À la fin de 1992, il y a donc trente ans plus une poignée de semaines, Philippe Muray notait ceci dans son journal, que je refeuillette depuis quelques jours :
« […] la métamorphose des femelles occidentales, dans les trente ou quarante dernières années, a rendu désirables toutes les femmes du monde sauf celles d'Occident.
« Qui, de gaîté de cœur, choisirait de vivre avec une Française ou une Américaine ?
« Qui peut rêver, rêver d'une Française ? D'une Allemande ? D'une Suisse ? D'une Américaine ? D'une Hollandaise ? Et maintenant, hélas, depuis que leurs pays montrent tant d'ardeur pour l'Europe, qui peut rêver d'une Italienne ou d'une Espagnole ?
« Femmes occidentales, horribles petites cafteuses françaises, désastreuses Européennes et vos grandes sœurs frénétiques, les abominables Américaines, vous savez que vous n'avez plus aucune chance avec les hommes ! Votre seul espoir, c'est de refiler au plus vite la disgrâce de votre émancipation au reste de l'humanité féminine ! Par Saint Nietzsche, par Saint Sade et par tous mes saints, on vous en empêchera ! »
C'est par l'optimisme presque béat de sa dernière phrase que Muray date fâcheusement. Car si j'en juge par l'atonie virile des hommes de moins de quarante ans actuels, ces élégantes et fluettes larves paritaires, ce n'est pas demain qu'ils seront en mesure d'empêcher quoi que ce soit, ni même d'oser l'imaginer, dès lors que leurs dragons reproductibles auront haussé un sourcil. Je peux les comprendre : même si c'est peu valorisant pour l'amour-propre, ou ce qui en reste, il est tout de même moins dolore de se faire traîner dans la boue que devant un tribunal.
C'est une réflexion assez semblable à celle de Muray que Catherine et moi nous faisons régulièrement, lorsque nous regardons une série télévisée américaine dans laquelle on nous laisse entrevoir ce que peut être la vie familiale, avec ou sans enfants, mais de préférence avec, de tel ou tel personnage ; réflexion sous forme interrogative :
« Mais comment les mâles américains ont-ils encore le courage, ou l'inconscience, ou le masochisme, de se lier par contrat nuptial avec leurs compatriotes femelles ? »
Car quel que soit le genre, la tonalité, l'esprit de ces séries, il en va toujours, ou presque toujours (les exceptions sont rares) de même : l'épouse ne sait faire que deux choses, alternativement et selon des dosages qui varient finalement assez peu : pleurnicher ou récriminer. Et s'il est une expression qu'un mari américain a intérêt à apprendre dès le lendemain de sa nuit de noces, car elle lui servira presque quotidiennement jusqu'à ce que mort ou divorce s'ensuive, c'est bien : I'm sorry !
On me dira que cette vision du couple – forcément caricaturale – émane de l'indécrottable misogynie du mâle blanc et obtus qui bidouille les scénarios. Que nenni ! Nombre de ces séries sont en grande partie écrites par des femmes… qui œuvrent exactement dans la même tonalité que leurs confrères. Ce qui laisserait à penser que non seulement c'est la réalité qu'elles décrivent, mais qu'en plus elles la trouvent suffisamment satisfaisante pour ne pas se soucier de la dissimuler, ou au moins de l'arranger un peu.
Du reste, peut-être bien qu'elles l'arrangent ; et que, in real life, tout est encore bien pire.
Pour en revenir à Muray, on terminera en constatant que, dans son appel à négliger les harpies d'Occident au profit des femmes et filles exotiques, il annonçait les romans de Michel Houellebecq – en particulier Plateforme –, qui, en cette année 1992, étaient sur le point de naître.