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J'ai choisi cette photo parce que c'est la plus ridicule que j'ai pu trouver ; je salue néanmoins ces deux valeureux praticiens, qui ne doivent être rien d'autre que des mannequins dont on n'a même pas voulu à La Redoute. |
À Isabelle et Olivier.
D'après l'expression populaire, on va
voir le docteur. De fait, la pauvre pièce de Jules Romains prouve que, généralement, le voir suffit pour être malade ou guéri, c'est selon. Le seul qu'on ne va pas
voir est le radiologue. Dans un cabinet de radiologie, il est celui dont on se demande s'il existe, et aussi,
in fine, à quoi il sert. Faites appel à vos souvenirs, vous verrez que je dis vrai.
Vous entrez ; êtes reçu par une fille (généralement) derrière un comptoir, qui, immanquablement, va vous demander des choses n'ayant aucun rapport avec ce pour quoi vous êtes là, devant elle, et généralement impatient de n'y être plus : votre âge, votre adresse, vos allergies ou antécédents, vos fantaisies sexuelles, ce que vous comptez manger à midi, votre série télé préférée (il se peut même qu'elle commente vos réponses et, horreur, crée un début de sympathie entre vous). Tout cela pour une radio des poumons qu'a exigée votre médecin traitant parce que vous vous êtes plaint à lui de douleurs intermittentes à l'abdomen et qu'il entend ne négliger rien des choses qui vous foutent la trouille. Cette fille n'a aucune connaissance médicale, c'est une assistante (avant, on disait : secrétaire) ; on la repère facilement au fait qu'elle a généralement un tatouage, ou un piercing, ou les deux. Elle vous remet rapidement entre les mains d'une autre jeune femme.
Celle-ci n'a pas de tatouage (ou alors caché), ni de piercing (ou alors intime). Elle n'est pas pour autant radiologue, mais son assistante – laquelle n'a, en revanche, jamais été appelée secrétaire. C'est elle qui va faire le job, comme dirait un ancien président de notre République : « Déshabillez-vous, placez-vous là, respirez… ne respirez plus… re-respirez si vous ne pouvez pas faire autrement, levez le bras gauche, cessez vos plaisanteries stupides… parfait, rhabillez-vous ! »
Ensuite, vous retournez vous asseoir sur l'une des chaises en plastique inconfortables qui vous donnent droit à une vue directe sur le visage ennuyé de la piercée-tatouée, mâchant un chewing-gum derrière son comptoir et répondant d'une voix profondément ennuyée au téléphone – ça dure ce que ça doit durer…
Et enfin le radiologue apparaît ; il vous fait signe, vous le suivez, frétillant et soumis. Il brandit devant vous une sorte de film photographique, comportant essentiellement des ombres, plus ou moins intenses et aux contours imprécis. Son regard pétille, il ménage ses silences, on le sent en pleine montée de jouissance. Et il vous explique ce qu'il a vu, sur ce machin qu'il vous met sous le nez et que vous ne regardez même pas ; il vous rassure, il vous inquiète, vous tance, vous caresse, tout en pointant son index sur telle ou telle zone marécageuse de ce que vous refusez, en votre for intérieur, à prendre pour vos honnêtes poumons. À la fin de sa péroraison, il prononce toujours la même phrase rituelle : « Mais votre médecin vous en dira plus. »
Cela tombe relativement bien car, sachant que le radiologue n'est spécialiste en rien sauf en clichés internes, vous n'avez absolument pas écouté ce qu'il vous a débité : le radiologue est le médecin qui n'est pas là au début et qu'on n'écoute pas à la fin.
Question : que fait-il entre les deux ? Et pourquoi vient-il finalement vous casser les couilles, au risque de vous faire manquer votre déjeuner ?