samedi 31 décembre 2016

Le dit du brouillard




Le brouillard a quelque chose d'apaisant et d'autoritaire. Quand il refuse de se lever, qu'il reste étale durant des jours autour de l'endroit où vous vous trouvez vivre, il semble presque capable d'intimer au temps l'ordre de se taire, ou au moins de la mettre en sourdine, comme il fait avec les panaches des cheminées, qui sortent des bouches sans savoir où aller, avec des airs de petits nuages erratiques.

Le brouillard ne tolère aucun concurrent, et surtout pas le vent ; le brouillard n'est pas du côté de l'agitation. Le brouillard est quasiment le contraire de ces fats de nuages, qui prétendent cacher le soleil : le brouillard annule le soleil. Évidemment, il sait que le soleil gagnera, et très prochainement : le brouillard se sait éphémère. Mais, au moins, le temps qu'il règne, il ne s'offre pas le luxe de se battre contre ses prétendants : il sait qu'il règne, et le fait puissamment.

De son autorité naît l'apaisement des créatures agitées et mortelles, c'est-à-dire : nous. Il y eut, dit-on, des millions de millions d'années durant lesquels la Terre fut enveloppée dans cette ouate qui, ce soir, à un doigt d'un changement d'année,  s'appesantit sur toute chose, et fait se dresser les squelettes des arbres, comme s'ils avaient je ne sais quelle fierté à revendiquer, ayant à voir avec leur faculté de rester immobiles et leur longévité.

Sauf si vous êtes un malheureux insecte urbain, pris dans les lumières et le bruit artificiels, sortez de chez vous, poussez la porte, levez les yeux : le brouillard, terriblement silencieux, implacablement immatériel, va vous écraser d'éternité, c'est-à-dire vous faire croire que, pour vous, la vie va continuer comme elle a commencé. Tâchez de ne pas trop écouter ces fumées du silence.

jeudi 29 décembre 2016

Les spectres de l'automne


Parce qu'il est question d'un fantôme 
dans le journal de novembre

samedi 24 décembre 2016

Les trous noirs n'ont pas de chevelure

John Archibald Wheeler, 1911 – 2008

Nous parlions hier du côté farceur de Nathalie Sarraute : c'est un trait de caractère qu'elle partage avec certains physiciens, notamment ceux qui s'occupent de relativité générale, et en particulier l'un des plus fameux d'entre eux, John Archibald Wheeler, professeur à Princeton durant 40 ans et l'un des pères de la bombe atomique américaine avec Robert Oppenheimer. Dans les années soixante, plusieurs astrophysiciens, en Amérique, en Angleterre, mais aussi en Russie soviétique, se préoccupaient de déterminer la chose suivante : si une étoile affligée d'une protubérance quelconque se transforme en trou noir, celui-ci sera-t-il doté de la même protubérance, ou bien parfaitement sphérique ? Je vous passe les détails, mais enfin, il fut prouvé que tous les trous noirs devaient être rigoureusement sphériques, quelle qu'ait été la forme des étoiles leur ayant donné naissance. Ce que John Wheeler résuma en une formule : un trou noir n'a pas de chevelure.

En français, la phrase reste tout à fait innocente. Mais on sait qu'en anglais le mot hair désigne tout aussi bien les poils que les cheveux. (Une femme hairy n'arbore pas forcément une crinière de lionne : elle peut aussi être plus intimement nantie d'un superbe tablier de sapeur…) Par conséquent, les physiciens du monde entier – dont l'anglais est la langue commune – purent comprendre que les trous noirs n'ont pas de poils, et ils ne s'en privèrent pas. Ils s'en privèrent même si peu que, en 1969, Simon Pasternack, directeur de la Physical Review, publia une note péremptoire, pour prévenir qu'il refuserait tout article employant cette expression, ne pouvant admettre que de telles obscénités paraissent dans sa très digne revue. Devant le succès remporté par la formule de Wheeler, il dut pourtant finir par s'incliner, et admettre dans ses pages cette chevelure qui le défrisait.

(L'anecdote est tirée du livre de Kip S. Thorne – physicien qui fut l'élève de Wheeler –, intitulé Trous noirs et distorsions du temps. Il s'agit d'un volumineux ouvrage de vulgarisation (650 pages, caractères minuscules…), en tous points remarquable, clair, vivant, parfaitement écrit, accessible aux profanes complets et d'une très grande richesse.)

vendredi 23 décembre 2016

Les centenaires ratés, nouvel épisode


En voici encore une, qui a manqué de souffle au moment de grimper la dernière marche menant au podium : Nathalie Sarraute, 18 juillet 1900 – 19 octobre 1999. C'est ballot, ces neuf mois manquants, juste le temps d'une petite gestation de modèle courant. Cela dit, l'équité m'oblige à reconnaître que, chez les écrivains, les hommes ne sont pas moins ridicules que ces dames, en ce qui concerne le centenariat. Prenez Bernard Le Bouyer de Fontenelle, par exemple, dont les dates fatidiques donnent envie de rougir de honte à sa place : 11 février 1657 – 9 janvier 1757. Un mois et deux jours à tenir, palsambleu ! Il existe par ailleurs une autre différence entre ces deux-là, et c'est que je n'ai jamais, je crois, lu une ligne de M. de Fontenelle, alors que je connais l'œuvre de Mme Sarraute comme ma poche et que je l'aime beaucoup (je ne précise ce point que pour fournir à Michel Desgranges une occasion de se foutre un peu de moi…). À ceux qui seraient tentés d'y aller risquer un œil, je conseillerais volontiers  le roman intitulé Les Fruits d'or. Pour ceux que la lecture défrise, il reste la solution de télécharger Pour un oui ou pour un non, pièce assez courte, filmée par Jacques Doillon et splendidement interprétée par André Dussollier et Jean-Louis Trintignant. Pour terminer, on notera que, sous une apparence que l'on peut sans exagération qualifier d'austère, Mme Sarraute savait se montrer farceuse. Ainsi, alors que ses Œuvres complètes venaient de paraître dans la Pléiade, elle s'est empressée d'écrire et de publier l'année suivante, en 1997, un petit roman surnuméraire, de façon à faire mentir le titre de la prestigieuse bibliothèque. Si l'on veut mon avis, elle aurait mieux fait de conserver son énergie pour vivre neuf mois de plus.

lundi 19 décembre 2016

Dieu que les femmes peuvent être décevantes ! (Suite.)


Et qu'on ne vienne pas m'accuser de parti pris, encore moins de misogynie : je n'invente rien, je n'interprète pas, je me borne à constater. Comme ce blog s'en est fait l'écho à plusieurs reprises, ces dames semblent manquer de volonté – surtout vers la fin – au point de n'être jamais fichues de tenir jusqu'à cent ans, alors qu'il leur suffirait de raidir un peu leur volonté durant quelques semaines pour y parvenir. Dernière lâcheuse en date : Mme Zsa Zsa Gabor, qui vient de défunter à un mois et demi de son centième anniversaire, lequel aurait dû survenir le 6 février prochain : honte sur elle.

En face, chez les hommes, que voyons-nous ? Kirk Douglas ; qui, le 9 décembre dernier, a, dans l'honneur et la dignité, franchi le cap du siècle ; et qui, depuis ce jour, poursuit vaillamment sa route sans concasser l'appareil génito-urinaire de qui que ce soit en ce monde. Heureusement pour la gent féminine, Olivia de Havilland est là pour sauver l'honneur, mais c'est bien peu. De son côté, l'équipe gérontologique de ce blog s'engage avec solennité à surveiller scrupuleusement Mme Danielle Darrieux jusqu'au premier mai prochain.

dimanche 18 décembre 2016

Charles Darwin et les frères ennemis


Dans le domaine de la biologie, de la paléontologie, etc., les néodarwinistes dogmatiques et les créationnistes illuminés forment un duo de frères ennemis dont on ne voit pas comment on pourrait les séparer, chacun ayant tout intérêt à la survie de l'autre. Les créationnistes – c'est-à-dire ceux qui prétendent que Dieu a créé toutes les espèces d'un coup juste après avoir bricolé la Terre il y a quelques milliers d'années – sont indispensables aux néodarwinistes, en ce qu'ils leurs servent de repoussoir, d'épouvantail ; de même que, sur le plan politique, le Front national est nécessaire aux progressistes pour menacer et faire taire tous ceux qui auraient l'idée de remettre un tant soit peu en cause leurs innovations les plus asilaires (c'est le fameux “faire-le-jeu-du-FN”, brandi plusieurs fois par jour et à propos de tout). Tout scientifiques émettant des doutes sur tel aspect de l'évolution par la sélection naturelle, ou faisant remarquer que, au vu des dernières découvertes dans un domaine ou un autre, la théorie initiale a de plus en plus tendance à prendre l'eau, celui-là verra aussitôt surgir devant lui l'un des grands-prêtres assermentés du dogme (Richard Dawkins ou Daniel Dennett, le plus souvent), qui le désignera à la vindicte de la communauté scientifique en l'accusant de “fournir des armes aux créationnistes”, même si le malheureux fourvoyé est aussi athée que vous et moi. À partir de là, il lui deviendra nettement plus difficile de continuer à publier ses futurs articles dans les grandes revues “à référés”.

À l'inverse, les créationnistes ont tout autant besoin des néodarwiniens rigoristes. Les replâtrages, les colmatages et les acrobaties de plus en plus périlleuses que ces derniers sont contraints d'inventer, chaque fois qu'une nouvelle brèche apparaît dans leur arche miraculeuse, donnent davantage de poids aux attaques des premiers, qui les accusent volontiers de vouloir à tout prix camoufler les contradictions du darwinisme et de tenter d'étouffer toute remise en question, même quand elle provient d'un savant se réclamant lui-même du néodarwinisme ; ils finissent par les accuser d'avoir transformé  le darwinisme en une véritable secte ; ce qui, venant d'eux, ne manque pas de sel.

Pendant que se déroulent ces querelles de chiffonniers, des savants de plus en plus nombreux, et venant d'un peu tous les horizons mettent à jour des lézardes supplémentaires, ouvrent de nouvelles pistes de recherches, font appel aux modèles mathématiques, à la physique quantique, etc., en sachant qu'ils risquent à tout moment de se faire rejeter dans le camp des créationnistes, ou d'être récupérés directement par eux. Tout cela parce que, au fond, ni les “néo” – dont c'est le gagne-pain –, ni les “créa” – qui en ont besoin comme repoussoir de plus en plus facile à attaquer – n'ont intérêt à ce que l'évolution basée sur la sélection naturelle s'effondre un de ces jours, proche ou lointain, mais de plus en plus envisageable.

Du reste, ce verbe, “s'effondrer”, n'est pas forcément pertinent. Si, en effet, le système de représentation du monde mis en place par Ptolémée et ses successeurs est bel et bien tombé en poussière sous les coups portés par Copernic, Galilée et les suivants, il n'en a nullement été de même pour le système de Newton à l'apparition de la relativité générale d'Einstein : celle-ci n'a pas détruit celui-là, elle l'a en quelque sorte avalé. Mais les lois de Newton continuent d'être valables et utilisables, tant que l'on se cantonne à notre planète : c'est seulement quand on passe à l'échelle de la galaxie et du cosmos qu'elles cessent d'être pertinentes. À l'autre bout du champ, elles ne sont pas valables non plus lorsqu'on s'enfonce dans l'infiniment petit, qui est le domaine de la physique quantique. Peut-être en ira-t-il de même pour la théorie de Darwin, comme un certain nombre de savants tend à le dire de plus en plus ouvertement : l'évolution par la sélection naturelle demeurera sans doute un principe d'explication fiable pour ce qui concerne les micro-évolutions (mutations et sélection à l'intérieur des espèces), mais devra être remplacé par autre chose pour les macro-évolutions (naissance de nouvelles espèces). Quelle “autre chose” ? C'est tout l'enjeu, qui rend la question si passionnante. Apparemment des pistes commencent à se dessiner, des hommes et des femmes s'y sont engagés : certains se perdront en route, mais d'autres arriveront peut-être quelque part.

jeudi 15 décembre 2016

Le lecteur imprudent


On m'y reprendra, à suivre les conseils littéraires des astrophysiciens ! Parce que, dans son Destin de l'univers, Jean-Pierre Luminet parlait avec faveur du Voyageur imprudent de René Barjavel, comme de l'un des premiers romans à explorer le thème du paradoxe temporel, j'ai commandé le livre. Je viens de le terminer (au triple galop), et c'est une sombre déception. La seule chose indubitable qui se dégage de cette histoire est l'ennui. Ennui au présent, avec une historiette d'amour d'une harlequinesque niaiserie, sur fond de Seconde Guerre mondiale (le roman a été écrit entre 1942 et 1943). Ennui au futur, lorsque le héros-voyageur se projette jusque vers l'an 100 000 (à quelques mois près), pour nous décrire laborieusement, pesamment, une humanité totalement métamorphosée et asservie par une sorte de “devenir-fourmi” : mutations absolument impossibles en un temps aussi court, que Barjavel tente de faire passer par l'invention d'une mystérieuse “force”, dont on ne sait trop si elle est psychique ou arrivée d'ailleurs, et qu'il tire de son chapeau faute d'avoir trouvé mieux. Ennui, enfin, au passé, dans la troisième partie du roman, lorsque nous sommes propulsés en 1890 d'abord, puis en 1793 où se déroule le fameux paradoxe temporel dit “du grand-père”, auquel l'auteur ne parvient plus à nous intéresser, après les deux cents pages mornes qu'il vient de nous infliger. Et c'est avec une certaine satisfaction teintée de sadisme que le lecteur voit s'évanouir dans le néant ce héros inter-temporel qui, de toute façon, n'avait à aucun moment réussi à exister vraiment, à peine davantage que sa fiancée désespérément falote et d'une raideur comique sous son armure de vertus domestiques. Le seul véritable paradoxe, au bout du compte, est que ce roman médiocre ait pu acquérir le prestige qui semble être, encore aujourd'hui, le sien. À moins que sa raison d'être profonde fût de prouver l'absence complète de goût littéraire chez les lecteurs de science-fiction.

mercredi 14 décembre 2016

Et Dieu reconnaîtra les chiens

Otello dit Balbec, 1998 – 2006

Au fond, la nuit ayant passé, elle ne me convient guère, ma vision d'un paradis canin que j'exposais hier soir ; en ceci qu'elle implique un éden séparé pour nous autres (à moins de tous nous parquer à l'entrée d'une cuisine, sous une pluie régulière de peaux de saucisson, ce que je conçois mal). Or, si je n'ai rien contre l'idée d'un séjour paradisiaque à durée indéterminée – encore qu'il m'arrive de frémir en songeant à tous ceux que je risque d'y retrouver, au détour d'une sente de nuages –, il me déplairait fort que l'on n'y croisât ni cador ni greffier, ni même opossum ou scolopendre : une éternité sans bestioles, et pour peu que le havre divin soit sonorisé telle une vulgaire quinzaine commerciale sublunaire, voilà qui, à mes yeux morts, commencerait à ressembler foutrement à l'enfer. Et puis, enfin : vous imaginez l'humeur exécrable dans laquelle doit être Paul Léautaud, si jamais ses chiens et ses chats sont ad mortem confinés dans une zone inaccessible du jardin enchanté ? Il doit casser l'auréole de tout le monde depuis plus de soixante ans, l'animal ! Non décidément, et même si c'est là une solution bien peu satisfaisante, le plus prudent me paraît encore de rester en vie.

mardi 13 décembre 2016

Paradis pour tous, y compris les cons


« Mais enfin, Bergotte, pousse-toi : tu l'as eu tout à l'heure, ton poulet ! » Ainsi parlait Catherine il y a dix minutes, débarrassant son assiette vide, cependant que je lichais la mienne. En effet, une heure plus tôt, au sous-sol, la chienne s'était régalée (ça se voyait) de la peau de la volaille dont j'achevais de consommer la viande. 

Et je dis : « En fait, le paradis, dans un cerveau de chien, ce doit être d'être couché à l'entrée d'une cuisine, et que, régulièrement, toutes les cinq minutes, tombe dans sa gueule entrouverte une peau de poulet ou de saucisson, le gras du jambon, l'os de l'entrecôte, les miettes du gâteau, etc. à l'infini des temps. »

Alors Catherine, emplie d'admiration, me dit : « Oui, sans doute tu as raison, ô luminaire de toute mon existence ! »

Et bouillonnant de l'enthousiasme qu'ainsi elle m'insufflait, je poursuivis, tout en lui tendant mon assiette désormais vide : «  Au fond, ces braves camarades canins rêvent autant que nos frères musulmans, qui s'imaginent qu'un paquet indéterminé de vierges viendra compenser leurs frustrations terrestres, pour peu qu'ils aient auparavant déchiqueté un nombre conséquent d'infidèles festifs à la kalachnikov : cela ne leur arrivera jamais, ni à ceux-ci, ni à ceux-là, mais rend certainement leur pauvre vie plus supportable. »

Elle en fut frappée, en convint, et rendit grâce à ma sagesse, tandis que je bottais le cul du fucking clébard, qui trouve toujours le moyen d'être en plein milieu du passage, notamment quand on débarrasse la table.

Nous conclûmes ensemble, tout en refermant le lave-vaisselle, que nous avions bien fait d'adopter un chien plutôt qu'un mahométan, et je me resservis un demi-verre de riesling, afin d'attendre l'heure de Breaking Bad. La vie pouvait être belle, tant que, sur trente millions d'amis, les quadrupèdes l'emportaient encore sur les enturbannés.

lundi 12 décembre 2016

Petite leçon d'astronomie, II


De ma lecture du remarquable – quoique assez ardu en certains de ses confins… – livre de Jean-Pierre Luminet, Le Destin de l'univers (deux volumes en collection Folio), je puis d'ores et déjà tirer une conclusion dont le caractère aporétique n'est qu'apparent ; je vous la livre :

Les trous noirs sont troublants.

samedi 10 décembre 2016

Ce qu'on ne veut pas voir ou La Leçon d'astronomie


Un certain matin de juillet, en l'année 1054, un astrologue chinois, Yang Wei-T'e, remarqua dans le ciel l'apparition d'un astre extraordinaire : précédant le Soleil de quelques minutes, l'étoile inconnue s'éleva au-dessus de l'horizon, beaucoup plus brillante que toute étoile jamais observée, et même que Vénus. Yang la baptisa illico Étoile invitée. La nouvelle venue resta apparente – y compris en plein jour – durant 23 jours, puis encore deux ans mais seulement de nuit ; après quoi, elle disparut. Sans bien entendu le savoir, ce brave astrologue extrême-oriental avait assisté à l'explosion d'une supernova, dont l'éclat équivalait à celui de 250 millions de soleils. Il ne fut d'ailleurs pas le seul à noter le phénomène, puisqu'on en retrouve des traces dans d'autres chroniques astrologiques, chinoises mais aussi japonaises.

En revanche, en Occident, rien. Pas la moindre trace de l'étoile invitée que, pourtant, les astrologues européens n'avaient pu manquer de repérer. Pourquoi un tel mutisme ? Étaient-ils tous devenus aveugles en même temps ? D'une certaine manière oui. L'Occident vivait alors sous un paradigme aristotélicien intangible, lequel affirmait que les cieux étaient immuables, et les étoiles accrochées à une “sphère des fixes” (les Orientaux d'alors, eux, admettaient les changements célestes). Par conséquent, une anomalie telle que cette invitée surprise étant à la lettre impensable, les astrologues de chez nous ne l'ont effectivement pas vue ; ou, s'ils l'ont vue, se sont empressés de se persuader qu'ils avaient été victimes d'une illusion de leurs sens ; et se sont bien gardés d'en faire état par écrit. 

Ce n'est qu'en 1731 que John Bevis, un astronome amateur anglais, découvrit une nébuleuse dans la constellation du Taureau, laquelle fut ensuite baptisée nébuleuse du Crabe : il s'agissait bien  du résidu gazeux engendré par l'explosion de la supernova immédiatement repérée par les astrologues orientaux, ainsi que l'établit avec certitude Edwin Hubble en 1928. (Immédiatement est une façon de parler : la nébuleuse du Crabe étant située à environ 6500 années-lumière de nous, l'explosion avait en réalité eu lieu vers 5400 avant Jésus-Christ.)

Il va de soi, je pense, que je n'ai raconté cette histoire qu'à seule fin d'inciter mes aimables commentateurs à en appliquer le principe, non seulement à d'autres domaines scientifiques que l'astronomie, mais également à des champs n'ayant rien à voir avec la science – la sociologie par exemple.. Au fond, cette cécité volontaire des astronomes médiévaux ne fait rien d'autre qu'illustrer la phrase de Proust, disant en substance que la raison n'a aucun pouvoir dans le monde où évoluent nos croyances, que ce n'est pas elle qui les a créées et qu'elle est tout autant incapable de les détruire. Ou bien, encore plus simplement, le diction populaire qui prétend que « il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir ».

La “preuve” a contrario de ce phénomène existe, elle aussi fournie par l'observation du ciel. Le 11 novembre 1572, l'astronome danois Tycho Brahé repéra une étoile nouvelle dans la constellation de Cassiopée, qui resta durant plusieurs jours plus brillante que Vénus elle-même. Il s'agissait également de l'explosion d'une supernova ; sauf que, cette fois, tout occidental qu'il était, Tycho Brahé, soutenu par le roi du Danemark, se mit à étudier scientifiquement sa découverte, au lieu de la passer par profits et pertes comme ses devanciers de l'an mil. Pourquoi ? Parce que le paradigme aristotélicien (on pourrait dire aussi : ptoléméen) commençait à se fissurer et à prendre eau de toutes parts (Galilée et Kepler ne sont plus bien loin…) et qu'il devenait pensable de passer outre. L'œil était alors en pleine conquête de la permission de voir.

(Je comptais, au départ, poursuivre ce billet en développant un peu cette notion de “paradigme” à laquelle j'ai fait rapidement allusion, parce qu'elle me semble avoir une grande importance pour le monde actuel, et pas seulement dans le domaine des sciences. Mais cela le mettrait beaucoup trop long, si tant est qu'il ne le soit pas déjà. J'y reviendrai donc un de ces jours prochains. Sans doute…)

jeudi 8 décembre 2016

Petite illustration d'un effondrement culturel


« Créé il y a 60 ans par le dessinateur André Franquin, le personnage de Gaston Lagaffe est à l'honneur avec une grande exposition organisée à partir de mercredi par le Centre Pompidou à Paris, jusqu'au 10 avril 2017. » (Source.)
Après le Nobel de littérature à Bob Dylan,  il est parfaitement cohérent et logique que Mickey se retrouve au musée ; en attendant Salvatore Adamo à la Scala de Milan. Il paraît qu'il se trouve des gens combatifs pour vouloir sauver l'Occident : ils envisagent de sauver quoi, exactement ?

samedi 3 décembre 2016

Tragédie de la connerie


La tragédie a, entre autres, la caractéristique de ne laisser aucune place à cette notion que nous appelons faute de mieux le suspense. Elle procède de la fatalité, de l'anéantissement inéluctable par des forces supérieures : dieux, caractères ou passions. Pour s'exprimer en langage d'aujourd'hui : dès la première scène, le spectateur sait que « tout ça va mal finir ». Si, chez les Grecs anciens, les dieux jouaient le rôle prépondérant, c'est à Corneille qu'il revient d'avoir donner sa grandeur à la tragédie de caractères, avant que Racine ne vienne établir celle des passions. Mais c'est aux frères Coen que l'on doit d'avoir, sinon inventé, du moins superbement illustré ce que l'on pourrait appeler la tragédie de la connerie. Acte de naissance : Fargo, le film, en 1995.

Mais c'est de la série que je compte parler un peu. Si les scénaristes de la première saison se sont assez largement appuyés sur le film originel, ceux de la seconde ont créé une histoire entièrement originale, bien que liée organiquement à la première et se déroulant dans les mêmes lieux enneigés et plats, entre le Minnesota et les deux Dakota. Dans l'une comme dans l'autre, d'emblée, tout le monde comprend que la plupart des personnages qu'il découvre dès le premier épisode courent à la perte, et que c'est leur profonde bêtise qui va se charger de les y mener, souvent en s'exaspérant en une sorte de démence “à bas bruit”.  De fait, chaque réflexion qu'ils font, chaque mensonge qu'ils échafaudent, chaque initiative qu'ils prennent pour tenter de redresser leur situation ne font que les engluer un peu plus dans le marécage qui, à la fin, va les engloutir et les étouffer. La connerie les guide en même temps qu'elle les aveugle, et le phénomène est valable aussi bien pour les “gentils” que pour les “méchants” : la connerie, tout comme la mort, traite ses proies avec un louable sentiment d'égalité, voire d'équanimité. Du reste, et c'est l'une des caractéristiques de Fargo, les gentils ne le sont jamais autant qu'ils paraissent l'être de prime abord, ni les méchants ; sans doute, justement, parce que leur connerie commune a tendance à araser tout ce qui pourrait les différencier par ailleurs. Seuls les deux policiers faisant pivot (une femme dans la première saison, et son père, vingt-sept ans avant, dans la seconde) échappent à cette course à l'abîme ; non qu'ils soient beaucoup plus intelligents que leurs concitoyens, mais parce que, chez eux, la connerie naturelle est tenue en lisière, contrecarrée dans ses plans, par une obstination patiente les poussant vers la découverte de la vérité.

Doit-on préciser que l'histoire elle-même est parfaitement écrite, et que les réalisateurs tirent le meilleur parti de ces paysages presque uniformément blancs, où rien ne vient accrocher l'œil ni distraire l'attention ? Il résulte de ce décor que les personnages semblent jetés sur le terrain le plus neutre possible – presque comme s'ils jouaient devant un rideau de scène uniforme ou un “fond vert” de cinéma –, afin de laisser le champ parfaitement libre, au propre comme au figuré, à leur puissant moteur commun : la connerie. Mais il faut dire un mot de ces personnages et des comédiens qui les incarnent. Si les deux volets de la série, malgré l'action et les violences copieuses, peuvent parfois paraître un peu lents, c'est parce que les protagonistes ont tous, à des degrés divers, de grandes difficultés à s'exprimer, à traduire en mots ce qu'ils parviennent péniblement à penser et qui est presque toujours “à côté de la plaque” et provoquant d'irrésistibles effets d'ironie. On devrait, à leur sujet, retourner Boileau : Ce qui se conçoit mal s'énonce péniblement, Et les mots pour le dire viennent difficilement. Et c'est en quoi les acteurs choisis sont tous excellents, certains même prodigieux, qui ne sont pas forcément les “têtes d'affiche” (Billy Bob Thornton, Kirsten Dunst, Adam Goldberg, Keith Carradine, Ted Danson…) : ils parviennent à éteindre leurs regards, à donner de l'hébétude à leurs sourires, à blanchir leur voix, bref : à prendre cette apparence de poupée mécanique et impuissante que peuvent avoir les humains lorsqu'ils sont manipulés par une force incommensurable avec la leur, comme c'est le cas, par exemple, dans les grandes danses macabres des peintres médiévaux. 

Série recommandable, donc ? Oui, hautement. Aussi bien la saison seconde que la première. Et ce peut être l'occasion de revoir le film initial des frères Coen, remarquable lui aussi : une véritable trilogie de notre sainte mère la connerie.

jeudi 1 décembre 2016

Encore un…


Boulou, décembre 2001 – décembre 2016