait déjà à Paris. C'est là que, le premier juillet 1981, François Mitterrand fit de lui un citoyen français dûment estampillé, en même temps qu'il rendait un identique service à l'Argentin Julio Cortazar, autre grand plaisantin polygraphe. (Certains, des nauséabondants de la pire espèce, insinuèrent par la suite que ce furent là les deux seules nationalisations réussies du régime socialiste, alors encore dans les langes mais déjà fort virulent dans sa sottise dogmatique.)

C'est dans ces mêmes années quatre-vingt que j'ai lu les romans de Kundera avec passion, me précipitant à la librairie Variétés de Neuilly dès qu'un nouveau était annoncé. Pas de doute : je tenais un grand écrivain. Et puis, du temps a passé. Entre Milan et moi, ce n'était pas encore la valse aux adieux, mais déjà, dans le grand livre du rire et de l'oubli, le second terme avait tendance à prendre toute la place…

J'ai tout relu, pourtant, il y a une quinzaine d'années. Hormis pour ce qui concerne ses essais, L'Art du roman puis Les Testaments trahis, mon désenchantement fut complet. À mes yeux de relecteur, Kundera était devenu un romancier pesant, démonstratif, inutile. Ce n'était pas encore tout à fait la fête de l'insignifiance, mais pas loin. Au point que, lors d'un grand autodafé ultérieur, tous ses livres finirent leur vie à la déchetterie de Saint-Aquilin.

Dans ce cas, qu'est-ce qui a bien pu me pousser, voilà cinq ans, à acheter les deux volumes de la Pléiade qui venaient de paraître et contenaient l'ensemble de l'œuvre rejetée ? Un certain sentiment d'injustice de ma part ? L'oubli de ce que je croyais penser de cette œuvre ? Une volonté de réparation ? La peur de passer pour tchécophobe, ce qui n'aurait fait qu'alourdir mon dossier déjà proche de l'obésité morbide ? Allez donc savoir…

J'ai tout relu. J'avais le temps : j'étais alors un tout jeune et frais retraité. Et j'ai une fois de plus changé d'avis à propos de Kundera. Aujourd'hui, je dirais que ses romans “tchèques” méritent vraiment d'être lus, au moins jusqu'à La Valse aux adieux inclus, mais qu'on pourra sans trop de perte se passer de ceux qu'il écrivit ensuite directement en français. Et on conservera les volumes d'essais, au moins les deux premiers, que j'ai cités plus haut.

Avis définitif ? Opinion gravée au marbre ? Rien n'est moins sûr. La mort de l'écrivain entraîne souvent, au moins chez moi, un resurgissement de son œuvre. D'ici que les deux Pléiade – en tout cas le premier – sautent de leur rayon pour atterrir au salon, il y a moins de kilomètres que du Plessis-Hébert à Brno. Et ce sera peut-être un Kundera inédit qui s'imposera, effaçant d'un revers négligent les trois autres.

Décidément, on ne devrait jamais naître un premier avril.

vendredi 7 juillet 2023

Le philosophe et ses fantômes

John Gardner, 1933 – 1982.

 Que peut-on faire quand on est professeur de philosophie dans une obscure université de l'État de New York et que tout semble vouloir s'écrouler autour de soi ? Que votre ex-femme – une théâtreuse d'avant-garde sans public – vous pompe allègrement plus que votre argent, que votre fils, antinucléaire, semble au bord de verser dans l'écoterrorisme, que votre fille se comporte exactement comme si elle était orpheline de père, que le Fisc vous harcèle, que Reagan est sur le point de battre Carter à l'élection qui s'annonce, que votre prestige philosophique est sur une pente nettement descendante, que vous avez renoncé à ouvrir votre courrier, sachant trop bien ce qu'il contient de pénible, mais pas les nombreuses bouteilles que vous éclusez soir après soir ? Eh bien, quand la vie menace ruine à ce point, il y a toujours la source de franchir la frontière de la Pennsylvanie toute proche et, dans les Endless Mountains, grâce à un crédit mensongèrement obtenu, acheter une antique maison presque aussi délabrée que votre existence et s'y installer tout seul dans le but hautement affirmé d'écrire enfin le “best-seller philosophique” que le monde attend de vous.

C'est en tout cas ce que fait, un jour de 1980, Peter Mickelsson, le personnage central de La Symphonie des spectres (1) de John Gardner, écrivain américain, alcoolique et cancéreux, universitaire spécialiste de littérature médiévale dont les problèmes furent résolus d'un coup par l'accident de moto qui lui survint un jour de l'été 1982. À partir de là, le lecteur de ce flamboyant roman de plus de neuf cents pages va devoir essayer de répondre à une question aussi cruciale que centrale : la maison perdue dans les bois, au-dessus de la rivière Susquehanna, est-elle réellement hantée (comme beaucoup de maisons) ou bien si c'est le professeur Mickelsson qui sombre peu à peu dans la folie (comme beaucoup de philosophes) ? Et s'il devient fou, est-ce à cause des deux “femmes de sa vie”, à savoir Donnie, la prostituée mineure qui le tient par les… enfin, qui le tient, et Jessica, professeur de sociologie, que ses collègues espèrent fermement éjecter de l'université pour lui apprendre à être moins marxiste qu'eux-mêmes ? Ne serait-ce pas plutôt, ou aussi, en raison du vacarme que, dans sa tête, font Luther et Nietzsche avec leurs chamailleries incessantes ?

En réalité, peu importe les réponses que l'on trouvera ou ne trouvera pas. Seules compteront les questions ; et surtout cette expérience que l'on n'a pas tous les jours l'occasion de faire, d'une plongée simultanée dans les forêts de Pennsylvanie et dans la cervelle d'un philosophe. Seulement, attention : les fondrières et les pièges à ours ne sont pas forcément là où on s'attendrait à les trouver…


(1) Titre ridiculement grandiloquent, choisi avec un mauvais goût très sûr par ce duo tragique composé de l'éditeur et du traducteur : l'original s'appelle, plus justement et plus simplement, Mickelsson's Ghosts.

samedi 1 juillet 2023

Du côté de chez Jouvenet


 Ici fut notre double villégiature en juin.

mercredi 21 juin 2023

Mignonne, allons voir si la Veules…


 À Veules-les-Roses, où nous étions hier et encore ce matin, les rues sont littéralement envahies de roses, ce qui n'est pas dénué d'un certain sens. Les habitants de cette petite cité maritime ont tout de même eu beaucoup de chance qu'elle ne s'appelât pas Veules-les-Bouses.

Rappelons par ailleurs qu'avec ses 1149 mètres de la source à l'embouchure, la Veules s'enorgueillit d'être le plus petit fleuve de France – mais non le moins charmant. Dans la région, les rivières nettement plus longues, larges et profondes, mais seulement rivières, grincent un peu des dents et traitent facilement la Veules de bêcheuse, ou encore de m'as-tu-vue-quand-je-m'écoule.

samedi 17 juin 2023

Les Netflicards entrent en trans

À l'instigation de Nicolas, notre “serial influenceur” d'élection, nous avons hier soir regardé les trois premiers épisodes d'une série australienne, Secret City, plaisante d'après Catherine, plutôt ennuyeuse selon moi ; mais là n'est pas mon propos.

L'un des personnages, une sorte d'agent de renseignement, se trouve être l'ex-mari de l'héroïne, devenu une femme et y ressemblant en effet vaguement, en ceci qu'il ou elle porte jupe et se peinturlure la face, comme on peut le voir ci-dessus. Cette petite fantaisie n'apporte rigoureusement rien à l'intrigue, ni d'ailleurs ne lui ôte. Notre transsexuel (ou simplement travesti : les scénaristes ne nous disent pas s'il y a eu charcutage intime ou non...) n'est là, c'est tout à fait clair, que pour une seule raison : parce qu'il en faut désormais obligatoirement un dans toute série prétendant au qualificatif enviable de moderne ; en tout cas dans l'esprit ravagé des têtes pensantes netflicardes. 

Et l'on sent bien que si, demain, les manchots ou les unijambistes se constituaient d'aventure en lobbies et se mettaient à hurler à l'invisibilisation, les décideurs netflicards peupleraient aussitôt leurs tristes fictions de policiers sans bras et de cambrioleurs effractionnant sur un seul pied - ou l'inverse, selon humeur.

Au risque de nous rendre tous, à terme, implacablement téléphobiques.
 
(On notera tout de même que le personnage transtruc est interprété par Damon Herriman, excellent acteur que l'on a pu voir donner toute sa mesure – mais sa mesure réactionnairement masculine – dans des séries comme Justified ou encore Mindhunter. Dans cette dernière, il incarnait Charles Manson, individu certes fort intéressant mais assez peu transgenre…)


 

jeudi 15 juin 2023

Cormac sous la cendre

Cormac McCarthy, 20 juillet 1933 – 13 juin 2023.

 Grand écrivain ou non ? Éludons, éludons… J'ai beaucoup aimé, il y a une quinzaine d'années, les romans de McCarthy, mort il y a deux jours. Voilà deux ou trois ans, j'ai voulu les relire, spécialement La Route, qui m'avait réellement soulevé d'enthousiasme. C'est toujours une expérience à risque, la relecture. Parfois, le livre que l'on rouvre s'est bonifié, enrichi, approfondi de lui-même, tel un grand cru dans sa cave bourguignonne ou bordelaise (c'est ce qui est arrivé, par exemple, à Dame Crevette) ; parfois non. 

Un à un, les romans de McCarthy que j'ai repris me sont tombés des mains après moins d'une centaine de pages – tous. Et j'ai regretté l'idée funeste qui venait de me faire les rouvrir : j'aurais préféré rester sur mon admiration première, plutôt qu'avec cet arrière-goût de déception, dont je ne discerne même pas précisément la cause. Et toujours la même question qui resurgit, dans ces cas-là : le changement de perspective, le renversement du jugement qui vient de s'opérer est-il imputable à un goût plus sûr, plus acéré… ou au contraire à son racornissement ?

Peu importe ; de toute façon, la question demeurera sans réponse. Comme je ne renie pas mes admirations passées, même ne les partageant plus, je remets ici le texte écrit en 2008, après ma première lecture de La Route. Si ma mémoire ne me trompe pas, je l'avais déjà repris en 2014 dans En territoire ennemi. C'est donc une resucée de resucée que je prétends maintenant vous imposer. La voici :


Comment parler d'un roman dont il est impossible de ressortir, pour la simple raison qu'il n'y a plus rien en dehors de lui ? D'un livre dans lequel le lecteur est pris au même piège que les personnages ? Et, déjà, les mots trahissent l'apprenti critique. Car il n'y a pas de piège dans La route, le roman de Cormac McCarthy. Un piège, ce serait encore trop de chance. Cela signifierait qu'il y a autre chose, une existence possible en dehors du piège, un au-delà du piège. Or, il n'y a rien, et on le sait dès les premières lignes. Il y a un homme et son jeune fils qui marchent vers le sud d'un pays dévasté par une apocalypse dont on ne saura pas les causes mais dont on va devoir supporter tous les effets. À travers des paysages calcinés, noyés sous la cendre (je reviendrai sur cette cendre, si je m'en crois capable), détruits, rouillés, terriblement froids, ils vont vers une mer dont ils ne savent même pas si elle sera encore là lorsqu'ils y parviendront. L'enfant, lui, marche plutôt vers une idée de mer, à travers des rêves de paysages. Car sa mère était enceinte de lui lorsque le cataclysme (humain ou naturel ?) s'est produit, et il n'a jamais rien connu d'autre que ce que ses yeux peuvent voir.

Les règles, d'une certaine manière, sont simples : il y a des jours gris, auxquels succèdent des nuits noires (l'écriture elle-même me semble grise et noire, mais jamais “blanche”). Durant les premiers, on avance, on cherche de quoi se nourrir dans un monde qui ne produit plus rien, sauf des dangers mortels auxquels on essaie d'échapper. La nuit, on se cache, on dort, en tentant de survivre au froid, à la peur. Le lendemain, on recommence.

En dehors du manque de vêtements et de nourriture, le principal ennemi de l'homme et de l'enfant, ce sont les autres hommes et l'absence d'enfant. Parmi les autres hommes, il y a ceux que l'enfant appelle les Gentils, que l'on cherche sans les trouver, et il y a les Méchants, sur qui l'on peut tomber à chaque moutonnement de la route, et qui mangent les enfants. Qui les mangent vraiment. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'enfant dans le monde qui nous attend, qui nous précède de très peu. Si, il y en a un tout de même. Mais il n'est pas sûr que ce ne soit pas un simple rêve de l'enfant réel. Un désir un instant matérialisé. D'ailleurs, l'homme ne l'a pas vu. Trop affairé à trouver de la nourriture, de l'eau, une bâche pour s'abriter, des outils pour réparer le caddie de supermarché qu'il pousse devant lui, sur la route, jour après jour, et qu'il ne faut surtout pas se faire voler par d'autres ombres errantes. Trop occupé, aussi, à endiguer la peur de l'enfant, en de nombreux et brefs dialogues, dépouillés à l'extrême, comme l'est l'écriture de McCarthy lui-même, en tout cas ici.

L'enfant a peur, mais bien davantage, semble-t-il, du passé que de l'avenir. Peut-être parce que tout le monde sait, lecteur compris, qu'il n'y a plus d'avenir : on est déjà dedans et il n'y a pas de plan B. Le passé, en revanche, lui est effrayant. Lorsqu'ils arrivent devant la maison où l'homme a grandi, dans le monde d'avant, l'enfant est terrifié à l'idée d'y pénétrer, même à celle que son père y entre. Et, une fois dedans, il s'emploie à museler les souvenirs de l'homme et à tirer celui-ci au dehors de ce morceau de passé. Un passé qui ne peut absolument rien lui apprendre. Quand les hommes ne peuvent plus rien apprendre du passé, ils sont condamnés à avoir très peur de lui.

L'avenir n'est pas pour autant le sujet de La route, qui n'est lui-même pas du tout un roman de science-fiction. On est tout entier dans le présent, mais un présent situé légèrement en avant de nous, si peu en avant qu'il ne peut décemment porter le nom d'avenir. Et, au-delà, il n'y a plus rien, que la route. Avec, au bout, peut-être, la mer. La mer, mais pas d'espérance.

Y a-t-il seulement un dieu ? Y a-t-il Dieu, sous la route ? J'ai eu, tout au long de ce cheminement (ce mot même, n'est-ce pas...) la sensation d'une présence, muette c'est vrai, mais presque toujours là. Celle d'un dieu qui “fait le mort” mais qui observe. Un dieu qui n'a peut-être plus la volonté ou le pouvoir d'être psychopompe mais n'aurait pas tout fait renoncé à être psychostase. Et je me suis demandé si Dieu, plutôt que de se situer au bout de la route, n'était pas la route elle-même ; ce sur quoi il est encore possible d'appuyer ses pieds pour avancer, quand tout le reste disparaît sous la cendre.
 

Il s'agit toujours de Dieu invisible, inactif, de Dieu muet ; de Dieu sans Bach, si l'on veut. Néanmoins, McCarthy a introduit dans son roman quelques figures dont il me paraît difficile de ne pas discerner les aspects christiques. Tel ce vieillard presque centenaire, qui chemine lui aussi, avec sur le dos un sac vide. Lorsque l'homme lui demande comment il parvient à se nourrir, le vieillard lui répond que les gens “lui donnent des trucs”. Or, dans cet après-monde, dans ce déjà-futur, aucun homme ne nourrit un autre homme. Donc... Et la scène se poursuit par ce dialogue :

Les gens qui vous ont donné à manger. Où sont-ils ?
Il n'y a personne. J'ai inventé ça.
Qu'est-ce que vous avez inventé d'autre ?
Je suis sur la route, tout simplement. Exactement comme vous.
C'est votre vrai nom Élie ?
Non.
Mais vous ne voulez pas dire votre nom ?
Je ne veux pas le dire.
Pourquoi ?
Je ne pourrais pas vous le confier. Vous pourriez vous en servir. Je ne veux pas qu'on parle de moi. Qu'on dise où j'étais ou ce que j'ai dit quand j'étais à cet endroit-là. Vous voyez, vous pourriez peut-être parler de moi. Mais personne ne pourrait dire que c'était moi. Je pourrais être n'importe qui. Je crois que par les temps qui courent moins on en dit mieux ça vaut. S'il était arrivé quelque chose et qu'on soit des survivants et qu'on se soit croisés sur la route alors il y aurait quelque chose à dire. Mais ce n'est pas le cas. Alors il n'y a rien à dire.

Le prénom d'Élie peut-il être là par hasard ? Choisi d'un doigt pointé dans l'annuaire ? Et ce personnage qui ne veut pas dire son véritable nom, qui se cache derrière le masque d'Élie, et qui dit à l'homme qu'ils auraient pu se croiser mais que rien, en réalité, n'est arrivé, est-ce qu'il ne ressemble pas à un dieu, mais un dieu qui aurait sinon “jeté l'éponge”, en tout cas renoncé à se révéler à l'homme, à l'homme ancien ? Un dieu qui ne veut plus que l'on puisse utiliser ses paroles ou son nom, ni même se les rappeler. Il est vrai que, juste après le fragment de dialogue que j'ai retranscrit, lorsque l'homme émet l'hypothèse que son fils est peut-être un dieu, le vieillard annonce :

Là où les hommes ne peuvent pas vivre les dieux ne s'en tirent pas mieux. Vous verrez. Il vaut mieux être seul. Alors j'espère que ce n'est pas vrai ce que vous venez de dire parce que se trouver sur la route avec le dernier dieu serait quelque chose de terrible, alors j'espère que ce n'est pas vrai. Les choses iront mieux lorsqu'il n'y aura plus personne.

Il me semble que les allusions à la divinité se multiplient à mesure que le roman avance vers sa fin, que les oscillations de la figure christique se font de plus en plus rapides, entre l'homme et l'enfant. Mais je préfère ne pas trop parler de la fin. Donc, laissons Dieu sur le bord de la route, au moins pour l'instant.

Il nous reste le monde et les hommes. Et la cendre. La cendre qui noie les contours, efface les couleurs, abolit les différences. On va bien sûr ricaner que je suis obsédé, monomaniaque, mais comment ne pas voir là une sorte de prophétie girardienne ? L'enfer sera nôtre lorsque nous serons devenus tous rigoureusement semblables, lorsqu'il n'y aurait plus d'autre. Il semble qu'on travaille activement et avec enthousiasme à ce “prochain présent”, de nos jours. Alors, la guerre de tous contre tous pourra se répandre librement. De fait, dans le roman de McCarthy, à cause de la cendre omniprésente justement, tous les hommes portent sur le visage un masque, qui les rend parfaitement interchangeables. De là le meurtre et, “crise alimentaire” oblige, la résurgence de l'anthropophagie. Il est tout de même à noter que si McCarthy montre à plusieurs reprises l'homme ajustant son masque sur son visage, il ne le fait jamais pour l'enfant. L'enfant, né dans le “déjà futur”, ne porte pas de masque.

Je disais, en commençant ce texte sans plan ni structure ni queue ni tête, que l'on ne pouvait pas ressortir de La route, parce qu'il n'y avait rien en dehors d'elle, de même qu'il n'y a rien en dehors du monde sous la cendre, de ce futur dans lequel nous avons déjà mis un pied. Cormac McCarthy semble être là pour nous avertir que cela ne nous portera pas bonheur.


mercredi 7 juin 2023

L'illusion toté(co)mique ou Les surprises du parc aux cerfs

Une information un tantinet asilaire, à moi transmise par un ami cher et attentif : en Caroline du Sud, un membre d'une secte trans species se prenant pour un cerf (mille pardons : étant un cerf) et déambulant dans un bois déguisé en cet animal magnifiquement cornu a été malencontreusement abattu par des chasseurs se prenant pour des humains, ou peut-être l'étant réellement. L'affaire devrait avoir des suites… mais lesquelles, au fond ?

En toute logique wokienne, les chasseurs en question ne sauraient être inquiétés le moins du monde par la justice de leur État. En effet, si notre brave “trans species” affirmait être un cerf au moment de sa promenade sous les frondaisons, il serait parfaitement ignoble de lui dénier le droit à cette identité profonde de son moi et de se comporter vis-à-vis de sa dépouille comme si c'était celle du bipède qu'il déclarait n'être pas.

Donc, s'il était bien un cervidé – et qui sommes-nous pour en douter ? –, les porteurs de fusils étaient alors tout à fait en droit de l'abattre, pour peu que la chasse fût ouverte et qu'ils eussent leur permis dûment tamponné.

Et si, de surcroît, saisis par une petite fringale festive, ils décidaient d'accommoder leur proie en méchoui, il serait fort malvenu, et stupidement réactionnaire, de leur ôter le morceau du râtelier en les accusant de cannibalisme.

vendredi 2 juin 2023

Le monocle rit jaune


 En terrasse avenue de Versailles, à l'angle de la rue Boileau (devant un triste quart Perrier…), environ deux heures après le charcutage de ma sénestre mirette. Prenant ce cliché, Catherine m'avertit que j'avais droit à une superbe jeune femme en second plan. Je ne me suis pas retourné, ne me trouvant pas, en cet instant, tout à fait à mon avantage…

mercredi 31 mai 2023

À la recherche de Jean Santeuil


 Le jeune Marcel P. a fait une apparition chez nous en mai.

dimanche 28 mai 2023

Camus, Houellebecq et le Zébulon criticomane


 Expérience éprouvante – mais heureusement de plus en plus en plus rarement tentée –, je viens de lire coup sur sur coup quatre ou cinq des indigestes tartines du Zébulon criticomane Juan Asensio, dont celle qu'il consacra (en apparence car, comme d'habitude, le point d'appui qu'il prend sur tel ou tel écrivain n'est guère là que pour lui permettre d'étaler en phrases molles et amphigouriques ce qu'il croit être, ce grand naïf, sa culture) au dernier roman de Michel Houellebecq, Anéantir. En réalité, sur le fond, je serais plutôt d'accord avec les critiques qu'il formule, du moins certaines d'entre elles, si, pris par son désir de faire le malin, de jouer les anges exterminateurs, il ne poussait les dites critiques jusqu'à l'imprécation vide… mais bruyante.

Du reste, ce n'est pas cela qui m'a amusé et qui justifie que je parle ici de ce cuistre, finalement assez folklorique. Au beau milieu de son pavé gras, Asensio ne résiste pas au plaisir gamin de taper sur la tête de l'une de ses figures obsessives préférées, j'ai nommé Renaud Camus. Pour montrer à quel point le maître gersois est bien une vieille baderne ne comprenant rien à rien, ni l'inverse, il cite un extrait de ce que disait Camus, dans son journal, à propos de Houellebecq :

« Je ne comprends pas – écrivait donc Renaud Camus – les gens qui trouvent que Michel Houellebecq n’a pas de style. Faut-il qu’ils manquent d’oreille ! Houellebecq a le style imperturbable, c’est bien différent — le style Buster Keaton, deadpan, pince-sans-rire, tongue-in-cheek. En fait c’est un des tons les plus difficiles à trouver et surtout à garder, à tenir sur la distance. Lui s’acquitte de cet exercice de haute voltige avec une virtuosité sans égale, qui forcément se doit de rester discrète, comme tout le reste : il y a là une contradiction dans les termes, cette maestria pataude, qui fait toute la tension de la phrase et de la page, page après page (je suis en train de lire Sérotonine). Un autre avantage, c’est un effet comique permanent. On connaissait l’Apocalypse en riant, voici la dépression planétaire à se tordre : plus c’est triste, plus c’est drôle ; plus c’est désespéré et désespérant, plus on s’amuse. »

Et c'est ainsi que la massue qu'il levait bien haut pour fracasser le crâne du monstre de Plieux retombe implacablement sur le gros orteil de Juan Asensio. Car les quelques lignes de Camus que ce lourdaud cite pour s'en moquer sont d'une parfaite justesse et témoignent, dans leur concision et leur finesse, de la compréhension que peut avoir un écrivain d'un autre, sitôt qu'il le lit avec… de l'oreille.

Mais comment voudrait-on que Juan Asensio ait encore de l'oreille, lui qui, depuis au moins vingt ans, n'a jamais cessé un seul jour de hurler ?

samedi 27 mai 2023

Le plus couillu des deux…


 Irrésistible Edwy Plenel, qui passe son temps à faire des moulinets avec son épée de Zorro mediapartique, mais qui se réfugie en pleurnichant entre les bras de la police parce qu'une fille lui a tiré les cheveux à la récré. On espère au moins que cette femelle en furie ne lui aura pas, en plus, fait couler le maquillage.

En tout cas, respect et admiration pour Maïwenn : il était déjà fort beau de sa part d'avoir eu le cran de faire tourner Johnny Depp, en dépit des criailleries de la volaille moitaussi rongée par son envie du pénal, et de s'afficher ensuite avec lui à Cannes. Mais cette montée de marches n'était encore rien à côté de la traversée de restaurant qu'elle s'est offerte, pour aller sans hésitation ni crainte infliger une nasarde à la moustache stalinoïde, qui s'est aussitôt mise à couiner pour la plus grande joie des petits et des grands.

Quelques âmes naïves s'étonneront peut-être de ce que les pasionarias de moitaussi n'aient pas applaudi la cinéaste des deux mains plutôt que de la vouer aux gémonies : après tout, qu'une femme se rebiffe ouvertement et physiquement contre un mâle blanc de plus de cinquante ans qui l'avait malmenée, voilà qui aurait dû réjouir ces amazones.

Naïveté en effet : pour que les diverses officines de ces tricoteuses new age continuent à prospérer, il importe que les femmes soient victimes, toujours victimes, entièrement et seulement victimes. Et elles voient bien que quand l'une d'elles refuse de jouer le jeu et de sangloter en mesure, c'est le brin de laine qui sort du pull et menace de le détricoter entièrement.

Si, pour aggraver le tout, la brebis hautement galeuse possède des talents dont elles-mêmes restent fort dépourvues, la panique menace.

Et c'est comme ça qu'on se retrouve toutes ensembles au chevet d'un vieux flic à la lippe embroussaillée qui, se voyant ainsi choyé et dorloté, lâche de plus belle la bonde à ses pleurs, victime d'une sorte de dépression post mediapartum.

 

vendredi 26 mai 2023

Le maître c'est Marguerite !

Marguerite Audoux, 1863 – 1937.

 On doit s'attendre à des choses peu ordinaires quand on vient au monde avec “Donquichotte” pour nom de famille. Or, c'est ce qui est arrivé au nourrisson Marguerite : son père, enfant trouvé, avait en son temps été victime d'un gratte-papier de l'Assistance publique qui devait se croire spirituel. Plus tard, elle adoptera sagement le nom de sa mère : Audoux.

Cette mère succombe à la tuberculose lorsque Marguerite a trois ans ; son père, solidement alcoolique, en profite pour faire son baluchon et disparaître à jamais de notre histoire. Pour la petite Berrichone, c'est alors un aller simple pour l'orphelinat de Bourges où elle restera jusqu'à 14 ans, protégée du soleil par les coiffes des bonnes sœurs. Ensuite, on l'enverra garder les moutons dans une ferme de Sologne, d'où elle reviendra à l'orphelinat en tant qu'aide-cuisinière avant, à 18 ans, de partir pour Paris.

Voilà ce que raconte Marie-Claire, le livre publié par Marguerite devenue Audoux en 1910. Rien de plus ? Rien de plus. Mais, dans ces 180 pages, entre les murs de l'orphelinat berruyer puis les clôtures de la ferme solognote, c'est l'univers entier qui s'éveille, au même rythme que l'enfant puis l'adolescente qui le regarde, s'y love ou s'y débat selon les circonstances. 

J'ai lu ce livre d'une traite, ce matin, oscillant sans cesse de la stupeur à l'émerveillement. Si seuls les très grands écrivains sont capables de faire revivre l'enfant qu'ils ont été sans l'étouffer sous le poids de leur intelligence – mais aussi de leur inévitable dessèchement – d'adulte, alors Marguerite Audoux en est un. Pas une once de pathos dans ces phrases courtes et d'une trompeuse simplicité (trompeuse parce que, en réalité, très difficile à acquérir), jamais le lecteur n'est “tiré par la manche” ni incité à sortir son mouchoir. 

Mais surtout, le sommet de l'art, ici, est de parvenir à nous raconter une enfance avec les yeux mêmes de cette enfance. C'est-à-dire que les choses qui sont restées mystérieuses, obscures à la gamine qui s'y est trouvée confrontée, ces choses le restent aussi pour le lecteur, qui doit s'efforcer de deviner, d'interpréter les “signes” que l'auteur lui livre comme elle-même les a perçus à l'époque. Car lorsque, le soir après sa journée de travail, Marguerite Audoux noircissait une ou deux pages des cahiers qu'elle tenait au secret d'un tiroir, elle ne faisait que tenir la plume. Et c'est l'enfant qui se réveillait en elle, intacte, absolument vivante ; et c'est sa voix que le lecteur perçoit directement, encore aujourd'hui.

Il fallut deux ou trois coïncidences pour que Marie-Claire voit finalement le jour, grâce aux interventions conjuguées de Charles-Louis Philippe – mort avant de l'avoir vu paraître – et d'Octave Mirbeau : on les trouvera relatées chez Dame Ternette. Cet écrivain semblant surgir de nulle part fut aussitôt traduit en une dizaine de langues et salué par des gens aussi divers que Léon-Paul Fargue, André Gide, Léon Werth, ou encore Valery Larbaud et Alain-Fournier.

Aujourd'hui, c'est mon tour de saluer modestement Marguerite Audoux.


Marie-Claire suivi de L'Atelier de Marie-Claire, Grasset, Les Cahier Rouges, 414 p.