dimanche 28 avril 2019

Céline selon Matthieu

Matthieu Galey, 1934 – 1986.

Dans le journal de Matthieu Galey, que je relis depuis deux jours avec un vif plaisir, je tombe tout à  l'heure sur cette entrée de novembre 1955 : « Fini Voyage au bout de la nuit. Je suinte de tristesse ; l'humanité entière me dégoûte et moi-même avec, quel bouquin ! Ce qui m'étonne le plus, cachées parmi les points de suspension, c'est d'y trouver soudain des envolées à la Chateaubriand, pleines, compactes, comme des gemmes dans une gangue d'argot. » 

C'est tout à fait exact : dans ce premier roman, Céline reste encore accroché par bien des fils à la langue classique de l'écrivain ; ce n'est qu'à partir de Mort à crédit, et surtout de Guignol's Band, qu'il larguera définitivement les amarres. De même, ici, il respecte encore plus ou moins le pacte balzacien du réalisme, du possible, du crédible. Ensuite, en pratiquant sans cesse cette “montée aux extrêmes” qui est peut-être sa marque de fabrique, il s'en séparera radicalement. Rien n'est plus éloigné, en effet, de Céline que cette volonté d'être cru, ce souci d'être vraisemblable, qui, à des degrés divers, anime tous les romanciers avant lui, au moins depuis Balzac. C'est comme s'il refermait une longue – et riche – parenthèse, pour renouer avec le roman picaresque, avec le Cyrano des États de la lune, avec le Cervantès du Quichotte. Et cela, grâce à cette façon qu'il a, partant d'une situation presque anodine,  de monter en vrille à une vitesse folle, et surtout de continuer à monter après la frontière invisible où n'importe quel autre écrivain se serait arrêté.

Ce qui me surprend un peu, dans la notation de Galey, c'est cette mention des points de suspension, lesquels, dans Voyage au bout de la nuit, sont encore très discrets, sinon rares. Il aurait écrit cela en 1932 ou 1933, quand aucun autre roman célinien n'était encore paru, soit. Mais, là, en 1955, il pouvait avoir eu connaissance de Mort à Crédit, ainsi, surtout, que de Guignol's Band et de Féerie pour une autre fois, livres dans lesquels les points de suspension prolifèrent effectivement, telles des chenilles processionnaires en rut.

Il est vrai qu'il n'avait alors que 21 ans : un âge où l'on ne peut pas avoir tout lu, même si la culture de ce Galey-là est déjà fort impressionnante et diverse, à peine sorti du lycée. Divers et variés aussi les gens célèbres, ou appelés à le devenir bientôt, qu'il ne cesse de rencontrer, et de portraiturer avec une cocasserie qui n'est jamais cruelle. Bref : pour qui s'intéresserait aux “potins littéraires” des années cinquante à quatre-vingt (mais Dieu sait qu'il n'y a pas que cela dans ces mille pages), voilà un journal très recommandable, et pétillant comme un Moët.

On notera par ailleurs que, homosexuel, Matthieu Galey est mort dans la seconde moitié des années quatre-vingt, non du sida mais d'une sclérose latérale amyotrophique, ce qui est pousser un peu loin le besoin de se singulariser. Lui-même, d'ailleurs, relève dans son journal la paradoxale ironie de son sort : « La moitié de notre tout petit Paris est sans doute persuadée que je crève du sida. » 

jeudi 18 avril 2019

Oh ! punaises…


On nous annonce à grand son de trompes que “les abeilles des ruches de Notre-Dame de Paris sont sauvées”. C'est en effet une grande et heureuse nouvelle, dont la Chrétienté tout entière doit je suppose se réjouir (ainsi que ces abrutis d'écolos, pour une fois main dans la main avec les catholiques : l'histoire a parfois de ces ironies…), et moi avec elle bien entendu. Une question demeure malgré tout en suspens, avec une acuité qui ne va pas tarder à devenir angoissante : qu'en est-il des punaises de la sacristie ?

mercredi 17 avril 2019

… et consumimur igni


Je ne sais pas si j'ai toujours été un monstre froid de nature, un cœur de pierre, une gargouille hâtivement incarnée, ou si je suis en train, l'âge aidant, de virer au légume trop longtemps bouilli, mais il me faut reconnaître que l'incendie qui a endommagé Notre-Dame ne soulève en moi qu'une infinitésimale émotion, pour ne pas dire moins. J'ai beau essayer d'en être touché, convoquer les siècles passés, les grandes heures du moyen âge, faire donner les Te Deum et les Dies irae, etc., rien à faire : je demeure désespérément serein, ou pour mieux dire : amorphe. En fait, je suis beaucoup plus sensible aux âneries convenues qui éclosent un peu partout à propos de cet incendie.

mardi 16 avril 2019

In girum imus nocte…


Notre-Dame de Paris en proie aux flammes : parfait symbole de ce qui nous attend… qui est déjà là… Le Monstre sur le seuil de Lovecraft… On pourrait épiloguer et filer les métaphores à l'infini… Est-il besoin ?

dimanche 14 avril 2019

La peste soit des Céliniens et de leurs gloses !


En “complément de programme” à mes matutinales lectures ou relectures céliniennes, je viens de parcourir deux biographies du personnage, Sa Seigneurie Nauséabond le Magnifique. La première est signée d'un certain Émile Brami et s'intitule Céline à rebours. Je l'ai achetée sur les conseils de l'ami Beboper, conseils que j'aurais été mieux avisé de ne point suivre. Si le livre s'appelle ainsi que je viens de l'annoncer, c'est que son auteur, n'ayant sur Céline rien à dire qui n'ait déjà été écrit cinquante fois, a eu cette idée mirobolante : raconter la vie de son personnage en commençant par la fin et en rembobinant l'écheveau. Cela apporte quoi ? Rien. C'est un truc. Un gimmick. De plus, je n'ai pas trouvé que le livre soit si bien écrit que l'a jugé Beboper. Mais enfin, c'est, de ce point de vue-là, à peu près correct.

Il n'en va pas de même pour le Céline, entre haines et passion de Philippe Alméras, gros volume qui traîne dans ma bibliothèque depuis des lustres et que j'ai repris ces jours-ci. Celui-là est écrit en moldo-valaque universitaire, ce qui rend sa lecture assez pénible. Cela donne des phrases comme celle-ci : « Le terme de séquence que j'ai proposé pour l'analyse des pamphlets leur va d'autant mieux qu'il n'y a pas de solution de continuité du “roman” au “pamphlet” [Chose que, si ma mémoire est bonne, Philippe Muray avait dite avant lui], dans sa neutralité et sa connotation de film, cela bouge constamment et de mal en pis. » Ou comme cette autre : « On a souvent rapproché le sort de Drieu et de Brasillach de celui de Céline. L'un et l'autre ont trouvé des refuges, etc. » L'un et l'autre ? Alors qu'il vient de citer trois noms ? Ça n'a l'air de rien, pris isolément, mais multipliez ce genre de lourdeurs de style et de fautes de langue par cinquante ou cent : l'œil finit par ne plus accrocher à la page, la lecture devient quasiment impossible. D'autant que, pour épaissir son volume, M. Alméras ne répugne pas aux digressions oiseuses. Était-ce bien la peine, par exemple, de nous débobiner la biographie du père d'Elizabeth Craig, maîtresse de Céline à qui Voyage au bout de la nuit est dédié ? Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Le livre fut publié par Robert Laffont en 1994, centenaire de la naissance de Céline : un “coup” éditorial, donc. Il se range dans une collection qui s'appelle (s'appelait ?) comiquement Biographies sans masque. Ce qui semble sortir du même tonneau pléonasmique que la vérité sans mentir ou encore un ciel pur sans nuage. À moins que M. Laffont n'ait considéré qu'avant son intervention toutes les biographies n'avaient pour but que de conserver leurs différents masques aux personnages qui en étaient les sujets.

Bref, je le répète : la peste soit des Céliniens et de leurs gloses, que Belzébuth se saisisse à jamais des Brami et des Alméras !

dimanche 7 avril 2019

Les petites notes de la cuistresse

Je sais, j'aurais pas dû…
Je suis occupé à lire Carson McCullers (pardon, Messire Étienne, pardon !), romans et nouvelles, réunis dans un volume de cette très pratique et peu  dispendieuse collection qui s'appelle La Pochotèque. Il n'y aurait aucune critique à lui adresser, à cette collection, hormis son nom disgracieux, si ses dirigeants n'avaient cru bon de faire appel aux funestes services d'une certaine Marie-Christine Lemardeley-Cunci pour établir leur édition de l'Américaine, c'est-à-dire, malheureusement,  de la consteller de notes comme autant de chiures de mouches sur un mur laqué blanc. 

J'en ai lu beaucoup, dans ma vie, de ces épais cuistres universitaires qui viennent faire leurs besoins le long des œuvres. Mais des aussi béatement satisfaits d'eux-mêmes, des si gonflés de leur propre vacuité, que Mme Truc-Chose, rarement. Ses notes, par lesquelles elle se garde bien de nous apprendre quoi que ce soit d'utile ou simplement d'intéressant, ne sont que plats et sots commentaires, redondances et fioritures ternes, que l'on dirait destinées à des semi-débiles de classe de seconde dans un département difficile. 

Un exemple ? Après le fragment de phrase suivant : Dieu sait si le gouvernement fédéral a fait assez de mal au Sud, la Mère Poncif place la note suivante : « Par tradition le vieux juge est hostile à toute intervention du gouvernement fédéral dans les affaires du Sud » ; chose que, bien entendu, aucun lecteur n'aurait compris sans la judicieuse intervention de notre cuistresse. Un autre exemple ? À la phrase Mais le cœur des petits enfants est un organe très délicat est accroché la note suivante : « Ici encore le cœur est perçu de manière très physique comme un organe fragile, siège de l'âme et des sentiments. »  Un dernier, allez : dans La Ballade du café triste, McCullers parle à un moment de la douceur rêveuse de la neige. Note de notre mal blanc : « Comme dans Frankie Addams, la neige est associée à la douceur. » 

Je pourrais en citer vingt autres, encore plus stupides. Je suis allé voir qui pouvait bien être cette pauvre baudruche au nom improbable. J'ai été ravi d'apprendre, par sa fiche Wiki, qu'en plus d'être un stérilet universitaire, elle était également l'une des marionnettes politiques de Mme Anne Hidalgo, qui l'avait parachutée en piqué sur Paris à l'occasion de je ne sais plus quelle élection, au cours de laquelle notre ectoplasme notulifère s'était pitoyablement vautré. Carson McCullers et moi en avons ricané avec un charmant ensemble.

Note pour les semi-éveillés : la photographie ne représente pas Carson McCullers…