mercredi 31 décembre 2014

Géhenne, serpentins, cotillons et céphalée


Réveillon de Nouvel An : encore aujourd'hui, cette seule expression suffit à me faire frissonner d'horreur et de dégoût. C'est que j'en ai enduré un certain nombre, dans ma pauvre vie antérieure, où je n'avais même pas la consolation d'habiter sous de vastes portiques que les soleils marins teignaient de mille feux. C'était un cauchemar immuable.

Tout commence par l'ami qui, vous voyant échoué sur la berge festive, vous propose gentiment, et d'une voix gourmande, de vous emmener à la soirée dont il est l'un des invités ; vous dites oui. Vous vous retrouvez dans un appartement ou une maison inconnus de vous, au milieu de gens qui ne le sont pas moins, à l'exception de quatre ou cinq, que vous n'appréciez pas particulièrement mais à qui vous vous accrochez faute de mieux – et vous commencez à boire, ne serait-ce que pour la contenance que vous donne, croyez-vous, le gobelet de plastique que vous tenez négligemment dans la main qui ne manipule pas les cigarettes que vous carbonisez à la chaîne. Vous observez, d'un air que vous jugez souverainement détaché, les filles qui errent en même temps que vous dans l'appartement ; elles, en revanche, ne vous observent nullement, n'ayant, à votre endroit, conservé que le détachement. Vous commencez à vous faire tartir, vous augmentez la fréquence des gobelets de punch.

Vous vous croyez sauvé quand surgit un autre ami – en réalité un pilier de votre bar commun, dont vous seriez infichu de dire le nom de famille –, qui vous informe discrètement qu'il est venu ici pour tuer le temps, car d'ici une heure ou deux, il doit aller à une autre fête, qui, elle, contrairement à celle-ci qui est vraiment nulle, sera d'enfer ; bien entendu, puisqu'il le propose, vous le suivez.

Après avoir traversé pédestrement près de la moitié de Paris, vous vous retrouvez donc dans un autre appartement, tout aussi inconnu que le premier. Comme la soixantaine d'invités est là depuis trois bonnes heures, que les fenêtres sont évidemment fermées, que tout le monde boit, fume et s'agite sur une musique de merde assourdissante, il y règne une chaleur de bête et des odeurs qui ne le sont pas moins. Malgré, tout, un punch en valant un autre, vous marchez vers le buffet, d'où tout alcool raisonnable a depuis longtemps disparu. Vous commencez à vous dire qu'il serait temps, si vous voulez finir l'année en beauté, de vous mettre en quête d'une chaussure à votre pied, pour parler de façon imagée ; tout en subodorant que, comme l'année dernière et celle d'avant, vous allez rentrer pieds nus (pour filer la métaphore).

Autour de vous, car l'heure tourne Messieurs-Dames, il ne reste plus que des épaves imbibées (généralement de sexe masculin) et des boudins en déshérence (…) ; vous pourriez probablement vous taper l'un ou l'autre membre de ces deux sous-ensembles, mais vous n'avez déjà plus très envie. Entre quatre heures et demie et cinq heures, vous décidez que ça suffit comme ça, et vous rejoignez la rue en titubant ; naturellement, vous n'avez plus la moindre idée de quelle rue il s'agit. Ce n'est pas très important car vous allez, durant l'heure suivante, en parcourir trois douzaines d'autres, claquant des dents sous l'action conjointe du froid extérieur et du punch intérieur, à la recherche d'un taxi, qu'un autre fêtard repère et hèle systématiquement avant vous. À cinq heures et demie, ayant abjuré toute foi en l'humanité, vous descendez dans le métro, pensant que là, au moins, vous serez au calme et à votre aise. Il n'en est rien : le quai est encombré d'une humanité verdâtre et dépenaillée qui, elle aussi, comme vous, s'est rabattue sur la prochaine rame. Plus personne ne souhaite la bonne année à personne. Il est six heures et demie lorsque vous vous laissez enfin tomber sur votre lit ; auparavant, sur le palier du premier, vous avez croisé M. Lemonnier, frais comme un gardon de la dernière marée, qui partait prendre son service à la gare d'Austerlitz. 

Quand vous vous réveillez, vers deux ou trois heures de l'après-midi, vous êtes certain d'une chose, et c'est d'avoir un crâne ; pour le cerveau à l'intérieur, il vous vient comme un doute. En plus, la bouteille de Perrier est vide.

mardi 30 décembre 2014

À la Clairefontaine (écrire “Paludes”)


Pendant que les feuilles tombent, celles du journal s'accumulent.

dimanche 28 décembre 2014

Comment Dostoïevski est passé à côté d'une grande carrière

Leonid Grossman (1888 – 1965) – que l'on se gardera de confondre avec son homonyme Vassili, auteur du majestueux Vie et Destin – est un écrivain et critique russe ; ou devrait-on plutôt dire soviétique ? Sa vaste biographie de Dostoïevski (500 pages aux éditions du Parangon) mérite d'être lue. D'abord parce que Grossman a eu la chance de pouvoir s'entretenir longuement dans sa jeunesse avec Anna Grigorievna, la veuve du romancier, source évidemment irremplaçable. Ensuite parce que son intelligence et son amour de l'œuvre sont réels, et que Grossman possède l'art de mettre en regard ce que sont les romans de Dostoïevski avec les circonstances historiques, tant générales que personnelles, de leur naissance.

Néanmoins, Léonid Grossman reste un intellectuel communiste ; ce qui, par moments, le conduit à se prendre les pieds dans le tapis idéologique, et, par suite, à écrire de merveilleuses âneries. (Il ne faut pas exclure, cependant, que les dites âneries n'aient été disposées çà et là dans le manuscrit qu'afin de servir de leurres pour endormir les sourcilleux censeurs du Kremlin.) À la page 264, par exemple, Grossman écrit ceci (c'est moi qui souligne) :

« Il prit une position qui avait toujours conduit les grands écrivains comme lui à la défaite : il se mit à défendre la réaction, se prononça contre le mouvement d'avant-garde de l'époque. Ce fut là sans doute la plus grande tragédie de toute sa douloureuse existence. Dostoïevski-écrivain conserva son talent. Mais en tant que penseur, il se retrouva parmi les forces les plus réactionnaires de la société. »

Admirons l'aplomb avec lequel Grossman assène l'axiome qu'il vient de tirer de son chapeau : tous les grands écrivains qui cèdent aux effroyables sirènes de la réaction connaissent immanquablement la défaite ; axiome d'autant plus surprenant, de la part de quelqu'un reconnu, à son époque et dans son pays, comme le spécialiste de Balzac ! Ce qui vient ensuite n'est pas mal non plus : Dostoïevski-écrivain conserva son talent. » Or, les événements dont parle Grossman dans le paragraphe cité  se passent en 1864 ; soit au moment où Dostoïevski écrit Les Carnets du sous-sol et s'apprête à entreprendre Crime et Châtiment. C'est-à-dire que non seulement, en plongeant dans la réaction, Dostoïevski ne se contente pas de conserver son talent, mais qu'il accède à son génie propre et unique. Évidemment, on sent ce pauvre Grossman très gêné aux entournures, par cette malencontreuse coïncidence entre le fait de devenir ignoblement réactionnaire et celui de se mettre à n'écrire quasiment plus que des chefs-d'œuvre. Il tente de s'en tirer, de sauver ce qui peut l'être de la défroque progressiste dostoïevskienne. Hélas pour lui, cela ne donne que le paragraphe suivant (c'est toujours moi qui souligne) :

« C'est là non seulement la tragédie personnelle de son destin d'écrivain, mais peut-être aussi l'une des plus grandes catastrophes de la littérature russe. Il suffit de se représenter un instant quelle puissante épopée aurait laissée Dostoïevski aux générations futures s'il était resté fidèle aux convictions socialistes de sa jeunesse, pour comprendre l'ampleur de cet événement et tout le sens de cette perte. »

Réflexion faite, je ne souligne rien, car tout mériterait de l'être, dans ces quatre lignes qui sont autant de pirouettes manquées. Donc, pour commencer, le fait de se mettre à écrire des chefs-d'œuvre est, pour un écrivain, une tragédie personnelle. Ces chefs-d'œuvre deviennent donc, suivant une logique sans faille, un coup terrible porté à la littérature russe. Ensuite, ce bon Leonid nous accorde une dizaine de minutes afin que nous nous figurions, chacun à part soi, la puissante épopée que Dostoïevski aurait bien évidemment écrite s'il était resté socialiste. (.........................) Ça y est ? Vous y êtes ? Vous la voyez bien, la puissante épopée virtuelle de Dostoïevski ? Eh bien, maintenant, il ne vous reste plus qu'à convenir de ce qui saute aux yeux : à côté de la puissante épopée que vous avez bien présente à l'esprit, Les Démons et Les Frères Karamazov représentent bel et bien une perte irréparable ; n'importe quel esprit lucide et honnête sera forcé d'en convenir. 

Et si Balzac s'était converti au fouriérisme à trente ans, au lieu d'en pincer sottement pour le trône et l'autel, quelle fresque gigantesque il nous aurait léguée, au lieu de ce pauvre petit théâtre guignol qu'est sa Comédie humaine ! Tiens, ça me déprime, quand j'y pense.

samedi 27 décembre 2014

Conseils pour se remettre d'un réveillon


– Abandonner, au moins pour quelques jours, les hurlements et les contorsions dostoïevskiens ; revenir aux nouvelles de Tchékhov.

– Écouter Tristan dans la version donnée par Karajan à Bayreuth en 1952 ; penser à boire une tasse de café non sucré à chaque entracte.

– Blogodiète pendant quarante-huit heures au moins.

– S'abstenir rigoureusement de lire quelque déclaration gouvernementale que ce soit.

– Penser à descendre chercher du pain avant que ça ferme.

jeudi 25 décembre 2014

Nauséabond Noël !


Il détestait si fort les nègres, les bicots et les faces-à-napalm qu'il laissait ses baguettes dorées reposer deux à trois jours, pour s'offir ensuite l'intense satisfaction de savourer du pain raciste.

mercredi 24 décembre 2014

La Douleur

 
C'est une expérience curieuse, lorsqu'on se trouve sur un lit d'hôpital, que cette question immanquable, posée à peu près en ces termes : « Vous avez mal ? Dites-moi, de 1 à 5, où se situe votre douleur. » Il est impossible, au gisant entubé, de répondre à cette étrange interrogation. Celui qui est en proie à la douleur, non seulement ne connaît pas l'échelle en question (les médecins non plus, évidemment, et même encore moins), mais est totalement isolé des autres souffrants qui l'entourent sans doute. La douleur isole encore plus l'individu que la vie elle-même, c'est comme ça, il faut se faire à cette raison, même s'il est impossible de s'y préparer. On ne se prépare pas à la douleur, on n'apprend pas ses échelles fictives, on la découvre à chaque fois, on y réagit comme on peut. C'est pourquoi, aussi, il est vain de dire que celui-ci “est dur au mal” ou que cet autre a un “seuil de tolérance très bas” : nul ne peut savoir ce que le voisin endure, et selon quel mode ; pas de règle. Les médecins, dans ce domaine, sont souvent des ignorants présomptueux ; les infirmières les surpassent en savoir, parce qu'elles sont au plus près de la chair qui hurle ; elles plongent dans les yeux du malade, de l'opéré, de l'agonisant, elles posent leurs doigts à l'endroit vif ; et, souvent, elles savent sourire au moment judicieux ou, à l'inverse, ce qui est bien plus difficile, je crois, ne pas sourire ; les médecins, praticiens, chirurgiens, eux, sont le plus souvent à côté de la plaque, dans ce service après vente. Cela tient surtout au fait que les docteurs ne sont jamais là lorsque la nuit vient, ce moment très long où la peur humaine s'ajoute à la souffrance purement animale de la chair dérangée. Aucune personne bien portante ne saura jamais à quel point une nuit peut être longue et menaçante quand le corps se dresse contre soi-même ; ni combien la souffrance rallonge les heures, les rend épaisses et gluantes et interminables et terriblement pareilles. – Mais les silencieuses infirmières, quelque part, veillent.

Gérard de Villiers, pénible seigneur


J'ai plusieurs raisons de chérir la mémoire de Gérard de Villiers, certaines aisément compréhensibles, d'autres probablement moins. Parmi les compréhensibles, il y a bien sûr, au premier chef, le fait qu'il m'ait, durant une vingtaine d'années, fait gagner des sommes qui, pour le fils de pauvre et de petite extrace que je suis, continuent de paraître fabuleuses et qui partirent gentiment en fumée au fil des ans et des tentations diverses ; une autre est, pour les gens qui savent lire, mon admiration pour son talent d'écrivain en bâtiment : chaque premier chapitre de SAS, au moins dans la période glorieuse, est un modèle difficilement accessible au commun des gâcheurs de mots que nous sommes. Parmi les raisons incompréhensibles, du moins le supposé-je, il y a cette désinvolture avec laquelle il traitait les sans-grade à qui il devait de l'argent, et dont j'ai souvent fait partie : il y avait, dans les raisons qu'il donnait pour ne pas vous payer, une sorte d'allant, de bonne santé, qui, in fine, empêchait de lui en vouloir, parce qu'elle touchait à l'innocence (in fine, mais pas sur le moment…). Je me souviens, d'assez nombreuses fois, d'avoir en même temps grincé des dents de son cynisme et applaudi comme à un tour particulièrement réussi – Catherine pourra en témoigner.

Mais ce que j'ai aimé surtout chez cet homme, c'est cette espèce de fierté, de morgue aristocratique, qui l'a conduit à ne jamais renier France Dimanche, où il a passé des années de sa vie, juste avant SAS, et même pendant. Sans faire de gros efforts de mémoire, je pourrais vous citer vingt personnes très connues qui, à un moment de leur vie, soit avant de trouver leur filon personnel, soit plus tard, dans un moment de creux professionnel, ont été fort satisfaits de venir manger (et boire…) à cette gamelle ; spécialement au rewriting, qui offrait le luxe, à l'époque dont je parle, et j'en ai connu la fin, d'un salaire bien matelassé pour deux jours de travail hebdomadaires. Villiers, lui, a toujours revendiqué hautement cette “honte”, jusque dans son autobiographie, Sabre au clair et pied au plancher, publiée par Fayard en 2005. C'est sans doute à cela que l'on reconnaît les seigneurs : ils ne cherchent pas à enjoliver leur biographie

Du reste, le temps et l'évolution de nos mœurs lui ont finalement donné raison. Il fut une époque où travailler pour France Dimanche était considéré comme infamant, par nos confrères de la presse noble. Outre le fait, j'en témoigne, que les nôtres faisaient aussi consciencieusement et bien leur travail que les leurs, on notera, aujourd'hui, que personne, dans cette presse de caniveau, ne réclame ni n'acclame l'éviction d'un des leurs pour cause d'idées non conformes, cependant qu'au Monde, à Libération, au Nouvel Observateur, et dans d'autres officines de moindre nuisance, on se félicite à grand bruit, et au tintement cristallin des coupes de champagne, de l'éviction d'Éric Zemmour d'une chaîne confidentielle de télévision qu'il contribuait assez largement à faire survivre.

Gérard de Villiers n'aurait pas applaudi. Il aurait sans doute souri et serait passé tout de suite à des sujets beaucoup plus intéressants à ses yeux que la soviétisation progressive de ce pauvre petit pays exsangue qui fut le sien.

Il n'empêche que cet empafé est mort en me devant sept mille euros.

mardi 23 décembre 2014

Laissez-moi sortir de ce souterrain !


La Mort d'Ivan Illitch m'a réconcilié avec Tolstoï ; en revanche, Crime et châtiment est en train de me fâcher avec Dostoïevski, d'une manière que je crois irrémédiable. J'ai lu les “grands romans” très jeune : entre 18 et 20 ans, si je me souviens correctement ; ils m'avaient soulevé d'enthousiasme, au point que je ne parvenais jamais à m'arrêter lorsque j'entrais dans un : je me rappelle avoir lu Les Frères Karamazov en deux nuits, à Rennes (la journée je dormais, si bien que, venu là pour trois jours, je n'ai absolument rien vu de la ville, n'ayant pas une seule fois mis le pied dehors, sauf pour venir de la gare et y retourner). J'ai relu ces mêmes grands romans il y a une quinzaine d'années, lorsque sont sorties les nouvelles traductions d'André Markowicz, achetées à mesure de leurs parutions ; là encore, peut-être avec un enthousiasme moins juvénile, j'ai subi l'emprise dostoïevskienne. Mais, cette fois, non. Je ne supporte plus ces monologues chaotiques, ces embardées incessantes dans les interminables dialogues, ni surtout ce climat de folie clinique qui envahit tout et tous. « De la littérature de cabanon ! », aurait grommelé Léautaud. J'irai au bout du roman parce que je m'y suis plus ou moins contraint, mais le moins que je puisse dire est que je le lis très en diagonale. Et je me demande si la jeunesse ne serait pas un état nécessaire à la lecture de Dostoïevski, parce que cet âge n'est jamais très éloigné de la folie.

Taliban, tête de gland


On nous répète, on nous serine – et toutes les forces progressistes s'y mettent, elles ne sont pas de trop – que les musulmans qui répandent la violence un peu partout, de Joué-lès-Tours à je ne sais plus où en passant par ailleurs, sont des déséquilibrés mentaux, et que le fait qu'ils soient en outre tous musulmans, ne relève que de la coïncidence la plus fortuite. Fort bien, j'en prends bonne note. Mais alors une autre question se pose, sous forme d'alternative : est-ce que l'islam attire les déjà-déséquilibirés, ou bien les fabrique-t-il lui-même à partir d'un matériau sain ? Je sens que ça va carburer sur les blogs de gauche…

lundi 22 décembre 2014

Éric Zemmour, par qui arrive la honte


Que les habituelles officines liberticides, du type SOS Racisme, LICRA, etc., aient réclamé la tête d'Éric Zemmour n'a évidemment rien pour surprendre : la décapitation est à peu près leur seule raison d'être ; la honte, c'est qu'ils l'aient obtenue. Qu'une chaîne, plutôt mal portante, puisse d'elle-même supprimer de sa grille son émission à plus forte audience pour cause de pensée déronronnante, dit assez les tremblements de peur qui secouent désormais les patrons de presse – et pas seulement eux, malheureusement – face aux injonctions de petits fouquier-tinville parfaitement illégitimes et s'engraissant d'argent public. Mais le comble de la honte est évidemment, au moins pour moi, de voir ce maccarthysme s'installer et triompher benoitement sous les applaudissements enthousiastes de mes chers confrères : si les cartes de presse n'étaient désormais plastifiées, j'aurais très volontiers déchiré la mienne il y a quelques jours.

(On lira avec profit la réaction de Michel Onfray, à propos de ce superbe progrès dans le musellement.)

samedi 20 décembre 2014

Pendant qu'Anna dans les salons fait la lascive…


Tolstoï, dans ses romans, a décidément l'art de gâcher sa marchandise, ou, en tout cas, de la rendre moins attrayante que ce qu'elle aurait pu être, eu égard à ses exceptionnelles qualités. Ce sont les tartines historico-philosophiques de Guerre et Paix et les considérations sur les progrès nécessaires de l'agriculture russe dans Anna Karénine. En outre, dans ce dernier roman, toute la partie huitième et ultime, venant après le suicide de l'héroïne (60 pages de Pléiade, tout de même), me semble totalement superflue, le lecteur n'en ayant à peu près rien à faire que Lévine – auquel il ne s'est déjà pas beaucoup intéressé tout au long du livre – retrouve le chemin menant à Dieu ou simplement celui qui conduit à sa maison et à sa fadasse épouse. Je crois que, après une dernière tentative avec Ivan Illitch, racheté la semaine dernière, on ne me reprendra pas de longtemps à lire Léon. De toute façon, Fédor me réclame.

Honni soit qui Malibu

Fatima Allaoui, cris d'indignation vertueuse

Si les actrices hollywoodiennes en perte de vitesse commencent à se déguiser en Arabes pour venir faire carrière dans notre Front national à nous autres, les castings transatlantiques vont vite tourner au boxon généralisé.

Neve Campbell, Scream 1, 2, 3 et 4

mercredi 17 décembre 2014

Le Noël des enfants noirs


Vers la fin des années cinquante, probablement un lendemain de biture à la Marie Brizard, Trenet a écrit une chanson qu'il a intitulée Le Noël des enfants noirs. C'était d'une assez grande niaiserie, soyons honnête ; ça commençait comme suit :

Les petits Noirs d'Afrique
Ont le même Bon Dieu que nous
Ils lui chantent les mêmes cantiques
Tout comme nous à genoux
Et vers la fin décembre
Tout comme nous ils regardent le ciel
Jusqu'à ce qu'ils voient descendre
Dans la nuit le Père Noël

Un demi-siècle plus tard, enfin nous est donnée la preuve que les petits noirs d'Afrique ont effectivement le même Bon Dieu que nous. Et qu'il joue volontiers au Père Noël, mais avec une hotte d'emprunt.

mardi 16 décembre 2014

François H. sous le regard de l'histoire

Albert Lebrun et le colonel de Gaulle, en 1939.

En somme, on pourrait dire de François Hollande ce que Charles de Gaulle écrivait d'Albert Lebrun, président de la République au moment de la débâcle, dans ses Mémoires de guerre

Au fond, comme chef de l'État, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef ; qu'il eût un État.

dimanche 14 décembre 2014

Émile Zola, dit le Crétin


Hier soir, parce que le film que nous avions choisi m'ennuyait prodigieusement – une histoire de baseball, avec Brad Pitt, à laquelle je ne comprenais goutte ni ne m'intéressais –, j'ai lu d'une traite les 130 pages du Je m'accuse… de Léon Bloy, qui est une démolition en règle de Zola (qu'il appelle Le Crétin…), et notamment de son roman Fécondité, que Bloy lit à mesure qu'il paraît en feuilleton dans L'Aurore, ce qui lui provoque des accès de bile aussitôt consignés. C'est publié, ainsi que d'autres livres de Bloy, par un nouvel éditeur, Quaestio, dont le fondateur a eu la gentillesse de m'envoyer cet exemplaire. J'avoue que, malgré mon peu d'appétence pour Bloy, j'ai ri souvent de sa méchanceté et de ses outrances, en reconnaissant qu'il lui arrivait régulièrement de taper juste. Car Zola, que j'ai beaucoup pratiqué et aimé (mais pas Fécondité, tout de même…), a évidemment des manies, des tics d'écriture, des ridicules, qui font qu'il est une cible commode, surtout pour un Bloy. Néanmoins, quand je tombe sur des phrases comme celle-ci : « Quelques furieux de l'été dernier ont vu s'éteindre leur fureur dans le mépris équitable où se noyèrent indistinctement tous les mimes de la farce atroce. », je n'ai plus qu'une envie, celle de refermer le livre pour n'y plus revenir. Heureusement je n'en ai rien fait, et m'en suis fort bien trouvé.

Pour ce qui est de l'enflure de Zola, poussée jusqu'à l'absurde, Bloy cite cet extrait d'article, publié au moment de la révision du procès de Dreyfus, et le lendemain de la grâce accordée au capitaine, dans lequel Zola s'adresse à l'épouse de Dreyfus (c'est Bloy qui souligne) : « Nous lui élevons un autel dans nos cœurs, n'ayant à lui donner rien de plus pur ni de plus précieux. C'est au pied de cet autel, et non ailleurs, que se fera “l'acquittement triomphal, la réparation éclatante”, et que seront vues “toutes les générations À GENOUX, demandant à la mémoire du supplicié glorieux le pardon du crime de leurs pères. Ici, Madame, nous arrivons au sommet. il n'est pas de gloire, il n'est pas d'exaltation plus haute… Cet innocent, le voilà devenu le symbole de la solidarité humaine, d'un bout à l'autre de la terre. Lorsque la religion du Christ avait mis quatre siècles à se formuler (?????), à conquérir quelques nations, la religion de l'innocent condamné deux fois a fait, d'un coup, le tour du monde, réunissant dans une immense unanimité, toutes les nations civilisées. Je cherche, au cours de l'histoire, un pareil mouvement de fraternité universelle et je ne le trouve pas. »

Au vu de ce passage, la cause est entendue : si Émile Zola vivait aujourd'hui, il ferait un parfait blogueur d'extrême gauche.

samedi 13 décembre 2014

De l'air, crénom, de l'air !


Hormis le puéril plaisir de dépenser de l'argent, pourquoi donc s'obstiner à acheter des livres et toujours des livres ? Qu'auront-ils de plus, les volumes que l'on vient seulement de commander, les pas-encore-là, que ne possèderaient pas ceux qui somnolent sur les étagères depuis parfois des années, voire quelques décennies ? Le regard fait lentement le tour de la pièce où ils sont, et l'on se dit qu'à lire les uns, qui ne l'ont jamais été, ou seulement de manière partielle, et à relire les autres, qui méritent de l'être, on aurait bien de quoi remplir ce qui nous reste de vie, et même au-delà. Oui, bien sûr… Mais alors, que ferait-on de l'argent ?

vendredi 12 décembre 2014

Éliette Abécassis, femme miraculeuse


Pour ceux qui me penseraient définitivement basculé dans la démence chaude, je le répète : Mme Abécassis est une femme miraculeuse, en ce sens qu'elle rend possible la production de miracles, et notamment celui, hier soir, de faire paraître Mazarine Pingeot intelligente et profonde. C'était dans l'émission de France 5 modestement intitulée Les Grandes Questions et présentée par l'insupportable et vulgaire Franz-Olivier Giesbert. Ces deux dames sont, si j'ai compris, les chroniqueuses régulières du vieux bouffon exténué. Il était, quand je suis arrivé, question de Sade ; l'invité était bien entendu Michel Onfray. De sa voix traînante d'adolescente mal réglée, Éliette a tenté de persuader à Onfray que si Sade avait passé une grande partie de sa vie en prison, c'est parce que ses écrits étaient trop dérangeants pour son époque, qu'il était le premier à parler de sexe en allant aussi loin et qu'il avait fait scandale en prônant la libération de la femme. La mine assez accablée, Onfray a tout juste pris la peine de lui répondre que les écrits de Sade n'avaient dérangé absolument personne, personne ne les ayant lus, et que si Sade avait passé des années en prison, c'est plutôt parce qu'il était lui-même un délinquant sexuel et un criminel. Éliette a voulu réenfourcher son canasson fourbu, mais Onfray, très visiblement, a cessé de l'écouter, et moi aussi.

Et c'est alors que le miracle s'est produit : quand le clown grisonnant a coupé le micro d'Éliette pour donner la parole à Mazarine, Michel Onfray et moi-même avons eu l'impression d'entendre soudain, par simple comparaison, des paroles intelligentes.

Je n'ai jamais lu la moindre ligne de Mme Abécassis ; je pense que je vais continuer à surseoir.

mercredi 10 décembre 2014

Assassiner une femme en trois mots


Jean-Jacques Rousseau parlant de Mme d'Épinay (Les Confessions, Folio, p. 499) :

Elle était fort maigre, fort blanche, de la gorge comme sur ma main.

Emmanuel Macron et le bonheur des Français


« J'ai dit ça, moi ? »

Voici ce qu'a déclaré ce jeune homme, à propos de je ne sais quelle loi, récente ou à venir, dont il est, supposé-je, l'auteur :

Ce qui me préoccupe, c'est qu'après cette loi, les Françaises et les Français vivent mieux.

On imagine qu'il a eu l'intention de dire : « Ce qui m'importe, c'est qu'avec cette loi, les Français vivent mieux. » Or, ce n'est pas du tout ce qu'il a affirmé ; c'est même le contraire : le fait que les Français pourraient vivre mieux le préoccupe ; c'est peut-être vrai, mais ce n'est pas bien malin de l'avouer.

D'autre part, ce qui le préoccupe n'est pas, bizarrement, que les Français vivent mieux avec sa loi, mais après. On suppose donc qu'il envisage de l'abroger. Oui mais, alors, si les Français vivent mieux après sa loi, pourquoi a-t-il pris la peine de la rédiger et de la soumettre au parlement ? Tout cela est bien nébuleux.

Enfin, mais c'est péché véniel par rapport au salmigondis qui précède, on rappellera au ministre de l'Économie, des Lois transitoires et du Beau-Parler que les Françaises sont, pour ainsi dire, syntactiquement comprises dans les Français, et qu'il était donc inutile d'alourdir une phrase déjà largement imbitable.

mardi 9 décembre 2014

Manuel Valls : le mystère du troisième homme


Dimanche soir, sur France 2, le Premier ministre a, au milieu d'un brouet sans intérêt, laissé échapper une phrase qui aurait dû faire bondir tous les Français, tant ses implications pourraient être lourdes ; pourtant, nul n'a réagi, à ma copnnaissance. Manuel Valls a dit ceci :

Nous discutons beaucoup, avec le président de la République.

Que le président et son Premier commis parlent ensemble, c'est bien la moindre des choses. Mais alors, qui est le troisième homme ? Quel est cet inconnu qui s'est inséré en tiers dans cette conversation au sommet ? Car je ne puis seulement envisager qu'un homme aussi brillant que Manuel Valls parle le français comme un Basque espagnol ou comme un progressiste de la blogoboule. Par conséquent, s'il a enployé cette formule, c'est en connaissance de cause, pour révéler sans en avoir l'air à tout le pays l'existence de ce shadow triumvirat. 

Donc, je repose la question : qui est donc le second membre de ce “nous” qui discute avec le président de la République ?

lundi 8 décembre 2014

Le droit du sol ou des biscuits comme les autres


La semaine dernière, la chatte des voisins a eu la curieuse idée de venir mettre ses petits au monde dans notre four, dont la porte était malencontreusement restée ouverte. Ce matin, je les ai disposés sur un grand plat et suis allé sonner en face : « Bonjour, Voisin ! Regardez les superbes biscuits que je vous apporte ! » Il m'a regardé d'un air hébété, puis vaguement inquiet, enfin soupçonneux : « Mais… ce sont des chatons… » J'ai éclaté de rire, tant la remarque était saugrenue : « Mais non, voyons, ils sortent tout juste du four ! Que voulez-vous que ce soit d'autre que des biscuits ? » Il m'a pris le plat des mains, en évitant mon regard, et a refermé sa porte en grommelant quelque chose qui devait être un remerciement, ou peut-être une malédiction. Je suppose que c'est lui qui a alerté les services d'urgence psychiatrique, dont l'ambulance vient de se ranger le long de mon portail. Je ne comprends pas ce qu'ils peuvent bien me vouloir. À moins qu'ils ne soient là pour mon voisin. Il est vrai que, quand on s'imagine que des chatons peuvent naître dans un four sans se transformer aussitôt en biscuits, une petite cure de repos ne doit pas être superflue.

samedi 6 décembre 2014

La citation du samedi midi (moins cinq)


Quand le monarque a le Ciel pour témoin, il a Bossuet pour visiteur du soir ; quand il pense à Vercingétorix, il a Malraux ; quand il pense au taux d'intérêt, il a Jacques Attali.

Régis Debray, L'Erreur de calcul, éditions du Cerf, p. 34.

jeudi 4 décembre 2014

Le mariage pour tous ou la préservation des ruines


L'article que l'on va lire figure en bonne place dans le numéro de décembre de Politique Magazine, mensuel très-respectable qui ne pèche point par un progressisme excessif. On peut bien sûr s'y abonner – c'est d'ailleurs conseillé –, mais aussi le commander au détail, sur son site. Il est animé par une équipe au-dessus de tout éloge, puisque, non content d'avoir, il y a quelques mois, publié une excellente critique d'En territoire ennemi, ils m'ont récemment demandé si cela me dirait de leur écrire une tribune libre. Ça me disait, et la voici :

 
Le dit mariage pour tous n’en finit pas de revenir flotter à la surface, tel un bois d’épave. Commençons cependant par le rebaptiser : mariage guignol. Cette appellation nouvelle a le mérite de dire d’emblée ce que l’on en pense, et en outre l’avantage d’une plus grande exactitude que le label officiel. Car, enfin, et que je sache, “pour tous” il n’est nullement, ce mariage : en sont encore exclus les enfants au biberon, les labradors noirs et les lampadaires halogènes, pour ne citer que les cas d’exclusion les plus criants d’injustice – mais trêve d’ironie bon marché.
         Je sais que je risque de froisser mes amis des diverses “manifs pour tous” – et j’en ai un certain nombre –, mais il faut bien que quelqu’un leur annonce la noire vérité : leur combat ne pourra être ni gagné, ni même perdu, pour la raison qu’il est sans objet. Ils prétendent, ces aimables terroristes à poussettes, ces factieux à talons plats, se battre pour sauver la famille : cela revient à vouloir inscrire aux Monuments historiques un tas de pierres moussues et chardonneuses qui fut jadis château médiéval, mais dont aucun vivant n’a conservé le souvenir de sa splendeur. Je sais bien que, dans le domaine de l’architecture ancienne, la préservation des ruines n’est pas sans grandeur : Jumièges est là pour en attester ; mais pour ce qui est des us anthropologiques, c’est se donner beaucoup de mal pour rien. Or, la famille me semble en bien plus piteux état encore que l’abbaye que l’on vient d’évoquer.
         Se battre pour elle, il eut fallu le faire en 1975, au moment où M. Giscard d’Estaing, alors président de la République, décida d’instituer le divorce par simple consentement mutuel, qui a transformé le mariage en self-service. Ce combat probablement perdu, mais au moins mené, on serait tout de même remonté en selle à l’aube du millénaire, quand ont disparu les dernières traces de distinction entre enfants légitimes et bâtards. Mais à partir du moment où un chacun quelconque peut épouser et démarier la première chacune venue, où les enfants qu’ils feront ensemble puis sèmeront chacun de son côté seront déclarés rigoureusement semblables en droits, de quelle famille voulez-vous encore éviter la disparition ? Que signifie encore ce mot superbe et précieux de filiation ? Plus personne ne pourrait le dire, mais cela n’a pas empêché, dernièrement, les trois prétendants au trône de l’UMP de venir faire la danse des voiles (nuptiaux) devant le chœur des contempteurs de la loi scélérate. Bruno Le Maire a dit qu’il faudrait la conserver. « Nom de nom, nous l’abrogerons ! », lui a répondu Hervé Mariton. Quant à Nicolas Sarkozy, connaissant sans doute l’ambiguïté de sa propre situation, apercevant l’enclume et devinant le marteau, il a déclaré qu’on supprimerait la loi, tout en la gardant, mais en la déchirant pour en écrire une plus jolie, avec des enluminures qui plairont au réactionnariat. Vous voilà satisfaits, cher amis pourtoussiens ?
        Parlons un peu brutalement : dans la mesure où le mariage n’était déjà plus qu’une sorte de singerie des mœurs et des rigueurs du passé, que vous chaut si une poignée de pédérastes et un bouquet de lesbiennes réclament et obtiennent le droit de venir eux aussi grimacer devant M. le Maire ? Le dîneur valétudinaire à qui les médecins ont interdit les œufs, et qui réclame à grands cris d’en manger tout de même, on peut bien lui en accorder le droit si, depuis longtemps, il n’arrive plus dans les coquetiers de tout le monde que des écales vides.
        Les homosexuels ont exigé et obtenu, des socialistes en général et de Mme Taubira en particulier, le droit de se marier aussi ? Apaisez-vous et rengainez vos lames, chers garants des traditions, mes bons apôtres rétroactifs : ils n’ont obtenu que celui de se marier non plus.

mercredi 3 décembre 2014

Libérez les zeks de C dans l'air !


Nous ne pouvons plus nous taire ; c'est pourquoi j'en appelle aujourd'hui à toutes les grandes consciences de la blogoboule, pour une mobilisation rapide, massive et sans faiblesse. Un grand pays comme la France, démocratique, citoyen, bio-responsable, raccommodeur de couche d'ozone et antiraciste à s'en mouiller les braies, ne saurait tolérer plus longtemps en son sein des poches d'oppression caractérisée, où chaque jour, depuis des années, les droits de l'homme sont bafoués à coups de petite cuiller rouillée mal affutée. Le plus terrifiant de ces trous noirs fascistoïdes, à côté de quoi Guantanamo fait figure de centre aéré pour bambins socialistes, porte un nom bien anodin : C dans l'air. Et il est grand temps de sauver du désespoir les pauvres zeks de ce nouveau goulag.

Le camp se présente comme une innocente émission de télévision, dans laquelle des experts viennent chaque soir, par roulement, nous expliquer de quelles horreurs demain sera fait si on ne les écoute pas, et quelles décisions les grands de ce monde devraient prendre pour que ce même demain se mette à chanter à tue-tête. Cela, c'est la façade bonasse du cauchemar concentrationnaire. Car il est temps de révéler au monde ce qui se trame derrière. Les forçats – communément appelés “intervenants” ou encore “participants”, afin de cacher si faire se peut la merde au chat – sont estimés à une quarantaine par les experts en carcérologie. Nul procès n'a jamais sanctionné leur enfermement, et pourtant certains n'ont pas vu le monde extérieur depuis de nombreuses années. Ils vivent parqués dans deux immenses dortoirs non mixtes, cachés derrière le studio, où sont entassés de méchants châlits assortis d'une paillasse malodorante. Le réveil est sonné chaque matin à cinq heures trente, et aucun prisonnier ne pourra se nourrir, ni même se rendre aux toilettes, avant d'avoir épluché toute la presse du jour et produit par écrit quelque commentaire bien senti. Ce n'est qu'ensuite qu'ils se verront servir une écuelle de triste gruau, lequel composera aussi leur second repas de la journée. Ensuite, ils passeront des heures à confectionner des chaussons de lisière, qui seront envoyés dans tous les pays du monde où l'on pratique également cette torture moderne qu'est l'émission de débat politique, afin d'en chausser tous les intervenants emprisonnés. 

À quatre heures de l'après-midi, le gardien-chef procède au décompte du travail effectué ; c'est le point culminant de la journée, le plus intense en émotions violentes et contradictoires. Car tous les zeks savent que les quatre d'entre eux qui auront confectionné le plus de chaussons depuis le matin seront sélectionnés pour participer, devant les caméras, au débat du soir, dont le sujet ne leur sera communiqué qu'a moment d'entrer dans le studio, ce afin de stimuler leurs capacités à faire des phrases péremptoires sans y avoir réfléchi au préalable. Les heureux élus seront les seuls zeks à avoir droit à une douche ainsi qu'à des vêtements corrects, qu'on leur reprendra évidemment dès que les projecteurs seront éteints, pour leur rendre leur pyjama réglementaire lie-de-vin, aux coutures infestées de punaises assoiffées. Ils auront également droit à une tranche de jambon avec leur gruau, sauf les rares zeks musulmans, pour qui le jambon sera remplacé par une corne de gazelle confectionnée à l'aspartam. 

Mais le principal avantage que confère cette sélection, celui qui fait battre le cœur de tous les zeks intervenants, comble les élus et désespère les rejetés, c'est que ce passage d'une heure à la télé constitue leur seul moyen de faire savoir à leurs familles et proches qu'ils sont toujours en vie ; car, bien entendu, les prisonniers sont interdits de correspondance tant que dure leur peine, dont aucun tribunal n'a jamais fixé la longueur. – Quant aux iPhone, iPad et autres gadgets, c'est même pas en rêve.

Il est donc temps de mettre fin à cette ignominie, que les téléspectateurs français sachent que cette bonne parole dont ils s'abreuvent chaque jour au déclin de l'après-midi leur est prodiguée par des malheureux que l'on bafoue dans leurs droits les plus élémentaires, et dont le ton faussement professoral et les sourires contraints serrent le cœur des plus endurcis, dès lors que l'on sait les conditions de vie qui leur sont faites. 

L'heure est venue de la mobilisation et de l'insurrection.

dimanche 30 novembre 2014

Le pot de chambre du dimanche

Enfant, je pensais que les seaux dits hygiéniques, ce qu'ils n'étaient guère, obéissaient aux mêmes coutumes que les humains, c'est-à-dire portaient des noms différenciés et bien distincts les uns des autres ; ainsi, celui qui était encore en usage dans les années soixante, à la conciergerie de la Chambre de Commerce de Sedan, s'appelait-il Jules ; et mon grand-père René prononçait chaque soir (du moins est-ce là mon souvenir) la phrase rituelle : « Il faut que j'aille vider Jules. » – et il y allait.

En grandissant, j'ai bien dû constater que la plupart des seaux hygiéniques de nos provinces, qu'ils fussent encore en service ou ne subsistassent plus que dans les mémoires, s'appelaient presque tous Jules – et je ne laissais pas de m'étonner de cette homonymie fraternelle. Ce n'est qu'hier que l'explication m'a été donnée, par Jean de La Varende, dans l'une des nouvelles de son recueil Heureux les humbles, paru en 1951 à l'enseigne de la librairie Plon.

Dans La Phœbé ou le dernier des galériens, récit se déroulant en 1760, l'écrivain nous informe que les forçats enchaînés à leur banc d'infamie se soulageaient dans un pot de fer, qui était rangé du côté de l'eau, sous les jambes du dernier rameur, lequel avait pour charge de le vider par-dessus bord lorsque cela s'avérait nécessaire. La Varende nous enseigne également que, un siècle avant son histoire, durant la Fronde, les galériens avaient eu l'idée gentiment blasphématoire de baptiser leur pot Mazarin, lequel n'était point fort aimé, ainsi que l'on sait. Comme nommer aussi clairement le cardinal pouvait se révéler hasardeux, y compris pour des forçats, le mazarin devint prudemment Jules

La Varende conclut ce paragraphe en précisant que ce nom « est encore employé dans beaucoup de ports, et mêmes aux campagnes de l'Ouest ». Je puis donc lui assurer que, à l'époque où il écrivait cela, et encore un peu ultérieurement, Jules vivait également aux marches de l'Est, pas loin des boucles de la Meuse, par la grâce de René tout au moins.

vendredi 28 novembre 2014

Avancez-vous vers les guichets, s'il vous plaît !


Dernier jour ouvrable : jour de paie et jour de journal

(Le 13ème mois ne sera versé qu'avec le journal de novembre, désolé…)

jeudi 27 novembre 2014

Ne se prononce pas (inutile d'insister)


Est-il permis d'avouer, sans passer illico pour un indécis, un timoré, un lâche, voire tout franchettement pour un imbécile, que l'on se trouve, sur certains sujets, y compris les plus graves au dire général, tout à fait dénué d'opinion ? Depuis quelques heures, la blogoboule (halte à l'hégémonie sans partage des sphères !) ne bruit que du quarantième anniversaire de la loi Veil, autorisant le désembryonnage féminin ; et le vieux débat se relance de lui-même, aussi vaillant qu'au premier jour. Certains voient dans l'avortement un droit fondamental : pourquoi pas, en effet ? (Mais alors, quid du vaccin antipolio ? Du pacemaker ?) D'autres choisissent de placer la question sur le terrain de l'honneur : on peut accepter leurs arguments et pénétrer leur façon d'envisager l'acte incriminé. Mais on aura beau passer des uns aux autres, approuver un moment celui-ci, formuler quelques réserves à l'encontre de celui-là, il faudra bien, à la fin des fins, se résoudre à regarder sa propre vérité en face :

l'avortement, on s'en fout.

Ce n'est sans doute pas glorieux mais c'est ainsi ; dussé-je me fâcher avec les uns et conforter les autres dans la piètre opinion qu'ils semblent avoir de moi, autant le reconnaître : je n'ai aucune opinion arrêtée sur cette question. Certes, à l'époque lointaine où je me répandais volontiers dans certaines jeunes femmes accommodantes, j'eusse été fort fâché, l'une d'elle venant m'annoncer la concrétisation de mes basses œuvres, que l'avortement légal n'existât point ; certes encore, je vois bien vers quels degrés d'irresponsabilisation conduisent les libres-services abortifs mis gracieusement à la disposition de ces dames ; cependant, le fait demeure, irréfutable : je m'en moque ; je reste sans avis tranché, sans ferveur au ventre ni anathèmes aux lèvres, et peu me chaut que des enfants naissent ou partent en fumée avant d'avoir ouvert les yeux. – Mais je vous promets solennellement que, lors du prochain débat de fond qui ne manquera pas vous agiter d'ici quelques jours ou semaines, je ferai tous mes efforts pour me ranger avec enthousiasme sous l'une ou l'autre de vos bannières.

mardi 25 novembre 2014

Morts un 4 juillet


Il y a quelques semaines de cela, je vous proposais un billet dont la brièveté s'expliquait par le fait que la seule information qu'il contenait était que Shakespeare et Cervantès avaient embarqué le même jour sur le Styx – information que vous auriez du reste pu fort bien dénicher sans mon aide. Nous allons néanmoins poursuivre dans cette veine, pour noter que John Adams, second président des États-Unis d'Amérique, après George Washington, et Thomas Jefferson, son successeur, ont non seulement trouvé le moyen de rendre leur âme à Dieu le même jour, eux aussi, mais qu'ils ont en outre réussi à le faire un 4 juillet, anniversaire de la Déclaration d'indépendance, largement rédigée par le second et co-signée par le premier : aujourd'hui, on appellerait cela un plan com' soigné. 

On rappellera par ailleurs que John Adams, premier président à s'installer à la future Maison-Blanche, fut d'abord, durant deux mandats, le vice-président de George Washington, puis que Thomas Jefferson fut le sien pendant quatre ans, avant de le battre aux élections suivantes. Enfin, Adams ayant atteint l'âge de 90 ans, ce 4 juillet 1826, il eut la joie de vivre suffisamment pour voir son fils aîné, John itou, devenir à son tour président des États-Unis.

Si je me suis soudainement tourné vers les Pères fondateurs, c'est pour avoir regardé, hier, les premiers épisodes d'une mini-série américaine consacrée à la vie de John Adams, dont le rôle premier est interprété par le toujours excellent Paul Giamatti. Il n'est pas exclu que je complète cela par un ou deux livres que je pourrais trouver, consacrés à ces grands personnages.

dimanche 23 novembre 2014

Un nouveau parti moscoutaire

Lorsqu'on tape “FN + banque russe” dans Google, on obtient, entre autres, cette photo. Pourquoi pas, après tout ?

J'ai trouvé l'information chez l'ami Corto : le Front national aurait emprunté neuf millions d'euros à une banque russe. C'est évidemment d'un complet inintérêt – si l'on peut dire, à propos d'un emprunt –, mais ce qui l'est tout particulièrement, intéressant, et que ne manque pas d'indiquer Corto, c'est l'inquiétude teintée d'indignation qui a aussitôt poigné les chevaliers blancs de Médiapart. Voir et entendre des crypto-communistes non repentis pousser des hauts cris parce qu'un parti politique français a reçu de l'argent en provenance de Moscou : je suis bien heureux d'avoir vécu assez vieux pour jouir d'une si savoureuse pantalonnade.


jeudi 20 novembre 2014

Les génies sont des imbéciles comme les autres


Rien de plus difficile à extirper des esprits que cette croyance selon laquelle les savants, et surtout parmi eux les génies illustres, seraient plus aptes que le commun des mortels à juger de toute chose qui ne serait pas du ressort de leur science particulière. J'en trouvais encore un exemple, tout à l'heure, sur un blog que je visite parfois, quand j'éprouve le besoin de me sentir jeune :

Outre son sérieux bagage de connaissances acquises par de très studieuses et longues études, le scientifique aura toujours besoin de sa pensée structurée, du ciment de sa raison logique, à grand renfort de langage mathématique, ardu et magnifique. […] Ce langage savant, logique-structuré et ouvert à l'intuition s'exerce en tout domaine. Cas d'une équation en mathématique, tout aussi ''pointue'' qu'une savante observation concrète.

Nous passerons sur le langage quelque peu rocailleux du vieux poète exténué, pour nous pencher sur ce qu'il tente de dire : que les qualités et les capacités dont le savant a dû faire preuve pour réussir dans le domaine qu'il a choisi, il va automatiquement les mettre à profit dans toutes les occurrences de sa vie. Or, il est très facile de constater qu'il n'en est rien. Que l'on songe seulement aux délires quart-mondistes d'un Albert Jacquard, aux âneries proférées par un Professeur Got dès qu'il est question de sécurité routière, où encore aux formules à l'emporte-pièce d'Albert Einstein, à propos d'un peu tout et surtout de n'importe quoi. J'ai déjà évoqué, dans un billet remontant à un peu plus de trois ans, la manière cinglante dont, en 1937, José Ortega y Gasset avait remis Einstein à sa place, celle d'un “barbare spécialiste”, selon la terminologie ortéguienne, lorsqu'il s'était mêlé de discourir à propos de l'Espagne et de la guerre civile qui la ravageait.

On pourrait trouver maint exemple plus actuel du même phénomène : des prix Nobel de médecine faisant tomber sur nos têtes courbées la vérité révélée à propos du réchauffement climatique, des médailles Field nous disant quoi penser de l'immigration, ou encore des physiciens nucléaires nous révélant la vérité sur la faim dans le monde ou l'avenir de la Sécurité sociale. L'étrange n'est pas que tous ces hommes donnent leur avis : après tout, n'importe quel blogueur fait de même. Non, ce qui est surprenant c'est le crédit énorme qui leur est accordé, en raison de leurs prix, médailles, diplômes, alors même que ceux-ci ne concernent en rien le domaine dans lequel il ont choisi de s'exprimer et de prendre parti. C'est un peu comme si on recueillait, tels des oracles, les avis d'un chef de cuisine triplement étoilé à propos de la composition du gouvernement ou des mérites et dangers du système parlementaire, sous prétexte qu'il sait mieux que nous lier les sauces et combiner les saveurs.

Or, répétons-le : les savants, aussi imprégnés de génie qu'ils puissent être, ne disposent d'aucune lumière supplémentaire dès lors qu'ils quittent leur champ de compétence professionnel, et surtout s'ils s'aventurent sur un terrain tout gorgé d'idéologie ; ils peuvent même, alors, faire preuve d'une sottise, d'un aveuglement et d'une hargne aussi comiques que les nôtres. On m'objectera que, de par leur formation scientifique, ils sont, mieux que nous, entraînés à ne considérer que les faits, à les analyser froidement et lucidement, etc. La réponse à ceux-là est fournie par Marcel Proust, à qui je laisserai le mot de la fin de ce billet :

« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas. Ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir. »

mardi 18 novembre 2014

Du Pays d'Ouche aux murailles d'Antioche


On pourra toujours dire ce qu'on voudra :  les nobles possèdent une chose qui nous fera défaut à jamais, nous de la roture ; et c'est le lignage. Savoir avec certitude que dans les derniers jours de novembre 1095, cependant qu'Urbain II prêchait la glorieuse croisade, un futur aïeul engrossait une jeune épousée, et que du fruit de cette étreinte allait sortir trente générations conduisant jusqu'à soi…

J'entends bien votre condescendance : « Mais nous aussi, vous, tout le monde a eu des ancêtres en l'an Mil ! » C'est l'évidence ; on pourrait même remonter, avec autant d'assurance, jusqu'aux protozoaires et à l'algue bleue. Mais la différence est que nos familles à nous disparaissent à mesure qu'elles engendrent. Mon acharné au déduit de tout à l'heure, on sait qu'il s'agit de Thibault, premier du nom ; ses hauts faits sous les murailles d'Antioche, derrière la bannière de Baudoin de Boulogne, sont dûment consignés dans les chroniques du temps ; on connaît son caractère, ses possessions, son second voyage en Terre Sainte et même ses faiblesses gastriques. Il en ira de même, au long des siècles, de toute sa descendance, qui comptera des marquis bien en Cour et des barons querelleurs, des fils indignes et des sœurs sacrifiées, un renégat devenu huguenot, quelques cardinaux et même un saint au calendrier ; pour bâtir une famille que son dernier rejeton en date, dans son fauteuil design, peut feuilleter comme un livre d'images, une épopée dont il connaît chaque protagoniste par son nom.

Au lieu que les vilains semblent tous arriver de nulle part et ne laisser aucune trace une fois au tombeau. Il s'ensuit chez eux, chez nous, par petite compensation, cette espèce de fierté absurde d'être au monde, de résumer à soi seul l'alpha et l'oméga de la vie ; enflure comique qui ne fait que s'exacerber à mesure que la source approche du delta boueux où nous pataugerons bientôt – tandis que la modestie sans apprêt restera l'apanage de la noblesse véritable.

«  La vieille race avait duré mille ans ; connu les croisades, les guerres et les pestes ; réalisé, acclamé cent victoires, et un peu de sa gloire brillait au front de la province, du Pays même ; elle allait mourir ; le vieux jardinier ganté, qui se penchait sur la corbeille, restait l'ultime descendant de ces seigneurs de terre et de mer. Dieu ne voulait plus d'eux… Cela était bien ; le vieillard ne récriminait pas. »

Jean de La Varende, La Mort du chêne, in Les Manants du Roi, Via Romana, p. 204.)

lundi 17 novembre 2014

Le vermicelle des amours enfantines


C'est le détail indubitable, celui qui me prouve chaque année que je n'ai plus du tout à craindre un inopiné retour de l'été maudit : lorsque Catherine nous sert la première soupe de l'automne. Ce fut ce soir et, durant une vingtaine de minutes, j'ai eu l'impression étrange de passer sans cesse d'une chanson de Boris Vian à une autre de ce grand con de Brel. De Vian parce que la soupe était aux vermicelles (délicieuse régression vers les premiers âges : on ne pourrait faire mieux qu'avec de petites pâtes “alphabet”) ; de Brel à cause des grands “slurp” que nous étions contraints d'émettre afin d'absorber un peu d'air avec le bouillon, de façon à éviter les brûlures linguales au troisième degré.

C'est la raison pour laquelle je ne commande jamais de potage ni de consommé (ces versions chichiteusement urbaines de la soupe) dans les restaurants, et n'aime pas beaucoup que l'on m'en serve quand on m'a invité à dîner : je suis parfaitement capable de manger ma soupe en silence, mais je trouve fort contraignant, et même frustrant, de devoir le faire. Bien que faisant preuve d'un incroyable raffinement dans toutes les autres circonstances de la vie, comme chacun qui me connaît pourra en témoigner, je reste un mangeux d'soupe passablement glèbeux.

samedi 15 novembre 2014

Plaisir de l'indicible


Que peut-on dire d'une journée agréable, mais qui le fut précisément parce qu'il ne s'y passa rien de notable, au sens propre de ce mot ? On a fait un brin de vaisselle dès potron-minet, pendant que Madame bonne-du-curisait ; on a reçu par porteur spécial Les Manants du roi de La Varende, commandés seulement hier, et on s'est ébahi de cette célérité ; on a travaillé une petite heure sur la table de la salle à manger, et les phrases venaient en bougonnant ; on a répondu à un lecteur de ce blog, à propos d'Evelyn Waugh ; on a sandwiché – rosette et chaource, mais séparément – sur le coup d'une heure, debout dans la cuisine, à regarder sans la voir la pelouse impeccable de la voisine ; on a fini de lire Grandeur et décadence, du Waugh de tout à l'heure ; on a rempli une grille ; on a dîné – et voilà. Que pourrait-on bien tirer de cela ?

mardi 11 novembre 2014

La gaugauche refait 14 – 18


Avec un assez bel ensemble, et comme attendu, les blogueurs les plus asilaires de la gauche acnéique ont grimpé dès ce matin dans leur petit marronnier du 11 novembre, afin d'y glorifier les “mutins” de 1917, d'y fustiger bellement les “viandards” étoilés de l'état-major, traités aussi, fort traditionnellement, de “planqués” (on suppose que, dans l'esprit éternellement adolescent de ces gentils pitres, une guerre peut très bien se gagner en envoyant tous les généraux dans les tranchées et en ne laissant plus dans les postes de commandement que des cantinières et des estafettes). Il va de soi qu'eux-mêmes se voient sans l'ombre d'un doute du côté des mutins, puisqu'ils sont assurés d'être tombés dans la marmite de rébellion quand ils étaient nourrissons ; si bien qu'aujourd'hui encore, même la mèche qui leur subsiste est rebelle. Qui, quel ange pédagogue trouvera en lui la patience de leur expliquer que les mutineries dont ils se gargarisent, se font des inhalations et des tisanes énergisantes, n'ont jamais été qu'un point de détail dans l'histoire de la Première Guerre mondiale ? 

Et puis, après tout, laissons-les faire et dire : tant qu'ils s'occupent de rejouer les tranchées, voire les retranchés, et de beugler sur leurs claviers la Chanson de Craonne, ils ne sont pas en train d'envoyer des bouteilles d'acide et des cocktails Molotov à la face des forces de l'ordre.

lundi 10 novembre 2014

Qui n'a pas encore son docteur Bram ?


Les femmes sont ainsi : toujours secrètement envieuses de notre côté pionnier, à nous, les hommes. Ainsi, comme je l'ai raconté, je m'étais trouvé un Dr Bram, impérial sécateur de rognon superflu. Malgré la satisfaction ostentatoire qu'elle m'en témoignait, je sentais bien, chez Catherine, une sourde envie de m'égaler sur ce terrain, une soif de compétition, un désir d'en découdre. Naturellement, elle a fini par arriver à ses fins, et par ma naïve sottise, comme c'est souvent le cas dans ce cauchemar perpétuel que l'on appelle “les rapports homme-femme”, ou encore “le mariage”.

Quel démon de troisième classe m'a poussé à lui dire que mon Dr Bram était marié avec un autre –de sexe opposé : il est nécessaire, de nos jours, de le préciser –, lequel officiait en tant que tabacologue et répondait au prénom charmant d'Émilie ? Catherine en conçut immédiatement une irrépressible envie d'arrêter de fumer, ce qui est absurde, et de le faire avec l'aide de cette Émilie-là.

Elles se sont rencontrées aujourd'hui. Que se sont-elles dit ? Ont-elles parlé de moi ? Un complot est-il déjà ourdi pour me priver, moi aussi, de ce plaisir fumigène censé me niquer le rein qui me reste ? Mon Dr Bram à moi est-il au courant de ce qui se trame entre nos épouses respectives ? Sommes-nous certains qu'eux-mêmes, les Bram, ne fument pas en cachette, comme le font mon cardiologue et mon médecin généraliste, d'après certaines rumeurs insistantes ?

Et si, maintenant que nous sommes quasiment deux couples (médicalement) échangistes, les Goux invitaient les Bram à dîner, oserions-nous fumer et boire en leur présence, à cet homme et cette femme qui ont l'âge d'être nos enfants ?

Le Singe vient réclamer son crâne


Ce roman au titre étrange est le premier de Iouri Dombrovski, écrivain russe dont j'ai déjà parlé ici et . Commencé en 1943, sur le lit d'hôpital où l'avaient conduit ses quatre années de camp sibérien, il ne sera vraiment terminé qu'en 1958, par l'ajout d'un long prologue à la version initiale ; laquelle, en 1949, lui vaut une nouvelle condamnation, cette fois de dix ans, qui sera heureusement abrégée de quelques années après la mort de Staline. Le roman sera publié à Moscou en 1963. À cette époque, Dombrovski s'est déjà attelé à son chef-d'œuvre, La Faculté de l'inutile, dont il sait bien qu'il l'écrit “pour le tiroir”. Il parvient tout de même à faire passer son manuscrit à l'ouest, lequel est publié en russe à Paris, au printemps de 1978 ; malheureusement pour lui : quelques semaines plus tard, sauvagement agressé dans la rue par trois inconnus, fort suspectés d'appartenir au KGB, Dombrovski meurt à 69 ans, des suites de ce passage à tabac.

« Qu'est-ce qui se passe, mes bons messieurs ? Qu'est-ce qui arrive à notre pays ? Ces affaires incroyables, ces suicides inexpliqués, ces condamnations en vertu de lois huit fois séculaires, ces assassinats, ces rapts, ces viols commis par des boy-scouts, ce naufrage tragique et comique de notre civilisation, tout cela germe-t-il sur un terreau commun ? Pourquoi décrivons-nous ce désastre avec une espèce de délectation, sans songer à la pourriture qui le nourrit ? »

Iouri Dombrovski, Le Singe vient réclamer son crâne, Verdier, p. 30.

dimanche 9 novembre 2014

Tu reviendras à Brideshead


On peut vivre jusqu'à 58 ans sans avoir jamais lu une ligne d'Evelyn Waugh, j'en témoigne ; jusqu'au jour où l'on décide, sans raison particulière, de combler cette lacune. On commence, au hasard, par Le Cher Disparu (The Loved One) ; mais, malgré le plaisir que l'on prend à sa lecture, on se rend vite compte que découvrir un écrivain typiquement anglais par le biais d'un roman se déroulant en Californie – une sorte de Six feet under récrit par Wodehouse –, n'est peut-être pas la meilleure idée que l'on ait eue. Alors on passe au Retour à Brideshead (Brideshead revisited) et, dès les premières pages, on pousse un petit soupir de satisfaction soulagée : on est bien au cœur d'une certaine aristocratie anglaise, celle qui nous vient de Jane Austen et s'est fortement chargée en burlesque au cours de sa traversée du XIXe siècle ; un burlesque hautement britannique, c'est-à-dire déroulé avec le plus implacable sérieux. Du reste, il ne me semble pas possible d'aborder le burlesque autrement qu'avec un sérieux sans faille – mais ce serait un autre sujet.

Retour à Brideshead, c'est une famille et un narrateur qui la regarde durant six cents pages. Cela commence dans l'Oxford des années folles pour se terminer dans les bivouacs de la Seconde Guerre mondiale. Peu de romans, je crois, sont à ce point capables de faire sentir le temps qui passe, le vieillissement des personnages, leurs désenchantements, la mélancolie nostalgique qui se répand partout et imprègne toute chose, sans jamais aborder ces thèmes frontalement. Passé les fêtes estudiantines du début, le sentiment de l'irrémédiable, ou du never more, s'empare très vite du lecteur et ne le lâchera plus jusqu'à la fin – une fin absolue, en quelque sorte, puisque, en même temps que celle du livre, elle frappe aussi de mort les Brideshead et leur monde ; cela sans que jamais la cocasserie incongrue ne perde tout à fait son droit de cité.

Le livre refermé, on a l'impression qu'on vient de lire un grand roman. Cette “impression”, c'est toute l'élégance d'Evelyn Waugh.

vendredi 7 novembre 2014

Les métamorphoses du vieillard (Kafka, à côté, c'est de la bluette)


Quand j'étais très jeune, je connaissais des gens qui étaient vieux ; je n'y faisais pas trop attention : vous savez comme on est. Je suppose qu'ils vaquaient gentiment à leurs inoccupations, en attendant le repas qu'une fois l'an la mairie leur offrait, dans une salle lugubre, avec assiettes en plastique et vin bouchonné ; à la fin, abrutis par l'accordéon moulinant les scies les plus idiotes de leur âge vert, beaucoup s'endormaient et basculaient en avant, le nez dans le reste de choucroute.

Devenant moins jeune, je me suis un jour avisé que les vieux avaient disparu, presque du jour au lendemain, impitoyablement chassés des villes et des campagnes par les personnes âgées. Je ne m'en suis pas trop alarmé, dans la mesure où l'on continuait de les voir s'aligner chaque 11 novembre, vacillants médaillés, de part et d'autre du monument aux morts. Tout de même, j'aurais dû me demander un peu pourquoi le repas des vieux s'était mué en repas des anciens, même si cela ne changeait rien à la qualité de la choucroute.

J'ai commencé à m'inquiéter en mon âge presque mûr, lorsque les personnes âgées à leur tour sont descendues silencieusement aux tombeaux pour être aussitôt remplacées par les séniors, de la même manière effrayante que celle des body snatchers prenant la place des humains qu'ils viennent de tuer. C'était d'autant plus terrifiant que les nouvelles entités imitaient à la perfection leurs victimes, reproduisaient avec un naturel monstrueux leurs gestes les plus familiers. Ils allaient même jusqu'à ingurgiter avec des airs de gourmandise la choucroute annuelle : je suppose qu'on leur avait prévu une poche de plastique au-delà de l'arrière-gorge, afin de stocker les filaments graisseux qu'il allaient ensuite régurgiter dans un endroit discret connu d'eux seuls.

Enfin, un dernier stade fut franchi, une dernière mutation s'accomplit ; la répugnante métamorphose est encore toute récente, peut-être même n'est-elle pas achevée partout, c'est pour cela que vous ne vous en êtes sans doute pas encore avisés. Je vous l'annonce sans la moindre précaution, car nous n'en sommes plus là : dans le secret de quelque laboratoire démoniaque, les séniors se sont transformés une fois de plus, pour devenir des Toujours jeunes.

Fort heureusement, j'ai depuis longtemps perdu toute faculté d'indignation et même d'étonnement. Le rire sonore et libérateur lui-même, je sens bien qu'il me quitte irrémédiablement.

mercredi 5 novembre 2014

Si vous avez une heure à ne pas perdre

Aimez-vous la musique atonale ? Et, sinon, savez-vous pourquoi ? De quelle manière perçoit-on cette musique, par rapport à la façon dont on reçoit – souvent sans même s'en rendre compte – la tonale ? Posées comme cela, abruptement, je conçois que ces questions aient de quoi faire fuir. Pourtant, la conférence donnée sur ces sujets au Collège de France par Jérôme Ducros (les Jérômes parlent très bien et très volontiers de la musique, en général) est de bout en bout passionnante (et souvent drôle), tout à fait accessible aux béotiens de la portée, parmi lesquels je me compte. Les passionnés de la langue française y trouveront aussi leur compte, en raison d'un certain nombre de parallèles très éclairants faits par le conférencier. Bref, calez-vous pour une heure dans votre fauteuil et cliquez résolument.


dimanche 2 novembre 2014

La citation du dimanche (moi aussi, je peux le faire)


« On trouvait naturellement dans ce milieu des gens très différents, non seulement par les degrés variables de leur flamme révolutionnaire, de leur “amour” envers le peuple et de leur haine envers ses “ennemis”, mais plus généralement par leur façon d'être, aussi bien extérieure qu'intérieure. Toutefois, dans l'ensemble ils se montraient assez étroits, bornés, intolérants, et professaient une doctrine plutôt simpliste : l'humanité c'est nous, et avec nous les “humiliés et offensés” de tous bords ; tout le mal est à droite, tout le bien à gauche ; toute la lumière est dans le peuple, dans “sa sagesse traditionnelle et ses espoirs” ; tous les malheurs viennent du régime et de cette bande d'incapables au pouvoir (que l'on semblait même assimiler à une peuplade spéciale) ; il n'y a de salut que dans la révolution, la constitution ou la république…

« Tel était le milieu auquel je m'intégrais à Kharkov. »

Ivan Bounine, La Vie d'Arséniev, Bartillat, pp. 250 – 251.

vendredi 31 octobre 2014

Correspondances russes


J'ai fait descendre de son étagère La Vie d'Arséniev, roman d'Ivan Bounine, premier Russe à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1933. Né en 1870 à Voronej, Bounine fuit sa patrie, tombée sous le joug léniniste, en 1920, après s'être réfugié durant deux ans dans le sud de la Russie, encore tenu par les armées “blanches” ; il vivra en France (Paris et Grasse) jusqu'à sa mort en 1953, fraternellement salué par Gide, Martin du Gard ou encore Mauriac.

En 1934, le poète Ossip Mandelstam est arrêté par le NKVD, à cause d'un poème “sacrilège” qu'il a écrit sur Staline, et qu'il a eu l'imprudence de lire à quelques personnes. Finalement libéré, il est contraint à l'exil dans la petite ville de Russie de son choix (les grandes lui sont interdites) ; Nadejda*, sa femme, et lui choisissent d'aller vivre à Voronej. C'est là que le NKVD l'arrêtera de nouveau en 1937 ; et Mandelstam disparaîtra dans le grand vent des camps.

En 1943, Varlam Chalamov** survit tant bien que mal dans divers camps de la Kolyma, depuis déjà six ans. Alors que touche à sa fin sa peine initiale, pour “activités trotskistes contre-révolutionnaires”, il se voit octroyer une rallonge de dix ans pour “agitation anti-soviétique”. Son crime : avoir soutenu que Bounine était un classique de la littérature russe.


* Nadejda Mandelstam, Contre tout espoir, Gallimard, Tel, 3 vol.
** Varlam Chalamov, Récits de la Kolyma, Verdier.

jeudi 30 octobre 2014

Opus 111 et autres joies de l'automne



Parce qu'il en fut question en septembre.

mercredi 29 octobre 2014

20 ans après… les mêmes, à peine plus cabossés


On a un peu l'impression que la photo nous arrive des années trente : on n'est tout de même pas si vieux que ça, bon sang de bois ! Mais enfin, 20 ans de mariage, c'est une trotte. Cela s'appelle, me dit-on, des noces de porcelaine, peut-être parce que c'est l'âge où les épousailles ont souvent besoin d'être raccommodées. Cela tombe un peu à côté en ce qui nous concerne, puisque, en ces temps, nous vivions tout près de Gien, qui est plutôt connue pour sa faïence.

Bref, nous nous épousâmes, ce 29 octobre 1994, en la mairie de Beaulieu-sur-Loire, dont dépendait notre hameau d'Assay, sis au bord du canal de Briare. Mariage réduit au minimum : nous, nos deux témoins, Kent pour moi et sa fille aînée pour Catherine, laquelle a ensuite pris la photo des deux jeunes mariés et de leur pièce montée – car il y eut bel et bien une telle pièce –, plus Freddie, la femme de Kent. Le soir, nous dînâmes tous cinq à l'Auberge des Templiers, où la table voisine de la nôtre (Mais M. Chieuvrou va encore m'accuser de radoter) était occupée par Alain Delon, venu en voisin de Douchy, et sa batave compagne de l'époque, Rosalie.

Ensuite, nous nous accordâmes seize petites années de réflexion, avant de franchir le porche de l'église de Pacy-sur-Eure.

lundi 27 octobre 2014

Après les martyrs viennent toujours les bourreaux (notes additionnelles à La Faculté de l'inutile)


* On n'exagérerait pas tant, en écrivant que les principaux personnages de La Faculté de l'inutile sont Ponce Pilate, Caïphe, Judas, Pierre et le bon larron ; surplombés par les deux figures tutélaires, des ténèbres et de la lumière : Staline et le Christ. Dombrovski marque très fortement cette double présence puisque, à ce qui sonne comme la dernière phrase logique de son roman, il ajoute cette sorte de coda : 

Quant à cette peu réjouissante histoire, elle est arrivée l'an cinquante-huit après la naissance de Joseph Vissarionovitch Staline, le génial guide des peuples, c'est-à-dire l'an mil neuf cent trente-sept après la naissance de Jésus-Christ, année néfaste, torride, grosse d'un avenir terrifiant.

* La troisième partie (sur cinq) forme une sorte de récit dans le récit, à la manière du Grand Inquisiteur de Dostoïevski. Au fond d'un bouge désert, le père André, défroqué, ancien bagnard, vagabond et ivrogne, raconte à  sa façon à Kornilov, collègue et ami de ce Zybine dont je parlais dans le précédent billet, la Passion du Christ, laquelle devient la clé permettant de comprendre les persécutions staliniennes, par une suite de va-et-vient temporels vertigineux. Le pope rappelle la loi édictée en l'an 15 par Tibère : « Toute critique des actes de l'empereur est assimilée à un outrage à la grandeur du peuple romain. », qui se passe de commentaire. Puis s'avance la figure essentielle de Pilate. Pourquoi veut-il gracier et relâcher Jésus ? Parce que ses prêches divisent les Juifs contre eux-mêmes, met la zizanie au sein de ce peuple que, en tant que procurateur romain de Judée, il doit absolument réduire : il a en tête de l'utiliser afin qu'il lui ramène de plus gros poissons. Pourquoi, alors, le condamne-t-il finalement à la croix ? Parce que Caïphe, le grand-prêtre du Sanhédrin, lui susurre des paroles effrayantes, et qui peuvent être lourdes de conséquences pour lui : « Il se prétend roi des Juifs. Or, nous n'avons d'autre roi que César, procurateur. Si tu le relâches, tu n'es point ami de César. Quiconque se dit roi est ennemi de César, procurateur. » Par crainte du froncement de sourcil de César, Pilate envoie donc Jésus au Golgotha. Le reniement de Pierre et la conversion du bon larron trouvent également leur équivalent sous le règne du César géorgien ; et aussi la trahison de Judas, à propos de qui Kornilov a cette formule : « Le traître est un martyr manqué. » Il y aurait encore à dire sur ce père André, mais je dois me taire, par égard pour ceux qui auraient l'excellente idée de lire le roman. (Roman dont, une fois de plus, je déclare que ce devrait être l'une des grandes hontes des éditeurs français qu'il ne soit plus disponible chez aucun d'entre eux. Heureusement, on le trouve facilement d'occasion : merci Amazon et Price Minister.)

* Dostoïevski est sans cesse présent, soit en filigrane, soit nommément. Le père André parle de lui, pour montrer à Kornilov que, dans son approche du Christ, tantôt tout de résignation et d'amour (L'Idiot), tantôt armé du glaive mais amputé d'amour (Grand Inquisiteur), l'écrivain a fait preuve de moins de réalisme et de cohérence que Pilate. Au début de la dernière partie, c'est Stern, un ponte du NKVD d'Alma-Ata, qui l'invoque, au moment où il explique à sa jeune subordonnée débutante, Tamara, qu'elle a eu bien raison de suivre les cours de l'Institut du Théâtre avant d'entrer dans les “Organes” :

C'est la meilleure des écoles pour un instructeur. Parce que tout dépend de votre aptitude à pénétrer un caractère, à vous incarner dans un personnage. Sur ce point, l'écrivain, l'instructeur et l'artiste se rejoignent. Un instructeur qui n'a pas le sens du tragique ne vaudra jamais rien. Dostoïevski, lui, le possédait ce sens. Je me suis souvent dit qu'il aurait fait un instructeur de tout premier ordre et que j'aurais aimé travailler avec lui. Parce qu'il savait où est le refuge du crime : dans le cerveau. C'est la pensée qui est criminelle. La pensée en tant que telle. Tout commence par la pensée. Étouffez-la dans l'œuf, et il n'y aura pas de crime. Dostoïevski l'avait compris.

Ajouter à cela que la plupart des protagonistes, y compris les agents du NKVD, y compris Staline lui-même, sont des personnages du souterrain, du sous-sol.

* Vision “moderne” de l'histoire récente : un tyran engendre l'autre, qui passe pour son contraire et un rempart contre lui, alors qu'ils sont rigoureusement semblables ; sans Staline, pas de Hitler.

* Passion du Christ, Passion de Zybine, le conservateur des antiquités. Y aura-t-il pardon, rédemption, résurrection ? À la dernière page, dans le square le plus proche de la prison, on retrouve le peintre Kalmykov, un peu fol, méprisé et moqué au début de la première partie ; sur un morceau de carton, il peint Rybine, affaissé sur un banc, entouré de Kornilov, ivre, et de Neumann, l'instructeur radié du NKVD et en attente de son arrestation prochaine : un Christ écrasé et deux larrons grotesques. Mais Dombrovski affirme que cette pochade hâtive de Karmykov demeurera “pour les siècles des siècles”.