samedi 26 février 2022

Du français aberrant


 Il y a tout de même, dans notre beau parler françois, certaines aberrations auxquelles l'homme de bien a quelque peine à se résigner. Puisqu'il est près de midi, prenons par exemple les repas : à la suite de quelle panne de cerveau collective avons-nous abandonné le souper ? Comme on aurait pu le prévoir, le dîner s'est empressé de venir occuper cette place laissée vacante autour de la table, cependant que le déjeuner montait lui-même en grade et en dignité pour s'installer au milieu du jour ; ce qui nous a contraint à forger ce ridicule petit-déjeuner, source de confusions : si, entre onze heures et la demie de la même heure, je m'enquiers si vous avez déjeuné, vous serez dans l'impossibilité de savoir si je me soucie de votre collation du matin ou si je pense que vous avez pu prendre en avance votre repas de midi. (On notera que cette panne encéphaloïde a heureusement épargné nos voisins belges et suisses ainsi que nos cousins du Québec.) Mais il y a pis.

Quel démon malfaisant, tout fraîchement vomi des Enfers, est venu un jour nous suggérer de remplacer nos si commodes et si logiques septante, octante et nonante par ces monstres patauds et mal articulés que sont soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt-dix ? Et pourquoi avons-nous rendu les armes si facilement, contrairement, là encore, à nos voisins et cousins déjà cités ?

Encore pouvons-nous estimer nous en être tirés à bon compte, et remercier le dit démon de n'avoir pas poussé plus loin sa plaisanterie. sinon, il nous faudrait aussi nous débattre avec trois-vingts pour dire soixante, nous colleter à quarante-dix quand nous voudrions dire cinquante, affronter vingt-dix et deux-vingts dès que trente et quarante surgiraient dans nos comptes.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Le mystère est par trop insondable, je donne ma langue au chat ; lequel risque fort de la recracher, la trouvant peu à son goût et pas loin d'être inassimilable.

vendredi 18 février 2022

Va chemine, va trottine…

L'information la plus réjouissante de ce 18 février (mais la journée n'est pas finie…) : « Les trottinettes en libre service à Paris voient un grand nombre d'utilisateurs blessés graves à la mâchoire et aux dents. »

À force de déstructurer la langue, nos analphabètes atlanticoïdes sont parvenus à franchir les frontières de l'humainement intelligible. Même si l'on pense deviner ce qu'ils ont essayé de dire, leur petit-lyonnais si particulier entraîne en tout cas quelques questions.

D'abord, bien sûr, on aimerait savoir quel est le génie méconnu qui a réussi à pourvoir une trottinette d'yeux lui permettant de voir des blessés graves. 

On voudrait bien aussi qu'on nous précise si ces mêmes yeux sont en outre capables de voir des blessés légers, ou des blessés mutins, des utilisateurs pas blessés du tout, ou même des humains n'ayant jamais mis le pied sur une trottinette. 

En outre, si ces blessés le sont à la mâchoire, il serait intéressant et utile qu'on nous précisât laquelle ; si c'est toujours la même, ou alternativement l'une et l'autre, la parité inférieure/supérieure est-elle respectée, existe-t-il des statistiques fiables sur le sujet, etc. 

Enfin, il serait bon de savoir si les blessures que l'on se fait aux dents cicatrisent facilement, quel est le risque d'infection,  convient-il ensuite de se baigner les molaires dans la bétadine, sont-elles plus bénignes si l'on porte la muselière à élastiques auriculaires, et s'il est préférable de se les faire infliger aussi loin que possible des heures de repas.

Tant que tous ces points ne seront pas dûment éclaircis, que l'on ne compte pas sur moi pour ressortir ma trottinette du garage  : courageux mais pas suicidaire.

samedi 12 février 2022

Marcel est-il biocompatible ?

Est-il nécessaire de lire une biographie de Marcel Proust ? Est-ce enrichissant pour celui que l'œuvre a séduit ? Est-ce pertinent ? Les opinions, à ce sujet, sont nettement tranchées. Écartons d'emblée ceux qui pensent qu'il n'est jamais intéressant de lire une biographie d'écrivain ; que son œuvre est là et qu'elle doit, dans tous les cas, se suffire à elle-même : c'était, en gros, l'opinion de Flaubert… et celle de Proust lui-même, au moins en théorie car, en pratique, la correspondance nous montre qu'il ne dédaignait pas toujours ces “à côté” que sont les biographies, même s'il affectait officiellement de les mépriser.


Dans son cas, celui de Proust, le problème est rendu plus aigu dans la mesure où À la recherche du temps perdu est une œuvre très largement autobiographique ; c'est ce qui rend si abrupts les avis : d'un côté, ceux qui disent que Proust ayant déjà raconté sa vie dans son roman, il est parfaitement vain de la faire doublonner par le livre d'un tiers, lequel aura forcément un talent infiniment moindre ; et, de l'autre, ceux qui objectent que, justement parce que l'œuvre de Proust est à ce point nourrie de sa propre existence, il sera fort éclairant de pointer les différences entre les deux, afin de mieux saisir les processus de transmutation permettant, partant de l'une, d'aboutir à l'autre. – Je me rangerais plutôt parmi ceux-ci.

Mais quelle biographie ? Pour ne pas rallonger inconsidérément ce billet, ce qui risquerait d'endormir tout le monde (d'ailleurs, si quelqu'un pouvait se dévouer pour réveiller Nicolas…), nous nous limiterons aux trois plus complètes, celles qui s'assument entièrement comme biographies : nous en demandons pardon à Léon Pierre-Quint (le pionnier : son livre sur Proust a été publié en 1925, soit à peine trois ans après la mort de son modèle), André Maurois, Maurice Bardèche et quelques autres que ma mémoire a laissés s'échapper. Nous nous concentrerons (pas trop, pas trop…) donc sur George D. Painter, Jean-Yves Tadié et Ghislain de Diesbach.

La biographie en deux volumes (à l'origine : on la trouve aujourd'hui en un seul) de Painter, la plus ancienne des trois (1966 – 1968), est loin d'être sans mérite. Mais d'une part le distingué Anglais est un peu pénible, avec cette obstination de vouloir à tout prix que Proust ait eu des aventures féminines, ce qui ne tient pas debout, et d'autre part, ses explications de ceci ou de cela sont vraiment trop entachées de psychanalyse pour être recevables : partant d'un sujet riche, ondoyant, complexe, elles n'aboutissent qu'à des pauvretés, soit évidentes, soit absurdes. D'autre part, à l'époque, de très nombreuses lettres de Proust n'avaient pas encore été retrouvées et collectées par Philip Kolb, qui en a depuis assuré l'édition chez Plon : Painter ne pouvait donc travailler qu'à partir d'une trame fortement lacunaire.

Passons à Jean-Yves Tadié. Qui est-il ? Un universitaire, agrégé de lettres, né en 1936. Il est surtout l'homme qui a accompli l'exploit de faire passer le roman proustien de trois volumes moyens de La Pléiade à quatre gros volumes de la même collection : c'est dire si, entre les années cinquante et les années quatre-vingt, l'appareil critique a furieusement métastasé. Il a le grand mérite, cependant, d'être un universitaire non jargonneur, c'est-à-dire que son épais volume est écrit en français de tous les jours. Mais, bien entendu, comme il est en quelque sorte the spécialiste de Proust en France, il passe beaucoup trop de temps à parler de l'œuvre, à la décortiquer, l'observer sous tous les éclairages possibles, alors que ce qu'on demande à une biographie c'est avant tout de nous raconter la vie du personnage pris pour cible, ce qui ne semble pas passionner beaucoup M. Tadié. De plus, le résultat donne plus l'impression d'un vaste fourre-tout que d'un livre vraiment construit, pensé, écrit.

Reste donc Ghislain de Diesbach, qui échappe à tous ces défauts. Non seulement il sait sa langue, comme on disait jadis et jusqu'à naguère, mais il connaît admirablement la société de cette époque, et particulièrement ce qu'il est convenu d'appeler le monde. Il a l'art des enchaînements habiles, il est pétri d'un humour fin et toujours discret, lequel ne s'exprime jamais mieux que dans les nombreux “médaillons” qu'il donne à lire, chaque fois qu'apparaît dans son récit un personnage destiné à jouer un rôle plus ou moins important dans la vie de son personnage éponyme (pas fâché de pouvoir le placer à bon escient, celui-là, tiens !) : s'il n'atteint pas à la virtuosité rageuse de Saint-Simon, ni à la vachardise tonitruante de Léon Daudet, ses portraits sont tout de même constamment savoureux. D'autre part, il se concentre principalement sur la vie de son modèle, sans pour autant négliger l'œuvre, ce qui n'aurait pas de sens, mais en sachant toujours étager ses plans, ne pas tout mettre à l'avant-scène, ce qui lui permet d'éviter le côté “fourre-tout” que j'ai relevé chez Tadié.

Bref, si l'un ou l'autre des quatre lecteurs qui n'ont pas encore fui ce blog était pris de l'envie de lire une biographie de Marcel Proust, c'est sans hésiter, et même avec une certaine chaleur, celle de M. de Diesbach que je lui recommanderais. 
 
D'un autre côté, personne ne m'a rien demandé.

dimanche 6 février 2022

Avis à tous les netflicards et toutes les netfliquettes

Il est possible, mes bons amis, que cette information capitale vous ait échappé : depuis quelques semaines, Netflisque offre à ses bienheureux abonnés l'occasion de (re)découvrir l'œuvre de Robert Rodriguez, cinéaste génial – doué – honnête (j'ai décidé, moi aussi, de pratiquer désormais le “rythme ternaire décroissant”, si cher à la vieille marquise de Cambremer), ou plutôt de s'y initier par le truchement d'un film et non de ses moindres ; j'ai nommé : Planète terreur, Dans le billet exécrable – mauvais – passable que j'ai déjà consacré à Rodriguez, voici ce que, il y a cinq ans presque jour pour jour, je disais de ce film-là :

« Comme le titre le suggère, il s'agit d'un hommage aux séries B des années soixante et soixante-dix, que l'on projetait dans les cinémas dits “de quartier” (rappelons pour les moins de 50 ans qu'à l'époque le mot “quartier” s'employait au singulier et n'était nullement synonyme de casbah ou de village nègre). 

« L'hommage est aussi réaliste que possible, puisque l'image a tendance à trembler un peu (par moment…) et à être traversée de zébrures et de points lumineux intempestifs (là encore, à certains instants judicieusement choisis). Le clou est, aux deux tiers du film, lorsque la pellicule prend carrément feu et qu'un panonceau intercalaire nous prévient qu'une bobine est manquante ; moyennant quoi, effectivement, on se retrouve avec un gros “blanc” dans le déroulement de l'intrigue, des personnages qui étaient séparés se retrouvent au même endroit, d'autres qui vaquaient sur leurs deux jambes agonisent sur un grabat, etc., sans qu'aucune explication ne soit donnée, ce qui est rigoureusement sans importance, vu le côté foutraque du scénario. 

« Dans cette joyeuse pochade, où un gaz secret fabriqué par un ignoble militaire (Bruce Willis) transforme les gens en monstres pustuleux, avides de bouffer votre cervelle (et davantage si gros appétit), on retrouve le petit Freddy Rodriguez, qui n'a pas de lien de parenté avec Robert et que connaissent bien ceux qui ont regardé la série Six feet under ; il y a aussi l'indispensable Quentin Tarantino, en violeur psychopathe. 

« On notera que, pour accroître encore le côté “séance de quartier”, Rodriguez propose, au début du film, une bande-annonce, avec Danny Trejo ; laquelle bande deviendra le film intitulé Machete trois ans plus tard : c'est probablement le seul cas, dans l'histoire du cinéma, où une bande-annonce a entraîné la réalisation du film lui correspondant, et non l'inverse. »

Après en avoir lu une critique aussi alléchante, si vous ne vous précipitez pas sur votre zapette pour savourer ce chef-d'œuvre, c'est vraiment que vous êtes irrécupérables – stupides – légèrement diminués.

jeudi 3 février 2022

Je vous remets ça ?


À l'heure où le Canada, sous la houlette du pitoyable, catastrophique et post-humain Justin Trudeau, s'enfonce dans une sorte d'ethnolâtrie asilaire, il ne m'a pas paru abusif de vous remettre ce petit billet qui, malgré ses trois ou quatre ans de cave, n'a pas encore tourné vinaigre (quoique…). Voici donc :


À Jean le Huron… et à sa squaw.

On nous répète à l'envi que se méfier a priori des étrangers, les tenir pour suspects et potentiellement dangereux tant qu'ils n'ont pas dûment donné la preuve de leur innocuité, on nous serine, donc, que c'est très mal, que cela fait de nous de patentés suppôts du nazisme, dont la nauséabonderie délétère devrait d'ailleurs suffire à faire fuir n'importe quel étranger aux narines tant soit peu délicates – mais passons.

Il est donc entendu que l'étranger est notre ami, qu'il ne vient vers nous que dans l'espoir de s'enrichir culturellement à notre contact ; le présupposé reste vrai même lorsque l'étranger est une demi-douzaine et que chacun tient négligemment à la main la chaîne de sa mobylette : la perspective d'un réel déplaisant ne doit en aucun cas faire pâlir l'image sainte que l'on nous somme d'adorer, ou au moins d'accueillir comme un autre nous-même, voire un nous-même amélioré.

C'est d'ailleurs ce qu'ont fait les Indiens des Indes occidentales lorsque les Colomb, Cortès et autres Pizarro ont débarqué dans leurs îles puis sur leur continent : accueil bienveillant, ouverture à l'autre, curiosité interethnique, rien n'y manquait. On sait le résultat de cette largeur d'esprit : massacres, épidémies, réserves. Si ces braves emplumés avaient pu bénéficier des apports du fascisme, du repli sur soi, de la xénophobie agissante et des heures les plus sombres de toute histoire, qu'eussent-ils fait, voyant débarquer ces peu nombreux étrangers cuirassés et coiffés de casques ridicules ? Ils les auraient gaillardement massacrés jusqu'au dernier avant même qu'ils ouvrent la bouche, puis auraient envoyé caravelles et galions par le fond, tandis que les squaws auraient préparé un grand barbecue festif sur la plage pour arroser ça. À la rigueur ils auraient esclavagisé quelques spécimens pour les envoyer couper beaucoup bois quand hiver très rude. Et ils étaient tranquilles pour au moins un siècle, à chasser le bison et scalper les voisins. Au lieu de ça, ils ont préféré jouer aux progressistes, aux multicul', aux vous-n'aurez-pas-ma-haine : c'est bien fait pour eux.

La règle sera donc la suivante, et elle est d'or : soyez xénophobes, mes frères, par principe et résolument ; cela peut vous sauver la vie, et accessoirement le pucelage de vos filles, comme l'histoire des hommes le montre d'abondance. Et ce n'est qu'une fois prouvée sa bénévolence que l'étranger pourra, très éventuellement, être convié à dîner à la maison. Mais on aura garde de ne mettre à sa disposition, à table, que des couteaux aussi peu affutés que possible. Parce que, tout de même : un étranger reste un étranger. Parole de Geronimo.

mardi 1 février 2022

Proustien, proustophile, proustolâtre et proustomaniaque

La chambre du petit Marcel, à Illiers.
 

 Nous fûmes tout cela en janvier.