mercredi 6 décembre 2023

Restons optimistes !


  « Croyez-vous, dit Candide, que les hommes se soient toujours mutuellement massacrés comme ils font aujourd'hui ? qu'ils aient toujours été menteurs, fourbes, perfides, ingrats, brigands, faibles, volages, lâches, envieux, gourmands, ivrognes, avares, ambitieux, sanguinaires, calomniateurs, débauchés, fanatiques, hypocrites et sots ?

– Croyez-vous, dit Martin, que les éperviers aient toujours mangé des pigeons quand ils en ont trouvé ?

– Oui, sans doute, dit Candide.

– Eh bien ! dit Martin, si les éperviers ont toujours eu le même caractère, pourquoi voulez-vous que les hommes aient changé le leur ? »


Je ne suis pas coutumier du fait, mais il se trouve que je me rappelle fort bien où et quand j'ai lu Candide pour la première fois. C'était en janvier de l'année 1971, au numéro 13 du boulevard Fabert *, à Sedan, Ardennes. Je n'avais pas tout à fait 15 ans.

Mes parents, ma fratrie et moi-même venions, le 29 décembre précédent, de rentrer assez précipitamment d'Algérie, où nous avions passé un an et demi. En attendant que mon père reçût sa nouvelle affectation – ce serait à la base aérienne de Châteaudun, dès les vacances de février –, nous nous étions recasés chez mes grands-parents maternels, à l'adresse sus-indiquée, où ma mère avait vécu son adolescence, au milieu d'une fratrie assez nettement plus nombreuse que la mienne. La petite maison était la conciergerie de la Chambre de Commerce sedanaise, dont mon grand-père, ancien militaire, était devenu le concierge juste après la guerre. 

(Je suppose que, officiant aujourd'hui, il  bénéficierait d'un titre autrement ronflant ; quelque chose comme “surintendant du parc” ou “grand chambellan des clés”. À moins que ce ne fût “personne en situation de gardiennage”. Bref…)

J'avais donc, quant à moi, sauté du lycée Pasteur d'Oran au lycée Turenne de Sedan – en attendant le CES Beauvoir de Châteaudun. Passant, du même saut, de la douceur oranaise à un putain de froid ardennais.  Et c'est là qu'un jour, en fin d'après-midi, sortant de cours, j'ai poussé la porte d'une librairie, probablement située aux alentours de la Place d'Armes, juste avant de redescendre vers la place Turenne par la rue Gambetta, puis, franchissant le bras de Meuse, emprunter la rue Thiers filant vers Torcy jusqu'à l'entrée du boulevard Fabert (on pourra vérifier sur Goople Maps que je ne raconte pas n'importe quoi). 

C'est dans cette échoppe, probablement remplacée depuis longtemps par une boutique de fringues pour collégiennes pétassoïdales ou par un kebab bien de chez nous, que j'ai acheté ce volumineux livre de poche qui contenait, sinon tous, du moins un grand nombre des contes du sieur Arouet. Et je crois bien que, si j'ai commencé ma lecture par Candide, c'est parce que son titre était le seul, alors, à me dire vaguement quelque chose.

Pourquoi, moi qui jusque-là n'avais quasiment jamais acheté de livres depuis les Bibliothèques rose et verte de l'enfance, pourquoi ai-je ce jour-là jeté mon dévolu précisément sur Voltaire ? La question restera sans réponse, je le crains. Toujours est-il que c'est lui qui – soyons pompeux une minute – m'a ouvert à deux battants les portes de la littérature.

Imagine-t-on la mine scandalisée et furibarde du seigneur de Ferney, se voyant non seulement reçu dans une maison de gardien, et en plus chargé d'y ouvrir les portes, devenant ainsi le concierge des concierges, un concierge au carré ?

Mais peut-être aurait-il su en rire.


* Comme la forme d'une ville / Change plus vite, hélas, que le cœur d'un mortel, je viens de constater avec un peu d'accablement que le 13 bd Fabert de mon enfance est désormais le 19… et que la Chambre de commerce n'est plus la Chambre de commerce.  Salauds de post-modernes ! Mais je suppose que je puis m'estimer heureux de ce que Fabert est resté Fabert : il pourrait aussi bien être maintenant le boulevard de la Transition-écologique, ou l'allée du vivre-ensemble…

lundi 4 décembre 2023

Le grand regret de ma vie


 Dans notre boîte aux lettres, ce matin, un avis nous informant qu'en raison des travaux en cours dans les rues du Plessis, l'eau nous sera coupée demain entre huit heures et midi. L'avis en question est signé d'un monsieur Untel, dont le nom est suivi de son officielle fonction :

 directeur du petit cycle d'eau

Je trouve à ce titre un attrait irrésistible, comme un parfum d'ancienne Cour, l'équivalent moderne d'un “intendant des menus plaisirs”.

Et l'évidence m'apparaît, aveuglante. Voilà, c'est ça ! voilà ce que j'aurais dû choisir, comme métier, au lieu d'aller barboter, près de quarante années durant, dans les cloaques journalistiques : directeur du petit cycle d'eau. Opter pour l'eau potable plutôt que pour les égouts…

Comme mes parents auraient été fiers de leur fils, alors !

vendredi 1 décembre 2023

Astres au logis et trous sans poils


 On s'est plongé là-dedans durant tout novembre.

lundi 27 novembre 2023

De Pluche en peluche


 J'ignore tout à fait quelle mine peut bien faire un chien qui vient d'attraper un vrai renard. Mais je trouve que, la gueule lestée du sien en peluche, Charlus a l'air parfaitement abruti.

Cela devant être dit et l'étant, je me sens tout gêné vis-à-vis de Dutourd, que j'ai délogé un peu vite et brusquement de la première place du podium. Donc, pour tenter de nous rabibocher, un court extrait de Pluche, dont nous parlions hier. C'est l'un de ses personnages, un peintre fainéant,  qui parle et non lui – du moins fera-t-on semblant de le croire. J'ai choisi ces quelques lignes pour le plaisir, puéril mais bien réel, de me montrer désagréable. Voici :

« Ma vieille vache [Boulard, le peintre, s'adresse au narrateur du roman, Pluche], il faut en prendre son parti : nous n'avons rien à attendre du peuple, et nous sommes arrivés au plus mauvais moment. Les artistes ne peuvent prospérer que dans les époques où le peuple n'a rien à dire. En ce moment on n'entend que lui, ou les gens qui parlent pour lui, et en remettent. Le peuple était comme les chiens : il ne lui manquait que la parole. On la lui a donnée. Quel déluge de conneries ! Le peuple n'a pas besoin de beauté ; il veut des idées. Le moindre confort supplémentaire fait bien mieux son affaire que la victoire d'Austerlitz et le musée du Louvre. À la limite, la démocratie doit supprimer toute la beauté et toute la gloire au profit du confort. C'est sa mission, et elle la remplira, je te le garantis. Dans cent ans, il n'y aura plus de guerre et plus d'art. Ce sera fini. Quand une révolution éclate, le populo commence toujours par casser les statues et incendier les palais. Les historiens, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, croient que c'est par fureur ou ressentiment. Erreur, c'est par instinct. Le peuple sait que la beauté est son pire ennemi. »

Le temps de taper ce paragraphe impie, Charlus avait lâché sa proie et s'était rendormi.

dimanche 26 novembre 2023

Corvée de Pluche


 Il est une chose pire que de céder à l'attrait d'un mauvais calembour, comme je viens de le faire en titre, c'est, ce faisant, d'exprimer l'exact contraire de ce que l'on aurait dû et voulu dire. Car, c'est tout sauf une corvée, que la lecture de Pluche ou l'amour de l'art, roman écrit par Jean Dutourd au milieu des années soixante. De quoi s'agit-il ?

D'un narrateur-peintre qui raconte : lui, sa vie, son œuvre, les rares gens qu'il fréquente. C'est tout ? C'est tout. Mais c'est beaucoup, car Dutourd est un écrivain qui a la grâce. Celle de vous empoigner avec une sorte de nonchalance, comme si, au fond, il ne tenait pas plus que cela à ce qu'on le lise. Il est heureux que l'on soit là, ça se sent, mais si on refermait le livre sans aller au bout, il n'en ferait pas une histoire. Tout juste un léger haussement d'épaules avant de rallumer sa pipe. Peut-être éprouverait-il une vague pitié pour ce pauvre nous qui n'aurait pas su voir avec quelle délicatesse il avait entrouvert les âmes humaines et orchestré sans grosse caisse intempestive leurs fantaisies aussi bien que leurs lourdeurs.

Car au long de ces trois cents pages, pourtant centrées sur un univers fort restreint, c'est toute une comédie humaine qui se donne ; mais, encore une fois, sans éclats de voix ni appels du pied : Dutourd, dans ses meilleurs jours, est une sorte de Balzac miniaturiste et bien élevé. Il est aussi éminemment cultivé, mais “sans rien en lui qui pèse ou qui pose”.

Il y a quelques semaines, un ami et moi nous demandions pourquoi Jean Dutourd semblait avoir une si mauvaise réputation de nos jours, voire plus de réputation du tout, ce qui est pis. Évidemment, il y a le fait qu'il s'agissait d'un écrivain de droite qui, en plus, avait le front de n'en manifester aucune honte, pas la plus petite repentance. Mais ça ne suffisait pas à expliquer le désamour, il devait y avoir autre chose…

L'ami en question me dit, moitié sérieux, moitié plaisantant, qu'on ne pouvait pas  prétendre à devenir illustre avec un nom se terminant en “our”. Ça n'était pas si mal vu. Si encore M. et Mme Dutourd avaient eu la bonne idée de rehausser la banalité franchouillarde de leur patronyme d'un flamboyant prénom pour leur fils unique, quelque chose comme Hégésippe ou Népomucène, très bien ! Mais Jean, franchement…

J'optais, moi, pour le si mal considéré “délit de faciès”. On aime les écrivains au regard d'aigle et la chevelure au vent, style Chateaubriand. À l'autre bout du spectre, on peut aussi être fasciné par les gueules cabossées de la vie, façon Artaud ou Houellebecq ; ou encore éprouver une sorte de fascination-répulsion pour les simili-clochards ressemblant à Céline ou à Léautaud. 

Mais, là, vraiment… Cette vêture de notaire de province, d'où émerge une tête de Français terriblement moyen avec, cerise sur ce gâteau, la moustache du parfait beauf qui ne déparerait pas la trogne du patron crémier d'Au bon beurre, le trop célèbre livre de son auteur (“trop” parce que c'est en fait un assez mauvais roman)… C'est comme si Dutourd avait cherché à se faire pardonner d'être si intelligent, si cultivé, si profond sans avoir l'air d'y toucher, si doué, bref : si écrivain.

Est-il un grand écrivain ? Eh ! je ne suis pas un prof de lettres réquisitionné pour un jury d'examen ! Mais enfin, si je devais à tout prix le situer tout de même (sous peine d'un rapport carabiné à l'académie dont je dépends…), je le placerais dans les premiers du second rayon, ce qui devrait suffire à lui assurer une jolie immortalité provisoire.

Si l'on veut à toute force que j'exprime une critique, ou au moins une réserve, ce serait celle-ci : dès qu'ils se mettent à parler, tous ses personnages s'expriment comme Jean Dutourd lui-même, au lieu d'avoir chacun son langage propre. Mais comme Dutourd écrit d'une façon fort élégante et agréable, ça reste moindre mal.

Pluche ou l'amour de l'art est-il à lire, au bout du compte ? Oui. Et sans doute aussi à relire, tant il s'apparente souvent à une causerie au coin du poêle, de celles qu'on a envie de prolonger ou de reprendre.  Mais enfin, vous ferez comme vous voudrez : je m'en fous.


jeudi 23 novembre 2023

Le dangereux fond de la marmite


 L'angoissante question du jour : peut-on, au vu de son nom à la fâcheuse consonance, considérer le “wok” comme une poêle LGBT ? Une casserole racisée ? Une gamelle transgenre ? Un chaudron intersectionnel ? 

Question subsidiaire : sachant que le dit récipient est d'origine chinoise, un immonde blanc réactionnaire et goulu s'en servant pour faire sauter ses légumes ne se rend-il pas coupable d'une scandaleuse appropriation culinaro-culturelle ? 

Il y a là, on me l'accordera sans peine, de quoi se gâcher dès potron-jacquet, la perspective de son prochain repas vespéral...

dimanche 19 novembre 2023

Petit manifeste situationniste

Personne en situation de distribution de courrier.

 Il n'y a pas de raison : je tiens, moi aussi, à apporter ma modeste contribution au salutaire travail d'épuration du vocabulaire, destiné à le débarrasser de ces mots immondes qui font à coup sûr le lit de l'extrême droite, sans doute aussi le jeu du réchauffement climatique, et participent peut-être même de la culture du viol. 

Je propose donc, pour commencer, de remplacer l'ignoble manchot par le plus pimpant “personne en situation d'unimembrisme supérieur” et l'infect cul-de-jatte par le davantage seyant “personne en situation de non-guibolisme”. 

Eh bien, voyez : je me sens déjà beaucoup mieux de cette mienne contribution, parfaitement en situation de néo-syntaxisme, soulagé et ravi de ne plus être l'une de ces repoussantes personnes en situation de réactionnariat, qui effraient si fort les personnes en situation d'enfance que celles-ci n'hésitent pas à ramasser des cailloux et, les lançant, à mettre les monstres en situation de lapidarisme, sous les applaudissement de tous les parents 1 et parents 2, en situation d'inclinaison à leurs fenêtres.

Bref, me voici, par cette initiative, tout à fait en situation de redresser ma situation.

jeudi 16 novembre 2023

Le hasard, la nécessité et la petite fille d'Awasa




Dans Notre existence a-t-elle un sens ?, livre de Jean Staune que je relis ces jours-ci, il est fait plusieurs fois allusion à Jacques Monod, prix Nobel de médecine 1965, et à ses écrits. Je me souviens très précisément d'où et quand j'ai lu Le Hasard et la Nécessité, son plus connu ouvrage : c'était en août 1973, en Éthiopie, au bord du lac d'Awasa, dans l'hôtel de M. Blazer (orthographe non garantie). 

Nous vivions alors à Orléans, ma mère, mon frère, ma sœur et moi, cependant que mon père faisait l'encaserné volontaire à Djibouti, encore Territoire français à cette époque. D'où nos vacances communes en Éthiopie, à une altitude qui rendait les chaleurs tropicales tout à fait supportables.

Cet hôtel – fréquenté presque uniquement par des Français, avec en prime quelques Américains pour corser un peu le jeu –, je l'ai retrouvé quelques années plus tard dans un livre. C'est là en effet que Gérard de Villiers a situé les ultimes chapitres de son SAS intitulé Le Trésor du Négus.

L'hôtel de M. Blazer – devenu Müller chez Villiers – proposait à ses hôtes une fantomatique bibliothèque dont la majorité des volumes épars étaient en anglais. Parmi les quelques titres en français, donc, Le Hasard et la Nécessité de Monod. L'adolescent imbu de culture que j'étais s'est rué sur lui comme un végan sur un steak de tofu. Et je l'ai lu non seulement avec conscience, mais aussi très ostensiblement, au bord de la minuscule piscine de l'hôtel, dont l'eau empestait le soufre, dans le but d'impressionner de ma puissance intellectuelle une jeune créature qui s'en foutait éperdument, n'ayant d'yeux et de moiteurs, elle, que pour un Yankee d'une vingtaine d'années, stupidement grand et musclé ; qui, en outre, se prétendait apparenté à Charles Bronson – et si ça se trouve c'était vrai. Pour couronner le tout, il me battait systématiquement au ping-pong. En somme, il y avait de ma part Nécessité de séduction, violemment barrée par un Hasard malencontreux.

(En revanche, j'avais réussi sans coup férir l'amicale conquête de la mère de ma naïade – naïade dont le prénom semble avoir déserté à jamais ma triste mémoire –, ce qui n'était pas, on l'aura deviné, mon objectif premier.)

Qu'ai-je compris à ce livre que je ne lisais que d'un œil, dans les vapeurs de soufre, et pas du plus attentif des deux ? Probablement rien. Ou fort peu. Mais Jacques Monod, s'il vivait toujours, serait sans doute très surpris d'apprendre que, chez un de ses lecteurs au moins, son Hasard et la Nécessité a encore aujourd'hui le pouvoir étrange de déclencher des visions de lac éthiopien et d'adolescente en mini-maillot.




 

dimanche 12 novembre 2023

Au pays des enfants Tage


 Je n'ai pas la moindre idée d'un billet à faire. Mais comme mon irremplaçable épouse vient de se réunir à Fredi Maque pour m'enjoindre de faire disparaître dans les tréfonds la photo du ouistiti postmoderne illustrant ma précédente intervention sur ce site, je m'exécute avec une certaine docilité, non dénuée d'une pointe de masochisme assumé. Mais que dire ?

Or, il se trouve que j'ai, il y a deux ou trois jours, lu un hors-série du Figaro consacré à Lisbonne, magazine rapporté parmi d'autres de chez Michel Desgranges, qui est en quelque sorte mon “mécène de presse”. Cette lecture m'a ramené au début du printemps de 1985, lorsque j'ai passé deux semaines dans cette ville en compagnie de mes excellents amis Jef et Tica. Cette dernière étant portugaise de naissance, de cœur et de beauté, je fus chaleureusement hébergé dans sa maison de famille, à Parede, entre Tage et océan.

Et voilà que, le magazine refermé et la nostalgie du souvenir s'en mêlant, j'ai ressenti l'envie, presque le besoin, de prolonger mon séjour lusitanien. Pour cela, il n'y avait qu'une seule solution envisageable par l'ermite frileux que je suis devenu : les livres.

J'en ai donc tiré deux de leur demi-rayon (je suis scandaleusement pauvre en littérature portugaise…). D'abord cet objet inclassable, déroutant, ardu et envoûtant qui s'intitule chez nous Le Livre de l'intranquillité, de Fernando Pessoa (je colle un lien pour ceux qui, l'ignorant, souhaiteraient découvrir ce très étonnant personnage). Pour faire son pendant, il me fallait un roman ; j'ai donc repris La Capitale de Eça de Queiros, écrivain contemporain de Zola, mort bizarrement à Neuilly-sur-Seine – ce qui manque un peu d'exotisme (*).

Les gens d'Actes Sud qui ont réédité La Capitale rapprochent Eça de Queiros de Balzac. Ce n'est pas totalement absurde, mais sa dette envers Flaubert me paraît beaucoup plus évidente et profonde, notamment avec celui de L'Éducation sentimentale et de ses “héros” en forme de songe-creux velléitaires : son jeune Artur Corvelo me semble davantage parent de Frédéric Moreau que de Lucien de Rubempré, même s'il possède les gènes des deux.

Pour terminer ce billet “de commande”, et afin de teinter cette journée d'un robuste optimisme, cette notation de Pessoa :

« J'envie le monde entier de ne pas être moi. »

Bon dimanche tout de même…


(*) Rajout de deux heures : le fait n'a rien de bizarre puisque, consul du Portugal à Paris, Eça de Queiros vivait à Neuilly. Et je découvre à l'instant qu'on peut même y contempler son buste, planté au beau milieu de l'avenue Charles-de-Gaulle – ce qui est un endroit bien bruyant pour passer l'éternité.

vendredi 10 novembre 2023

La tête qu'il mérite

 

Les trancheuses de gonades de MoiTaussi recommandent ces jours-ci la lecture d'un livre intitulé Rose, écrit par un certain Kévin Bideaux, lequel se proclame “chercheur en Arts et en Études de genre” (les majuscules sont de lui, apparemment…). 

Dans les trois lignes qui précèdent, on trouvera facilement au moins trois raisons de ne pas ouvrir ce livre. Mais, à mes yeux, la principale, la rédhibitoirissime, c'est qu'il est hors de question de laisser entrer chez moi un individu affublé d'un nom aussi ridicule que Kévin (oui, oui : avé l'accent !) Bideaux, fût-ce sous forme anodine d'un livre signé de lui ; et d'autant moins si, comme ce semble être le cas, il est affligé d'une trombine post-humaine en parfait accord avec son patronyme.

On me dira qu'il n'est nullement responsable du patronyme en question, ni du prénom dont ses parents l'ont flétri à sa naissance. Je répondrai que les pseudonymes ne sont pas fait pour les chiens, sauf si eux aussi se mettaient à publier des opuscules ineptes.

Enfin, si me revient un de ces jours l'envie ou le besoin de m'intéresser à une couleur, je n'aurai qu'à rouvrir le remarquable Bleu de Michel Pastoureau. Qui, lui, porte un nom fleurant délicatement l'ancienne France et une bonne tête d'homme qui semble savoir ce que vivre veut dire.

lundi 6 novembre 2023

Photos ratées de ratas


 J'ai pris cette habitude, depuis que j'ai l'iBigo, de repérer sur Google Maps les lieux, et notamment les villes, que je rencontre dans les romans que je lis, en particulier ceux de Jim Harrison qui sont toujours précisément localisés : c'est désormais la seule façon de voyager que je trouve encore tolérable.

Sous la fiche goux-gueularde de chaque ville répertoriée sont le plus souvent proposées des photos prises dans la cité même ou ses abords immédiats, généralement par des touristes, doit-on supposer. 

Ce qui me fascine, c'est que, de ces clichés, près de la moitié représente des assiettes pleines, servies dans l'une ou l'autre des mangeoires de l'endroit. Et pas de ces assiettes délicatement composées par un chef artiste : la plupart du temps, les Cartier-Bresson amateurs ne proposent à notre convoitise que de lugubres ratas, si mal photographiés qu'ils ont l'air d'avoir déjà été plusieurs fois mangés. 

Et je continue à me poser la question : quel petit démon farceur peut bien pousser tous ces internautes hors-sol, ces Lucullus en goguette, ces Brillat-Savarin transcontinentaux, non seulement à engranger, mais en plus à publier les photos de leurs hamburgers avachis et de leurs ratatouilles prémâchées ?

Ils sont en tout cas la plus pressante invitation qui se puisse concevoir à rester chez soi.

Et, au restaurant, à laisser son appareil de photographie à la demoiselle du vestiaire.

samedi 4 novembre 2023

En situation de ridicule

 

 

La phrase grotesque – mais impeccablement moderne – du jour, trouvée dans un certain marais touitteresque où il m'arrive de traîner mes charentaises quand je suis d'humeur primesautière : 

« Les personnes en situation de rue meurent à 49 ans. » 

Doublement grotesque – et donc doublement moderne –, comme on voit. D'abord, bien sûr, grâce à l'expression “en situation de rue”. Comme si le bon vieux “à la rue” était soudain devenu salissant, ou trop abrupt, ou radioactif, quelque chose comme ça. 

Ensuite, par le fait que si, dans la péremptoire affirmation citée, on ne précise pas “en moyenne”, le verdict de mort à 49 ans (pas 48, ni 50 : 49 très précisément ; on aimerait d'ailleurs savoir aussi le jour et le mois) a un petit côté surréaliste qui prête à sourire – ce qui n'était sans doute pas le but recherché par nos vertueux lanceurs d'alerte

On imagine très bien, au douzième coup de minuit, des dizaines, des centaines de clochards se précipitant ventre à terre dans n'importe quel abri de fortune, la veille de leur 49ème anniversaire, afin de fuir à tout prix cette rue de laquelle ils étaient en situation, soudain devenue diaboliquement mortelle.

 

(Pour celles-zé-ceux qui ne parleraient pas encore couramment le post-moderne, rappelons qu'une personne en situation de rue est une personne qui pratique le sans-abrisme. Si, si !)

mercredi 1 novembre 2023

Parcourir la Russie à ses risques et périls

 

Les grandes steppes russes en octobre

c'est pas toujours des vacances…

vendredi 27 octobre 2023

Homme libre toujours tu chériras la grammaire (billet instructif)


 Le maniement du participe passé associé à l'auxiliaire avoir est parfois un peu délicat, notamment lorsqu'il est suivi d'un verbe à l'infinitif dans une proposition subordonnée. Cela vaut également pour les verbes pronominaux, ainsi que je m'en vas le montrer tout à l'heure.

La règle veut que ce participe s'accorde avec le complément d'objet direct de la proposition principale uniquement si celui-ci est également sujet du verbe à l'infinitif. J'en vois déjà qui haussent les épaules, pensant qu'il s'agit là d'un byzantinisme hors de saison, et que l'important est “que tout le monde comprenne”.

Mais justement…

Prenons ces deux phrases presque identiques d'apparence mais de sens tout à fait différents :

Je vous présente la femme que j'ai laissée peindre

Je vous présente la femme que j'ai laissé peindre

La première signifie en gros : “la femme que j'ai autorisée à se mettre à la peinture” ; alors que la deuxième veut dire : “la femme dont j'ai permis que l'on fasse le portrait”. Dans le premier cas, la femme est sujet de peindre, dans le second elle n'en est que l'objet.

(On notera que, pour lever d'un coup toutes les difficultés, il suffit de faire preuve d'un peu d'autorité mâle, d'abord en supprimant à cette pétasse tout ce qui peut ressembler à un pinceau, d'autre part en virant de chez soi le barbouilleur prétendant la portraiturer ; d'autant plus qu'il est très certainement son amant.)

C'est la même chose, disais-je, avec les verbes pronominaux, lorsqu'ils sont eux aussi suivis d'un verbe à l'infinitif. Ainsi, la malheureuse de tout à l'heure, privée de peinture, devra écrire à sa meilleure amie : “je me suis fait niquer” ou, plus correctement : “je me suis laissé avoir”,  sans accorder son participe, vu que qu'elle ne s'est pas eue elle-même – encore moins niquée. En revanche, elle devra écrire : “je me suis vue piquer ma crise”, car c'est bien elle qui risque de se rouler par terre en bavant et avec des cris suraigus.

Pour finir, on notera que s'il est un domaine où les hommes conservent un net avantage sur leurs compagnes, n'en déplaise aux dragonnes égalitairolâtres, c'est bien celui de l'accord des participes passés. 

Ce qui est assez réconfortant.

mercredi 25 octobre 2023

Le calvaire de Dame Budé

 

J'ai toujours beaucoup aimé cette anecdote – authentique ou controuvée, peu importe – concernant Guillaume Budé, à qui un de ses valets, affolé, vient annoncer que la maison est en feu, et qui, sans lever le nez du livre qu'il est occupé à lire, lui répond tranquillement : « Avertissez ma femme, vous savez que je ne me mêle point du ménage. » 

Je m'en amuse, tout en sachant que je devrais sans doute m'en offusquer plutôt. Car la remarque dénote chez l'ignoble Bill un sexisme parfaitement inacceptable : quel déplorable exemple pour nos chères têtes blondes crépues, que ce refus méprisant d'un généreux partage des tâches ! Et personne pour se demander comment la pauvre Dame Budé s'est tirée de ce mauvais pas...

Sait-on seulement comment elle s'appelait, cette triste victime du patriarcat de style Renaissance ? Gertrude Budé ? Solange Budé ? Guillermine Budé ? Rien, pas un mot à son sujet, même chez Dame Ternette ! Encore une pauvre invisibilisée, sacrifiée sur l'autel d'un mâle probablement cisgenre et arrogamment content de l'être !
 
Bien heureuse encore si, entre deux déchiffrements de grimoires hellènes, son prédateur d'époux ne se soit pas, sur l'agnelle sans défense ni recours, livré à quelque viol conjugal récréatif, selon la triste habitude de ces butors à pourpoint et haut-de-chausse qui pullulaient en cette sombre époque.

dimanche 22 octobre 2023

Pour qui donc brille ainsi ce soleil d'Austerlitz ?


 Question difficilement soluble, pour le lecteur français de Guerre et Paix : lorsque prend fin la bataille d'Austerlitz, a-t-il, en tant que Français, le sentiment d'une victoire éclatante, ou bien, en tant que lecteur, celui d'une cuisante défaite ? 

Je sais bien que, s'agissant d'un événement achevé depuis 218 ans (moins six semaines), le dilemme pourra paraître de peu de poids et le suspense voisin du nul. Mais tout de même :

On ne devrait jamais relire Guerre et Paix...


mardi 17 octobre 2023

Pas de héros en vue

Je commence à en avoir plus qu'assez d'entendre un peu partout qualifier de héros, les gardiens d'enfants professeurs massacrés par tel ou tel islamopithèque. 

Ils ne sont nullement des héros. 

Si l'on tient absolument à leur accoler une étiquette ronflante, je rappelle l'existence, déjà fort ancienne et dûment éprouvée, du mot martyr ; qui, lui, conviendrait fort bien aux situations qui nous occupent et à ceux qui en pâtissent. 

À moins que la coloration religieuse de ce terme ne froisse par trop la sensibilité, toujours un peu à vif, des laïcards délicats et provisoirement survivants.

jeudi 12 octobre 2023

Itinéraires spiritueux


 Ouvrons ce livre, tout juste débarqué ici : Itinéraires spiritueux de Gérard Oberlé. On s'éveille dans le gris de la Lorraine des primes années cinquante, avant de filer bien vite vers les coteaux ensoleillés et vinifères qui bordent la plaine d'Alsace. 

Quelques années plus tard, nous voici en Bourgogne, majestueusement vignée elle aussi, après un détour coloré par le neuvième arrondissement de Paris et un rapide, mais généreusement alcoolisé, crochet par le Val d'Aoste. 

Soudain, à la page 135, nous sautons à pieds joints au milieu du bar de Grand Marais, Péninsule Nord du Michigan ; où, il fallait bien s'y attendre, nous accueille un Jim Harrison trônant, qui darde sur nous son œil valide, pendant que l'autre semble tenter – et tenté – de suivre la croupe de la serveuse qui vient de lui renouveler son whisky vespéral. 

Et nous ne sommes qu'à l'exacte moitié de ce livre, assez mince contrairement à son auteur, mais peu chiche en effluves divers.

mardi 10 octobre 2023

Mange ce que veux !

 

À Marco P.

J'aimerais “rebondir” sur mon dernier billet ; ou, si l'on préfère, le prolonger. J'y disais que, dans le domaine du goût, ou de la gastronomie, pour parler plus pompeusement, j'étais d'un libéralisme sans frein, confinant à un laxisme qui pourra sembler scandaleux à certains ; à tout le moins irrecevable. C'est tout à fait exact.

J'estime que, dans ce domaine, le haut commandement appartient aux papilles gustatives de chacun, et que rien ni personne ne devrait songer à contraindre leur autorité. Si un quidam apprécie davantage son foie gras lorsqu'il l'arrose d'une canette de coca plutôt que d'un flacon de sauternes, parfait, grand bien lui fasse ce mariage : ce n'est pas moi qui irai jouer les puristes et lui faire la leçon.

En commentaire du billet sus-évoqué, je me suis amicalement moqué de Marco Polo, qui s'était croisé en faveur de la cuisine allemande : pure gaminerie de ma part puisque, en réalité, je lui accorde parfaitement le droit, comme à n'importe qui d'autre, d'accéder à l'orgasme gustatif selon le vecteur culinaire qui lui convient. L'important, entre deux individus normalement civilisés, est que les désaccords de leurs respectives papilles ne les empêchent pas de prendre langue.

Je n'ai pas toujours été d'une aussi exemplaire “sagesse”. Je me souviens par exemple de notre dîner de noces – noces civiles pour l'heure –, pris en 1994 à l'Auberge des Templiers (photo), sise à Boismorand dans le Loiret. Agapes en comité restreint : en dehors des jeunes époux, n'y participaient qu'Élodie, fille et témoin de la mariée, Kent, témoin de votre serviteur, et sa femme.

À la table immédiatement voisine de la nôtre, dînaient en tête à tête Alain Delon et sa compagne de l'époque, superbe grande femme brune d'origine batave ; et prénommée Rosalie comme la baïonnette, si ma mémoire ne me trompe pas. J'avais été vaguement scandalisé de la voir accompagner son très-excellent repas de cette boisson qui a, ou avait, pour nom Gini, un genre de soda à peine ingérable seul, à mon goût. Rosalie et ses pratiques de table me laisseraient aujourd'hui parfaitement zen.

Mais enfin, tout de même, du Gini

vendredi 6 octobre 2023

La balade (culinaire) de Jim

De Jim Harrison, dans son Journal gastronomique américain* : 

« Les grandes cuisines, la française et la chinoise arrivant largement en tête, émergent dans des économies de pénurie où la rareté des ingrédients garantit le maximum d'ingéniosité. À l'inverse, le panier américain est tellement rempli que le fond vient de céder et que nous mangeons d'ordinaire la bouillie ramassée par terre. Pas toujours, mais très souvent. »

Jim Harrison place donc en tête de son palmarès gustatif les cuisines française et chinoise : tout chauvinisme ou sinophilie excessive mis à part, on ne peut que lui donner raison. Lorsqu'il se sent d'humeur à garnir la troisième place de son podium, il cite toujours la gastronomie italienne : c'est là que nous divergeons. Bien que trouvant la tambouille transalpine pleine de charme, sa réputation me semble un tantinet surfaite. Et je crois que malgré mon islamophobie rabique et hautement blâmable, je ferais passer devant elle la cuisine marocaine.

Mais enfin, chacun mange bien ce qu'il aime et veut : je suis, sur ce chapitre, d'une tolérance qui confine au laxisme le plus débridé.

* Ce journal, assez bref, se trouve dans le volume édité en 2002 par Christian Bourgois et intitulé Aventures d'un gourmand vagabond : le cuit et le cru. Voilà. Vous ne pourrez pas venir vous plaindre qu'on vous laisse dans l'ignorance… ni sur votre faim.


 

mercredi 4 octobre 2023

La vieille lanterne de Gérard

Tout à l'heure, par sms, Nicolas et moi évoquions Gérard de Nerval – comme quoi tout peut se produire en ce monde sublunaire, y compris le plus surprenant.

 Cela m'a rappelé que dans ma jeunesse parisienne, il m'est arrivé plusieurs fois d'aller assister à des spectacles au Théâtre de la Ville, place du Châtelet. Chaque fois, avant que l'agitation scénique ne commence, je contemplais longuement le trou du souffleur en rêvassant. Car je savais que cette salle avait été construite là où était, jusqu'au milieu du XIXe siècle, la rue de la Vieille-Lanterne ; et que j'avais lu je ne sais plus où que ce trou se trouvait à l'emplacement exact de la grille à laquelle, un lugubre matin de janvier 1855, on avait retrouvé Gérard de Nerval pendu.

Si Nicolas et moi en sommes venus, dès potron-jacquet, à parler de Gérard, c'est parce que je venais de lire une forte sentence que Jim Harrison lui attribue :

« Il faut boire, sinon quelqu'un d'autre boira à ta place. »

Paroles d'airain qui, on me l'accordera, valaient à coup sûr de tirer des limbes matinales notre sympathique et un tantinet rabelaisien Kremlino-Loudéacien.

dimanche 1 octobre 2023

Bûchers, Croisades et autres menus plaisirs


 Septembre fut, cette année, assez nettement médiéval.

jeudi 28 septembre 2023

Faites entrer Buster Scruggs !

Je sortais d'une expérience éprouvante, laquelle consistait à regarder le début du film de Christopher Nolan intitulé Tenet : à 16'38" exactement, j'ai été pris d'une sorte de fou-rire nerveux devant une chose aussi prétentieuse qu'imbécile – en plus d'être parfaitement incompréhensible. Il fallait mettre fin à l'épreuve, ou bien sauter par la fenêtre. Pour effacer cette désastreuse impression, je devais tenter autre chose, et c'est alors que les hasards du dédale netflixien m'ont conduit devant La Ballade de Buster Scruggs, film des frères Coen datant de 2018 : dix minutes plus tard, j'étais tout à fait réconcilié avec le cinéma (mais je n'avais pas été sérieusement fâché…).

Chez Dame Ternette,  le film est qualifié de “western à sketches”. C'est à la fois vrai : le film raconte six histoires indépendantes, toutes situées dans l'Ouest américain du XIXe siècle ; et à la fois faux, car beaucoup trop réducteur. Il ne s'agit pas d'un western mais plutôt d'un hommage au genre – hommage parfois irrévérencieux : on connaît les deux frangins – et même, plus largement, d'une ode aux grands espaces de l'Ouest, encore presque vides de toute trace humaine, et magnifiquement filmés. Et ce ne sont pas des sketches qui s'y déroulent, mais de mini-tragédies, qui n'excluent nullement le burlesque (la première histoire, photo ci-dessus), et flirtent parfois avec le fantastique (la sixième et dernière). Le point commun à toutes, c'est la tendresse amusée du regard que portent les Coen sur leurs personnages. On atteint même à l'émotion pure dans la cinquième histoire, construite autour du personnage d'Alice Longabaugh (photo ci-dessous), alliage de fragilité et de détermination, en route pour l'Oregon lointain avec une caravane de chariots bâchés, et magnifiquement interprétée par Zoé Kazan, la petite-fille d'Elia Kazan.

Du reste, les acteurs ne sont pas le moindre intérêt du film, et il est amusant de “repérer” les têtes et noms connus dans des rôles très brefs et, parfois, presque muets : Liam Neeson, James Franco, Tom Waits, Brendan Gleeson et d'autres. Ce sont eux, et les silhouettes qu'ils campent, qui vous donneront envie, sitôt le film terminé (sur une image assez énigmatique…), de le revoir aussi vite que possible.

Si vous êtes abonné à Netflix, ne manquez pas La Ballade de Buster Scrugges : vous découvrirez une émeraude cachée dans un océan de merde.



 

vendredi 22 septembre 2023

Quand j'étais parachutiste…

Au détour d'un paragraphe du Johnny blues de Joyce Carol Oates vient d'apparaître très fugitivement un personnage appelé McKeever. Ce nom m'a fait l'effet, immédiat, total, indubitable, d'une bouchée de madeleine imbibée de thé. 

C'est le plus ancien souvenir que j'ai, se rapportant à la télévision : le feuilleton (on ne parlait pas encore de “série”....) qui s'appelait en français Les Hommes volants. D'après ce que m'apprend Dame Ternette, les 76 épisodes en ont été diffusés chez nous entre juin 1961 et septembre 1963 ; ce qui veut dire qu'il est apparu, à quelques semaines près, au moment où mes parents, fraîchement déménagés de Châlons-sur-Marne à Lahr (Allemagne), s'offraient leur premier poste de télévision – de marque Grundig ; ou peut-être Telefunken. 

Ces soixante dernières années, je n'ai jamais oublié les noms des deux instructeurs parachutistes qui étaient les héros du feuilleton : Ted McKeever et Jim Buckley ; ils demeuraient en moi, familiers et lointains comme ceux d'amis que l'on n'a pas eu l'occasion de voir depuis fort longtemps. Pas oublié non plus que mon frère et moi jouions régulièrement aux “hommes volants” : nous nous placions sous la table de salle à manger – utilisée seulement quand “on avait du monde”, les repas des jours ordinaires étant pris dans la cuisine –, laquelle figurait notre avion. Puis, avancés jusqu'à l'extrême bord du tapis, nous donnions à notre imaginaire pilote d'ultimes instructions qui nous étaient à peu près inintelligibles mais que nous répétions avec une scrupuleuse fidélité dans les termes : “deux degrés nord !”, “vire sur l'aile, Bob !”, des choses comme ça. Enfin, quittant le tapis, nous nous élancions à plat ventre sur le parquet, bras écartés et jambes légèrement pliées, comme des paras en plein ciel.

Je n'ai jamais autant sauté en parachute que durant ces années-là. Je crois bien n'en avoir jamais non plus reparlé avec Philippe qui, né en 1960, ne doit probablement avoir conservé aucun souvenir de nos plongées communes dans l'azur figuré de notre salle à manger, ni des gouffres qui s'ouvraient pour nous au bord du tapis effrangé. 

Il ne sait pas ce qu'il perd.

mercredi 20 septembre 2023

Cathares et tarés

Il est tout à fait excellent, ce Bûcher de Montségur que Zoé Oldenbourg a publié au mitan du dernier siècle dans la célèbre collection gallimardesque des Trente journées qui ont fait la France. On y apprend des choses bien intéressantes sur ces braves hérétiques méridionaux, mais deux d'entre elles ont surtout éveillé mon attention.

D'abord le fait que les cathares se refusaient à consommer le moindre aliment d'origine animale ; et ensuite cette particularité de leur religion qui consistait à nier la réalité des sexes.

Les cathares étaient donc des sortes de transgenres végans.

Du coup (locution spécialement dédiée à miss Élodie J…), les bûchers sur lesquels on les a invités fermement à grimper me semblent déjà moins condamnables, même si d'une sévérité quelque peu excessive. 

De toute façon, la nostalgie est hors de saison, tant on imagine mal ce mollasson de pape François appeler à un nouvel empilement de fagots sur les places publiques : n'est pas Innocent III qui veut. 

Et puis, dites : est-on vraiment sûr que tous ces feux purificateurs seraient bons-pour-la-planète ? qu'ils n'iraient pas nous aggraver notre précieux réchauffement climatique ? nous flinguer ce qui reste de biodiversité ? entrer dans le jeu de l'extrême droite ? faire rater les mayonnaises ?

Allez, tant pis : rangeons nos allumettes…



 

dimanche 17 septembre 2023

Le roi est mort, vive le… ah, non, trop tard !


 J'ai longtemps cru que le règne le plus court de l'histoire de France avait été celui de Jean 1er, fils de Louis X dit le Hutin. Lorsque celui-ci meurt, le 5 juin 1316, son unique héritier mâle n'est encore qu'un fœtus de trois mois et demi dans le sein de la reine Clémence, veuve royale toute fraîche. Il va naître le 15 novembre suivant… et mourir quatre jours plus tard. Quatre ou cinq : les historiens médiévistes continuent de s'étriper à ce sujet…

Bref, durant les longues années où mon intérêt pour l'histoire de France est resté presque exclusivement médiéval, il m'a toujours paru évident que nul ne pouvait faire mieux que mon Jean en matière de brièveté régnante. (Précisons que nous évoquons là un âge pré-internétique, où n'existait pas la ressource de demander simplement à Dame Ternette “quel roi de France a régné le moins longtemps ?” pour avoir instantanément la réponse. J'aurais pu demander à Michel Desgranges, mais je n'y ai point songé.)

Évidemment, je me trompais, ignorant alors tout du roi Louis XIX.

Le 2 août 1830, sentant qu'à force de naviguer sur un volcan le char de l'État est en train d'échapper à son contrôle, le roi Charles X signe son acte d'abdication. Se tournant vers son fils, Louis-Antoine de France, il lui demande de contresigner sa royale déballonnade au profit de leur petit-fils et neveu, le charmant Henri d'Artois, plus connu sous son titre de courtoisie de comte de Chambord. 

Refiler la couronne de France, même vacillante, à un marmot de dix ans qui n'en sera même pas reconnaissant ? Louis-Antoine hésite. On peut le comprendre : le couronnement à Reims, la place assurée à la nécropole dionysienne, les chasses giboyeuses, les maîtresses royales… il y a gros à perdre ! Pourtant, l'obéissance filiale – ou la prudence… – l'emporte, et il signe. Exactement, les témoins en firent ensuite foi, vingt minutes après son père.

Vingt minutes : telle est donc la durée du règne de Louis XIX, d'un paraphe à un autre. Si bien que mon pauvre Jean 1er aura tout de même régné 360 fois plus longtemps que lui. 

Pour la comparaison entre les règnes de Louis XIV (72 ans) et Louis XIX (20 mn), je vous laisse faire le calcul vous-même.


dimanche 3 septembre 2023

Croissez et multipliez… mais sans dispersion !

Le blogueur prénommé Denis, qui se trouve être également maire de son village de l'Eure, déclare solennellement, dans son dernier billet, que jamais, lors d'une élection, il ne votera pour un candidat n'ayant pas d'enfant ou… ayant un jour fréquenté les boites échangistes. 

Deux observations : d'abord je vois assez mal le rapport entre le talent politique, les capacités administratives, etc. d'un individu et le fait qu'il ait engendré ou non, que sa femme et lui se livrent ou se soient livrés à des galipettes inter-couples. 

Ensuite, notre bon maire ne semble pas s'apercevoir qu'il réagit exactement de la même façon impulsive, irraisonnée, “viscérale” qu'un homme qui affirmerait ne jamais pouvoir voter pour un pédé ou bien qui refuserait d'embaucher un Arabe dans son entreprise, deux choses qui susciteraient à coup sûr la vertueuse indignation, voire la fureur tonnante du Denis en question. 

Qu'on me comprenne bien : je ne trouve absolument rien de choquant à ce qu'il refuse de voter pour un partouzard sans progéniture… de même que j'accorde volontiers à quiconque le droit de ne pas embaucher d'Arabe ou de refuser son vote à un homosexuel : chacun doit ou devrait être libre en ces domaines. Mais il me semble fort difficile de prôner la première attitude tout en se scandalisant de la seconde : question de cohérence intellectuelle et morale, pour employer les mots-qui-font-joli-dans-la-phrase.

Enfin, si j'étais d'un naturel moqueur, ce qu'à Dieu ne plaise, je ferais peut-être bien remarquer que brandir ainsi la famille et les vertus conjugales comme conditions sine qua non de la respectabilité électorale a comme un léger parfum, suranné mais pas déplaisant, de bigoterie fin de siècle (le XIXe bien entendu) : chassez les ligues de vertu par la porte du garage, elle rentreront un de ces jours par la fenêtre de la mairie.

vendredi 1 septembre 2023

Marilyn et puis Edith


 La première est passée ici au début d'août...

 


… La seconde a suivi de très près.

mardi 29 août 2023

Un grand écrivain américain en voyage


 Pourquoi n'ai-je encore consacré aucun billet à Édith Wharton, l'un des plus remarquables écrivains américains du premier XXe siècle avec Henry James ? Mystère d'autant moins explicable que, sur la douzaine de romans que je possède d'elle, et que je relis en ce moment l'un après l'autre, huit ou neuf au moins sont absolument réussis : il y a des moments où je me déçois beaucoup…

En plus de son œuvre romanesque, Mrs Wharton a aussi écrit et publié son autobiographie, dont le titre français est : Les Chemins parcourus. Parce qu'elle avait beaucoup d'argent et la bougeotte, Edith Wharton n'a guère arrêté, avant sa vieillesse, de sillonner les continents. Parce qu'elle était supérieurement intelligente et cultivée, elle a rencontré, connu, fréquenté, tout ce que les pays qu'elle abordait avaient de mieux à lui offrir en matière de bipèdes des deux sexes. Est-elle en villégiature à Londres ? C'est pour s'entretenir autour d'un déjeuner ou d'un dîner avec Lord Balfour ou Edmund Gosse ou George Meredith ou Thomas Hardy, etc.

Vient-elle habiter quelques années à Paris ? C'est aussitôt tout le monde de Proust qui jaillit d'entre les pages… à l'exception de Proust lui-même, que Mrs Wharton évitera de rencontrer bien qu'elle en proclame le génie. C'est du reste par son truchement qu'Henry James pourra découvrir – et admirer – Du côté de chez Swann peu de temps avant sa mort en 1916. En revanche, elle se liera, à des degrés d'intimité variables, avec Gide, Cocteau, Jacques-Émile Blanche, Paul Bourget, plus une bonne douzaine d'amis plus ou moins proches de Marcel comme Robert d'Humières, Walter Berry, Anna de Noailles ou encore l'inévitable et charmant abbé Mugnier.

Retraverse-t-elle l'Atlantique en direction de son Amérique natale ? C'est pour déjeuner à la Maison blanche en tête à tête avec le tout nouveau président Roosevelt (pas Franklin : Theodore…) Qu'elle retrouvera ensuite dans divers salon ou maisons de campagne d'amis communs.

Mais, surtout, il y a Henry James. Si elle ne contenait que les pages qui lui sont consacrées, l'autobiographie de Mrs Wharton mériterait encore d'être lue. Car pendant plus de dix ans ils vont se voir constamment et partout, aussi bien dans la grande propriété des Wharton dans le Massachusetts qu'à Londres chez James, à Paris ou en Italie lorsqu'ils y voyagent ensemble. Le portrait qui ressort de l'ensemble est à la fois profond, bienveillant, humoristique, s'élevant parfois jusqu'au burlesque : il faut lire la page où Édith Wharton nous montre Henry James, en voiture avec elle à Londres, essayant de demander le chemin de King's Road et multipliant à un point tel les incises, parenthèses, explications inutiles, etc. que le malheureux Londonien qu'ils ont arrêté à la portière ne parvient même pas à deviner ce qu'on attend de lui.

Je parlais plus haut de la résurrection du monde de Proust. Grâce à James (né en 1843), on remonte aussi plus haut. Un “pèlerinage” effectué en commun à Nohant permet à James d'évoquer Flaubert, Goncourt, Tourgueniev, Daudet, autant d'écrivains morts qu'il a connus et fréquentés dans sa jeunesse parisienne.

Tout cela pourrait ne former qu'un genre de “carnet de bal” sans grand intérêt. Seulement, il y a l'acuité du regard d'Édith Wharton, le scalpel de ses jugements, la manière dont elle dégage les ressemblances et les différences entre les diverses sociétés qui l'accueillent, le radar intellectuel et moral qui lui permet de déceler et de mettre au jour les changements qui affectent chacune d'elles, parfois de façon encore imperceptibles pour ceux qui y sont continuellement plongés.

Et puis, il n'y a pas que la vie mondaine ou pérégrine. Étant avant tout écrivain, avant tout romancière, Édith Wharton parle aussi de ses livres et du processus de création tel qu'il lui semble s'élaborer chez elle. Ce qui ramène à son œuvre elle-même, par quoi il est plus important de l'aborder que par cette autobiographie dont je viens de parler et qui, elle, passionnera surtout les whartonophiles déjà convaincus.

Si l'on peut me permettre d'indiquer une “voie d'accès” à l'œuvre en question, je conseillerais d'acquérir le volume “Omnibus” contenant cinq de ses romans, dont au moins trois sont remarquables. 

De toute façon, une petite plongée dans la haute société new-yorkaise du tournant de siècle n'a jamais fait de mal à personne.


mercredi 23 août 2023

Crime d'appropriation culturelle


 Si tout se passe comme il est à craindre, et compte tenu de l'inévitable décalage horaire, la police huronne devrait débarquer ici entre trois et quatre heures demain matin, afin de me clouer nu au poteau de couleur avant de me cribler de flèches : ça m'apprendra à arborer cyniquement les symboles d'une riche et ancestrale culture que les vieux mâles blancs de mon espèce se sont acharnés à asservir.