samedi 25 avril 2020

Une lecture idéale ou Le bûcher des claquemurés

Tom Wolfe, 1930 – 2018.

Vous commencez à en avoir assez de lire en boucles les stupidités en rafale de la presse à propos d'un certain virus ? Les pleurnicheries d'internautes claquemurés qui ressassent leur frousse en tournant sur eux-mêmes tels des canards qu'on a désolidarisés de leur tête ? Vous vous dites qu'il est peut-être temps de reprendre une activité intellectuelle plus ou moins normale et d'ouvrir un vrai livre ? J'ai le médicament qu'il vous faut, l'élixir, la panacée ! Ça s'appelle Le Bûcher des vanités.

Dans l'édition du Livre de poche, le premier roman de Tom Wolfe – il n'en a écrit que quatre : c'était un homme éminemment bien élevé – dépasse de peu les 900 pages : c'est assez dire qu'il devrait vous emmener jusqu'à l'extrême seuil du déclaquemurage. Si vous êtes du genre à lire très vite et huit heures par jour – donc, si vous êtes moi –, vous pourrez enchaîner avec Un homme, un vrai, qui se déroule à Atlanta, puis avec Bloody Miami : ces deux-là approchent aussi des mille pages chaque.

Le Bûcher des vanités se déroule à New York ; principalement à Wall Street, sur Park Avenue et dans les fins fonds crapoteux du Bronx. Roman féroce, caustique, hilarant, se souciant comme d'une cerise du politiquement correct, roman à la construction implacable, à l'intrigue à la fois complexe et d'une parfaite évidence, roman surabondant en informations de toutes sortes, roman-enquête, roman d'aventure urbaine, roman d'envolée vers les sommets et de plongée aux abysses, roman qui, tout moderne qu'il soit, louche fortement vers Zola et Balzac, un Zola qui aurait de l'humour et un Balzac dont le regard embrasserait New York comme jadis Angoulême, Guérande, Issoudun ou Paris. D'ailleurs, à propos d'Angoulême et de Paris, il est piquant de constater, à la lecture, que les journalistes mis en scène par Wolfe semblent avoir sauté, directement et à pieds joints, des Illusions perdues à son propre roman – en acquérant un peu plus de nocivité à l'occasion de ce bond.

Ajoutons à cela que Wolfe ne ménage personne, aucun groupe social, aucun clan ethnique, aucune profession, aucun sexe. Et, petit à petit, insensiblement, au fil des pages, sa liberté et sa jubilation deviennent les nôtres. Un extrait pour illustrer, si vous le voulez bien. Nous sommes, vers la fin du livre, dans le bureau du maire, qui commence à se préoccuper  de son éventuelle rélection. La question qui ouvre mon extrait est posée par lui à son principal conseiller :

« – Les Épiscopaliens ont un évêque noir ?

– Oh, ils sont très libéraux, dit Sheldon en roulant les yeux. Ça aurait aussi bien pu être une femme ou un sandiniste. Ou une lesbienne. Ou une lesbienne sandiniste.

Le maire secoua la tête une fois de plus. Il trouvait les Églises chrétiennes sidérantes. Quand il était petit, les goys étaient tous catholiques, à moins de compter les shvartzer, les Noirs, ce que personne ne faisait. Ils n'avaient même pas droit au titre de goy. Les catholiques étaient de deux sortes, les Irlandais et les Italiens. Les Irlandais étaient stupides et aimaient faire mal. Les Italiens étaient stupides et visqueux. Les deux étaient désagréables, mais le système était facile à comprendre. Il était déjà à l'université quand il s'était rendu compte qu'il y avait un tout autre groupe de goys, les protestants. Il n'en voyait jamais un seul. Il n'y avait que des Juifs, des Irlandais et des Italiens à l'université, mais il en entendait parler, et il apprit ainsi que la plupart des gens les plus célèbres de New York appartenaient à ce type de goys, les protestants, des gens comme les Rockefeller, les Vanderbilt, les Roosevelt, les Astor, les Morgan. Le terme Wasp fut inventé beaucoup plus tard. Les protestants étaient divisés en un tel nombre de sectes que personne ne pouvait les connaître toutes. C'était très païen et très film d'épouvante, quand ce n'était pas ridicule. Ils vénéraient tous un certain Juif obscur des antipodes. Les Rockefeller le faisaient ! Et même les Roosevelt ! C'était vraiment fumeux et pourtant ces protestants dirigeaient les plus gros cabinets d'avocat, les banques, les cabinets d'agent de change, les grandes firmes. Il ne voyait jamais ces gens en chair et en os, sauf au cours de cérémonies. En dehors de cela ils n'existaient pas à New York. Ils se montraient rarement, même pendant les élections. Par le nombre ils étaient une nullité – et pourtant ils existaient. Et maintenant une de ces sectes, les Épiscopaliens, avait un évêque noir. Vous pouviez plaisanter sur les Wasps, et il le faisait souvent entre amis, et pourtant ils étaient plus effrayants que drôles, ces frelons. »

Plus effrayant que drôle ? Plus drôle qu'effrayant ? C'est la question que le lecteur se pose tout au long des 900 pages de ce Bûcher des vanités. Et sans jamais parvenir à se donner une réponse nette, ce qui est la preuve de l'extraordinaire talent de Tom Wolfe. Dont, en outre, j'aimerais beaucoup connaître l'adresse de son tailleur.

jeudi 23 avril 2020

Le covid fait un tabac


En ces temps de frousse quasi générale, où nos rues sont envahies par des zombis pétochards masqués, il y a tout de même quelques nouvelles bien réjouissantes, en tout cas d'un irrésistible comique. En particulier celle qui court depuis quelques jours, supputant que le tabac pourrait bien protéger ceux qui s'adonnent à ses délices du petit Chinois malicieux. Peut-on sans jubiler imaginer le mufle écumant de rage impuissante des Claude Got et autres cuistres anti-tabagistes, qui pourraient voir d'un coup s'effondrer cette petite prohibition vertueuse dans laquelle ils se roulent et se vautrent depuis de trop longues décennies ?

Ah ! je sais bien ce que ces inopérants vont me rétorquer : « D'abord ce n'est pas prouvé. Ensuite, sachez, mauvais esprit, diablotin pernicieux, que lorsque les fumeurs hébergent tout de même votre petit Chinois, ils courent beaucoup plus de risques d'en mourir ! » À quoi j'ai ma réponse toute prête : « Qu'est-ce que ça peut nous foutre, Messeigneurs, puisqu'on ne l'attrape pas ? » 

Tout à l'heure, tandis que nous prenions notre second café-cigarette de la matinée, sur notre terrasse paisiblement ensoleillée, contemplant les mésanges qui entraient et sortaient de leurs nichoirs, Catherine, me désignant sa cigarette, dont la fumée en molles volutes montait paresseusement à la verticale vers l'azur vierge d'avions et vide de vent : « On prend notre médicament ! »

Ce ne sera pas long, vous verrez, avant que, en sus de l'auto-accordée “attestation de déplacement dérogatoire”, déjà si bouffonne, le patch de nicotine fortement dosé ne devienne obligatoire pour toute personne risquant ses bronches au-delà de son paillasson. Et où les bistros devront s'afficher clairement “fumeurs” s'ils veulent obtenir leur autorisation de réouverture.

Je trouve cette époque fantastiquement clownesque. Pas vous ? Ah, bon…

dimanche 19 avril 2020

Indispensable réforme du vocabulaire


Chaque jour, des mots disparaissent de notre vocabulaire – et il convient de s'en féliciter chaleureusement. S'ils disparaissent c'est parce qu'ils sont bannis ; s'ils sont bannis c'est en raison de leur haute toxicité. Sans remonter jusqu'à ces monstres préhistoriques que sont “aveugle”, “nain”, “vieux”, et quantité d'autres tout aussi infamants pour les malheureux qui les endossaient, il est fort heureux que, de plus en plus, le spectre des mises à l'index s'élargisse. Ainsi sommes-nous occupés depuis quelque temps à frapper d'exil les mots “père” et “mère” qui, admettons-le une bonne fois, suaient littéralement leur sexisme, d'autant plus pernicieux qu'il prétendait arborer les innocentes couleurs de la nature biologique et éternelle. Les “parent 1” et “parent 2” de belle facture ont heureusement fait justice de cela.

Les balayeurs techniciens de surface du langage auraient cependant tort de se reposer sur leurs lauriers, de réclamer séance tenante leurs RTT syntactiques : il y a encore beaucoup à faire ! Il ne suffit pas d'avoir dépoussiéré les voies de passage les plus fréquentées, il faut aussi aller déterger dans les coins sombres et les alcôves dérobées. Ainsi voit-on encore aujourd'hui s'employer le terme d'esclave, lequel, tout le monde en sera d'accord, reste profondément humiliant et discriminatoire pour les descendants de tous ceux qui en furent victimes, dans des passés plus ou moins lointains. Il est temps d'en finir avec ce vocable maudit, il est même plus que temps ! C'est pourquoi, en ce dimanche de mai, claquemuré mais animé d'une foi vigoureuse en l'avenir radieux, je propose de remplacer l'ignoble appellation d'esclave par celle de 

travailleur détaché.

samedi 18 avril 2020

Mais où est passé ce foutu chien ?


Parvenu à peu de chose près à la moitié du roman, je ne peux pas dire que Robinson Crusoé me séduise beaucoup. D'abord, on s'y ennuie tout de même pas mal, avec ces descriptions interminables des mille et un travaux que le naufragé doit exécuter pour tenter d'assurer sa survie. Certes, il est sans doute toujours utile de savoir comment s'y prendre pour tailler des pieux et se monter une petite clôture, mais enfin… 

Ensuite, il me paraît que l'ensemble est tout à fait impossible à croire. Voilà un jeune homme né en ville – à York pour être précis –, qui nous informe dès le début qu'il n'a jamais appris aucun métier, qui s'est ensuite, certes, vaguement occupé un temps d'une plantation au Brésil, et qui, soudain, se trouve capable d'exercer à peu près tous les artisanats, de tresser des paniers, de tourner l'argile pour en faire des pots, de se creuser une pirogue (et même deux !) dans un tronc d'arbre, de récolter du blé, d'en faire de la farine puis du pain, d'apprivoiser des chèvres pour se monter un troupeau, de se faire couturière pour remplacer ses fringues usagées, et ainsi de suite.  Il est même d'une habileté redoutable, puisque capable de se confectionner un parasol repliable !

Avec tout cela, des  négligences incompréhensibles. Lorsque Robinson débarque sur son île, il a avec lui un chien, rescapé comme lui. (Il a aussi deux chattes, mais pour l'heure on s'en fout un peu.) Or, dans la suite, alors qu'on s'attend à lui voir jouer au moins un petit rôle de compagnon, quasiment plus rien. Lorsque Robinson, dans sa pirogue fraîchement creusée, part faire le tour de son île, il reste absent plus d'une semaine, suite à diverses difficultés : et le chien alors ? Soit il l'a embarqué avec lui, mais alors il faudrait au moins nous le signaler, soit il l'a laissé at home. Auquel cas, il mange quoi, ce pauvre cador ? Il se prépare sa pâtée tout seul ? À un moment, Robinson nous signale que l'animal est devenu vieux et infirme. Et c'est tout : entre le naufrage et cette brève notation, des années plus tard, le chien est quasiment inexistant, tout en étant censé se trouver là, avec son maître.

Je poursuis tout de même ma lecture, au moins jusqu'à l'arrivée de Vendredi, qui va peut-être mettre un peu d'animation dans la casemate : un soupçon de vivre-ensemble ne pourra que pimenter agréablement ce morne récit.  Et puis, tout de même : la vie d'un homme confiné au grand air, en ce moment, ça dépayse méchamment.

mercredi 15 avril 2020

Immortels in extremis


Il est des poètes que personne ne lit plus, ou même dont on ignore désormais le nom. Il en est même beaucoup, engloutis à tout jamais, et qui, peut-être, pour certains, le méritaient. Mais il en est d'autres que la gloire rattrape in extremis par les cheveux, juste au moment critique où ils allaient disparaître dans le grand anonymat des siècles. Ils survivent parfois, ces miraculés, pour un unique poème. C'est le cas par exemple de Félix Arvers, encore présent aujourd'hui pour son fameux sonnet : Mon âme a son secret, ma vie a son mystère, etc.

Et puis, il y a ceux que l'on pourrait appeler les surmiraculés. Des sortes d'ombres errantes qui ne se maintiennent parmi nous que pour un seul vers ; dont, la plupart du temps, ceux qui le citent ignorent tout de son auteur. Mais enfin, c'est tout de même un semblant de survie, cela.

Par exemple, qui lit, qui connaît le poète Edmond Haraucourt (1856 – 1941) ? On le cite pourtant couramment, puisqu'il est l'auteur de ce vers : Partir, c'est mourir un peu.  Un heptasyllabe qui semble bien prouver, dans son cas, que Écrire, c'est durer un peu (qui, lui, n'est pas un heptasyllabe). Mais enfin, avec ou sans ce vers passé à l'état d'adage, le nom d'Haraucourt dit encore tout de même vaguement quelque chose aux demi-lettrés dans mon genre qui se sont un peu intéressés à la littérature du XIXe siècle…

Mais qu'en est-il de Pierre-Charles Roy (1683 – 1764), qui était librettiste de son état ? Auteur d'opéras pour des musiciens tout aussi inconnus que lui-même (là encore : hormis des spécialistes du genre, probablement) et qui ne sont plus jamais montés nulle part, on lui doit tout de même un vers que chacun a en mémoire. Il est le dernier d'un quatrain que Roy avait écrit comme légende sous une gravure représentant des patineurs sur glace ; quatrain que voici :

Sur un mince cristal l'hiver conduit leurs pas,
Le précipice est sous la glace.
Telle est de vos plaisirs la légère surface.
Glissez, mortels ! n'appuyez pas.

Moi-même je n'en eus rien su si, en se promenant sur les quais de la Seine, Louis Sébastien Mercier n'avait eu l'œil attiré par cette estampe et n'en avait noté les vers, reproduits sans nom d'auteur, avant de les intégrer dans un chapitre de son admirable Tableau de Paris.

On m'objectera peut-être – je connais les mauvais esprits qui hantent parfois ces lieux… – que le fait de connaître un vers par-ci, un vers par-là, n'empêche nullement leurs malheureux auteurs de sombrer dans l'oubli, puisque personne ne parle plus jamais d'eux. Je m'inscris en faux, mes Pères ! Et j'affirme que l'on parle bel et bien encore d'eux. La preuve.

mardi 14 avril 2020

Conseil pour une lecture utile


Le Journal de l'année de la peste, de Daniel Defoe (1722)

La lecture de ce livre, qui n'est ni tout à fait un témoignage – Defoe avait 5 ans au moment de la Great Plague de 1665 –, ni tout à fait une enquête, ni tout à fait un reportage, ni tout à fait une fiction, mais un cocktail subtilement dosé de tout cela, s'est imposée à moi avec la force d'une évidence ; ce d'autant qu'il s'agit d'une œuvre remarquable.

Remarquable surtout aujourd'hui, bien entendu, car Defoe y note un certain nombre de faits, de réactions, d'anomalies surgissantes dont, en tenant compte du décalage temporel, on peut voir renaître et croître les mêmes ces jours-ci. Au premier rang, la plus immédiatement visible d'entre ces distorsions dues à l'épidémie, voire à l'idée de l'épidémie, que je me permets de résumer en ce modeste dystique distique :


La peste, tout soudain, s'abattit sur la foule ;
Si tous n'en mouraient pas, tous devenaient maboules.

lundi 13 avril 2020

Masque en rade


Je suis fort aise de me trouver en plein accord avec Cyril Bennasar,  dont j'ai toujours bien aimé les articles, qui, ce matin, écrit ceci sur Causeur, à propos du port du masque, qui pourrait, affirment les bien-z'informés, devenir obligatoire :

« On dirait une blague : « Tu préfèrerais avoir un bec de canard pendant trois mois ou te retrouver à hôpital avec des tuyaux ? ». Heureusement, il y a une troisième option, un confinement strict. Moi qui ai toujours préféré le risque du traumatisme crânien au ridicule du casque à ski ou à vélo, je crois que je vais préférer l’ermitage au port du bec. Si je survis à la pandémie, je n’aimerai pas avoir été vu sous mon profil palmipède et si j’y reste, je ne veux pas que mon image se confonde dans la mémoire de mes descendants avec celle de Donald. »

Préférer l'ermitage au port du bec : c'est exactement la ligne que je me suis fixée, dès qu'il a été question d'une quelconque obligation. Nous allons donc sans doute passer, Cyril et moi-même (et d'autres valeureux inconnus avec nous) du statut de claquemuré à celui d'emmuré. La différence ne sera pas grande en ce qui me concerne – pour lui, je ne sais pas.

En tout cas, son article est de ceux que j'aurais pu écrire, si j'avais été l'un des collaborateurs de cette prestigieuse publication. Je vous invite à le lire. Sans masque ni gants.

dimanche 12 avril 2020

Shit, alors !


Un titre d'Atlantico qui fait ma joie et qui, je crois, se passe de commentaire :  

« Problèmes d'approvisionnement et de distribution : le prix de la drogue explose en France. »

Et moi qui avais cru comprendre que les commerces de première nécessité restaient libres pendant le Grand Claquemurage…

samedi 4 avril 2020

Le Grand Claquemurage de Blaise


Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose,
qui est de ne savoir pas demeurer en repos,
dans une chambre.


Blaise Pascal, confiné volontaire.

jeudi 2 avril 2020

Je dois être maso…


Je ne vois pas d'autre explication que lui, le masochisme, à mon attitude depuis le début du Grand Claquemurage. On prétend parfois que la lecture est une évasion, et qu'elle serait donc idéale en période de confinement. D'abord, il y aurait à dire, sur cette assimilation hâtive : lecture = évasion. Si l'on pense à la bande dessinée ou au roman policier, oui, peut-être… Mais enfin, admettons une seconde que ce soit également vrai pour la littérature. Ma réalité de ces jours derniers, c'est que loin de la rechercher, cette évasion, je pratiquerais plutôt ce que l'on pourrait appeler le surconfinement, voire l'overclaquemurage.

Dès l'aube, juste après avoir déconfiné le chien, j'ouvre les Récits de la Kolyma, de Varlam Chalamov. C'est pour me glisser dans un baraquement surpeuplé – la nuit – ou au fond d'un gisement aurifère – le jour. Quand ce n'est pas au sinistre “isolateur”, c'est-à-dire au cachot. Et lorsque, par hasard, je dois effectuer mes douze heures de travail quotidien à l'air libre, à abattre et transporter des mélèzes, par exemple, je me retrouve emprisonné dans une sorte de carapace invisible, infrangible, constituée par les -50° implacablement celsius qui paralysent mon corps mais aussi mon cerveau.

L'après-midi, j'abandonne Chalamov au profit de Grossman, Vassili : Vie et Destin. Certes, je quitte sans regret la Sibérie septentrionale, mais c'est pour plonger dans d'autres types de surconfinement. Car, là, je ne cesse de sauter, au gré des courts chapitres, d'un camp stalino-léniniste à un Lager nazi, en un va-et-vient qui fait que, en moins d'une heure, s'abolissent presque entièrement les différences entre le paradis communiste et l'enfer hitlérien. Et lorsque je parviens à quitter l'univers carcéral, c'est pour me retrouver à Stalingrad, circa 1942, dans la fameuse “Maison n° 6 bis”. Elle est peuplée de soldats russes qui forment le dernier bastion empêchant les troupes allemandes de progresser plus avant vers le cœur de la ville. On est claquemuré là-dedans comme dans un bunker, mes enfants, je ne vous dis que ça. La mort est comme chez elle, elle passe par les fenêtres, dans un sens comme dans l'autre. Durant les rares moments d'accalmie, je partage l'ordinaire de ces valeureux retranchés : pommes de terre germées et à demi gelées qu'ils ont trouvées à la cave, arrosées par l'eau croupie de la citerne de chauffage, qu'il vaut mieux faire bouillir avant de la boire, sinon c'est la rébellion intestinale féroce : vous voilà prévenus.

Pour finir la journée, je retrouve avec délice mon petit confinement normand, conjugal, douillet, presque complice. Il ne me reste plus, pour attendre le dîner, qu'à me divertir de quelques mots croisés. C'est-à-dire à me replacer, une fois de plus, volontairement, devant une grille.

Je dois être maso.

mercredi 1 avril 2020

Et journal rima avec viral


Inutile, je pense, de préciser quel fut le principal sujet

de ce mois de mars