mardi 29 avril 2008

La fauvette et son fauve

Ce matin, après avoir mis le café en route et nourri Bergotte, ma première occupation sérieuse a été d'aller jeter un coup d'oeil au nid. La fauvette couvant entre dix et onze jours, les oisillons devaient donc émerger de leurs limbes ovoïdes aujourd'hui ou demain.

Ils n'étaient pas nés aujourd'hui. Ils ne le seront pas davantage demain, dans la mesure où j'ai découvert la branche arrachée, le nid à terre, les oeufs disparus, ainsi que quelques plumes témoignant de la violence du combat nocturne. Un chat était passé par là.

C'est bête à dire mais, dans la demi-heure qui a suivi, j'ai été incapable de me concentrer sur ma lecture en cours.

lundi 28 avril 2008

Un mois de mai peut en cacher un autre

C'est ici.

Vermoulus, les anciens parapets

L'Europe, cette vieille aristocrate recrue de siècles et de fatigue, n'en pouvait plus d'avoir son âge, frappée de plein fouet par ce que les psycho-historiens nomment la crise du millénaire et demi. En conséquence, elle se fit botoxer les lèvres, piercer la chatte et la langue, se maquilla comme un continent oublié et s'offrit un jeune amant, vigoureux et savanicole, espérant qu'il lui injecterait le fluide essentiel d'une seconde jeunesse, connu de lui seul, ainsi que le laissait présager son éclatant sourire.

C'est ce qu'il accomplit, en effet, nuit après nuit - et parfois même en plein jour, devant les yeux de tous. La flétrissure mit au monde des enfants qui ne lui ressemblaient plus et qu'elle feignit de trouver prometteurs d'avenir. Lorsqu'ils s'avisèrent de cracher à sa vieille gueule ridée, lézardant le savant échafaudage des onguents de nuit et des crèmes diurnes, elle se consola en invoquant la crise d'adolescence et continua de sourire - pas trop, pour ne pas faire éclater son masque facial tout neuf.

Quand cette multitude bruyante atteignit à l'âge adulte, on signifia à la vieille pute immobile et maternelle, qu'elle serait tolérée encore quelque temps, à condition de continuer à nourrir la nichée, en évitant de faire du bruit, et surtout sans pleurnicher sur sa jeunesse, comme elle avait un peu trop tendance à la faire.

Elle retint fort bien la leçon, et on ne l'entendit plus.

Comète elbow

Comme je vous le disais hier, l'Irremplaçable et moi avons passé le week-end à nous entraîner intensivement en vue de la rencontre blogo-alcoolisée qui devait avoir lieu ce soir, avec un blogueur à cheval sur une Comète. Véritable parcours du combattant houblonolâtre et chablisophile, accompli sous la férule implacable de notre ami Carlos.

Tellement implacable que, ce matin, victime d'un claquage du coude droit, Catherine a jeté l'éponge, déclaré forfait. C'est pourquoi, capitulant piteusement en rase campagne, j'ai préféré décommander la soirée prévue. Sous les prévisibles ricanements du sieur Nicolas...

dimanche 27 avril 2008

Faut pas compter sur le hasard

L'impréparation, dans beaucoup de domaines, il n'y a rien de pire, on l'oublie trop souvent. Ainsi, nous, demain, devons dîner avec un blogueur z'influent, après un passage à la Comète, haut lieu des libations bicêtro-kremlinoises. Il était bien sûr hors de question d'affronter cette épreuve (au sens sportif du terme) sans un minimum d'entraînement.

Par conséquent, entraînement il y a eu - hier soir et ce midi -, et il y aura - ce soir. Nous sommes en cela aidés par la présence d'un coach hors pair, quoique assez nettement ibérique : Carlos, retour de Madrid et de passage au Plessis. Je ne peux vous le mettre en lien pour la bonne raison qu'il n'a pas de blog.

Afin d'éliminer les toxines du déjeuner, et faire place nette pour celles de l'apéro dînatoire à venir, nous sommes allés marcher dans les bois durant une petite heure. Nous avons comme d'habitude perdu les chiens et avons dû brailler comme des malades durant un quart d'heure avant qu'ils daignent réapparaître.

N'empêche que, maintenant, on est fin près : il peut venir, le z'influent, on saura faire bonne figure et gosier généreux.

samedi 26 avril 2008

Il y en a qui bossent

Pour ceux que cela amuserait encore, le synopsis complet du prochain BM est disponible chez notre ami le Brigadier.

vendredi 25 avril 2008

Engrenage

Ce soir, après la tondeuse, comme on sait qu'on va être "obligé" de boire demain soir, on s'est dit que ce serait idiot de s'en priver ce soir, à tant faire. On avait à peine eu le temps de poser notre bière sur la table de la terrasse que le voisin a sorti la sienne. De tondeuse.

C'est vraiment adorhable...

On ne doit pas être nombreux, dans la blogosphère, à avoir mérité cette suprême consécration : voir naître un blog entièrement consacré à soi. Même Aimé Césaire, notre Nègre national, n'aura pas connu cet honneur de son vivant !

Eh bien, moi, oui...

Merci, mon lapin !

Recette, réalisation et photo : Irrempe.

Voilà ce qui a gentiment atterri devant moi, il y a environ une demi-heure, alors que je dérapais dangereusement vers l'hypoglycémie la plus préoccupante. Lapin à la moutarde avec, en accompagnement, de petites carottes braisées, un "nid" d'épinards frais et des pâtes au curcuma et au pavot. Banal, le lapin à la moutarde ? Pas tant que cela. Car il y a un important et crucial secret, dans cette recette...

jeudi 24 avril 2008

Plein les bottes

Plus le temps s'écoule et plus me navre cette incapacité qui est la mienne à parler intelligemment des écrivains, ou simplement des livres, que j'aime. Je pourrais bien sûr compenser cela par la moquerie vis-à-vis des critiques professionnels, des crânes d'oeuf universitaires, ou autres qualificatifs qu'il vous plaira de trouver. Je l'ai d'ailleurs fait, longtemps. Mais ce n'est plus possible.

Au courant de l'âge, de même qu'on éjacule de moins en moins loin (ce qui en soi est sans la moindre importance), le rideau de fumée que l'on produit entre soi et soi est de plus en plus ténu ; à mesure que le visage se racornit, s'épaissit, se grumelle, se dilue, le miroir se fait plus net, catégorique. On commence par s'entr'apercevoir, on finit par ne plus pouvoir se quitter des yeux.

Chaque matin (image commode), on se découvre une nouvelle impuissance, physique (ce qui est sans grande importance) ou intellectuelle (plus ennuyeux) ou morale - très gênant. En réalité, elle n'est pas du tout nouvelle : simplement, elle émerge à la conscience, et la conscience le prend généralement assez mal - au moins au début.

Je ne me rappelle plus quel écrivain a dit que la jeunesse, c'est quand tout est encore possible. Voilà. Ce que je n'ai pas compris à ce jour, je ne le saisirai pas davantage demain ; ce qui m'a échappé restera insaisissable ; les portes closes ne s'ouvriront plus.

J'ai atteint mon apogée et, lorsque je regarde en bas et derrière, je ne parviens même pas à éprouver le moindre vertige revigorant. Un demi-siècle pour gravir une simple motte de taupe : il a fallu que les pas soient bien précautionneux, les foulées mesurées et le souffle rauque. Et j'ai désormais besoin de toute ma concentration pour feindre de ne pas remarquer ceux qui me doublent dans la côte. Ou, encore davantage, pour leur sourire d'un petit air complice, en dissimulant les rancoeurs, les aigreurs - la haine, si je me laissais aller.

Mais je ne me laisse pas aller, sachant très bien où je vais, et eux avec, qui ont encore l'audace de pouvoir parler en marchant. On se retrouvera en haut, mes drôles, comptez là-dessus.

Aventures immobilières

Hier, donc, je tenais en haleine la blogosphère entière (à l'exception de Nicolas et des répugnants ivrognes qu'il semble prendre plaisir à fréquenter, lesquels étaient occupés à se fabriquer une haleine de chacals à la Comète, haut lieu de la débauche bicêtro-kremlinoise) avec mes acquisitions immobilières somptuaires de 13,76 m2. Ce n'était, malheureusement, que le premier étage de la fusée.

Le deuxième (étage : suivez, merde !) nous est apparu quasi simultanément, à l'Irremplaçable and my apple, alors que nous faisions face à la demoiselle de l'agence, une petite brune furieusement méditérranéenne à la poitrine sans doute moelleuse (pendant qu'elle nous expliquait des trucs imbitables et léthargiques au possible, que Catherine faisait semblant de comprendre, je passais le temps à essayer de me maintenir éveillé (nous sortions de déjeuner à L'Ambiance d'à côté...) en matant ses nichons bronzés).

L'illumination conjointe était la suivante : si je disposais désormais d'un studio proche de mon lieu de travail, me permettant de ne plus faire qu'un aller-retour par semaine, qu'est-ce qui nous empêchait de plier bagages et d'échanger notre maison de l'Eure - vraiment trop proche de la région parisienne pour être crédible - contre une autre, moins chère et plus charmante, au fin fond de l'Orne, ou du Calvados, bref de la Basse-Normandie, d'où nous venons, je le rappelle pour les distraits ?

Depuis cet éclair de lucide sottise, l'Irremplaçable compulse fiévreusement sur Internet toutes les annonces immobilières de l'ouest de la France.

J'ai la paix pour un moment : vous pouvez sortir les bières de la glacière, elle ne s'apercevra de rien...

Se donner du mal

À Dorham...

« Un père met très longtemps à éradiquer tout amour chez un enfant. »

Jim Harrison, Retour en terre.

mercredi 23 avril 2008

On a signé, on est niqué (sur l'air de "Il est vraiment phénoménal")...

Voilà, c'est fait : on est des bourgeois propriétaires ! (De 13,76 m2, restons raisonnables...) La bonne nouvelle (pour moi) est que j'ai grimpé les six étages sans m'arrêter et que je ne suis pas mort en arrivant en haut : amenez-vous, les jeunes cons ! d'une seule main, je vous prends (merde à la fin !)...

On n'a pas fait le voyage pour rien

Il était exactement 11 H 07 quand on a dit oui. Oui, à la jeune femme brune qui nous faisait visiter un studio sis rue de la Gare, à Levallois-Perret, au sixième étage sans ascenseur. Et, dans la foulée de ce oui, nous nous apprêtons à aller signer une promesse d'achat (je crois que c'est le nom du document en question), par laquelle nous allons, le coeur joyeux, nous endetter pour dix ans.

Moi, quand on me pique mon permis de conduire, je ne baisse pas le nez : je relève le défi, avec un panache cyranoïde. Vous me privez de volant, mes drôles ? Fort well (Angelina) : je camperai donc sur place !

Et les CRS de l'A 14 de sangloter d'admiration contenue.

Total dépaysement

Pour bien marquer le fait que je suis en vacances cette semaine, l'Irremplaçable et moi allons passer une bonne partie de la journée à... Levallois-Perret, où quelque emplette nous requiert. Il faut absolument que je pense à me munir de diverses menues verroteries, afin de pouvoir parlementer efficacement avec les indigènes.

mardi 22 avril 2008

Personnages en quête d'intrigue

Ça s'anime chez le Brigadier, et c'est à la suite de ce que j'ai publié hier.

Le doigt dans la crise

Aujourd'hui, sur Crise dans les médias, le distingué Éric, tenancier du lieu, nous explique comment faire pour augmenter le trafic sur son blog (non, pas le sien : le vôtre !). Le simple fait d'envisager des hordes de visiteurs hirsutes, et inconnus de moi, suffisant à m'amener au bord de l'effondrement nerveux, j'ai réfléchi à quelques conseils visant à diminuer le trafic sur un blog, jusqu'à le rendre quasiment inexistant. Voici :

1) Cesser immédiatement de fréquenter tous les blogs sur lesquels vous avez l'habitude de perdre votre temps à lire d'insipides sottises politico-culturello-nombrilistes, d'autant que c'est le moment de planter les premières salades en pleine terre et non plus d'en répandre dans la blogosphère. Si vous ne pouvez vous en empêcher, balancez l'effet négatif - en terme de désertification de votre propre blog - de votre visite en laissant des commentaires vindicatifs, aigres, voire tombant sous le coup d'une loi quelconque (vous verrez : c'est facile).

2) Banissez de vos messages toute information intelligente ou originale. Préférez les lieux communs, les trucs cent fois dits chez vos voisins, les scoops de haute fantaisie. Bref : mixez le blog de base avec le journal de Jean-Pierre Pernaut et servez en abondance.

3) Ne dites jamais de mal de Nicolas Sarkozy, ni de Ségolène Royal : vous vous débarrasserez d'un coup de tous les borgnes idéologiques de la Création. Et ça fait du monde.

4) Faites en sorte que nul ne puisse retrouver votre trace dans la vie réelle, ni entrer en contact avec vous. Donc, pas d'adresse mail, pas d'URL d'aucune sorte. Et fermez les commentaires à tout le monde (sauf, éventuellement, à un complice aussi désagréable que vous et abondant systématiquement dans votre sens, quel que soit celui-ci).

5) Pillez sans vergogne les blogs dont les tauliers sont les plus dépendants de diverses blogodrogues (Wikio, Cozop, Facebook, etc.), mais sans jamais les mettre en lien et, si possible, en les déformant honteusement.

6) Publiez plus de billets [là, je rejoins mon bon maître Éric]. Mais alors, beaucoup plus. Noyez vos derniers lecteurs sous le nombre. Appliquez le principe selon lequel il n'y a rien de meilleur qu'une cuillerée de mayonnaise faite maison, mais que personne n'est capable d'affronter le bol entier : votre but doit être le vomissement général.

7) Introduisez-vous dans quelques communautés de blogueurs, observez-les, repérez leurs travers et leurs faiblesses. Ensuite, crachez-leur dessus, soyez insultant, calomniateur, manipulateur, mitterrandien.

8) Lorsque l'un de vos articles vous paraît scandaleusement mauvais, insupportablement idiot, publiez-le partout, plusieurs jours de suite (variante du "bol de mayonnaise"), afin d'écoeurer d'entrée des lecteurs n'ayant pas encore eu l'idée de venir vous casser les burettes chez vous.

9) Si, malgré les conseils précédents scrupuleusement appliqués, vous êtes invité à une réunion de blogueurs "en vrai" (beuverie honteuse, en ancien français), allez-y. Mais montrez-vous à la fois lugubre et arrogant. N'ingurgitez que de l'eau, de façon ostentatoire et méprisante pour les alcooliques pitoyablement égocentriques qui vous cernent.

10) Faites abondamment circuler autour de vous le billet dont vous êtes en train d'achever la lecture, et n'oubliez pas de me mettre en lien.

Un peu de temps perdu

Hier soir, regardant Un amour de Swann à la télévision, je me suis soudain demandé quel pouvait être l'intérêt de ce film pour quelqu'un n'ayant jamais lu Proust. Puis, la seconde suivante, je me suis également demandé quel pouvait être son intérêt pour une personne connaissant La Recherche.

Du coup, je suis allé me coucher. J'ai ouvert le premier des trois volumes de La Pléiade - édition ancienne, de Clarac et Ferré - à la page 188, et j'ai commencé à lire :

Pour faire partie du «petit noyau», du «petit groupe», du «petit clan» des Verdurin, une condition était suffisante mais elle était nécessaire...

C'était à dire

« Un politicien local, qui refusait que l'enseignement des langues étrangères soit inscrit dans le budget d'une école, a déclaré : "Si l'anglais a suffi à Jésus-Christ, il devrait suffire à nos gosses." »

Jim Harrison, Retour en terre.

lundi 21 avril 2008

Encore Mai 68

C'est par ici...

L'action pourrait très bien se dérouler à Armentières (mais, en fait, non)

On entrouvre un oeil chez le Brigadier...

(Pour le titre, ne cherchez pas : c'est une histoire entre Benjii et moi...)

Histoire nidifiante

Le minuscule vaisseau spatial que vous croyez voir sur la photo ci-dessous n'est pas le fruit de votre imagination. N'essayez pas de régler votre ordinateur, la situation est entièrement sous notre contrôle. Il s'agit d'un petit pictogramme ajouté par l'Irremplaçable afin de matérialiser ce qui se trouve dissimulé dans le feuillage de cet arbuste, planté au pied du mini-balcon prolongeant le salon de la maison principale.Entre ces branches touffues et foutrement proliférantes, nous avons eu, avant-hier, la surprise de découvrir par hasard ceci :
Un nid, d'une circularité parfaite, bâti à notre insu à quelques dizaines de centimètres du chemin que nous empruntons douze fois par jour pour nous rendre au sous-sol : il y en a qui n'ont pas peur - et ils ont raison. Petit moment d'incertitude, tout de même, en découvrant cette maternité désertée par la couveuse-en-chef : encore une mère indigne, abrutie de rap et de drogue au point d'en oublier les fondamentaux de l'espèce ?
Point ! Une dizaine de minutes plus tard, elle était de retour. Après une enquête minutieuse et sans concession, l'Irremplaçable a pu déterminer qu'il s'agissait d'une fauvette. Ou, plus exactement de fauvettes-au-pluriel, car nous n'avons pas été long à nous apercevoir, observateurs à l'intelligence acérée que nous sommes, que le mâle et la femelle se relayaient au nid, en un émouvant et si moderne partage des tâches ménagères.

Plus tard dans la journée, lorsqu'il s'est mis à pleuvoir, Catherine était à deux doigts d'aller planter un parapluie ouvert au-dessus de l'arbuste, craignant la pneumonie fatale. Il a fallu que je fasse preuve d'une autorité intellectuelle considérable pour qu'elle consente à abandonner ce projet légèrement anthropomorphique.

Depuis, ces ahuris de piafs n'arrêtent plus d'éternuer. Et ça m'énerve.


Photos : Irrempe.

En un clic

L'appétit venant en mangeant, l'Irremplaçable vient d'ouvrir un troisième blog, consacré celui-ci à ses photographies. Je le mets en lien à droite, pour ceux qui voudraient repiquer au truc...

Sommeil tardif

« La lune est montée au-dessus de ma fenêtre. J'entendais Donna dormir à New York. J'entendais Cindy écouter le fleuve dans le Wisconsin. Je m'entendais moi-même inspirer et expirer, inspirer et expirer. J'ai levé la main au-dessus du lit et du clair de lune, vers l'obscurité ; son ombre m'a salué sur la carte d'Espagne. Je me suis convaincu que j'étais davantage que la somme de mes écrits. J'ai eu beaucoup de mal à y croire et j'ai seulement réussi vers deux heures du matin, quand je me suis endormi. »

Jim Harrison, J'ai oublié d'aller en Espagne.

dimanche 20 avril 2008

Elle ira loin, cette petite...

Au festival de Romans, dans la catégorie "blogs de vie", la grande triomphatrice est Néfisa.

samedi 19 avril 2008

Ante mortem

Pourrquoi tient-on si fort à vivre vieux ? Si l'on est chargé d'enfants, je peux comprendre : je suppose qu'il est important d'aller aussi loin que possible sur le chemin commun, de leur infliger le plus tard qu'il se peut cette douleur-là qui, je le pressens, ne guérit jamais.

Mais sinon ? Il me semble qu'échapper à l'arbre de Noël de la maison de retraite, aux pauvres filles qui, pour un demi-smic, se vengent du sort qui leur est fait en vous tutoyant et vous appelant papy, devrait valoir la peine de ne pas se rêver octogénaire. Je peux me tromper, bien sûr, on en reparlera le moment venu, je ferai sans doute moins le fiérot.

Je ne veux pas survivre. Ni à mon frère, ni à ma soeur (j'ai de la chance : je suis l'aîné et c'est moi qui bois le plus. J'ai toutes les cartes maîtresses en main...), ni encore moins à l'Irremplaçable. Vous me voyez, tout seul ici, bloguant à la nuit longue, comme un gosse idiot et obsessionnel ?

Si l'on me poussait, je dirais que je ne tiens pas tellement non plus à survivre à mes parents. Me retient de ce côté-ci juste l'envie de ne pas trop pourrir leur fin d'existence. Ils ont plutôt mérité leur bonheur actuel, je ne vais pas venir planter ma zone non plus.

Bien sûr, je pourrais toujours leur expliquer tout au long que chacun doit mourir, et moi aussi, qu'il leur reste encore deux enfants sur trois et que peu importe le... Mais ça ne marcherait pas. Donc, je reste en vie, tant bien que mal. J'attends.

Je ne tiens pas particulièrement non plus à voir mourir les quatre ou cinq personnes qui me font office d'amis - même silencieux ou lointains. En revanche, l'idée de les voir pleurnicher à mon enterrement me séduit plutôt : le côté cabotin, probablement.

Finalement, ce qu'il est possible de voir disparaître sans en souffrir de façon insupportable, c'est le monde qui nous a servi de langes. Parce que, les langes, n'est-ce pas... Ces tissus oubliés, vieillis, usés à la trame...

En revanche, les visages qui se penchaient sur le berceau, à toutes les époques, souriants ou graves, beaux ou non, jeunes ou plus... Face à eux, il me semble qu'on peut se permettre cette courte lâcheté de disparaître. Mais, ce n'est pas sûr.

Autre histoire de chien


Donc, Balbec. Mon chien : les autres sont plus ou moins d'emprunt, plus ou moins à Catherine. Celui-ci était mien et le restera.

2001. Je retravaille au journal qui m'emploie encore aujourd'hui. Je loue un studio à Levallois, pars le lundi matin, rentre dans l'Orne le vendredi soir, comme n'importe quel cadre imbécile. Ah ! sans amour s'en aller sur la mer... Le train freine, s'arrête en gare de L'Aigle, je descends, ainsi que plusieurs centaines d'autres passagers. Je suis, généralement, en queue de train. Je remonte le quai.

Les inconnus s'effacent gentiment, ils font de la place à mon champ visuel. Ne reste, à hauteur de la gare et face à moi, que l'Irremplaçable et Balbec. Il frétille du croupion, il a très bien compris qu'on venait me chercher. Il ne me voit pas. Catherine, oui. Elle lui parle à l'oreille, je les vois.

Soudain, le chien m'aperçois, m'identifie, sa vie se ramasse, son corps aussi, il se met à courir, cinquante kilos de muscles propulsés comme une flèche d'amour absolu, il bondit sur ma poitrine, je m'y attends, j'ai mis un pied en arrière pour soutenir le choc de ses énormes pattes, c'est un instant de pur bonheur, volé à je ne sais qui. Je préfère ne pas me souvenir des yeux du chien Balbec, dans ces moments-là.

Hier, j'ai cru, durant tout le trajet, que je verrais Catherine et Bergotte, pareillement au bout du quai. elle était venue seule, elle a eu raison : Bergotte n'est pas Balbec, je ne suis plus l'homme que j'ai été. Ce gros bestiau galopant vers moi, il n'est plus de quai assez large ni long. Les passagers descendent du train, tranquilles, fatigués, insoucieux.

L'abus des mots nuit gravement à l'intelligence (du propos)

À la sortie de Vernon, lorsqu'on quitte la vallée de la Seine pour remonter vers Pacy-sur-Eure, on découvre une pancarte libellée comme suit :

Défense absolue de déposer des ordures

Défense absolue, donc... L'homme inoccupé car privé de volant se plonge dans d'abyssales interrogations, et en particulier celle-ci : que pourrait bien être une interdiction relative de déposer des ordures ? Qu'on peut le faire un jour sur deux ? Les soirs de pleine lune ? Que le dépôt d'ordure est réservé aux plus de soixante ans ? Aux RMistes ? Ou encore que l'interdiction vaut pour chacun, mais que les forces de l'ordre fermeront les yeux ou non, en fonction de leur humeur du moment ?

On ne sait pas. Le monde est parfois terrible.

vendredi 18 avril 2008

Donnez-moi une voiture rouge

Ça n'a l'air de rien, c'est juste un train Corail. Ça existe depuis au moins vingt-cinq ans. J'y monte. Saint-Lazare. Direction Rouen, arrêt à Vernon. Wagon de première, évidemment. Presque plein. Des habitués, on le sent. Et des isolés, comme moi, qui essaient de ne pas se faire trop remarquer. Qui y parviennent assez facilement.

Je monte, je m'installe, je me colle les écouteurs iPodiques dans les esgourdes. Les enlève presque aussitôt. Impossible. Ce train, ce wagon. En dehors des couleurs, rien n'a changé dans ce putain de Corail de mes deux. Le même.

Il démarre, prend de la vitesse, roule à travers une banlieue, personne ne sait laquelle, personne ne regarde, tout le monde s'en fout - moi le premier.

On sort des rails, on roule vers Orléans. Que mon sort est amer ! Et, au-delà, après un arrêt d'une dizaine de minutes, on repart dans l'autre sens. Je suis presque seul, maintenant, dans le wagon. Dehors, il fait froid et nuit, forcément. Un gel cristallin, presque surnaturel. Le train roule vers Vierzon. Il vient de muter. De monstre fendant la Beauce en deux, il se fait presque humain, il s'arrête dès qu'on lui demande gentiment. Toujours les mêmes stations :

- Saint-Cyr-en-Val
- La Ferté-Saint-Aubin
- Vouzon
- Lamotte-Beuvron
- Nouans-le-Fuzelier
- Salbris
- Theillay
- Vierzon

Sur la place ovoïde de la Ferté-Saint-Aubin, il y a une voiture rouge. Regardez. Regardez-la mieux : une Simca "Horizon". Vous ne vous souvenez même pas que cette voiture a existé ? Normal, ça ne valait pas grand-chose. Sauf qu'au volant de celle-ci, il y a ma mère. Comme je lui ressemble, elle déteste être en retard. Donc, il doit bien y avoir cinq minutes qu'elle est là, au moment où le train de Paris ralentit et s'arrête.

Pour la suite, je n'ai rien à vous dire. Complétez avec votre propre vie, arrangez-vous avec votre jeunesse, démerdez-vous avec vos souvenirs. Gardez juste ceci en mémoire : une minuscule ville située n'importe où, une toute petite gare comme il n'en existera bientôt plus, une voiture rouge telle qu'il n'y en a déjà plus, et une femme que vous ne connaissez pas au volant, pour qui je suis, à peu de chose près, le centre du monde - au moins à ce moment-là.

Et voilà que le train ralentit, puis s'arrête. Le temps reprend ses droits : je suis à Vernon, j'ai l'âge que j'ai, pas la moindre voiture rouge.

Mais, tout de même, l'irremplaçable au volant d'une autre automobile. Contact. La vie reprend.

Aimé Césaire et Edward Lorenz

La rencontre a lieu ici.

Un souverain remède contre le rhume

« Un litre de jus de pamplemousse frais, puis deux litres d'eau tiède pour mieux nettoyer le tube digestif. Après deux heures de repos dans une pièce sombre, faire griller un chateaubriand d'un kilo, un kilo et demi, à peine bleu, puis le manger avec les doigts et sans sel. Ensuite, l'estomac distendu, prendre un bain extrêmement chaud sans allumer la lumière de la salle de bains et en buvant à petites gorgées lentes le meilleur bourbon que vous puissiez vous offrir, au moins une bouteille. Cela peut prendre jusqu'à quatre heures, selon la capacité de chacun. Enfin, dormir vingt-quatre heures. Vous vous réveillez alors dans un monde nouveau et votre rhume a disparu. Certains individus congénitalement faibles ont la gueule de bois, mais ce n'est pas de ma faute, je ne suis pas médecin. »

Jim Harrison, Wolf.

jeudi 17 avril 2008

Vie quotidienne, I : simplifier les procédures courantes

Il y a deux minutes, quittant la maison pour la Case, j'ai salué la compagnie d'un joyeux À demain !, auquel l'Irremplaçable a répondu par un non moins guilleret À demain ! Devant l'air passablement interloqué de Ludovic (le fils de la précitée), j'ai dû me fendre d'un digest d'explication - explication dont vous-mêmes, victimes désignées et consentantes, allez maintenant subir la version intégrale.

C'est une coutume que j'ai initiée - comme disent les analphabètes diplômés - il y a un quart de siècle environ. À cette époque, jeune crétin se croyant débauché, je revenais tous les week-ends dans la grande maison de Sologne, avec mon petit sac de linge sale (tout comme le triste héros de Gaston Couté), afin de me persuader durant deux jours que la vie n'était pas, ou pas seulement, cet éclat de rire lugubre qui assourdissait mes soirées parisiennes.

Le dimanche soir, au moment de quitter le nid pour aller reprendre le train, à la gare de La Ferté-Saint-Aubin, Loiret, j'avais pris l'habitude, pour simplifier, ne sachant jamais quel jour j'allais réapparaître dans mon enfance prolongée, de lancer ce faussement gai À demain ! Mes parents, stoïques devant toute fantaisie, avaient aussitôt adopté ce peu conventionnel salut.

Lorsque j'ai sauté à pieds joints dans la vie adulte (en me foulant vaguement une cheville ou deux) et donc dans celle de l'irremplaçable, je n'ai pas vu l'intérêt de mettre fin à cette coutume doucement simplificatrice. Depuis dix-sept ans, donc, lorsque nous nous séparons, pour une heure ou dix jours, l'Irremplaçable et moi nous disons À demain !

C'est une espérance et un souhait. C'est la conjuration discrète, à peine dite, d'une crainte sourde, mais nullement aveugle.

mercredi 16 avril 2008

Moi aussi, je peux faire un blog cuisine (si je veux)

Je sais que c'est très laid, mais c'est ainsi : je suis d'un naturel envieux. Bassement envieux. Ce qu'autrui a ou fait, il me faut l'avoir ou le faire aussi. Sinon le fiel se fige sur mon coeur, comme dit à peu près Villon. Ainsi, je suis dans les transes, depuis quatre jours que les deux frangines Goux ont ouvert un blog de cuisine. J'en veux un ! j'en veux un ! sangloté-je en me tordant les mains, chaque fois que je suis bien certain de n'être vu par personne.

C'est si insupportable que je me décide ce soir : moi itou, je vais parler de fourneaux, de marmites, de consommés, de juliennes, d'émincés, de roux, que sais-je encore. Le petit "plus" qui fera toute la différence avec un bête blog de recettes - à la portée de n'importe quelle greluche finalement -, c'est que, ici, nous allons remettre les recettes dans leur perspective historique la plus inattaquable.

Nous commencerons par une sauce médiévale, surprenante pour un palais contemporain, qui mêlait l'aïoli à la menthe. Rapporté d'Orient dans les fourgons de Godefroy de Bouillon (le bien nommé) au tournant du XIIe siècle, cette sauce va connaître une faveur sans précédent dans toute l'Europe féodale, jusqu'aux premières décennies du XIVe siècle, avant de disparaître brutalement et totalement de toutes les cuisines, en quelques années. Au point que même son souvenir s'est effacé des mémoires et que bien peu d'historiens de la période songent à y faire une quelconque allusion.

Il n'en reste donc rien, de ce condiment si prisé dans l'Europe des cathédrales ? Si ! Une ville de l'ouest parisien en a conservé le souvenir, dans sa toponymie même, pour la simple raison qu'à cette époque, cette modeste bourgade ravitaillait en menthe fraîche non seulement la capitale, mais également des villes aussi éloignées que Londres ou Cologne.

Tout le monde a oublié le rôle culinaire essentiel joué par cette cité qui, jusque là, ne possédait que son abbatiale pour toute gloire. Qui se doute, aujourd'hui, en empruntant l'autoroute A 13, qu'il passe à côté d'une ville qui fut célèbre pour sa sauce étrange et vénéneuse dans l'Europe entière ?

Qui songe encore au passé glorieux mais éteint de Menthe-L'Aïoli ?

Le champ du cygne

Des mouettes ? Non, trop gros. Des hérons ? Non plus : ils ne vivent pas en bandes. Des moineaux albinos tchernobylisés ? Restons calmes... Alors, quoi ? De quelle espèce sont ces douze ou quinze grands oiseaux blancs, au milieu de ce champ cultivé, quelque part entre Houlbec-Cocherel et Saint-Aquilin-de-Pacy ? Je n'ai eu que quelques secondes pour en décider, vu les allures prostiennes auxquelles roule l'Irremplaçable quand je lui laisse le volant (ce que bien obligé). Et l'illumination vint...
DES CYGNES !

Moi qui croyais que ces anatidés ne poussaient que dans les mares des jardins publics et se nourrissaient uniquement de croûtes de pain lancées par des humains de moins de huit ans, je me trouve donc contraint à une violente révision de tous mes préjugés ornithologiques, y compris les plus profondément enracinés.

Que faisaient-ils là, au milieu de ce champ, à quatre heures de l'après-midi ? Étaient-ce au moins de vrais cygnes ? Pourquoi pas, après tout (l'abus d'eau minérale provoque de ces délires, parfois...), des monstres galactiques préparant une invasion de la terre et ayant trouvé finaud de prendre l'apparence de l'animal totémique et éponyme de leur lointaine constellation à la con ? Une horde féroce et sanguinaire, dont ceux-ci ne seraient que l'avant-garde, le sous-marin observateur et furtif ?

Le périscope à bec semblait malheureusement me donner raison...

Photos : Irrempe.

mardi 15 avril 2008

J'aspire au temps de ma vieillesse

J'aimerais beaucoup avoir dix ans de plus. Qu'on me comprenne bien : je ne veux pas dire qu'il me serait agréable d'être déjà en l'an de grâce 2018, non, non ; ce que je voudrais, c'est avoir 62 ans en ce moment même.

Je serais donc né le 19 mars 1946. Le général de Gaulle a claqué la porte du pouvoir il y a deux mois (ce qu'aucun de ses pâles successeurs n'aura jamais la hauteur de faire), la 4e République sort des limbes. Il y a encore des problèmes d'alimentation, des tickets de rationnement, mais je m'en fous, car je tète le sein de ma mère. Et puis, de toute façon, mes parents sont vachement forts, ils trouveront toujours de quoi me nourrir (mission pleinement accomplie, si on en juge par mon poids d'aujourd'hui...).

J'effectue ma scolarité primaire entre 1952 et 1957, dans une Allemagne occupée. Occupée à plusieurs sens : par les armées alliées, et à relever ses ruines. On croise des tas de nazis en civil partout : on se marre bien. À l'école, on est encore en blouse grise, on se prend des coups de règle en bois dur sur le bout des doigts quand on fait le con - ce qui m'arrive plus souvent qu'à mon tour. Dans ce cas, au lieu de traîner l'instituteur devant le Tribunal pénal international pour génocide scolaire, mon père double la punition pour m'apprendre à vivre. Jusque là, en fait, ça ne fait pas grand changement avec ce que j'ai connu, entre 1962 et 1967.

C'est après que ça bifurque. Jusqu'en 1965 j'effectue une scolarité secondaire exigeante, à l'abri des matraquages trotsko-maoïstes (mais pas de ceux des Staliniens décomplexés, hélas...). L'époque est virile, les affrontements idéologiques musclés, les pères et les professeurs existent encore (les moins de 40 ans doivent se croire en pleine "rétroscience-fiction", là...).

Je crains d'être assez suiviste, durant ma première et seule année universitaire, pour adhérer aux stupidités guignolesques du moi de mai. Mais glissons...

Après ma sortie de l'école de journalisme de la rue du Louvre, j'entre dans une profession où, comme dans bien d'autres, on pratique le plein emploi et des salaires confortables (sans parler des notes de frais). Les journaux sont dirigés par des journalistes, non par des comptables, lesquels existent bien mais savent rester à leur place subalterne. Si mon rédacteur en chef se met en tête de me pourrir un tant soit peu l'existence, je démissionne (avec indemnités plus que généreuses) et me fait embaucher le lendemain dans le journal voisin.

La vie est facile, on fume et on boit dans les salles de rédaction sans que quiconque y voie malice - le cancer et la cirrhose restent, pour quelque temps encore, cantonnés à la sphère privée, ainsi qu'on jargonnera bientôt.

En 1976, je suis recruté comme deuxième auteur pour écrire des Brigade mondaine, une collection encore au berceau. Vu les tirages de l'époque, je me fais un max de thune, comme on ne dit pas.

Bientôt, je vois le monde et la France changer, l'Europe cesser d'être vivante et historique, pour devenir administrative et protectrice. Derrière les cuirasses et les porte-voix du féminisme, les mères affûtent les couteaux qu'elles vont bientôt pousser dans les reins des pères, avant de muter et de devenir des mamans.

Mais je m'en fous : j'ai déjà 55 balais, le monde ni l'avenir ne me concernent plus. Je me contente de les observer, le coeur un peu serré, j'essaie d'avoir la nostalgie discrète, le regret souriant, la colère silencieuse - je n'y parviens pas toujours.

En avril 2008, je viens d'avoir 62 ans. Cet âge me permet de faire partie du nouveau plan d'économies décrété par les zombis exsangues que les tout-puissants actionnaires font parader sur le théâtre de Guignol, en les habillant de noms ronflants : président, directeur général, directeur délégué, administrateur général, etc. Je pars donc en retraite anticipée, une très confortable enveloppe dans la poche gauche.

À l'heure où vous lisez ces lignes, je me consacre à plein temps à ma femme (qui porte fièrement son âge), à mes chiens et à ma bibliothèque. Ainsi qu'à une douzaine de relations blogosphériques, qui se moquent gentiment de ma très prochaine décrépitude.

J'ai arrêté d'écrire des Brigade Mondaine. J'ai en projet un roman "personnel", dont je sais très bien qu'il ne verra jamais le jour. Mais il me tient chaud et me tient droit. Dieu merci, j'ai encore la souplesse suffisante pour enfiler mes chaussettes tout seul, et la force de passer moi-même la tondeuse. Mais comme on me verse une retraite telle que vous ne devez, mes drôles, même pas en rêver, je paie des jeunes gens précaires pour le faire à ma place : ça les aide à se nourrir deux fois par jour et ça me fabrique une belle âme à bon marché.

Au-delà du grillage qui enclot la maison et la Case, le monde que j'ai connu en noir et blanc contrasté devient gris et uniforme, comme la blouse que je portais enfant, et ainsi qu'il s'est voulu lui-même - la Justice fait rage, le Bien est partout. Comme cela me rend profondément triste, j'essaie de ne pas trop y penser. Ne sortant presque plus, j'y parviens de mieux en mieux. J'espère ne pas m'attarder plus que de raison dans ce marais festif, mais un petit peu tout de même.

C'est pour cela que j'ai arrêté de boire, il y a dix ans.

L'espérance sied aux vieillards

« Ah ! les visages changeants de la réalité, pensait-il en roulant vers le seul restaurant correct du village. Malheureusement, la cuisine était fermée depuis une demi-heure et Sorcier ne put retenir un grognement de dépit. Un vieux monsieur en bermuda et chaussettes jaunes lui dit qu'il pourrait se faire servir des steaks au bar qui se trouvait à l'autre bout du village. Hudley sauta de la voiture par la vitre arrière, gronda en direction du vieil homme et posa une énorme crotte sur le trottoir.
- Hudley, espèce de salopard ! Excusez-moi, monsieur.
- C'est pas grave. Avec un peu de chance, ma femme glissera dessus et se cassera le cou. Comme ça, je pourrai aller tout seul en Floride. Il faut toujours espérer, n'est-ce pas ?
Et le vieil homme regarda le soleil couchant avec une expression rêveuse. »

Jim Harrison, Sorcier.

lundi 14 avril 2008

L'Irremplaçable revient... et elles sont deux

Tel le Phénix renaissant de ses cendres, ou le petit Didier de sa bière, Catherine Goux is back ! Et même backeoffe, si on veut, puisque, avec Nathalie, elle vient à l'instant même d'ouvrir un nouveau blog consacré à la cuisine, domaine dans lequel les soeurs Tatin Goux excellent, chacune à sa manière. Donc, dès que vous en avez assez de vos pizzas surgelées et de vos sticks de poissons panés, une seule adresse, bientôt en lien dans la colonne verte, à votre droite.

Bon ap' ! comme on dit chez les glandus...

Je m'en faisais une telle joie...

Depuis une demi-heure, une poisseuse tristesse s'est insidieusement infiltrée dans toutes les fibres de mon corps et de mon esprit - ou de ce qu'il en reste. En ouvrant l'oeil, ce matin, je me suis aperçu, par le volet incomplètement fermé, que le soleil brillait. Aussitôt, un bonheur gouleyant m'a envahi : enfin, j'allais pouvoir sortir la tondeuse de sa remise et passer une heure délicieuse à ratiboiser le gazon, ce qui constitue d'assez loin mon activité favorite !

Las ! alors que j'étais occupé, le coeur allègre, à blogobabiller chez les uns et les autres, une averse de grêle s'est mise à tomber, très vite relayée par une pluie qu'un écrivain de moins haute race que moi qualifierait volontiers de diluvienne.

Adieu, tondeuse ! Adieu, sain effort physique ! Adieu, immémoriale activité champêtre ! Me voici de nouveau condamné, pour une journée entière et pour cause d'herbe détrempée, à la sinistre lecture et au morne internet.

Vous avouerez que c'est pas de chance...

dimanche 13 avril 2008

Cannibale lecteur

Dans mon billet d'hier (juste sous vos pieds...), à propos de Jim Harrison, je disais que mon affaire commençait à tourner à la monomanie (à ne pas confondre avec la manomanie, qui n'est rien de plus que de la masturbation compulsive). En fait, en y réfléchissant, dans les brumes de l'eau minérale qui envape mon esprit, je m'aperçois que j'ai toujours - ou très souvent - lu de cette manière, par coulées massives et prolongées.

Se plonger dans l'oeuvre d'un auteur, ne plus lire que lui, devenir presque autiste (mais autiste reading, tout de même) à tous les autres, permet, il me semble, de franchir un pas de plus en direction de cet écrivain, voire de sauter à pieds joints dans le miroir tendu. Cela me paraît surtout vrai pour les romanciers, et bien davantage encore pour les plus prolifiques d'entre eux. Une personne lisant les cinq ou dix meilleurs romans de Balzac n'aura pas la même vision de lui que celle qui, comme je l'ai fait à une époque lointaine - et refait depuis -, entre dans la Comédie humaine par La Maison du chat-qui-pelote, pour en ressortir, quelques mois plus tard, par Le Lys dans la vallée.

Toute proportions gardées, cela vaut aussi pour un Simenon ou, on y revient, un Jim Harrison. Voilà des écrivains qui, à mon sens, doivent être pris (ou rejetés) en totalité - des écrivains "globaux". Qui appellent, chez leur lecteur, à une forme de cannibalisme. Ce qui n'est pas le cas, par exemple, de Zola ni de Hugo, qui supportent très bien d'être lus "par appartements", et qui, même, y ont avantage.

Cette "serial lecture" présente toutefois un risque non négligeable pour ceux qui la pratiquent, s'ils ne sont pas de grands lecteurs.

(Je considère qu'il y a des "grands" lecteurs et des "gros" lecteurs, de même qu'il y a des goinfres et des gastronomes. On peut très bien imaginer un grand lecteur se contentant d'une dizaine de livres par an, et un gros lecteur ne comprenant strictement rien aux cent cinquante qu'il a dévorés dans le même temps. Je crains d'être plus proche de cette seconde catégorie que de la première.)

Un risque, disais-je. Celui que fait courir à un esprit ordinaire une trop grande proximité avec la lumière dont il a besoin : d'un aveuglement plus ou moins important, d'une perte de lucidité. Toutes choses qui surviennent lorsque le plaisir de se retrouver "en terrain connu" prend le pas, ou au moins rivalise avec le jugement critique, face à une partie nouvelle de l'oeuvre déjà parcourue en tous sens. Dans ce cas, un seul remède : s'éloigner, se frotter les yeux, chasser de la rétine les papillons noirs, et y revenir quelques mois ou années plus tard.

Et si quelqu'un pouvait m'expliquer pour quelle raison je me suis brusquement attelé à ce charabia pseudo-littéraire, il me rendrait un signalé service.

samedi 12 avril 2008

Il gèle sur mon permis

Ce matin, au courrier, en dehors de deux nouveaux romans de Jim Harrison (je sais : ça tourne à la monomanie...), deux très mauvaises choses. D'abord, un disque de Bjork pour l'Irremplaçable. Et, pour moi, une jolie enveloppe armoriée République française. À l'intérieur, un avis de contravention me signalant que, une vingtaine de minutes avant de me faire poisser par mes amis CRS des Yvelines, j'avais été taupé par un radar des Hauts-de-Seine, dans le souterrain de la Défense : 82 km/h au lieu des 70 réglementaires. Et encore un point de moins en perspective !

Quand cette grotesque pantalonnade sera terminée, j'en serai, pour solde de tous comptes, à - 1 : je ne suis pas près de reposer mes fesses derrière un volant, on dirait...

Tous les Aldo ne sont pas Maccione...

Je viens de trouver sur un forum une interview que toutes les futures "mamans" devraient apprendre par coeur. Et les futurs "papas" par la même occasion. Elle est d'Aldo Naouri, qu'on ne présente plus...

Au saut du lit (ou presque)

« Si vous voulez quitter votre mari, n'oubliez surtout pas d'emporter une lampe-torche. »

Jim Harrison, La Femme aux lucioles.

vendredi 11 avril 2008

Annonce désintéressée

Je signale à ceux qui y passaient de temps à autre, que le blog de l'Irremplaçable est revenu à sa vocation première, à savoir un blog familial fermé à toute personne ne montrant pas patte blanche (à moins de graisser généreusement celle de la taulière : tarifs sur demande...). En revanche, ses superbes albums photos (l'objectivité est la règle de la maison) sont toujours visibles ici, ou bien en lien ci-contre, dans la colonne verte, sous la rubrique "derniers commentaires".

jeudi 10 avril 2008

À quelque chose, etc.

Dès demain, je me renseigne à propos du délai nécessaire pour obtenir six mois de congé sabbatique. Depuis que l'idée m'en est venue, ma mésaventure de mardi soir me paraît plus rose (bon, moins grise, on va dire...).

Qui veut gagner des millions chez les CRS de l'A 14 ?

C'est un épisode de ma nuit de garde à vue que j'ai oublié de vous narrer hier. À un moment, vers trois ou quatre heures du matin (pour des raisons tombant sous le sens, on comprendra qu'il m'est difficile d'être plus précis), l'un de mes compagnons obligés a sorti de sa poche un fascicule qu'il s'est mis à compulser avec un sérieux concentré. Rapidement, deux de ses compagnons de chaîne se sont mis à le brocarder gentiment. Devant mon air incompréhensif, le plus ancien dans le grade le plus élevé a condescendu à une explication.

Leur collègue (assez jeune) bûchait en vue d'un concours qui, pour faire bref, devait lui permettre, en cas de succès, de devenir CRS-chef (un truc dans ce genre). Et ses deux potes d'ironiser : « Wouah ! Marcel, laisse tomber, tu n'y arriveras jamais ! » L'autre bougonne, se plaint que c'est difficile et qu'il aimerait bien les y voir. Il était plongé dans le fascicule "culture générale". Avec ma curiosité que rien ne fatigue, je m'enquiers du genre de questions dont il s'agit.

Il m'en a balancé une vingtaine, j'ai répondu à dix-huit : ils étaient sciés, mes potes. (Je précise qu'il n'y a là aucune vantardise de ma part : les questions étaient du niveau de celles à 5000 € dans "Qui veut gagner des millions ?". Du style : "Sous quel nom est connu Joseph Dougatchvili...") Je me suis viandé sur la superficie du Luxembourg et à propos d'une autre qui m'est sortie de l'esprit. Durant un moment, j'ai senti que j'étais devenu quelqu'un d'impressionnant, voire de vaguement effrayant.

Ce qui n'a nullement empêché la procédure de suivre son cours : force est restée à la loi, et c'est fort bien ainsi.

mercredi 9 avril 2008

Pour faire chier les tibétolâtres

Ici.

Les tribulations du petit Didier ivrogne

Le petit Didier a passé, hier, une excellente soirée, en compagnie de trois dignes blogueurs : Zoridae, Balmeyer (lesquels, si j'ai bien bien compris, se connaissaient déjà vaguement) et le mirifique Nicolas, dont la cravate était étonnamment acceptable. Nous espérions vaguement la venue de Fiso, qui point ne vint. De toute manière, à l'heure où elle serait arrivée, on était déjà grave bourré (surtout moi).

À propos de bourré : quittant mes hôtes, j'ai eu l'infinie sagesse de dormir environ une heure dans ma voiture. Rouvrant l'oeil, j'ai alors pris la route, me disant que, puisque que j'étais réveillé, c'est que je devais être en état de me rapatrier at home.

Piteuse erreur, ainsi que me l'ont fait rapidement comprendre les flics, qui m'ont intimé l'ordre de me ranger sur la bande d'arrêt d'urgence aux alentours de Mantes-la-Jolie. Ces braves gens ont eu tôt fait de me convier dans leur propre automobile, tandis que l'un d'eux se dévouait pour emmener mon modeste véhicule je ne sais où (à l'heure où nous mettons sous presse, je ne sais d'ailleurs toujours pas où il se trouve : on verra demain...).

On s'est tous ensemble rapatriés dans un riant local, juste sous l'A 14, là qu'elle se sépare à l'amiable en deux tronçons, le second allant copuler honteusement avec l'A 86 (je sais : c'est dégoûtant). On m'a alors signifié que j'étais en garde à vue. J'en ai immédiatement conçu un gonflement d'importance, m'imaginant être Michel Serrault face à Lino Ventura - un truc comme ça.

Les choses ne se sont pas exactement passées de cette manière ; Claude Miller devait probablement être occupé ailleurs. Néanmoins, dans un premier temps, l'affaire fut agréable. Apprenant que j'étais l'illustre Michel Brice, deux ou trois de ces braves et jeunes CRS ont eu à coeur de puiser dans leur vécu pour me fournir de futurs romans. Discussion s'engage, je prends plus ou moins le pouvoir. C'est moi qui, à trois ou quatre reprises, décide qu'il serait peut-êre temps d'aller s'en griller une petite dehors. Comme un gardé à vue ne peut sortir seul (des fois qu'il s'évaderait, ce con), mes CRS sont au moins deux ou trois pour m'accompagner.

Mon seul véritable échec sera de leur demander, sur les coups de cinq heures du matin, s'ils n'auraient pas un truc un peu fort à se jeter derrière la cravate : on me fera (très courtoisement) comprendre que ma demande n'est peut-être pas très judicieuse, compte tenu de ma situation présente.

La grisaille va s'installer au moment de la relève. Quand mes joviaux compagnons, ravis que le turbin s'achève, vont être remplacés par les grincheux du jour à peine levé. Lesquels, peu soucieux de mes péroraisons vaseuses d'alcoolo en descente de trip, vont aimablement me diriger vers l'une de leurs annexes obligées : la cellule de dégrisement. À l'orée de laquelle, on me débarrassera de mes chausses (des fois que je me pende avec mes lacets) et aussi de mes lunettes, pour une raison qui me demeure obscure.

Bref, au total, le petit Didier a bien ri de l'aventure. Sur le coup. Parce que que, maintenant, il se rend compte qu'il va se retrouver au minimum cinq mois sans permis de conduire et se demande comment il va s'y prendre pour aller gagner sa croûte et celle de l'Irremplaçable - sans parler des clébards.

Du coup, le petit Didier a repris deux bières et décrété qu'il emmerdait la police, spécialement sur l'autoroute.

mardi 8 avril 2008

Collision

Les portes de l'ascenseur s'ouvrent, je fais un pas en avant pour en sortir. Dans le même temps, un jeune homme, à qui je rends à vue d'oeil vingt centimètres et quarante kilos, fait un pas en avant et vient s'écraser sur mon torse puissamment marmoréen. Il bafouille une excuse. Moi, sourire charmant et voix de velours : "Mais ne vous excusez pas, ce fut un plaisir...". Il a paru un peu décontenancé, et les deux filles qui discutaient à deux mètres de là ont pouffé.

Je pense que ma réputation de pédé est désormais bien établie, rue Thierry-Le Luron.

lundi 7 avril 2008

Que sont mes amis devenus ?

C'est une vraie question que je me pose et, du coup, que je vous pose, à vous tous, mes quatorze lecteurs et demi : que sont nos amis devenus ? (Mon titre est justifié : je suis trop fort...)

Je ne sais pas chez vous (je m'adresse à mes amis blogosphériques, soit à des gens que je ne connais pas, qui ne me connaissent pas, que je ne connaitrai jamais probablement, et réciproquement), mais, ici, mes vrais amis n'interviennent jamais. Étant un individu assez désagréable (voire un sale con, dans certain département sudiste), j'ai très peu d'amis. Mais j'en ai deux ou trois néanmoins (en dehors de l'autre abruti pressé qui a jugé bon de mourir prématurément). Je sais qu'ils connaissent l'existence de ce machin (blog, pardon), et je sais qu'ils le lisent (parfois). Or, aucun, jamais, n'a laissé le moindre commentaire.

Il doit bien y avoir une raison. Laquelle ?

J'en vois deux, a priori. La première, assez masochiste (ou, au contraire, plutôt prétentieuse, suivant le regard qu'on y porte), est qu'ils me trouvent, ici, très inférieur à ce que je suis dans la "vraie vie".

La seconde serait ... serait quoi ?... c'est assez difficile à exprimer... Qu'ils savent que je suis différent, en réalité, et qu'ils ont cette pudeur de faire semblant de ne pas tenir compte de ce que je suis ici.

Ont-ils raison ? Ou y a-t-il encore une autre explication ?

Pfff !...

À propos de Jésus-Christ

« Pas facile d'être le fils d'une vierge, même quand on sait qui est son vrai père. »

Jim Harrison, L'Été où il faillit mourir.

La raison qui vacille

Pour changer, le billet du jour se trouve un peu plus loin.

Un système de co-voiturage est possible pour les plus indigents.

Métis, si je veux !

Tel est le titre de l'article sur lequel je viens de tomber. Comme il prolonge une longue et cahotique discussion qui a eu lieu ici, je le mets en lien. Et le fais d'autant plus volontiers que, sur le fond, je suis loin de partager entièrement le point de vue de l'auteur.


(Notez bien qu'il ne s'agit pas, de ma part, d'une tentative plus ou moins gamine de relancer la querelle. C'est simplement une pièce au dossier que je vous soumets.)

Je l'adopte

Ce matin (ou peut-être hier soir, allez savoir), pour désigner un certain type de fonctionnaires de l'indignation permanente, mon excellent blogami Nicolas II a inventé une savoureuse expression :

Plastiqueur de portes ouvertes


Je lui ai aussitôt demandé l'autorisation de l'adopter. Puis, finalement, je l'ai fait sans attendre sa réponse. Ce qui dénote chez moi une âme assez vile (chez mon ami Lilas Pastia...).

Il était temps

Il y a une heure, à mon réveil, tout était blanc dehors. Première neige de l'hiver le 7 avril : on n'a plus les saisons qu'on avait...

dimanche 6 avril 2008

Nous sommes rares

Mon vieux Bergouze, mon toujours-jeune, il faut bien que je t'en avertisse, étant - je suppose - ta seule distraction : je ne vais pas tarder à me taire. Je suis fatigué. De parler, d'ironiser, de provoquer, de cette danse du ventre syntactique que je mène. Je vais sans doute me taire. Disant cela, je me vante peut-être, n'étant pas certain d'y parvenir. Mais chaque année qui passe me rend la perspective plus facile.

Tu vois, déjà là : le simple fait de passer de la maison à la Case fait que l'essentiel (essentiel : tu parles !) de ce que je voulais te dire s'est évadé de ma tête. Je sais bien que le vent souffle, mais tout de même.

(Dans la Case, lorsque le vent s'énerve, on entend des bruits de toit se soulevant : c'est une illusion, mais on a des visions de Tropiques...)

Se taire, donc. Dissimuler ce qu'on pense, ce que l'on croit, ce que l'on sait, ce que l'on pressent, ce que l'on devine, ce que l'on voit arriver. Parce que c'est inutile de se démener ; et parce que l'on se sait pas assez intelligent, ou armé, pour argumenter. Ou, une fois encore, fatigué. Laisser les amateurs de Progrès courir devant. Rester en arrière. Non : repartir en arrière ; revenir rue du Sommerard, par exemple ; s'y réfugier.

Reprendre ces longues soirées du mardi. André assis sur le prie-Dieu, moi sur le siège de 404 dont on se demande ce qu'il foutait là, et toi sur le lit d'André. Avec les bouteilles de Riesling arrivées tout frais d'Alsace dans les bagages d'André. Toujours en nombre largement suffisant pour un sommeil plombé et une matinée de "sèche", le lendemain, rue du Louvre.

Les disques de ces soirées : quand je suis seul, comme en ce moment, je m'en remets quelques-uns. Morelli et Villon, Je meurs de soif auprès de la fontaine..., Tristan Corbière... Sans parler de Ferré, écouté ce soir, et que tu n'aimais pas, qu'André et moi essayions de te faire entrer de force dans la tronche. Parfois, si on avait assez bu, tu faisais semblant de commencer à comprendre, on faisait semblant d'y croire, parce qu'on était assez heureux d'être bourrés ensemble. Et je pense qu'à ce moment-là, tu aimais vraiment Ferré, pour exactement la même raison, jusqu'au lendemain matin.

Sur les murs de la rue du Sommerard, il y avait des photos géantes de Béa. (Je déteste les diminutifs, sauf pour Béa, justement (et pour Jef, aussi).) Béa de vingt ans, un sourire à tomber, mais rien de désirable, ni pour moi ni pour toi (excuse-moi de parler en ton nom, mais bon...). Qu'elle ne m'en veuille pas, si elle passe par ici (on n'est jamais trop prudent, avec les filles, tu as au moins eu le temps d'apprendre cela), mais elle était la femme d'André et, finalement, à eux deux, ils donnaient plus ou moins tort à René Girard (qu'il me pardonne).

J'ai un peu perdu le fil, je ne suis pas sûr qu'il y ait eu un fil, du reste. Ah ! oui, en fait, j'aurais aimé parlé encore longtemps - des douzaines de pages - de ces soirées rue du Sommerard. Mais, vois-tu, ça n'intéresse plus personne - que trois. Et je te rappelle que j'ai commencé ce billet en disant que j'allais me taire. Donc, soyons cohérent. Si c'est possible...

Pourtant, j'ai rien bu...

Il n'empêche que, par mes fenêtres, en ce 6 avril, je vois la neige tomber à gros flocons sur mon coin de Normandie.

Et, comme un con, je venais juste de ranger les raquettes et les pièges à mâchoires pour bébés-phoques...

Erri revient

Photo de l'Irremplaçable, en Franche-Comté


« La foi n'est pas une chose automatique, la foi est comme cette sorte d'aile éolienne que j'ai montée quand je suis allé en Afrique. Un instrument très simple, trsè rudimentaire, qui sert à extraire de l'eau des puits ; mais aussi très puissant, qui n'a besoin d'aucun type de manutention : il n'est pas nécessaire de l'actionner, elle marche toute seule, elle n'a besoin que du vent. La foi est comme ça, pour la ressentir, il faut que tout ait été mis en mouvement ensemble sous l'impact du vent. Moi, je n'ai pas été touché par ce vent, mais la vie de certains hommes de foi me convainc, je crois qu'ils ont une raison, une information, une vérité que moi je n'ai pas. Je crois aux vies, à leurs vies. »

Erri De Luca, Essais de réponse.

samedi 5 avril 2008

Portrait du militant en jeune homme

Dagrouik, hormis le ridicule de son pseudonyme (il n'a pas envie qu'on le repère, ce que chacun comprendra, l'ayant lu), est un jeune homme moderne, absolument moderne. Le passé, il n'en a rien à faire, il est tout tendu vers un Désir d'avenir, d'où son idolâtrie poitevino-charentaise.

M. Dagrouik veut faire gagner le parti socialiste Ségolène Royal en 2012 : c'est louable, en soi. Pour le coup, M. Dagrouik énonce des diktats : il est désormais interdit de penser l'histoire, en tout cas pas en deçà de 1971. Voilà : un matin, s'éveillant, il a décidé cela. (On comprend que, pour M. Dagrouik, 1971 est en gros la fin du pléistocène : une époque reculée, trouble, à laquelle on ne comprend rien.) Toute personne évoquant Jaurès, Léon Blum, voire l'inénarrable Guy Mollet (auquel M. Dagrouik fait pourtant irrésistiblement penser) sera déclaré coupable de vouloir faire perdre LA Gauche.

Mais pourquoi 1971 ? s'interroge le bon peuple. M. Dagrouik ne se souvient évidement pas que, cette année-là, un opportuniste génial, nommé François M., prit le parti à la hussarde, alors qu'il n'en était même pas encore membre douze minutes plus tôt. C'est-à-dire, en l'occurrence, s'est affirmé comme "leader" (chef, en ancien français désormais inadmissible...)

Non, non, pas de ça Lisette ! Ce que veut M. Dagrouik, c'est que ce soient les militants qui désignent leur leader. Comme si on avait jamais vu des colleurs d'affiches braillards et avinés choisir leur chef, désigner celui qui, peut-être, allait les emmener vers une victoire qu'aucun de leurs petits cerveaux n'était seulement capable de concevoir.

M. Dagrouik pense que c'est aux lampistes de choisir leur chef et que c'est comme cela que se construit une victoire. M. Dagrouik a tort de remonter pour cela jusqu'à une date aussi reculée dans le temps que 1971 : 2007 devrait suffire à son propos. On pourrait lui conseiller de lire (on a failli écrire "relire", mais ne soyons point trop cruel...) Le Fil de l'épée et La Discorde chez l'ennemi d'un certain militaire nommé de Gaulle.

Ce que veut M. Dagrouik, tout entier tourné vers l'avenir et faisant table rase d'un passé auquel il n'entend rien, d'où il n'admet tirer la moindre leçon, c'est la transparence. La transparence absolue. Celle du petit enfant dans son parc. M. Dagrouik est une sorte d'homo militantus militantus, à l'image de l'homo festivus festivus magistralement défini par Philippe Muray.

M. Dagrouik veut que la base discute, encore et encore, pour, à la fin des fins, désigner comme représentant, celui qui ressemblera le plus à M. Dagrouik et à ses petits camarades.

Je souhaite bien du courage à la gauche.

La journée sera calorique

« Je devais remonter des années en arrière jusqu'à une grippe carabinée pour me rappeler un jour où j'avais moins mangé que la veille. Je décidai de me préparer une sauce "putanesca" pour des pâtes, une sorte de version italienne de cette nourriture spirituelle qui redonne le moral aux putains fatiguées - métaphore assez exacte du journalisme : cette sauce inclut de la chair à saucisse, du vin, des câpres, des anchois, du concentré de tomate et une généreuse poignée de piments. Quand elle fut prête et les pâtes quasiment cuites, j'ouvris ma dernière bouteille de Barbaresco. Comment vous convaincre de la splendeur de ce petit-déjeuner, que je pris seul avant de me recoucher ? »

Jim Harrison, Faux soleil.



(« Quand elle fut prête et les pâtes quasiment cuites, » : c'est seulement à la relecture que je m'avise de la construction bancale de cette proposition, de ce verbe mis en commun pour deux sujets, l'un au singulier, l'autre au pluriel. Il faudrait se référer au roman original pour voir qui est responsable, de Harrison ou de son traducteur. Mais bon...)


On n'y croyait plus !

Pourtant, une équipe de savant biologistes a bel et bien réussi à décongeler le Brigadier mondain...

vendredi 4 avril 2008

Quelques flocons de tristesse dans ce monde de répugnante gaieté...

Au mois d'août en fauchant les blés
On crevait de soif dans la plaine
Le corps en feu je suis allé
Boire à plat ventre à la fontaine
L'eau froide m'a glacé les sangs
Et je meurs par ce temps d'automne
Où l'on danse devant la tonne
Durant les beaux soirs finissants

J'entends les violons
Marie
Va, petiote que j'aimais bien
Moi, je n'ai plus besoin de rien
Va-t-en danser à la frairie
J'entends les violons
Marie

Veux-tu bien me sécher ces pleurs
Les pleurs enlaidissent les belles
Mets ton joli bonnet à fleurs
Et ton devantier en dentelles
Rejoins les jeunesses du bourg
Au bourg où l'amour les enivre
Car si je meurs il te faut vivre
Et l'on ne vit pas sans amour

Entre dans la ronde gaiement
Choisis un beau gars dans la ronde
Et offre-lui ton coeur aimant
Qui resterait seul en ce monde
Oui, j'étais jaloux cet été
Quand un autre t'avait suivi
Mais on ne comprend bien la vie
Que sur le point de la quitter

Après ça tu te marieras
Et quand la moisson sera haute
Avec ton homme aux rudes bras
Moissonnant un jour côte à côte
Vous viendrez peut-être à parler
Émus de pitié grave et sobre
De Jean qui mourut en octobre
D'un mal pris en fauchant les blés

J'entends les violons
Marie
Va, petiote que j'aimais bien
Moi, je n'ai plus besoin de rien
Va-t-en danser à la frairie
J'entends les violons
Marie

Gaston Couté


(Le texte que j'ai trouvé sur internet est fautif, je l'ai donc rectifié d'après ma seule mémoire. Pour le coup, la ponctuation doit être fantaisiste, et pas forcément la ponctuation seule...)

Y a mon chef qui bosse...

C'est ici, on est autorisé à y aller voir...

Vise mon Jules

Je sais bien que les moins de 88 ans n'ont à peu près aucune chance de connaître cette chanson de Piaf, mais bon. Depuis hier, les insectes bourdonnent, les bourgeons se la jouent gonflés, les jupes raccourcissent, les mâles prennent l'apéro en laissant la porte ouverte sur le jardin (mais avec un petit pull tout de même : on n'est pas des fondus non plus), les oiseaux tentent de brailler plus fort que le iPod - et souvent y parviennent.

Bref, enfin le printemps.


(Si on clique sur le lien, on pourra constater une énorme faute de français dès le premier mot...)

jeudi 3 avril 2008

Je hais l'Irremplaçable et sa connasse de frangine

...Parce que je suis sûr qu'elle sont en train de manger des cuisses de grenouilles !

(Je les hais ! je les hais !)

[Rajout de 20 : 31 : pour la peine, je vais aller me chercher une bière et vomir partout, voilà !]

Serge Goux s'invite à l'apéro

Il y a une minute et demie, j'ai dû m'y reprendre à deux fois pour m'extraire du L*fuma qui me sert de fauteuil provisoire (consigné dans la Case que je suis), afin d'aller me servir mon deuxième verre.

[Pause : les jeunes crétins qui me font office de lecteurs peuvent bien ricaner : vous verrez ce que c'est que de s'extraire d'un L*fuma, passé 50 ans, bande de cons !]

Bref, pendant une poignée de secondes, j'ai eu l'impression d'être Serge Goux, le père de l'Irremplaçable et de Nathalie. Et ça m'a fait plaisir.

Voilà, c'est tout. Mais j'aimais beaucoup ce Goux-là.

Tiens, un jour, si j'y pense, je vous raconterai la parfaite murgée que j'ai prise avec cet excellent homme (chez mes parents qui n'étaient pas là, grâce au ciel). Il y a bien longtemps, la vie était alors très simple (me semble-t-il). Les morts ont parfois cette faculté de vous faire voir la vie plus lumineuse.

(Mais qu'est-ce que je raconte, moi ?)



(Catherine, ton blog est en train de devenir fou : à cause de Bjork, probablement...)




Le retour de Marcel Pignol

C'est une vidéo, c'est très drôle et c'est chez Georges...

American parano

« Le problème avec la télévision, le cinéma, la plupart des romans, à de très rares exceptions près, est que rien n'y est fidèle à la vie telle que vous la connaissez ou à un mode d'existence concevable : le Pape cache une bombe sous sa soutane et cette bombe va faire sauter notre président parce que le sonotone du Pape est contrôlé par le KGB, lequel contrôle aussi le harem du président dont toutes les starlettes ont le vagin truffé de micros ; si le KGB réussit son coup, les Arabes lui offriront pour cinquante milliards de dollars de brut, plus toute la récolte de blé au Canada. Ce genre de chose. »

Jim Harrison, Faux soleil.

mercredi 2 avril 2008

Bonheur, absence, et bonheur quand même

Il s'est produit ceci : demain, je ne bouge pas de la maison, à raison des sacro-saintes RTT. Mais, comme il est possible que mon absence induise des trucs et des machins désagréables, j'ai dit à Brice qu'il pouvait m'envoyer à la maison du travail à faire, si jamais il se retrouvait coincé ; on appelle ça travailler durant ses congés pour gagner pareil - on n'est pas plus sarkoziste.

En dehors de cela (qui est sans la moindre importance), je suis passé au chenil où j'ai récupéré Swann. (Comme il faisait un temps de merde, je me suis ruiné une deuxième paire de pompes). Actuellement, Swann fait le chien mort sur son tapis (on lui sent du sommeil en retard), je fais le blogueur actif, sirotant un petit verre, écoutant la Passion selon Saint-Mathieu. Tout baigne. Le temps est gris, comme il doit être, il y a, dans le sommeil de Swann, quelque chose comme une reconnaissance, le jour décline gentiment. Peut-être même, chez le chien, une trace d'amour, mais on ne peut jurer de rien.

Comment se faire lourder d'un blog (en une leçon)

La recette est à la fois simple et inratable : il suffit de parler de religion. Attention : pas de n'importe quelle religion ! Si vous commencez par affirmer que Benoît XVI est un nazi, de la graine de gestapiste, non seulement vous ne serez pas banni, mais vous prenez même le risque d'être chaleureusement applaudi pour votre fantastique courage et votre rebellitude sans faille : vous avez manqué votre coup.

En revanche, si, en des termes mesurés, vous évoquez l'islam ; si vous sous-entendez qu'il ne s'agit pas là du fin du fin en matière de libertés, de douceur et d'épanouissement personnel ; si vous vous étonnez qu'un prix Nobel de la paix puisse justifier sur une radio nationale la fatwa lancée contre Taslima Nasreen ; si vous observez benoîtement (oui, je l'ai fait exprès) qu'à une ou deux exceptions près, tous les pays soumis au rouleau compresseur islamique sont en outre des dictatures féroces et rétrogrades ; si vous balayez d'un revers de la main la fameuse distinction des progressistes entre les musulmans "modérés" (mais si, vous savez bien : ceux que l'on n'entend jamais) et la poignée d'odieux fanatiques ; si vous indiquez que les dissidents de ces pays (de vrais courageux, ceux-là) se désespèrent du peu de soutien qu'ils rencontrent par chez nous, alors, pas de problème : le taulier du blog va se mettre à blobloter dans ses Pampers et votre commentaire sera supprimé dès son apparition.

Ensuite, comme il s'agit d'un garçon bien élevé (et peut-être un peu péteux), il vous enverra un mail privé pour vous demander de ne pas prendre cela pour de la censure, mais que, vraiment, non, il y a des choses qui ne se font pas, en tout cas pas chez lui : les révolutionnaires vigilants ne veulent pas d'emmerdes avec la police de la pensée.

La seule réaction sensée, et même possible, est bien entendu l'éclat de rire. Remarquez, c'est une censure que je comprends, car elle possède sa propre cohérence : on ne va tout de même pas se mettre mal avec ses futurs maîtres - ce serait profondément idiot.

mardi 1 avril 2008

Gustav déconne

Lorsque j'écoute les cinq premières minutes du mouvement initial de sa Première symphonie (Titan), j'ai toujours l'impression que Mahler est entré dans son oeuvre à reculons, sans le vouloir, presque malgré lui.

Bad news

« "Je ne voudrais pas vous inquiéter, mais vous êtes en très mauvaise santé. Un pouls anormalement élevé, une tension préoccupante, et au moins quinze kilos de trop." Sa main s'abattit sur mon ventre. "Le fric que vous avez dépensé pour votre goutte suffirait à faire vivre un village africain." Là-dessus, elle m'administra un tranquillisant et m'interdit un pousse-café. »

Jim Harrison, Faux soleil.