vendredi 31 janvier 2014

Donnez-moi un bel holocauste pendant que je suis en vie !


Tout homme à peu près sain d'esprit qui se trouve contraint de se rendre dans une ville  (agglomération serait ici mieux indiqué) de plus de dix mille habitants ne peut qu'être saisi par la nostalgie du monde vivable, qu'il n'a pas connu, c'est-à-dire dont la population totale oscillait entre un et deux milliards de têtes. Et, fendant la foule hébétée des trottoirs, ou bien sur le chemin du retour, constatant une fois de plus la lèpre pavillonnaire qui pustule les campagnes, il se prend à rêver, comme à celle d'un messie, à la survenue de Supervirus, ou bien à l'épandage planétaire d'un gaz toxique venu d'une galaxie quelconque, qui supprimerait d'un coup cinq à six milliards d'individus – si possible de manière instantanée, car notre transhumant provisoire ne présente aucune trace de sadisme –, de manière à ce qu'on y voit plus clair ensuite et que les survivants puissent repartir sur des bases saines.

On lui objectera qu'il a de fortes chances de compter parmi les victimes ; il rétorquera qu'il s'en fout. Et même qu'il le souhaiterait plutôt car, branquignole comme il se connait, il sait fort bien qu'il serait dans l'incapacité totale d'assurer sa propre survie, en un monde légèrement désorganisé par la disparition soudaine de quatre sur cinq des personnes qui le maintenaient en vie en lui changeant à heures fixes ses perfusions. Par conséquent, entre une mort instantanée, collective, et une agonie se comptant en semaines voire en mois, l'hésitation ne semble pas de mise.

Lorsque le calvaire se termine et que le voyageur retrouve en fin de journée sa femme, ses chiens, son fauteuil et ses livres, la fièvre retombant il s'avise que ce beau rêve qu'il a fait n'a guère de chances de se produire de son vivant, à moins d'un miraculeux hasard ou d'un coup de pouce divin. Il lui reste la mince consolation de couvrir mentalement d'injures malsonnantes les ravis de la pouponnières qui ne manquent jamais d'exprimer bruyamment leur satisfaction au moindre redressement de la courbe de natalité.

Car, quand une courbe s'inverse enfin, ce n'est jamais la bonne.

jeudi 30 janvier 2014

Billet comme ça


Je n'ai rien de particulier à vous dire, ni même de général. Mais il se trouve que tomber sur la photo d'Elstir bébé à chaque fois que j'ouvre ce blog commence à me concasser sérieusement le muscle cardiaque. Je n'avais guère que deux solutions : soit supprimer le chien, mais ça je l'ai déjà fait une fois et ne tiens pas à recommencer, soit publier n'importe quelle photo et écrire dessous suffisamment de lignes pour que le bouvier miniature aille doucement se rendormir sous la ligne de flottaison. Il reste à trouver quelque chose. Je ne vais tout de même pas m'abaisser à vous parler de la théorie du genre : même un blogueur conserve quelques lambeaux d'amour-propre pour festonner le vide de sa boîte crânienne ! D'abord, je n'ai rien à en dire, je m'en moque comme de l'an quarante, dont d'ailleurs je ne me moque point, puisque c'est en cette grande année, souvenez-vous-en, que le bon Maréchal prit enfin les rênes pour conduire notre cher et vieux pays vers la lumière rédemptrice. Ensuite, je me rends aussi bien compte qu'un autre que, si on se mettait à discourir sérieusement à propos de tous les éclairs de démence qui zèbrent le ciel interne des camarades modernœuds, on deviendrait rapidement aussi zombis qu'ils le sont eux-mêmes.

Oui mais alors, quoi dire ? Que vous raconter ? Que les merles, dont j'avais déploré la disparition il y a quelque temps, sont finalement revenus ? Je sens bien que ça ne vous intéresse que fort modérément… Ai-je le droit de vous informer que, ce matin, dans un accès d'alzheimer précoce mais heureusement passager, Catherine m'a soudain informé qu'elle sortait nourrir le lapin, alors que c'est un hérisson qu'elle engraisse depuis le début de l'hiver ? Ce serait tout à fait discourtois de ma part… Vais-je me mettre à pleurnicher sans vergogne parce que je reprends le travail lundi, après six mois de délicieux farniente, et que cette perspective me réjouit tellement que j'envisagerais presque comme une grâce du Ciel la perte de mon second rognon ? Petit souci de nanti ! me rétorqueriez-vous. Pense aux chômeurs ! aux sans-abri ! aux crève-la-faim ! aux morts-de-soif ! Mais c'est que je ne veux pas, mais pas du tout, penser à ces gens-là, que je ne connais pas et qui, en plus, ont certainement une hygiène douteuse.

Heureusement, je crois que j'ai mon compte de lignes.

Couché, Elstir !

La veille et le lendemain


Fin d'année pour tout le monde : réveillon, piège à cons.

mercredi 29 janvier 2014

Président H. ou la France enguirlandée


François H. a donc arraché les derniers lambeaux du masque socialiste dont il s'était plaisamment affublé afin de se faire élire par le peuple-de-gauche. Ça doit lui faire un bien fou, de pouvoir enfin respirer autrement que derrière le carcan de plastique coloré qui lui collait aux bajoues. Désormais, il peut enfin se montrer pour ce qu'il est : un Sarkozy mou ; un gélatino-libéral. Bien entendu, pour que les gogos continuent de se tenir à peu près tranquilles, il a pensé à décorer son libéralo-gélatinisme de scintillants hochets dits sociétaux : le mariage guignol hier, l'avortement pour tous et la théorie du genre-qui-n'existe-pas aujourd'hui ; et demain, n'en doutons pas, la location libre de ventres maternels et le droit de vote à tous les exotiques en station prolongée : il faut bien occuper les gosses le mercredi pendant que les parents travaillent ou prennent la file à Pôle Emploi. Au fond, le gélatinisme est au sarkozysme ce que le sapin de Noël est au sapin : il est beaucoup plus joli parce qu'il brille, mais ça reste un sapin ; et comme on lui a scié le tronc pour le mettre en pot, il ne tarde pas à paumer ses aiguilles. Le gélatinisme, c'est du sarkozysme avec les boules.

mardi 28 janvier 2014

Du second degré, vous croyez ?


Les caricaturistes ont des cheveux à se faire, maintenant que les hommes politiques semblent décidés à prendre en charge eux-mêmes leur propre caricature. Relayé avec un sérieux imperturbable par un blogueur, généralement fort peu embarrassé par son sens de l'humour et de la dérision, je découvre le programme électoral de l'inénarrable Christophe Girard, que les habitants du quatrième arrondissement de Paris vont devoir se coltiner comme édile à compter de mars prochain – mais c'est bien fait pour eux, c'est rien que des bobos écolo-socialistes.  Cet ébouriffé modernœud va donc s'engager et se battre

pour un 4e innovant, rassembleur et citoyen.

Comme il n'y a pas lieu de soupçonner M. Girard d'être aussi grammaticalement défavorisé qu'un blogueur de base, et encore moins aussi niais que le gros de ses électeurs, on imagine avec plaisir la franche rigolade qui a dû présider à l'élaboration de ce slogan, précipité parfait du progressisme à la parisienne. On se prend à rêver d'être caché sous la table du brain storming, au moment où jaillit la source pure. Après un assez long silence bourdonnant de respect informulable, le naïf du groupe : « Euh… je vais sans doute dire une connerie mais… c'est quoi, un arrondissement innovant, au juste ? Je demande ça parce qu'on va sûrement me poser la question, dans ma rue… » Après avoir levé les yeux vers les moulures, les autres lui expliquent que c'est un arrondissement qui, contrairement aux autres, confortablement assoupis dans leurs trois ou quatre pâtés de maisons, va se mettre à bouger, à déborder subrepticement sur le premier ou dégouliner vers le cinquième, remplacer ses lampadaires par des cracheurs de feu participatifs, instaurer une taxe sur les chaussures trop bien cirées, des choses dans ce genre-là.

« Ah, ouais, d'accord ! Comme ça, je vois mieux, en effet… Et pour le côté rassembleur, on dit quoi ? » Nouveau regard braqué vers le plafond à caissons, puis un futur conseiller arrondi explique que la totalité des habitants, toutes les nuits séparant le samedi du dimanche, seront regroupés dans l'île Saint-Louis, afin d'apprendre à mieux se connaître et vivre ensemble – des orchestres et des spectacles de rue seront bien entendu mis en place, ainsi que des points de location de rollers.

« Génial ! postillonne le naïf, en refusant d'un geste bref le joint qui circule depuis le début du storming. Il faut sortir les gens de leur isolement morose, oui ! leur rendre le sens de la fête…
– … et de l'équilibre, à cause des rollers », ajoute la forte tête, que nous sommes quelques-uns à soupçonner de sympathies droitières refoulées. Le naïf ne se laisse pas désarçonner : « Bon, et pour “citoyen”, c'est quoi la ligne ? »

Un silence se fait ; les brains passent en mode surchauffe, mais rien ne vient. Heureusement, le futur maire arrondi sauve la situation, au moment crucial où de légères fumeroles commencent à poindre des calvities : « Citoyen n'est là que pour respecter le rythme ternaire, car tout n'est pas à rejeter de l'ancien monde ni des manières passéistes de s'exprimer ! C'est une façon de fermer les guillemets, on va dire. »

On se lève et se sépare ; avant de quitter la salle, le naïf fait disparaître le contenu des cendriers.

lundi 27 janvier 2014

Le péril jaune de Paul Valéry


Je me moquais un peu, hier, dans ma petite recension publiée par le Salon littéraire, des saugrenues tentatives de divination politique auxquelles se livraient Chardonne et Morand, au fil de leur correspondance. Là-dessus, reprenant Les Mémorables de Martin du Gard, je tombe (p. 565) sur cette phrase que Paul Valéry prononce devant l'auteur en juin 1927 :

« Le péril jaune, pour nous résumer, consiste en ceci : des chaussettes de soie et la douzaine de chemises pour cinquante centimes. Nos manufacturiers n'auront plus qu'à se tuer. »

Comment inventer la mondialisation en trois mots. Ce que Valéry ne pouvait deviner, c'est que le simple emploi de cette expression alors courante, péril jaune, suffirait, moins d'un siècle plus tard, à le ranger dans la catégorie des immondes racialistes ; et, donc, à faire de lui l'un des responsables du colonialisme, des chambres à gaz futures, de l'esclavage passé, etc. Il s'en serait, le pauvre, retourné dans sa concession du cimetière marin, qu'il n'occupait pas encore.

dimanche 26 janvier 2014

Morand et Chardonne : missives, mi-raisin


C’est Fasolt et Fafner qui, au lieu de se massacrer sottement, auraient compris tout l’intérêt de s’entendre, afin de mieux protéger l’Anneau de la convoitise des jeunes malappris, ces Siegfried costumés en Hussards, et d’en conserver l’usufruit. La Correspondance Morand – Chardonne, c’est d’abord cela : une arme de guerre stratégique pour s’extraire des faux déshonneurs de l’après-guerre et, prenant comme levier la jeune garde – Nimier, Frank, Nourrissier, Déon… –, revenir au premier rang des écrivains de France. Pour cela, l’union sacrée est nécessaire, on la voit se mettre en place pour ensuite ne jamais faiblir.
 
La tactique est bonne, elle porte ses fruits : les deux rescapés vont publier de nouveau – Morand davantage que Chardonne –, glisser le pied dans la porte des journaux, enfoncer celle des revues ; organiser leurs résurrections conjointes. Mais la bataille ne fait pas perdre la tête aux combattants, qui, presque dès le début de l’échange, comprennent qu’ils sont aussi en train de bâtir une œuvre nouvelle, un inédit à deux voix. Et quelles voix ! […]

La suite est par là…

vendredi 24 janvier 2014

Jeux de miroirs


Parvenu pratiquement à la millième page de cette Correspondance, on se demande comment il peut se faire qu'aucune ligue de vertu modernœuse n'ait encore appelé à pratiquer un gigantesque auto-da-fé dans lequel en seraient jetés tous les exemplaires. L'antisémitisme du M'Bala M'Bala, à côté de celui de Morand, c'est de la bluette enfantine ! Et s'il n'y avait que cela…

« La démocratie, souhaitable en soi, est faite pour les pays protestants, avec leur civisme et leur conscience. Dès qu'elle s'étend aux Latins et autres nègres, elle devient une caricature, puis elle débouche aussi naturellement dans le communisme qu'un fleuve dans la mer ; pente fatale. C'est Balzac qui me l'a appris, il y a bien des années. »
Paul Morand, lettre à Jacques Chardonne du 13 juillet 1960.

« Vous ne divaguez pas. Tous les écrivains sont à gauche. C'est qu'ils ont besoin de la foule ; ils veulent un bel enterrement, du monde. Et puis, la droite, c'est trop subtil. Ce qui est clair, c'est la révolte. En fait, les fascistes étaient à l'extrême gauche, presque communistes. Ce qui a perdu les nôtres, c'est que, sous une occupation de l'ennemi, le fascisme est ridicule. C'est le moment où il faut rester tranquille, comme font les Allemands. »
Jacques Chardonne, lettre à Paul Morand du 21 juillet 1960.

Je te passerais tout ça au lance-flamme, moi… On pourrait même rouvrir leurs deux caveaux pour les purifier à la chaux vive, façons Sans-Culottes de 1792 en la basilique Saint-Denis. On vit vraiment une époque de mini-burnés, c'est désolant.

jeudi 23 janvier 2014

Les Mémorables de Martin du Gard

Anna de Noailles, 1876 – 1933

Pour qui s'intéresse aux écrivains de l'entre-deux guerres, la lecture des Mémorables de Maurice Martin du Gard me paraît indispensable. On y entend véritablement la voix de ces hommes et de ces femmes (beaucoup plus d'homme que de femmes, tout de même…), on est réellement en leur présence. On me dira que, n'ayant jamais rencontré aucun d'eux, je peux difficilement savoir si les propos, attitudes, etc., que rapporte du Gard sont bien les leurs. Je dispose néanmoins d'un “test” qui me semble probant, et c'est la personne de Paul Léautaud, que l'auteur rencontre à plusieurs occasions : il s'y montre exactement semblable à ce qu'il est dans son Journal littéraire, ou encore à la radio, lors des entretiens avec Robert Mallet ; il se ressemble parfaitement ; on peut donc supposer que les autres portraits sont exacts eux aussi. La façon dont du Gard les fait apparaître, se mouvoir, parler, réagir est si vivante que, bientôt, après une ou deux centaines de pages, on se surprend à tisser des liens réels avec eux ; à se dire qu'on aimerait beaucoup déjeuner avec Valery Larbaud ou passer une soirée avec Léon-Paul Fargue, prendre le train pour Charmes dans le wagon de Maurice Barrès, mais qu'on se garderait bien de fréquenter Anna de Noailles ou Drieu La Rochelle, vraiment trop poseurs

Me sidère aussi la capacité de l'auteur à restituer après coup toute l'atmosphère d'une conversation à bâtons rompus, en en respectant la construction, les enchaînements, les coq-à-l'âne, etc. Dans sa préface, François Nourrissier explique qu'il se dépêchait de tout noter dès la fin d'une visite ou d'un entretien. Il prétend aussi qu'il lui arrive parfois de “synthétiser” deux ou trois rencontres en une seule. C'est possible. Il reste que le résultat est tout de même très brillant, totalement vrai. Et l'on pardonne volontiers à Martin du Gard sa propension à une certaine préciosité de la langue, la tendance qu'il a à faire joli, à se regarder écrire avec une certaine satisfaction de soi-même : petits péchés véniels au regard des irremplaçables qualités de son témoignage.

mercredi 22 janvier 2014

Un mari qui ne trompe pas sa femme n'est pas un homme

De la princesse Hélène Soutzo (1879 – 1975) : « Un mari qui ne trompe pas sa femme n'est pas un homme. » On aurait tort, je crois, de ne voir dans cette déclaration qu'une “provocation”, comme on aime à dire à notre époque, notion qui devait lui être parfaitement étrangère. La princesse fut abondamment “trompée” — au sens que le théâtre bourgeois a donné à ce verbe, repris intégralement par le vocabulaire modernœud – par son époux, Paul Morand (de neuf ans plus jeune qu'elle). Elle était une femme supérieure. Proust ne s'y était pas trompé, qui tomba amoureux d'elle, autant que Proust pouvait tomber amoureux d'une femme. À ce titre, elle passerait, en notre époque mollassonne et maternante, pour une femme dure : le fait qu'elle n'ait jamais eu d'enfant et n'ait jamais souhaité en avoir plaiderait en sa défaveur, en notre âge où nos femmes sont fières de se résumer à leurs ovaires («Notre ventre est à nous ! ») ; qu'elle ait eu de larges faiblesses pour le régime hitlérien et n'ait jamais cessé d'être antisémite suffirait à l'enfouir sous des tonnes de lisier malodorant. C'était néanmoins une femme d'exception, et la phrase par quoi nous avons commencé le prouve. Les femmes intelligentes de cette époque savaient ce qu'était un homme : elles ne l'estimaient pas forcément pour cela, mais elles tenaient compte. Vivre avec Paul Morand impliquait de le voir planter sa queue un peu n'importe où, ce dont lui-même (voir le Journal inutile) ne semble pas particulièrement fier.

Les femmes d'aujourd'hui se trompent, à propos des hommes, le monde marche contre elles, elles en sortiront perdantes – comme d'habitude. Madame Belkacem aura beau s'agiter et produire des lois comme une araignée sa toile, c'est toujours la princesse Soutzo qui aura raison. Les hommes resteront ce qu'ils sont, et les femmes aussi.

Et, Mesdames, soyez assurées de ceci : même s'ils vous aiment, et surtout s'ils vous aiment, vos maris continueront à vous “tromper”, vous pouvez en être assurées.

mardi 21 janvier 2014

Salle d'attente


Hôpital d'Évreux, en compagnie de Chardonne et Morand j'attends Catherine dans la salle d'attente de stomatologie ; salle qui n'est guère plus qu'un renflement de l'espace où défilent patients, médecins, infirmières, brancardiers : un abcès de couloir. Cet abcès donne sur un autre, plus grand, où sont assis les malades d'un autre service. C'est de là que, soudain, me parvient une sorte de litanie confuse. En me penchant un peu sur la droite, je vois qu'elle émane d'un très vieil homme allongé sur un brancard, les jambes protégées par une couverture dont il essaie maladroitement de se défaire, sans doute pour descendre de son perchoir. Comme son ton va rapidement crescendo, je comprends maintenant ce qu'il répète en boucle : « Je n'ai rien… je n'ai rien… rien du tout… je n'ai rien… rien du tout… », au moins une trentaine de fois, à voix de plus en plus haute. Personne ne semblant se soucier de ses protestations, il change brusquement de discours, au mépris de toute logique : « Je vais crever… je vais crever… laissez-moi crever… je vais crever…». Cette fois, il balance tellement de décibels qu'une infirmière vient à lui pour tenter de le calmer ; elle y parvient, mais en parlant à peu près aussi fort que lui. Enfin, deux brancardiers arrivent et l'emmènent vers la salle de consultation. À ce moment, nouvelle antienne, sur un mode pitoyable cette fois : « Ma femme… Où est ma femme ? Ma petite femme… ma petite femme… » Il disparaît de ma vue, suivi par une très vieille dame aux cheveux permanentés, qui oscille d'une jambe sur l'autre et, de son mouchoir de sac, s'essuie furtivement les yeux.

lundi 20 janvier 2014

Un peu moins d'attrait à ce monde

Claudio Abbado, 26 juin 1933 – 20 janvier 2014

Deuxième symphonie de Gustav Mahler, festival de Lucerne, 19 août 2003.

dimanche 19 janvier 2014

On ne sèmera pas Morand aussi facilement


Mo Yan – voir le billet précédent – peut commencer à se faire quelques cheveux blancs : Paul Morand semble disposé à prendre ses aises et peu enclin à tolérer le moindre rival – surtout étranger. Non seulement j'accorde de moins en moins de temps chaque jour au Chinois pour en passer davantage aux échanges du second avec Chardonne, mais ce cancer-là commence à pousser ses métastases. Déjà, à peine dépassée la quatre-centième page, je commence à ressentir le manque qui va me saisir lorsque, volume terminé de cette Correspondance, il me faudra attendre le bon vouloir de la maison Gallimard pour me plonger dans les deux suivants. C'est pourquoi, tout naturellement, je me suis dit que reparcourir les presque deux mille pages du Journal inutile pourrait me faire un certain bien, comme la méthadone à l'héroïnomane en descente de schnouf. Or, ce n'est pas tout.

Avant-hier, alors que nous téléconversions, Michel Desgranges me dit que sa propre lecture des lettres de Morand/Chardonne lui avait donné envie de faire venir à lui Les Mémorables de Maurice Martin du Gard. Ce Martin du Gard-là, cousin de l'autre, a fondé les Nouvelles littéraires et les a dirigées tout au long des années vingt et trente. À ce titre, il a fort bien connu, et beaucoup écouté, tout ce que la France a produit d'écrivains à ce moment-là.

J'ai vivement encouragé Michel Desgranges dans cette idée qu'il avait, car ce n'est pas si souvent que nous venons à parler d'un livre que j'ai lu et pas lui ; en général c'est plutôt l'inverse. J'ai donc plastronné un peu tout à mon aise. Ce faisant, je me suis en quelque sorte auto-inoculé mon enthousiasme, et il m'a paru que je ne pourrais pas me dispenser de relire Martin du Gard – ce qui est encore une façon de ne pas quitter Morand. De toute façon, le quitter ne puis, dans la mesure où, d'un jour à l'autre, vont m'arriver ses nouvelles, réunies dans un volume de la Pléiade : si je ne veux pas me donner à moi-même l'impression pénible de jeter l'argent du ménage par la fenêtre, il faudra bien que j'en lise une petite dizaine, au bas mot, pour rentabiliser le volume, si je puis dire.

Pendant ce temps, dans son petit coin de salon, Mo Yan se fait tout petit ; mais c'est pour mieux préparer sa vengeance contre le volage que je suis. Car les Chinois demeurent fourbes et cruels, même après avoir été dûment nobélisés.

samedi 18 janvier 2014

Beaux seins, belles fesses : demandez le programme !


Il y a tout de même, dans les romans lointains, y compris lorsqu'ils sont contemporains, une certaine étrangeté exotique, qui forme comme un écran translucide entre le lecteur occidental et lui ; ou encore une sorte de lunette éloignante, qui fait que l'on ne peut jamais avoir cette sensation de se trouver soi-même au cœur du livre : en dépit de tout l'intérêt que l'on peut prendre à sa lecture, de l'empathie qui naît envers les personnages, quoi qu'on fasse on restera spectateur ; et avec cette sensation un peu frustrante que l'essentiel est probablement en train de nous échapper. Petite réflexion que je me faisais, hier, alors que j'arrivais au terme des cent premières pages (sur presque neuf cents…) de Beaux seins, belles fesses (mais oui !), roman du Chinois Mo Yan, prix Nobel de littérature en 2012, œuvre que je qualifierais volontiers de “picaresque”, si je ne craignais de me risquer sur les mots compliqués, hasardeux et un peu fourre-tout. Cette sensation d'éloignement par rapport au roman aurait d'ailleurs été tout aussi présente s'il avait été philippin, nigérian ou esquimau (mais y a-t-il des romans esquimaux ?) ; curieusement, je ne l'ai jamais éprouvée envers ceux venant d'Amérique latine, il serait sans doute bon de se demander pourquoi ; peut-être parce que les Sud-Américains sont restés, au moins en partie, des Européens transplantés, je ne sais.

Pour revenir à Mo Yan, dont le nom de plume, me dit Wikimachin, signifie “celui qui ne parle pas”, en quoi il a bien raison, il serait né le 17 février 1955 ou bien en mars 1956 : je trouve assez étrange cet écart d'une année, surtout mis en regard de la précision de la première date proposée (mais que de “de”, mais que de “de” !). Fort de ce flou, j'ai décidé unilatéralement que Guan Moye (son vrai nom) serait désormais né en mars 1956, et même le 19, de façon à être mon exact contemporain en ce monde. J'espère qu'il aura le bon goût, s'il l'apprend, de s'en montrer flatté.

vendredi 17 janvier 2014

Le charme discret des conventions obsèques


Ce fut notre occupation de la matinée. Probablement victime de la mauvaise influence de mon père, Catherine avait décidé que nous devions nous soucier dès maintenant de nos morts respectives, sans embarrasser quiconque, le moment venu, de nos deux passages de vie à trépas. 

Le jeune homme de l'agence ante mortem était charmant et compétent, et non dénué d'humour, ce qui l'a probablement un peu aidé dans son contact avec nous. (La postière venant remettre le courrier a eu l'air un peu surpris, pénétrant dans l'échoppe, de nous trouver tous les trois en plein esclaffement…) Après avoir pris les divers renseignements dont il avait besoin pour que la fête fût conforme à nos souhaits, il s'est mis à nous détailler la chance que nous avions de souscrire à un si mirifique contrat et les avantages que nous ne tarderions pas à en retirer, pour peu que le hasard s'en mêlât. Le moindre n'était pas le fait que, si nous options pour le paiement étalé sur vingt ans, l'assurance comprise dans le forfait se chargeait de régler les mensualités restantes en cas de calanchage prématuré. « Notre intérêt bien compris serait donc de mourir le plus rapidement possible après signature ? », me suis-je enquis, craignant d'avoir mal compris. Il n'a fait aucune difficulté pour l'admettre. De même m'a-t-il confirmé – je me posais la question depuis un moment – qu'il était tout à fait possible d'être inhumé dans un simple linceul, façon médiévale, et non ridiculement costardé et cravaté comme c'est désormais l'usage. Nous avons également appris que, contrairement à ce que nous pensions, il était toujours permis de disperser les cendres du défunt dans une forêt, la mer, etc., mais qu'il était en revanche interdit de partager ces mêmes cendres entre plusieurs personnes : démence légère du législateur.

Tout cela a été promptement réglé, à la complète satisfaction des deux parties, et nous sommes, les deux futurs morts prélogés, ressortis de ce bar à bières sans comptoir de fort bonne inhumeur.

jeudi 16 janvier 2014

Les klaxons aphones de Karachi


S'il est une évocation qui, durant des mois et des années, a suffi à congestionner les pénis des journalistes et blogueurs de gauche, plus généralement de tous les antisarkozystes pathologiques, c'est bien celle de Julie Gayet l'affaire Karachi. On allait voir ce qu'on allait voir : les juges capes au vent et juchés sur Tornado allaient promptement enfermer l'ex-président dans un sac en toile goudronnée et le précipiter sous les acclamations du e-peuple du haut de la roche tarpéienne ; laquelle, nul Toulousain ne l'ignore, se situe à deux stations de métro du Capitole. Je ne reviendrai pas sur ce mic-mac exotique lui-même : ne m'y étant jamais intéressé une seconde, je serais incapable de dire de quoi il peut bien retourner.

En revanche, ce qui m'a fait dresser une oreille curieuse, hier et avant-hier, c'est l'annonce que ces mêmes juges, que l'on avait appelés sans relâche à la plus grande sévérité, venaient de blanchir totalement Nicolas Sarkozy dans cet imbroglio karachien. Je courbais déjà les épaules, pressentant une déferlante tsunamique de billets chez mes amis progresseux… et puis non, rien ; pas un mot, pas un bruit, on se serait cru dans la bulle de Suzanne : un silence comme seule la blogosphère est capable d'en produire un, lorsque le réel la froisse et qu'elle décide tout uniment d'aller s'indigner plus loin. Un silence que seuls troublaient un peu, si l'on tendait bien le pavillon, les chuchotis d'un micro-président, accroché à sa tribunette, et qu'on aurait dit enfoncé jusqu'aux rotules dans la moquette élyséenne. 

Dans les atlas, autour des globes et sur les mappemondes, Karachi et ses klaxons aphones venaient de disparaître.

mercredi 15 janvier 2014

Les blancs paieront, mais personne ne s'enrichira

J.M. Coetzee, né en 1940, prix Nobel de littérature 2003.

Parvenu aux alentours de la soixante-dixième page, on se dit qu'on se trouve devant une sorte de Philip Roth que le hasard aurait fait naître en Afrique du Sud : un universitaire vieillissant, une étudiante complaisante, une aventure, un scandale sexuel, une mise en accusation du “suborneur” ; pas de doute, les ingrédients y sont. C'est au moment où, démissionnaire, David Lurie part rejoindre sa fille unique, Lucy, dans sa petite ferme du Cap-Oriental que Disgrâce, le roman de J.M. Coetzee, prend soudain toute son originalité et toute sa profondeur. D'un coup, le destin récent de l'Afrique du Sud, de l'Afrique du Sud “post-apartheid”, fait irruption dans le livre, l'Histoire envahit l'histoire pour lui donner son sens. La grande force du roman est que Coetzee ne cesse jamais de braquer son projecteur sur les quatre ou cinq personnes – blanches et noires, mais, si l'on me passe l'approximation, aucune n'est toute blanche ou toute noire dans l'ordre du romanesque – qui occupent la scène ; et que c'est à travers eux que les convulsions de tout un pays vont apparaître, la rapacité tranquille et assurée d'elle-même des uns, la mauvaise conscience paralysante des autres, les tressaillements de désir, d'envie, de haine, d'incompréhension et d'élans du cœur qui jettent les personnages les uns contre les autres, les blessures qu'ils s'infligent, mutuellement ou à eux-mêmes. Il faudrait aussi tenter de parler du contrepoint étrange fourni par l'opéra que David Lurie, en rupture d'université, tente de composer, en se fondant sur le dernier amour de Byron pour sa comtesse italienne, Teresa Guiccioli, et du thème non moins étrange et macabre des chiens euthanasiés que le professeur déchu se charge de transporter et de brûler lui-même à l'incinérateur municipal. Déchu, David Lurie l'est en effet, et c'est une déchéance qu'il accepte comme une fatalité, voire une fatalité méritée : de mâle dominant qu'il était, il renonce à ces deux privilèges pour devenir à son tour une sorte de boy confiné aux tâches les plus basses ; de même Lucy, sa fille lesbienne, décidera (mais décide-t-elle réellement ? A-t-elle encore le choix, ce choix-là ?) de garder l'enfant que lui a fait l'un de ses trois violeurs noirs. Tout fait sens, le moindre geste, celui qu'on fait ou qu'on ne fait pas, chacun est englué dans une histoire collective qui a cessé de l'être, qui ne l'a peut-être jamais été. « Qu'est-ce que j'étais censé apprendre ? demande à un moment Lurie au petit ami de Mélanie, l'étudiante qu'il a naguère séduite. – À rester avec ceux de votre espèce », lui répond le jeune homme, dont on ne saura pas s'il est blanc ou noir ou métis : cela n'a déjà plus d'importance. Les jeux sont faits, la disgrâce est tombée.

mardi 14 janvier 2014

Souvenir de la maison des morts : la bibliothèque d'Orléans

La bibliothèque, alors installée dans l'ancien palais épiscopal

La nouvelle merdathèque…
Longtemps j'ai fréquenté la bibliothèque d'Orléans. C'était dans mon jeune âge et les années soixante-dix. On y venait par une rue descendant de la cathédrale, on pénétrait dans la cour en passant sous un porche de pierre et l'on entrait dans le bâtiment par la porte que l'on voit sur la photo ; ensuite, on gravissait l'escalier en majesté et l'on poussait la porte. Plutôt, non : l'eût-on simplement poussée que cela n'aurait servi à rien, car c'était une porte à l'ancienne, faire de panneaux de bois plein, nantie de gonds et d'une poignée de cuivre. Donc, il convenait de tourner cette poignée avant d'ouvrir la porte.

On pénétrait directement dans la profonde salle de lecture, à l'une de ses extrémités. On n'y entendait pas une parole, même les après-midi d'affluence, ce qui ne signifie pas qu'y régnait le silence : le vieux parquet, qui sans doute avait dû voir glisser maint prélat, craquait abominablement. C'était d'ailleurs un signe de reconnaissance tacite entre authentiques habitués, que d'être capable, à force de poser le pied à certains endroits plutôt qu'à d'autres, et avec une pression de la semelle mesurée au plus juste, de le faire seulement gémir plutôt que crier.

Sans que quiconque ait levé la tête à son entrée, on traversait la salle dans sa largeur afin de pénétrer, à droite, dans une pièce de moindres dimensions, et à peu près carrée, entièrement occupée par les fichiers, bataillon serré de tiroirs longs et étroits, à l'intérieur desquels chaque livre proposé avait sa petite fiche, soit tapée à la machine, soit parfois écrite à la main : suivant que le bristol étincelait où se recroquevillait dans les jaunes, on pouvait deviner, mais avec beaucoup d'approximation, l'ancienneté du locataire. Sur le dessus boisé des tiroirs groupés en meubles rectangulaires étaient disposées d'autres fiches, de simple papier et à remplir par l'emprunteur, celles-là ; et aussi des stylos-billes asservis à leurs socles individuels par de petites chaînes perlées, comme on en trouve encore parfois dans les bureaux de poste.

On passait là un long moment, à naviguer d'un tiroir à l'autre afin d'y trouver les objets de sa convoitise du jour, ainsi qu'à reporter sur sa feuille préremplie les références des livres élus et à lire. Ensuite, il convenait de revenir dans la grande salle, de déposer sa requête sur la petite table installée sous l'une des hautes fenêtres donnant sur le jardin, puis de s'armer de patience. Un employé toujours vêtu d'une blouse bleue venait prendre votre fiche, y jetait un regard presque soupçonneux, puis, tournant les talons, remontait toute la salle de lecture, en longeant par la droite les rangées de tables perpendiculaires, avant de disparaître par l'une des deux grandes portes du fond. 

C'est là que la patience commençait de jouer son rôle. Dans cet ancien palais épiscopal, pour aller chercher les trois ou quatre livres dont vous aviez par écrit exprimé le désir de les lire, il fallait à ces hommes monter des escaliers, emprunter des couloirs, pousser des portes à demi dérobées, bifurquer ici, tourner là, gravir ce petit escalier à peine décelable dans sa pénombre séculaire, et cela pour chaque volume de votre commande. Cela prenait généralement… un certain temps, comme le fût du canon pour refroidir. Bien heureux encore étions-nous, si l'homme des cavernes profondes ne revenait pas les mains vides, la totalité des livres que nous souhaitions étant ce jour-là déjà de sortie. Il fallait alors retourner dans la salle des fichiers et reprendre la danse da capo : tout cela pouvait prendre la moitié de l'après-midi. La récompense était la demi-heure de bus pour s'en retourner chez soi, que l'on mettait à profit pour caresser, ouvrir, humer, frôler ces œuvres encore inconnues mais qui, on n'en doutait jamais, allaient bouleverser notre existence pour toutes les éternités que l'on avait devant soi.

*****

Afin de quitter ces poussières et nous ramener dans notre présent radieux, voici un très court extrait d'un livre non encore paru, mais dont j'espère qu'il trouvera bientôt un éditeur :

« En quoi le métier de bibliothécaire se distingue-t-il aujourd'hui d'un autre métier en milieu informatisé ? En rien, à vrai dire. Le bibliothécaire fait comme tout le monde : il allume son unité centrale, puis il tape sur un clavier et manipule sa “souris”. Il clique. Il navigue. Il googlise. Il imprime. Il crée des documents. Il ouvre des documents. Il enregistre des documents. Il remplit des tableaux. Il remplit des cases. Il remplit des champs. Il remplit des bons de commande. Il envoie des messages. Il lit des messages. Il fait suivre des messages. Il joint des pdf. Il nettoie sa messagerie. Il appelle la Cellule informatique. Il attend. Il saisit des données. Il modifie des données. Il entre des codes. Il génère des rapports. Il attend. Il fusionne des rapports. Il attend. Il comptabilise. Il compare. Il valide, puis il éteint son unité centrale. »

Rude journée…

Révolution inouïe en Hollandie


Cette fois, la solution à tous les problèmes de la France est bel et bien là, et on se demande comment et pourquoi nul n'y avait pensé auparavant. Il y a cinq minutes, le président de la République, un certain François Gayet, a annoncé qu'allait être créé un

Observatoire des contreparties

Saisi d'admiration devant une si grandiose initiative, j'ai aussitôt cessé d'écouter M. Gayet.

J'ai peut-être eu tort.

Ah, que vienne la soirée du 22 janvier !


La consultation des programmes à venir de la télévision réserve souvent de plus grands plaisirs que la télévision elle-même. C'est le cas cette semaine, si vous feuilletez négligemment le magazine idoine qui vient de tomber dans votre boîte aux lettres, et que vous arrivez aux pages concernant la journée du 22 janvier. Pour meubler votre soirée en vous évitant d'avoir recours à de quelconques drogues plus ou moins illicites, la chaîne OCS Choc vous propose deux films qui doivent être, d'après leur bref résumé, à forte concentration hallucinogène. Le premier :

Dans une station de ski fréquentée par des étudiants, une avalanche réveille un requin préhistorique.

Je savais bien entendu, comme tout le monde, que les stations de ski abritaient des requins préhistorique ; j'ignorais en revanche qu'il en existât certaines réservées aux étudiants. Le second film :

L'équipe d'un film pornographique est décimée par un alien logé dans le pénis d'un acteur.

Une militante féministe extrême nous expliquerait sans doute qu'un pénis est en soi un alien décimator, mais on ne va pas se lancer dans ce genre de polémique sous un si beau soleil hivernal. Les deux chefs-d'œuvre s'appellent respectivement Avalanche Sharks : les dents de la neige et One eyed monster : je trouve personnellement le second tout à fait irrésistible. Pour les insomniaques qui n'en auraient pas tout à fait assez, la chaîne a pensé à eux et les emmènera en douceur jusqu'à cinq heures du matin, avec d'abord Sheitan, ridicule film français réalisé par un ridicule Kim Shapiron (la loi devrait interdire à quiconque de pouvoir s'appeler impunément Kim Shapiron), interprété notamment par un hautement ridicule Vincent Cassel. Ensuite, une Claustrophobia qui débouchera sur un Calvaire.

Je conseillerais aux amateurs de prévoir un bac de chips et un tonneau de bière : la nuit du 22 janvier sera longue.

dimanche 12 janvier 2014

Qui est progressiste ? Et qui réactionnaire ?


A priori, cette double question ne mérite même pas trois lignes dans un blog : est progressiste toute personne se situant à gauche d'un centre imaginaire, réactionnaire celle qui a pris place à droite de la ligne de démarcation. Mais qu'en est-il dans les faits ?

Si l'on en juge d'après les “luttes” qui prétendent se mener aujourd'hui, en ce moment même peut-être, les “combattants” n'ont guère qu'un seul slogan, qu'il s'agisse de la question des retraites, de la réforme de l'État, de celle des territoires, du statut des fonctionnaires, de la question sociale, des licenciements massifs, du traitement du chômage, de l'Éduc' nat', etc. : il faut préserver les avantages acquis. Ce qui, on en conviendra je pense, n'est pas d'un progressisme bien virulent. On peut être totalement tendu vers l'avenir, ainsi qu'ils aiment à se peindre, tout en s'arcboutant sur un présent en train de virer au passé.

Sur toutes questions relevant plus ou moins de la science, c'est encore pis. L'idéal progressiste consiste à mettre un terme à l'énergie nucléaire et à ne surtout engager aucune recherche sur le gaz de schiste, au profit de moulins post-modernes qui, non contents de ne produire que fort peu d'énergie, sont en outre incapables de transformer le moindre grain de blé en farine. Cela au nom des bougies qu'ils ont allumées devant leur nouvelle icône, le principe de précaution – qui est le nouveau nom de l'obscurantisme. Qui est “pour” l'énergie nucléaire et la recherche massive à propos des gaz en question ? Moi, le vilipendé réactionnaire.

Il en va de même pour les fameux OGM, qui n'ont jamais, en plus de 20 ans de culture intensive, causé le moindre décès, mais dont nos progressistes détournent leurs regards avec force indignation. Ne parlons même pas des biotechnologies lorsqu'elles concernent l'homme… Qui est “pour” les OGM et l'exploration systématique des ressources que la génétique laisse entrevoir ? Moi.

On atteint au plus pur comique lorsque l'on voit les troupes progressistes se mobiliser pour empêcher les commerces d'ouvrir le dimanche, ce qui revient, in fine, à défendre le Jour du Seigneur et son repos sacré.

Sauvegarde des avantages acquis, application aveugle du principe de précaution (grâce auquel nos  très lointains ancêtres se seraient soigneusement gardés de domestiquer le feu, car c'est quand même un truc vachement dangereux) : si c'est cela, être progressiste, et en effet ce l'est, je ne suis pas près de cesser de me vautrer dans le réactionnariat, je vous le dis.

samedi 11 janvier 2014

Le jour où le Nouvel Observateur s'est déshonoré


Comme diraient mes amis blogueurs hollandolâtres, lorsque, par hasard, l'actuel gouvernement tient l'une ou l'autre de ses promesses idiotes :

Ça, c'est fait !

vendredi 10 janvier 2014

2014 commence très bien


Jeudi 9 janvier 2014 : rétablissement officiel de la censure préventive.

Une société qui ne supporte plus les voix discordantes, ni même les imbéciles patentés qu'elle sécrète ; une société qui n'est plus capable de “digérer” ses virus, de les combattre par ses défenses immunitaires naturelles, est une société malade. L'un des symptômes de l'infection – on l'a vu en URSS et dans ses pays satellites, on le voit encore dans tous les régimes bananiers de la planète – est que ses dirigeants se mettent alors à invoquer la “République”, la “démocratie”, la “liberté”, à tous bouts de champ et hors de propos ; comme un malfrat qui tenterait de dissimuler derrière son dos le gros bâton qu'il vient tout juste de ressortir du placard à sévices. 

Pendant que la saynète se déploie, les valets de cour, hilares de satisfaction, applaudissent à s'en écorcher les paumes.

jeudi 9 janvier 2014

Buzz l'Éclair s'éloigne rapidement

Christian de Duve, 1917 – 2013, Prix Nobel de médecine en 1974

J'ai eu un léger sursaut en découvrant le titre du livre de Christian de Duve qui venait de m'arriver : Sur la science et au-delà. Cet “et au-delà” : on se serait cru en compagnie de Buzz l'Éclair dans un épisode de Toy Story ! Et puis…

Il s'agit d'un livre d'entretiens réalisés l'année dernière, entre le Prix Nobel et un autre savant, belge lui aussi, Jean Vandenhaute. C'est un livre testament, au sens le plus fort et le plus irréversible du terme : deux ou trois jours après y avoir mis le point final, et ainsi qu'il l'avait annoncé publiquement, Christian de Duve a choisi de mourir par “suicide assisté” dans une clinique de Suisse. C'était le 4 mai. Mais l'histoire ne s'arrête pas là.

Le 17 juillet de la même année, c'était au tour de Vandenhaute, 72 ans, de choisir lui aussi ce type de mort volontaire, laquelle lui fut administrée en Belgique.

Après cela, évidemment, le problématique “au-delà” du titre de leur ouvrage fait beaucoup moins penser à Buzz l'Éclair.

mercredi 8 janvier 2014

Sur un air de M'Balalaïka…


Durant des années, il s'est appelé Dieudonné ; Dieudonné tout court. Quiconque se serait avisé de le désigner par son nom de famille aurait immanquablement été taxé de racisme rampant, d'insidieuse stigmatisation. Dieudonné était humoriste et méritait le respect de tous lorsqu'il ressassait l'esclavage et la cause palestinienne. Mais Dieudonné a commis une erreur de débutant naïf : il a négligé de souligner pieusement la différence, le fossé, l'abîme, séparant le répugnant antisémitisme du très noble antisionisme, comme n'importe quel antijuif de gauche sait bien qu'on doit absolument le faire.

Du coup, par la grâce et la puissance d'un ministre de l'Intérieur aux velléités pinardesques *, il s'est soudain transformé en pseudo-humoriste. Puis, il a récupéré un nom de famille et est devenu, dans les journaux aux ordres, Dieudonné M'Bala M'Bala. Enfin, après quelques jours, il a perdu son prénom pour se transformer en M'Bala M'Bala, quand ce n'est pas en : l'individu M'Bala M'Bala. J'attends avec une certaine curiosité le moment probable où il ne sera plus que le nègre antisémite ; car le racisme, s'il émane du Camp du Bien – où ne se rencontrent pas que des gens de gauche, loin s'en faut hélas –, peut parfois obtenir des dérogations pour s'exprimer quelque temps, notamment quand il s'agit de le mettre au service de la plus intense des passions communes du temps, la passion d'interdire. On fera donc taire Dieudonné M'Bala M'Bala, les zélés préfets s'en occupent d'ores et déjà. Au risque de froisser les populations tout acquises, électoralement, aux socialistes, dont on peut penser que l'antisémitisme du comique-qui-ne-fait-plus-rire ne les dérange pas plus que ça.


* D'Ernest Pinard, procureur qui, voilà peu, batailla ferme afin que soient mises au pilon, pour atteinte à la morale du temps, Les Fleurs du mal et Madame Bovary.

lundi 6 janvier 2014

De nouveaux arrivants pas forcément recommandables

Paul Morand (1888 – 1976) et Jacques Chardonne (1884 – 1968)

Ils étaient trois, nous n'étions que deux, si l'on veut bien tenir pour un moment les animaux en lisière. Mais ils n'ont nullement profité de cette supériorité du nombre pour exiger d'être reçus immédiatement, en agitant la clochette ou secouant le portail ; non, ils ont sagement attendu dans la petite guérite aménagée pour eux que je trouve le temps d'aller leur ouvrir les portes de la maison.

Le premier – je commence par le plus modeste d'apparence – s'appelle Barrès ou la volupté des larmes. Il est publié chez Gallimard, dans la collection dirigée par Pontalis, L'Un et l'Autre. L'auteur se nomme Antoine Billot ; le fait qu'il soit un universitaire français de 52 ans ne plaide guère en sa faveur, et un premier feuilletage du livre fait poindre le soupçon que j'aurais aussi bien pu m'abstenir de l'inviter chez nous. Enfin, on lui laissera sa chance.

Le second, encore chez Gallimard, s'intitule La Politesse des Lumières (sous-titre : Les lois, les mœurs, les manières) et sa table des matières est alléchante – mais trop longue pour que je la recopie ici. Il est probable, Jean Staune ayant regagné son étagère, qu'il sera le premier ouvert, tout à l'heure. L'auteur, Philippe Raynaud, est lui aussi bardé de titres universitaires, mais on ne va pas lui en tenir rigueur avant même de commencer à le lire ; à lui aussi, chance sera laissée.

Le troisième est un véritable mastodonte, ce qui est compréhensible puisqu'ils sont deux à l'intérieur. La Correspondance de Paul Morand et de Jacques Chardonne occupe plus de mille pages, toujours chez Gallimard ; encore n'est-ce que le premier volume de trois, les deux autres étant encore dans les limbes. Paul Morand traîne une réputation salement odorante chez les Indignés de naissance, notamment depuis la publication, il y a une pincée d'années, de son Journal inutile en deux forts volumes. Jacques Chardonne sent à peine moins fort, en raison de certain séjour qu'il crut bon d'effectuer en Allemagne, à une époque où faire du tourisme en Angleterre était beaucoup mieux porté ; heureusement pour lui, un président de la République à la fois charentais et socialiste a, par la suite, souvent proclamé l'admiration qu'il vouait à ses écrits, ce qui a plus ou moins muselé les groins des Vertueux. Ayant picoré au hasard cinq ou six lettres, je n'ai pas l'impression que leurs échanges épistolaires vont beaucoup déternir leurs blasons aux yeux des lecteurs durables et citoyens. 

Mais je crois bien qu'ils s'en foutent autant que moi.

dimanche 5 janvier 2014

Darwin, la météo et les extraterrestres : petite fable du dimanche


En ouverture de son livre intitulé Au-delà de Darwin (éditions Jacqueline Chambon), Jean Staune propose une petite fable qui, pour n'être que ce qu'elle est, une simple analogie, est tout de même éclairante. Résumons-la, ou du moins essayons.

Considérons une planète à peu près semblable à la Terre, sur laquelle une espèce intelligente s'est développée. Les deux différences avec la Terre sont que, comme Vénus, cette planète est entourée d'une épaisse couche de nuages qui empêche de jamais voir le soleil et les étoiles, et que, d'autre part, elle est si éloignée de son soleil qu'elle met plusieurs siècles à en faire le tour. Appelons-la Darwos (le nom est de moi, non de Staune).

Au début, les Darwosiens en sont réduits à prier les dieux afin qu'ils leur accordent un temps aussi clément et propice aux récoltes que possible. Au bout de quelques millénaires, une esquisse de science, appelée météorologie, apparaît. Comme celle-ci est incapable de prévoir le temps qu'il fera plus d'une quinzaines de jours à l'avance, les prêtres qui faisaient la pluie et le beau temps combattent durement et sans relâche cette “pseudoscience”. Néanmoins, au fil des décennies, la météorologie s'affine et, même si le temps qu'il fait ou qu'il va faire semble définitivement imprédictible, plus personne ou presque, chez les Darwosiens, ne pense plus que les tempêtes et les belles journées de juin sont décrétées par les dieux ; ils sont au contraire persuadés qu'elles ne sont dues qu'au hasard.

Or, au bout de quelques siècles d'observations et d'études, voici que de nouveaux savants suggèrent que, à très long terme, quelque chose contribue à la modification du climat, faisant alterner, de façon étrangement régulière, les périodes froides et les périodes chaudes. Aussitôt, les météorologues classiques s'insurgent : ils ont eu assez de peine à écraser les superstitions répandues par les prêtres, ils ne vont pas risquer de les laisser reprendre du poil de la bête ! Ces gardiens de l'orthodoxie climatiques se mettent donc à ferrailler contre les iconoclastes, avec d'autant plus de succès, il faut le dire, que ceux-ci ignorent absolument tout de ce qu'ils croient avoir observé, et surtout de la nature du phénomène qui pourrait causer ces variations à grande échelle. Pendant ce temps, en effet, les très encombrants grands prêtres darwosiens tentent de remettre Dieu au centre de la controverse. 

Bref, on s'écharpe à qui mieux mieux, la situation est totalement bloquée ; et elle le restera tant que les savants ne parviendront pas à découvrir la marche des astres et des planètes dans l'univers, ainsi que le phénomène des saisons, dû à la rotation elliptique de Darwos autour de son soleil.

La transposition aux batailles contemporaines (et terrestres…) engendrées par le darwinisme est évidente : les “grands prêtres” correspondent aux créationnistes ou, à tout le moins, aux modernes tenants du dessein intelligent ; les météorologues qui défendent leur pré carré sont les néo-darwiniens purs et durs ; enfin, ceux qui pressentent une cause plus globale aux alternances de froid et de chaud, mais sans comprendre cette cause, représentent ces savants de plus en plus nombreux qui, sans verser dans le créationnisme et en s'opposant au dessein intelligent, contestent au darwinisme la capacité de tout expliquer du vivant, toujours et partout.

Et, en effet, comme sur Darwos, la guerre fait rage.

Durant longtemps, les néo-darwiniens (dont le “chef de file” est Richard Dawkins) ont pu écraser leurs contestataires, grâce à leur nombre et surtout avec un argument massue, une “arme absolue de langage”, qui avait déjà fait ses preuves dans un tout autre domaine. On se souvient que, dans les années cinquante et soixante (et même encore après…), toute personne se montrant un tant soit peu critique envers le communisme et l'Union soviétique était automatiquement présentée par les marxistes comme un sous-marin du fascisme mondial, un stipendié de la CIA. De même, durant des décennies, tout biologiste, généticien, paléontologue, etc., qui se mêlait de s'en prendre au dogme néo-darwiniste devenait ipso facto un suppôt du créationnisme ou, au mieux, un partisan du fameux dessein intelligent.

Or, il n'en est évidemment rien, sauf pour une infime proportion de ces “contestataires”. La plupart de ces savants ne conteste nullement l'évolution des espèces, ni même la sélection naturelle dans son ensemble, et rejette fermement toute tentation créationniste. Certains, comme Stephen Jay Gould, se sont même toujours vus comme des darwiniens de bonne observance. Ce qu'ils disent, ce que leurs multiples études les conduisent à penser, notamment depuis l'apparition de la génétique, la découverte de l'ADN, etc., c'est que le néo-darwinisme n'est pas (n'est plus) en mesure de fournir une explication globale du vivant, qu'il doit y avoir autre chose, même s'ils ignorent encore quoi : exactement comme les météorologues de Darwos face au phénomène des saisons et du mouvement des astres.

D'après le philosophe des sciences Karl Popper, une théorie ne peut être qualifiée de scientifique que si elle demeure réfutable. Ce qui signifie qu'une théorie possédant une réponse pour toutes les situations, y compris à venir, cesse d'être une science pour se durcir en dogme. C'est pourquoi, jusqu'à une époque récente (et encore aujourd'hui, dans la presse “généraliste” et chez les moins informés des blogueurs…), tout savant critique se trouvait immanquablement rejeté dans le camp infernal des obscurantistes créationnistes.

Pour mieux comprendre la résistance désespérée (désespérée, car leur citadelle se lézarde chaque jour un peu plus) des néo-darwiniens orthodoxes – ces nouveaux grands prêtres… –, il faudrait reprendre la notion de paradigme scientifique, très bien analysée par Thomas Kuhn – mais cela nous entraînerait un peu loin, alors qu'il est déjà midi et que je n'ai même pas encore pris ma douche.

Il n'empêche : l'affaire est passionnante.

vendredi 3 janvier 2014

Sharon fait la course avec Schumacher


Détenteur de la pole position, Ariel Sharon a réussi à prendre le premier virage en tête. Puis, au fil des tours, et sans le moindre arrêt au stand, il a conforté son avance sur ses poursuivants d'une manière si impressionnante que les observateurs, juste après la mi-course, étaient certains qu'il ne pourrait plus être battu, sauf casse moteur ou sortie de piste.

C'est alors que Michael Schumacher a opéré cette fantastique remontée qui restera dans les mémoires, parvenant même, au 63ème tour, à doubler son vieux concurrent juste avant la fameuse chicane des Endormis. Parti peut-être trop tôt dans la course, Sharon a ensuite donné l'impression d'être sonné par ce coup de théâtre, incapable de réagir face aux prouesses de son impétueux adversaire…

Et pourtant, si : à quatre tours de la fin, le vieux lion des circuits s'est repris ! Actuellement, les deux pilotes sont roue dans roue et font parler la poudre – le drapeau à damier est en vue…

mercredi 1 janvier 2014

Les premiers de janvier peuvent être fataux

Didier Goux, choisissant un lendemain de réveillon pour saisir la Toile à bras-le-corps…

Tout à l'heure, nouvelle année oblige, j'ai créé un nouveau blog. En soi, la nouvelle ne vous intéresse pas, puisqu'il est accessible uniquement “aux auteurs de ce blog”, ainsi qu'il est dit, c'est-à-dire à moi seul. Ce qui compte, c'est que, à la suite d'une panne de cerveau sans gravité intrinsèque, j'ai voulu tester la mise en page, les couleurs, etc., sur ce blog-ci ; et que, après m'être livré à différentes opérations d'alchimie obscure, tout en récitant les formules adéquates en patois sumérien, je me suis trouvé dans l'incapacité de le rétablir dans sa présentation accoutumée. Bref, il faudra faire avec la nouvelle tapisserie. À moins que je ne me livre à de nouvelles expérimentations hasardeuses dans les jours qui ne manqueront pas de venir…