jeudi 30 décembre 2021

Pour la nouvelle année, rétablissons les privilèges !


 Et si on terminait l'année en compagnie de Bernanos ? Histoire de s'afficher résolument antimoderne ? Pénible, grincheux, empêcheur de covider en rond ? Le paragraphe qu'on va lire se trouve dans La France contre les robots, essai publié à Rio de Janeiro en 1944, c'est-à-dire il y a près de quatre-vingts ans – autant dire hier. Voici donc :

« Loin de penser, comme nous, à faire de l'État son nourricier, son tuteur, son assureur, l'homme d'autrefois n'était pas loin de le considérer comme un adversaire contre lequel n'importe quel moyen de défense est bon, parce qu'il triche toujours. C'est pourquoi les privilèges ne froissaient nullement son sens de la justice ; il les considérait comme autant d'obstacles à la tyrannie, et, si humble que fût le sien, il le tenait – non sans raison d'ailleurs – pour solidaire des plus grands, des plus illustres. Je sais parfaitement que ce point de vue nous est devenu étranger, parce qu'on nous a perfidement dressés à confondre la justice et l'égalité. Ce préjugé est même poussé si loin que nous supporterions volontiers d'être esclaves pourvu que personne ne puisse se vanter de l'être moins que nous. »

Et j'en resterai là pour 2021 : il me semble que souhaiter à qui que ce soit une “bonne et heureuse année 2022” relèverait du cynisme le plus débridé et cruel, l'espérer supportable ressortissant déjà à un risible optimisme. 

vendredi 17 décembre 2021

Balzac, premier apôtre transgenritudinal


 Si on m'avait dit ça de lui… Et pourtant, il faut se rendre à l'évidence : c'est bel et bien du cœur de La Comédie humaine qu'a jailli ce transgenrisme, cette transgenritude dont notre époque s'enorgueillit à bon droit. C'est plus précisément dans les premières pages du Père Goriot que l'on en découvre la très-précieuse graine. Présentant sa fameuse pension de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, Balzac écrit ceci (c'est lui qui souligne) :

« On entre dans cette allée par une porte bâtarde, surmontée d'un écriteau sur lequel est écrit : MAISON-VAUQUER, et dessous : Pension bourgeoise des deux sexes et autres. »

On se pince, on inspire profondément, on croit avoir été passagèrement le jouet d'une illusion, on relit… Mais oui, les mots sont bien là, on n'a pas rêvé : Pension bourgeoise des deux sexes et autres !

De là à imaginer Honoré remplissant son petit dossier afin d'être autorisé à devenir Honorine, il y a évidemment un pas de cyclope que je me garderai de faire. Néanmoins, une petite voix enveloppante, insidieuse, dégenrée, continue à me murmurer que si Balzac a éprouvé le besoin d'intituler l'un de ses romans justement Honorine, ce ne put être entièrement le fruit du hasard…

vendredi 10 décembre 2021

De la gestion des ressources humaines par le Créateur

Sans vouloir paraître plus blasphémateur que je ne le suis, il me semble que, parfois, Dieu a tendance à gérer son business un peu en dépit du bon sens. Il est possible, l'éventualité n'est pas à négliger, qu'il ne dispose que d'une quantité globale d'existence humaine à dispatcher parmi les peuples et les siècles – une sorte de contrainte “oulipienne” qu'il se serait imposée par jeu, attrait de la difficulté, goût du défi… –, mais enfin, il devrait mieux en soigner la répartition. 

Par exemple, s'il avait décidé de faire mourir Victor Hugo en 1875 au lieu de dix ans plus tard, l'œuvre du prophète laïque n'en aurait quasiment pas souffert, ni lui ni nous n'y aurions perdu grand-chose. En revanche, si cette petite “pelote” de dix années, il l'avait attribuée à Balzac en supplément de programme, celui-ci aurait eu largement le temps de boucler sa Comédie humaine, de finir Les Petits-Bourgeois, de mettre le point final à son Député d'Arcis ainsi qu'à trois ou quatre autres romans laissés inachevés pour notre plus haute frustration ; mais aussi d'écrire ces œuvres qui ne nous sont parvenues que sous forme de vagues et embryonnaires projets. 

Et puis, mon Dieu, qu'est-ce que c'est que cette manie de faire mourir les grands écrivains à 51 ans ? Balzac, Proust… et je dois bien en oublier une couple d'autres, ravis au même âge ! On m'objectera que le second cité a eu, lui, le temps de terminer sa Recherche. Je répondrai : oui et non. Certes, il a bel et bien mis le mot fin au bas du Temps retrouvé ; mais enfin, les deux derniers volumes, La Fugitive et ce même Temps retrouvé, ont été publiés après sa mort, sans qu'il ait eu le loisir de les relire, de les corriger et, surtout, de leur insuffler ce supplément de vie et de mouvement, ce surcroît de “chair” qu'il avait donnés aux précédents volumes, ainsi qu'en font foi ses différents manuscrits, épreuves et textes finalement publiés.

Là encore, qu'en aurait-il coûté au Tout-Puissant de le faire mourir en 1927 plutôt qu'en 1922 ? S'il lui répugnait de puiser dans le stock général, d'écorner son fond, il lui suffisait de prendre ces cinq années, par exemple, à ce pauvre Paul Bourget qui, mort octogénaire en 1935, l'était déjà depuis des années, littérairement parlant.

D'un autre côté, je m'avise tout à trac que si, comme je le prône, on grappillait quelques années de vie à tous les écrivains médiocres ou nuls pour en faire cadeau aux génies, ceux-ci enfonceraient bientôt Enoch, Mathusalem et Noé en terme de longévité. Conséquence : la plupart seraient encore vivants aujourd'hui, et l'on pourrait alors contempler ce spectacle déprimant de voir Voltaire et de Maistre s'écharper au journal de vingt heures, Agrippa d'Aubigné agresser sauvagement Bernanos au Salon du Livre, Chateaubriand blêmir sous les sarcasmes de Léautaud à un cocktail Gallimard, ou encore François Villon, venu chez Ruquier présenter la nouvelle édition de son Testament, obligé de répondre aux questions d'une quelconque Angot et s'en vengeant en pillant son sac à main en coulisse.

Non, finalement, mieux vaut considérer que le Créateur sait ce qu'il fait et, dans ce domaine comme dans les autres, agit avec discernement en son infinie sagesse.

dimanche 5 décembre 2021

Gestapette… mais lucide !

« Quand nous parlons d'un temps dramatique, ce mot a un sens précis : il veut dire que nous sommes pris dans une alternative qui ne nous permet plus d'exister médiocrement ; il nous faut vivre plus puissamment, ou bien disparaître, nous surpasser ou nous abolir. (…) La tragédie essentielle n'est pas de savoir quels dangers nous menacent, mais de définir d'abord ce qu'ils menacent en nous, car il importerait assez peu que nous fussions détruits, si nous avions rendu cette destruction légitime en ne valant presque rien. »

(Abel Bonnard, Les Modérés, Grasset, 1936.)
 
C'est en musardant dans les archives de ce blog que je suis, au détour d'un sentier, sur un lit semé de cailloux, tombé sur cet extrait, dont j'avais bien sûr oublié que j'avais pu, un jour, le connaître et le publier. C'était il y a presque dix ans, à une couple de mois près, et on ne peut pas dire qu'en une décennie sa pertinence ait diminué – si tant est qu'une pertinence puisse diminuer, ce dont je ne suis pas sûr.
 
Pour ceux que mon titre interloquerait, s'il s'en trouve, rappelons que Gestapette fut le surnom dont Galtier-Boissière avait affublé cet écrivain, en raison de ses mœurs et de son encombrante sympathie pour les armées allemandes lorsqu'elles viennent jusque dans nos bras égorger nos filles et nos compagnes. Ce même Galtier-Boissière, décidément en verve, avait également épinglé l'autre Abel de l'époque, Hermant, en le drapant d'un sobriquet plus poétique : l'Abel au bois d'Hermant.

Je crois que ce sera tout pour ce soir.

mercredi 1 décembre 2021

À la hussarde


 Nous nous sommes plusieurs fois croisés, en novembre.