Le maniement de la langue française, surtout si on tient à n'avoir d'ennuis ni à se fâcher avec personne, risque de devenir d'un maniement de plus en plus délicat, à force de faire dire aux mots autre chose que ce qu'ils signifiaient encore hier matin.Comme je me moque de me brouiller avec qui que ce soit, et pour rester fidèle à une réputation désormais si bien établie qu'elle en devient inchangeable, je vais illustrer mon propos avec une expression métaphorique si bien ancrée désormais qu'elle devrait bientôt accéder au statut de catachrèse : Les jeunes des quartiers.
La première surprise, il me semble, dans cette expression, est provoquée par ce “des”. Les jeunes DU quartier, tout le monde comprend depuis toujours : ce sont les moins de vingt ans, en gros, qui vivent dans l'un des trois pâtés de maisons dont fait partie votre propre gourbi. Pour réduire l'étrangeté de ce pluriel, signaler qu'il commence à se produire des glissements sémantiques non dénués d'intérêt, il vaudrait donc mieux écrire : Les jeunes "des" quartiers. Bien.
Mais alors, on se met à soupçonner que cette pluralité transforme notre bon vieux quartier en autre chose, dans laquelle la proximité n'a plus sa place première. On subodore – et l'on nous confirme – que le quartier, soudain, peut aussi bien se trouver à Villeurbanne qu'à Torcy, à Marseille qu'à Strasbourg, et n'en rester pas moins un quartier, ou pour mieux dire : l'un "des" quartiers. Par conséquent, afin de souligner cette spatialisation de l'ancien quartier, il nous semble plus prudent d'écrire dorénavant : Les jeunes "des" “quartiers”.
Restent les jeunes. À partir du moment – et nous sommes à ce moment - où l'on a compris que la juvénilité n'avait à peu près plus rien à voir avec la dénomination (la police a interpellé, il y a quelque temps de cela, un jeune de 32 ans...), mais que le terme faisait plutôt référence à des activités commerciales délictueuses, des "situations d'échec scolaire" (tiens, encore des guillemets !), des lancers de boulons sur des pompiers en mission, etc., on se dit qu'une modification typographique supplémentaire s'impose. On écrira donc : Les «jeunes» "des" “quartiers”.
Une autre école typographique post-moderne propose l'orthographe djeune pour le mot jeune, par référence toute approximative à l'accent qui se développe dans "les" “quartiers”. Ce qui nous donnerait alors : Les djeunes "des" «quartiers». Pour notre part, nous adopterons désormais la graphie suivante, plus englobante : Les «"“jeunes” des" quartiers». Mais, bien entendu, chacun fera comme il l'entend : l'important est de continuer à se comprendre.
La semaine prochaine, nous étudierons lees rôles respectifs du tiret, de la parenthèse et de l'italique dans le conflit israélo-palestinien.




























