mercredi 31 mars 2010

mardi 30 mars 2010

La discordance de la musique

L'impression que la musique des siècles nous ayant précédés était là pour creuser l'homme (cavatine), descendre en lui, en nous. Alors que celle de notre siècle (le XXe) nous aurait plus ou moins délaissés pour explorer des mondes, et nous les offrir ; des mondes qui semblent futurs (je pense à Michaël Lévinas, écouté tout-à-l'heure) et d'autres d'avant l'homme (je perds l'adjectif correspondant), à quoi m'a toujours fait penser la musique de Scelsi, avec ses grognements telluriques, ses pesanteurs dinosauriennes.

Dans les deux cas, la musique reste menaçante, ce qu'elle ne peut jamais s'empêcher d'être, il me semble : soit qu'elle fore en nous, soit qu'elle ouvre des portes vers l'avant, l'après, le “ de biais” – elle abat les cloisons quoi qu'il en soit. En aucun cas elle ne peut nous charmer – ou alors au sens le plus brutalement premier du mot, qui reste menaçant : fonction de la variété, qu'elle soit femelle (chanson) ou mâle (rock, etc.).

De ce fait, la musique est discordante, au sens où l'entendent les gens qui se désintéressent de la musique. Elle l'est parce qu'elle nous contredit dans nos assoupissements, qu'elle menace constamment d'effacer nos sourires niais et repus d'art – elle tend à nous annuler, toujours. Pour ce faire, elle invente, elle sort d'elle-même, elle s'allie à ce qui passait hier pour son contraire. Dans le Froissement d'ailes de Lévinas, la lutte a lieu entre le souffle et la musique, entre l'instrument et celui qui tente de le maîtriser – Dieu et sa créature, et c'est tout nouveau que l'instrument semble regimber contre son manipulateur. C'est-à-dire que c'est un combat sans doute aussi ancien que la musique elle-même, mais c'est la première fois qu'il se donne à entendre, à voir, à admirer, à rejeter, à combattre – qu'il s'expose sur la place publique.

En ce sens, la musique paraît bien suivre le chemin de la littérature (sans qu'on sache qui d'elles deux a commencé, bien entendu), qui mène de ce flamboiement du XIXe siècle, de cet impérialisme créateur à l'œuvre aussi bien chez Balzac que chez Wagner (et d'autres : je fais court...) à cette interrogation inquiète de Pesson ou de Woolf, en étant passé par les éclats furieux d'un Céline ou d'un Varèse.

Quitte à se perdre un peu et beaucoup, et en acceptant humblement de dire des conneries comme je le fais maintenant, on ne doit pas, je crois, tourner le dos à son époque. L'amour exclusif du passé est une façon de s'admettre mort : les petits enfants de ce jour nous en tiendront compte.

lundi 29 mars 2010

De Gérard Pesson et de Michel-Ange

Sans doute sous l'influence de la lecture (terminée ce matin) du Journal de Gérard Pesson, je récoutais tout à l'heure (en essuyant la vaisselle...) ses Béatitudes – que l'on peut découvrir ici. Et me frappait à nouveau la difficulté que semble éprouver cette musique à s'extraire du silence, lequel tient pour elle à la fois de la matrice et de la gangue. Ces notes qui paraissent être le fruit, ou plutôt le reste d'un déchirement, celui d'un tissu musical dont on ignorera tout, se plaignent à voix exténuée (aux cordes le plus souvent) des efforts presque mortels qu'elles doivent fournir pour s'extraire de ce trou noir originel, et parfois ont un bref cri de rage (au piano), qui est un mouvement de révolte vite étouffé. En ce sens, et malgré sa ténuité, sa discrétion (au sens approximatif et sans doute abusif de ma part où Lévi-Strauss parle de quantité discrète), cette musique peut être dite forcenée, prise qu'elle est, vis-à-vis du silence dans une perpétuelle oscillation protestation/soumission, une résignation traversée d'éclairs. Le silence lui est une prison, et c'est par là que l'on peut parler véritablement, dans ce cas, de cellules mélodiques. C'est également cet enfermement du son qui me fait penser, presque à chaque audition, à l'Atlas de Michel-Ange, exposé à la Galleria dell'Accademia de Florence, qui agrippe à deux mains le bloc de pierre dont il cherche désespérément à extraire sa tête. Mais si, dans le cas du sculpteur, cet effet est produit par le non finito de l'œuvre, chez Gérard Pesson on semble avoir affaire, à l'inverse mais pour un résultat étrangement proche, à une musique “pas encore commencée”, fœtale, limbique – et, tout comme l'esclave de pierre, d'une force décuplée pour cette raison même.

Certes le niveau monte – mais le niveau de quoi ?

Ce matin, dans ma boîtamel, le petit mot d'une amie, professeur de français depuis... Ouf ! restons galant et disons depuis un certain temps. Comme je sais avoir quelques enseignants parmi mes lecteurs, je verse cette pièce au dossier – c'est la fin de son message, auquel je n'ai pas touché, à part l'anonymisation de la ville qu'elle cite :

« J'allais dire “bises”, ça m'a fait penser à Camus : j'ai trouvé à P*** et terminé la semaine dernière le dernier tome du journal de Camus (effectivement quand on connaît la cave coopérative de Montcaret, on peut comprendre sa surprise) et je vais me précipiter sur les tomes antérieurs. Ce qu'il écrit sur la société actuelle éveille beaucoup d'échos en moi, ce qui me désespère un peu parce que je le sens très pessimiste et que, franchement, je n'ai pas besoin de ça, je le suis assez moi-même. (Et demain les choses ne vont pas s'arranger quand je vais me retrouver face aux élèves. J'ai beau faire des efforts faramineux, je n'arrive pas à les trouver intéressants, je les trouve même de plus en plus cons, est-ce que c'est grave, Docteur ?) Vendredi, nous avons accompagné les troisièmes voir une adaptation de La Dispute de Marivaux ; je suis revenue énervée, effondrée, pas vraiment à cause de leur manque d'intérêt pour Marivaux, il fallait s'y attendre, d'autant plus que j'ai trouvé l'adaptation très moyenne et très démagogique, mais surtout à cause de leur maintien pendant la représentation et dans la rue, au retour. Camus semblait choqué des Arabes qui crachent par terre, aujourd'hui ça semble la norme chez les élèves. J'essaie de faire en sorte qu'ils aient un minimum de “maintien” en cours mais je sens que je vais lâcher prise, je m'y épuise. En vérité je te le dis (!), je ne finirai pas ma carrière sans balancer une beigne. »

Je précise que l'amie en question enseigne loin, très loin du 9-3...

dimanche 28 mars 2010

D'une manière générale, on ne tue plus beaucoup de chefs d'État de nos jours

Nous étions occupés à déjeuner d'un très complaisant tajine de poulet aux citrons confits, parsemé de fines ciselures de coriandre fraîche – à une heure quasiment ibérique, vu le changement d'horaire imbécile –, lorsque l'Irremplaçable s'est mise tout soudain à pester contre les Japonais et je ne sais plus quelle peuplade annexe, qui venaient de refuser les limitations de la pêche au thon rouge. « À quoi ça sert que l'on instaure des quotas si ceux qui en pêchent le plus refusent de signer l'accord ? », tempêta-t-elle en substance. Je lui fis alors observer, tout en reprenant une louchette de semoule, que ceci expliquait sans doute cela. Et que si demain se tenait une conférence mondiale en vue d'interdire le fromage au lait cru, ces mêmes Japonais voteraient alors tout ce qu'on voudrait, d'une seule main et le sourire aux lèvres.

« Mais ils ne se rendent pas compte que, s'ils continuent, leurs enfants n'auront plus du tout de thon (admirez l'allitération trompettante) ? », revint-elle à la charge, en brandissant un pilon de poulet menaçant dans ma direction. Là encore, je la priai de noter qu'il s'agissait de politiciens, n'en ayant rien à battre des générations futures et se souciant fort peu de carboniser leur carrière en prenant une décision hautement impopulaire. Et d'ajouter, négligemment quoique la bouche pleine :

« C'est l'un des gros avantages de la monarchie héréditaire : le roi peut se permettre de prendre des décisions impopulaires, vu qu'il ne craint aucun couperet électoral.
Elle : – Oui, mais, parfois, quand même, celui de la guillotine...
Moi : – Oh ! le régicide artisanal est beaucoup plus simple, dans ces cas-là ! D'ailleurs Stendhal ne disait pas autre chose lorsqu'il prétendait tenir pour le meilleur des régimes la monarchie absolue tempérée par l'assassinat.
Elle : – Tiens, d'ailleurs, c'est curieux, il me semble qu'on ne tue presque plus de chefs d'État, de nos jours...
Moi : – Oui, enfin... sous nos latitudes...
Elle : – C'est ce que je voulais dire : m'en fous, des autres ! Depuis de Gaulle, rien ! Ah, si, tout de même, il y a eu Chirac et le débile mental qui lui a vaguement tiré dessus, pendant un défilé de 14 juillet...
Moi : – Oui, ce pauvre homme aura eu un attentat conforme à son importance historique. Pour Sarkozy, c'est encore pis : au lieu d'être manqué de justesse par une bastos de 9 mm, comme un homme, il se sera pris de plein fouet une centaine de tee-shirts violets, accompagnés d'enfants idiots et de masques de carnaval – de quoi se dégoûter de la dictature. »

Là-dessus, on a débarrassé la table et mis le lave-vaisselle en route.

Didier Goux fait de la résistance horaire

Eh bien, si, justement, j'oublie, connard que nul n'a autorisé à me tutoyer ! Car l'Irremplaçable et moi avons tout uniment décidé, au saut du lit, comme ça, d'entrer en résistance temporelle – temporelle mais temporaire, tout de même. Dans la mesure où nous nous sommes levés tard – neuf heures, d'après le temps d'avant –, il a été décrété dans le cercle conjugal que nous ne passerions à l'heure d'été qu'en milieu d'après-midi, approximativement au moment du goûter. D'ici là, qu'on se le dise : les Goux sont toujours à l'heure d'hi(v)er. Inutile donc de les chercher dans le monde réel : ils n'y sont pour personne.

samedi 27 mars 2010

Le simple fait que je sois tout seul, c'est déjà un triomphe de masse

En ce moment même, un peu partout en France, de petits groupes de rebelloïdes énervés battent la semelle devant les mairies, les préfectures, les palais de Justice, les Quick hallal et les édicules Rambuteau. Car, aujourd'hui, c'est le... c'est le... On vous l'a seriné cent fois, bordel ! C'est le NO SARKOZY DAY ! À l'heure où nous causons tranquillement, la colossale statue de notre petit Ceaucescu à nous en est à vaciller sur son socle. La hideuse dictature qui se profilait reflue déjà devant cette marée humaine de trois cent cinquante résistants-de-la-première-heure qui, montés de la mine et descendus des collines, envahissent nos rues de leur colère moirée. (Pourquoi moirée ? Parce que !)

Notez que je dis “trois cent cinquante” par pure mauvaise foi, prurit taquin : en vérité, ils doivent être un peu plus, tout de même. Mais je prends le pari de la déconfiture, quitte à ce que, ce soir, les chiffres m'apportent un démenti – cinglant comme tout bon démenti faisant correctement le job. De toute façon, succès ou échec, cette pantalonnade ne peut être qu'un triomphe. C'est un certain (ou une certaine, je ne sais) Stef qui, dans une bouffée délirante assez curieuse, nous l'affirme sur son blog. Son argument est en effet de destruction massive :


« Non l'objet de cette journée, n'est pas de jauger notre capacité de mobilisation, mais simplement de rappeler que le chef de l'état applique sa politique sans l'aval des citoyens qui l'ont élu. A lui d'assumer ce déni de démocratie. Nous n'avons plus rien à prouver dans notre capacité de dire Non à Sarkozy. L'existence de cette journée est déjà une victoire. »

Vous avez compris le message ? Le simple fait qu'un soir – de trop grande beuverie ou de manque cruel, on ne sait – trois gauchistes enfiévrés aient décidé que cette journée existerait suffit à la transformer en triomphe. Si vous voulez rire un peu avec l'ami Stef, transposez-moi ça à un mot d'ordre de grève, par exemple (« Que ce préavis ait pu être déposé suffit à transformer notre grève en victoire ! »), ou aux dernière élections françaises et son abstention poids lourd (« À partir du moment où les bureaux de vote ont été ouverts... »). On peut même appliquer le raisonnement (!) au domaine érotique : « Le simple fait d'avoir osé demander à Samantha de coucher avec moi a suffi pour transformer ma solitaire pignole en une acmé charnelle d'une sublimité rare ! »

On ne devrait jamais laisser les puceaux se risquer à l'analyse politique.

vendredi 26 mars 2010

Les vieilles Corréziennes à cheveux mauves n'ont qu'à bien se tenir

Très éclairante discussion, chez l'honorable Mathieu, suite à son billet du jour. On y part de la fameuse phrase d'Éric Zemmour quant à à la surreprésentation des noirs et des Arabes parmi les (petits) trafiquants de drogue en France. Bon. Naturellement, pas plus chez Mathieu que nulle part ailleurs, il ne s'agit de nier la réalité du fait énoncé, qui crève les yeux. Non, il s'agit de botter en touche, d'ouvrir le parapluie, tout en reprochant à ceux qui voient la pluie tomber d'avoir de trop bons yeux et d'attirer l'attention de ceux qui préfèrent garder fermés les leurs. Comme le dit, en commentaire, l'excellent Manuel : « Quand on répète dix fois une connerie, les gens finissent par y croire. » Ce qui est problématique – et Manuel l'a bien vu, je pense – c'est que son axiome marche aussi, et encore mieux, avec la réalité. Mais revenons à l'argumentation de Mathieu.

Elle est tout ce qu'il y a de plus classique et rabâchée, mais elle reste intéressante tout de même. Que dit-il ? En substance, que s'il y a sept à huit fois plus de noirs et d'Arabes dans les prisons françaises (“à la proportionnelle”, évidemment), c'est parce que ces mêmes noirs et Arabes sont sept à huit fois plus contrôlés par la police. Quand on y songe, l'argument est vertigineux. Car, enfin, s'il était exact, il signifierait quoi ? Qu'il suffit de demander ses papiers à un individu pour qu'il devienne délinquant – la fonction qui crée l'organe. Ce qui induit que nous sommes tous des délinquants, mais que certaines catégories de la population passent au travers des mailles du filet policiers, simplement parce que personne ne songe à vérifier qu'elles fourmillent de gens en délicatesse avec la loi.

Par conséquent, si l'on pousse le raisonnement à son bout, on peut imaginer que si, demain, les policiers reçoivent pour consigne de leur ministre de tutelle de contrôler massivement les Corréziennes de plus de 70 ans, présentant des reflets mauves dans leurs cheveux et portant un cabas écossais, eh bien, après-demain, la population carcérale présentera automatiquement un net surnombre de septuagénaires corréziennes à cheveux mauves, et le greffe sera encombré de cabas écossais.

En un sens, d'ailleurs, Mathieu a parfaitement raison : si toutes nos futures brigades anti-corréziennes se désintéressent complètement des noirs et des Arabes pour se concentrer sur leurs nouvelles priorités, le nombre des noirs et des Arabes embastillés va chuter de manière très significative. Et nous autres, les drogués blancs, on aura moins loin à aller pour se ravitailler en dope.

jeudi 25 mars 2010

Alphonse Daudet ou les pièges de l'élégance

Il y a aussi que Daudet est vraiment charmant. Pas seulement lui : son écriture, les histoires qu'il raconte, ces façons enveloppantes de sa phrase, les séductions de son Midi, ainsi que la grâce de ses descriptions – salons parisiens, paysages provençaux ou autres...

Et c'est pourquoi, il me semble, on ne le lit pas ou plus ou peu : il est charmant. En regard, Balzac est tout hérissé, rugueux, râpeux, parfois pénible. Mais Balzac justement ne décrit pas, il ne place jamais de morceaux, ce que Daudet fait parce qu'il sait savoir le faire – et juste pour ça. (Je crois avoir déjà dit cela il y a quelques jours, mais c'était peut-être dans le journal : je finis par m'y perdre un peu, je l'avoue.)

J'attends de lire les Goncourt, dans leurs œuvres romanesques, avant de me prononcer, étant certain de trouver des correspondances entre eux et Daudet – mais peut-être uniquement par l'amitié que je sais les avoir réunis, sortant du Journal des deux frères.

Revenons à Daudet. Sa phrase ondoie un peu trop élégamment pour mon goût (mais je n'ai pas encore lu La Doulou), elle cherche l'effet (le trouve d'ailleurs, le plus souvent, mais sans forfanterie, jamais) et se montre satisfaite de son travail. Rien de tel – pour suivre la comparaison – chez Balzac, qui ne le cherche ni ne le trouve : Balzac est un génie parce qu'il ne travaille pas sur la phrase. Il manie des blocs, et accepte à cause de cela l'idée d'être parfois massif. – Et j'ai de nouveau quitté Daudet. Revenons-y : sa langue est parfaite, en adéquation minutieuse avec ce qu'il veut raconter. Alors que celle de Balzac se bat avec lui, regimbe, proteste, se plie finalement, mais à des prix très élevés. Flaubert disait en substance (voir sa Correspondance) : « Quel écrivain aurait été Balzac s'il avait su écrire ! » Deux ou trois décennies plus tard, on a dit la même chose de Dostoïevski – en tout cas en France. C'est l'une des sottises proférées par Flaubert, ce maître du thème.

Et, en effet, peut-être que Balzac ne savait pas écrire (non plus Dostoïevski), et qu'Alphonse Daudet savait, ce qu'il prouve quasiment à chaque paragraphe. Mais la comparaison reste cruelle pour le second – et gardons le Russe pour une prochaine fois.

mercredi 24 mars 2010

De ta mort dans un petit lit blanc

À Pluton et Emma, avec ma plus profonde amitié...

Quand on y pense, et presque tout le monde y pense, tout le temps, c'est incroyable, ce pouvoir – ou disons cette emprise – que les médecins ont pris sur nos vies. Ils l'ont d'abord pris par leur imbécile jargon gréco-latin, pour nous en faire accroire, qui veut qu'un rhume (sympathique, le rhume, familier) soit devenu une rhinite – effrayante, la rhinite, pas maîtrisable : un rhume, c'est juste de la morve qui coule dans la cours de récré ; une rhinite, c'est des microbes, des virus, des amibes, que sais-je ? Et je ne dis rien de ce bon vieux mal de tête devenu céphalée. C'est le pouvoir pris par les médecins. La moindre préposée aux prises de sang dans un labo de province (expérience de ce matin) vous ensevelit gentiment sous des termes qu'elle-même ne comprend pas, mais qu'elle maîtrise. Au final (spécial dédicace à Georges), elle se contente de vous faire une piqûre. Mais ce qui l'empêche de voir ce qu'elle est et fait du matin au soir, c'est le jargon qu'elle bafouille : ça la tient debout, je suppose. Ça l'élève.

Ce même jargon permet à nos amis médecins de se prendre pour les curés des temps modernes, avec une efficacité aussi redoutable que celle des prêtres du siècle passé (je parle du XIXe, considérant comme nul et non avenu ce XXIe qui pointe son mufle). Lorsqu'un prêtre catholique (voire un pape nazi...) prône la chasteté, tout le monde ricane, et c'est bien normal : nous sommes tous des esprits forts allemands, comme on disait en mai 68. Mais qu'une blouse blanche se pointe, bardés de virus aux noms incompréhensibles, sujets à des interactions imbitables, etc., vous vous retrouvez menacés du Sida (exemple entre autres) et du coup vous vous agenouillez dans son confessionnal laïque et aseptisé –après douche à la bétadine.

Les médecins et les avocats semblent devoir être nos maîtres-du-monde de demain matin. Les seconds nous puniront très facilement si nous n'avons pas eu le bon goût, le respect, de mourir des amphigouries dont les premiers nous auront menacés. (Je rallume une cigarette et m'interromps une minute, le temps d'aller chercher une bière dans le frigo – permettez, mes seigneurs).

Il y a aussi ce ton, dont ils usent avec nous. Paternel, dieu-le-pèriste en diable, si je puis dire. Toujours oscillant entre la trique et la bonté compréhensive, comme des instituteurs de maternelle. Et nous qui semblons faire exprès – petits cons irresponsables – de les décevoir toujours. Faites l'expérience : Dites que vous continuez à fumer malgré vos trois stents (irruption du personnel dans ce billet...), ou de boire après votre greffe du foie. Oh ! ce visage de réprobation méprisante ! Cette face de grand inquisiteur déçu de ses ouailles ! Rien que cela vaut la peine de continuer à boire et à fumer, à baiser sans capote, que sais-je encore ?

Nos médecins sont généralement très cool, même lorsqu'on les énerve volontairement. C'est qu'ils savent que l'avenir, notre avenir, leur appartient forcément : on finira entre leurs mains. Et, alors, il est probable qu'on leur pardonnera tout, leur morgue, leur sottise, leurs certitudes, leur vocabulaire imbécile. Parce qu'il n'est malheureusement pas impossible qu'à ce moment dont je parle il ne nous restera qu'eux. Et on crèvera de trouille, sous leurs regards compréhensifs.

Le regard des femmes dans ces miroirs de biais

La nuit sera-t-elle noire et blanche, comme l'annonçait Gérard de Nerval juste avant de se pendre rue de la Vieille-Lanterne, ou blanche et noire comme le soutient Joseph Vebret, au titre de son dernier roman ? Peu importe, le patronnage est là, affirmé dès l'entrée : il y en aura d'autres, et d'aussi illustres, affirmés avec la même force, dont celui de Cesare Pavese qui, lui-même, lui plus que tout autre, a connu le dur Métier de vivre – et c'est encore une vie qui s'achève à une quelconque grille d'une quelconque Vieille-Lanterne métaphorique, ce n'est pas un hasard.

La nuit de Joseph, on le comprend, est comme un miroir de celle de Gérard : issue moins brutale, mais ténèbres aussi collantes. C'est surtout une nuit traversée d'éclairs, eux-mêmes reflétés, propulsés par d'autres miroirs, soigneusement disposés par l'auteur de façon à pouvoir jouer les uns avec les autres (ou contre les autres ?) sans jamais avoir à se trouver face à face. Les miroirs sont les différents temps du récit, entrelacés avec un art parfaitement maîtrisé, subtil et intelligible. Les éclairs sont les trois femmes (sans compter la mère, à qui tout miroir semble refusé...) qui ont ce pouvoir de traverser les miroirs, ou plutôt de jaillir de leur surface, où se contemple le narrateur, d'illuminer un instant le reflet incertain où il tente de se reconnaître, de se discerner, de se rassembler.

Ce roman est aussi – et sans doute avant tout – celui de la mort rencontrée, affrontée avec la seule arme dont dispose le narrateur, à savoir l'écriture. Car notre “je” est écrivain – et c'est là que pour moi le bât blesse, sans que l'auteur y soit d'ailleurs pour quoi que ce soit : je suis rétif, et de plus en plus, à ces romans mettant en scène les écrivains et leurs affres ; je me méfie de tout de ce qui peut ressembler à une “mise en abyme” de l'écriture, ainsi qu'il nous est dit sur la quatrième de couverture : j'ai tendance à y voir une forme de complaisance, le plus souvent maladroitement camouflée sous un auto-dénigrement trop ostentatoire pour être pris au sérieux. Fort heureusement, Joseph Vebret échappe en grande partie à ces écueils, sans doute en raison de la construction de son roman, tout en retours, détours, raccourcis, passages dérobés d'un temps à l'autre, mais aussi parce qu'une fois encore, il est éclairé par ces visages de femmes que nous transmettent les miroirs soigneusement disposés par Vebret dans son théâtre, afin d'en élargir les proportions, d'en révéler les zones sombres – mais aussi, par contrecoup, d'en approfondir les mystères.

Il faudrait aussi parler du rôle joué par l'alcool, cet incitateur/repoussoir, ce foret psychique qui permet certes de creuser, mais comme on creuse une blessure au risque de l'élargir et de la voir s'infecter irrémédiablement.

Si l'on tient absolument à dire un peu de mal de cette Nuit blanche et noire, on notera que les dialogues sont parfois un peu contraints, qu'on les lit facilement mais sans les entendre véritablement : c'est peut-être que l'auteur sait trop bien, à l'avance, où ses personnages doivent aller, et qu'il ne leur laisse pas assez le loisir d'inventer eux-mêmes leurs propres chemins de traverse.

On pourra aussi donner un coup de règle sur les doigts de son éditeur qui laisse passer (par deux fois !) un : « C'est de cela dont il s'agit » – mais là, c'est mon côté “pion” qui ressort...

Il reste “au final” (comme l'écrit malheureusement Vebret, sans se soucier de m'écorcher les oreilles au passage...) un roman douloureux et roide, qui échappe au pathos par la distance qui se maintient de bout en bout entre le narrateur et lui-même, entre les événements qui lui surviennent et le regard qu'il pose sur eux – et aussi, et encore, par ces trois femmes lumineuses, les Filles du feu de ce nervalien de Vebret.

mardi 23 mars 2010

Les chiens de garde du Bien vont avoir leur nonosse

Réjouissez-vous, camarades, l'affaire est presque faite ! Elle bruissait çà et là depuis quelques jours, Le Point la confirme : Éric Zemmour aurait déjà un pied en dehors du Figaro et l'autre sur une banane trop mûre. Il était temps, il était plus que temps ! Il fallait que se taise absolument cet olibrius, acharné à décrire un réel que chacun peut voir mais dont il est bienséant de ne pas parler. Un peu de pudeur, bordel ! Par exemple, que les vendeurs de drogues diverses le soient très majoritairement aussi, divers, est une chose que toute personne ayant fumé au moins un joint dans sa vie sait pertinemment (c'est comme un enseignant socialiste, un cheminot en grève ou un humoriste dérangeant : ça coule de source) : à quoi bon aller le dire tout fort sur Canal +, hein ? C'est du dérapage ! De la provoc qui refoule du goulot ! Pas de ça chez nous.

J'entends bien les croassements plaintifs de certains chafouins d'extrême-droite, qui vont venir pleurnicher que ce Zemmour était à peu près le seul à poser sans détour certaines questions, voire – mais quel culot ! – à leur esquisser des réponses ; et que, donc, au milieu d'un océan d'acquiescements mécaniques au monde-tel-qu'il-va, on aurait pu le laisser continuer. Ah mais non ! Trop facile ! Parce que si un gugusse se permet de la ramener comme bon lui semble, de prétendre regarder les choses en face, qui vous dit que d'autres ne vont pas l'imiter ? Les esprits franchouillards sont si perversement moutonniers, si vous saviez... Non, non, il est extrêmement important, comme dans le chœur antique, que tout le troupeau bêle d'une seule voix ; sinon, camarades, il n'y a plus de vivre-ensemble possible, la mondio-fraternité vole en éclats – et on risque de réveiller des braves gens qui ne demandent qu'à léthargiser dans l'amour de l'autre et la paix de tous.

Monsieur Mougeotte, c'est donc à vous que je m'adresse : si jamais vous hésitez encore à lourder cet emmerdeur récidiviste, je viens vous supplier d'être ferme, de ne vous laisser attendrir par rien ni personne. Vous ne devez songer qu'au bienfaisant silence qui suivra votre salutaire coup de pied au cul : la France qui dort compte sur vous. Les dealers aussi, du reste.


Rajout de mercredi matin : à lire, Élisabeth Lévy sur le même sujet...

lundi 22 mars 2010

Sœur Anne, elle est où, leur putain de vague rose ?

Comme je ne suis pas particulièrement masochiste, même si je lis des blogs progressistes, il va de soi que je ne me suis pas infligé la soirée électorale télévisée d'hier : contempler une assemblée de clowns de différentes couleurs (mais en fait tous à peu près de la même : c'est un simple phénomène d'irisation sur les marges) venant rejouer les souverains poncifs en majesté, merci bien.

Donc, ce matin, je consulte les cartes de France, pour voir où on en est. Et je vois ceci : en 2004, toutes les régions socialistes sauf l'Alsace et la Corse ; six ans plus tard, toutes les régions socialistes sauf l'Alsace. Je me dis : « Tiens, une petite élection pépère dans laquelle, sauf unique exception (dans une région qui est elle-même une exception), on s'est contenté de reconduire les sortants. » Et là-dessus, ouvrant la boîte à blogs, que lis-je ?

Que la France aurait été submergée par une vague rose ! D'aucuns vont même jusqu'au raz-de-marée. Oui, oui, vous avez bien lu : à gauche, on n'hésite pas à déranger un raz-de-marée juste pour conquérir la Corse ! (Et quand on sait ce que vaut une conquête politique de la Corse, n'est-ce pas...) Raz-de-marée qui, de plus, aurait même été fichu de laisser une ou deux autres régions sur le sable bien sec, si le Front national n'avait, comme d'habitude, joué les gentils supplétifs, assis sur sa bouée à tête de canard nazi au sommet de notre fameuse vague.

En bref, on garde nos petits barons locaux et on continue comme avant. Ce qui autorise Mme Aubry à déclarer que les Français ont voté pour le changement. Après la vague rose qui garde les pieds au sec, le changement pour conserver les mêmes : c'est beau la foi.

dimanche 21 mars 2010

Si tu te laves sous les bras, tu es judéophobe !

« Ça y est, il recommence à s'acharner sur cette malheureuse ! », vont soupirer les bonnes âmes. Eh bien non, pas du tout. Si je vous invite à aller lire le dernier billet de Céleste, c'est sans l'ombre d'une arrière-pensée perverse et moqueuse à son endroit, dans la mesure où le fait divers qu'elle prend pour base de ses habituelles déplorations trahit effectivement, s'il est avéré, une solide et “crasse” bêtise.

Non, ce qui m'a laissé sans voix dans un premier temps, puis éclater de rire dans un second, c'est le premier de ses commentaires, pondu par un certain Vieil Anar, et qui affirme ceci :

« Absolument ignoble, d’autant plus que le savon a des relents d’antisémitisme marqués depuis 39-45… » (C'est moi qui souligne.)

Ah, vous voyez : vous aussi vous en restez le maxillaire béant ! Eh bien, il faudra vous faire à cette idée : désormais, grâce à Vieil Anar – maison de confiance –, nous n'oublierons plus que le savon est antisémite, et ce depuis la plus haute antiquité du XXe siècle. Bien entendu, j'ai compris comme vous par quels méandres inexplorés est passée la pensée de ce malheureux garçon avant de jaillir à l'air libre sous cette forme. Néanmoins, ça donne le vertige. Car si le savon est antisémite, cela implique qu'il véhicule des idées nauséabondes. Or, je m'excuse, mais si le savon lui-même se met à puer de la gueule, à quoi pourrons-nous désormais nous raccrocher ?

D'autant que le scandale ne s'arrête pas là. L'illustration que je vous ai dégotée prouve à l'envi que le savon est également un immonde raciste (notamment le savon de Marseille : voir les scores du FN dans cette riante cité). Si j'ajoute que, pour prétendre les laver correctement, il exige que nos sœurs musulmanes ôtent voiles et burquas, mais aussi petites culottes, tampons hygiéniques, boules de geishas, etc., on peut sans coup férir en déduire que le savon est en outre un enfoiré d'islamophobe compulsif. On comprendra donc qu'il a du souci à se faire et nous avec. Car quand le savon dérape, il ne reste plus rien à quoi se raccrocher. Alors qu'attendons-nous pour réagir, face à ce détergent hitlérien ? Il faut nous hâter, pensons à nos enfants et au monde que nous souhaitons leur transmettre !

Heureusement, j'apprends que le MRAP (alerté par mes soins : j'ai des accointances secrètes...) a d'ores et déjà dépêché toute une batterie d'enquêtes concernant le liquide-vaisselle, le Canard WC, les shampooings autoproclamés “ultra-doux” (dans ultra-doux, il y a ultra : restons vigilants), les crèmes adoucissantes qui-ne-tachent-pas-les-habits, les dépilatoires à foufounes, etc. Un rapport devrait suivre, comme d'hab'.

samedi 20 mars 2010

Il faudrait avoir trois jambes de bois pour ne pas danser la Polska (Fin)

Résumé de l'épisode précédent : après une vague branlette dans un cinéma porno, la douce fiancée s'apprête à devenir Mme Goux devant les hommes...

Lorsque j'ai répondu “oui” au maire du XIXe arrondissement de Paris, ce jour de 1985, j'avais une très sévère gueule de bois – ce qui ne devrait surprendre personne. Je suppose que j'avais dû saisir le prétexte de cet enterrement de vie de garçon pour rentrer chez moi vers quatre heures du matin, et me relever à neuf dans le but d'être à l'heure à mon mariage. Mon témoin était un oncle de la mariée, qui parlait français avec un accent polak à trancher à la hache. – Rien à dire de particulier quant à cette brève cérémonie. Au sortir de la mairie, je me suis dépêché de quitter tout le monde, car on était en semaine et j'étais attendu à mon boulot.

Deux ou trois jours plus tard, mon ami Jef m'a embarqué dans sa voiture et, de Neuilly où nous travaillions alors tous les deux, m'a conduit au centre commercial de La Défense, où nous avons chargé le téléviseur à moi offert par la nouvelle épousée. Le soir même, pour qu'il n'excite pas les convoitises des noctambules, Jef a monté le poste en question dans son appartement, où il a passé l'intégralité de son existence de poste, vu que je ne suis jamais venu le chercher : ne passant aucune soirée chez moi, je n'avais nul besoin d'une télévision.

Et, là-dessus, j'ai paumé mon épouse.

Je me souviens qu'elle m'a appelé un après-midi, à peu près un an plus tard, alors que mon environnement professionnel immédiat venait de sévèrement me concasser les burettes, ce qui fait que je lui ai répondu assez sèchement – trop sans doute. Du coup, pensant qu'elle m'importunait, elle a cessé de m'appeler ; et moi aussi. Lorsque je me suis dit que, tout de même, je pourrais prendre de ses nouvelles, elle avait déménagé et je n'ai pas réussi à la joindre. Quant à elle, sans doute considérant que lui parler m'était désagréable, elle s'est gardée de me rappeler. C'est comme ça que nous nous sommes perdus. Le plus fort est que, entre notre mariage et l'évaporation de Janina, sa vieille Polonaise de mère s'était mise à aller beaucoup mieux, rendant ainsi notre union sans objet, et donc d'autant plus farcesque. Et les années passèrent...

J'avais tellement bien oublié l'aventure que, lorsque l'Irremplaçable et moi avons acheté notre première maison, à Beaulieu-sur-Loire, en 1992, j'ai répondu “non” au notaire qui voulait savoir si j'étais marié. Je suis donc passé pour un parfait branquignol lorsque je l'ai rappelé, quelques heures plus tard, pour lui dire en gros : « Ah, Maître, au fait, je me suis trompé : je suis marié, mais j'avais complètement oublié... »

Autre épisode burlesque, lié à l'intrigue principale, lorsque ma mère, préparant sa retraite, en 1993, a eu besoin de tout un monceau de papiers officiels, et que sur l'un d'eux elle a découvert que son fils aîné préféré était marié depuis huit ans – car je n'en avais évidemment rien dit à mes parents.

1993, c'est aussi l'année où Catherine a commencé d'être démangée par le prurit des justes noces. J'ai donc entamé une procédure de divorce, chose que je pensais impossible en l'absence de ma femme mais qui s'est avérée tout à fait faisable – et donc fut faite. Ce divorce était encore tiède quand j'ai épousé Catherine en octobre 1994.

L'épilogue se déroulera en 1997, alors que nous vivions désormais, et pour peu de temps, dans la riante petite cité médiévale de Villeneuve-la-Garenne – Hauts-de-Seine. Un soir, coup de téléphone, voix de femme, accent slave. « Didier ? Bonsoir, c'est ta femme !... » Et moi, du tac au tac : « Non, mon ex-femme : nous sommes divorcés depuis quatre ans ! » Janina a eu le bon goût d'en rire. Et même de me dire que ça l'arrangeait puisqu'elle vivait désormais avec quelqu'un. J'aurais pu lui reprocher cet adultère flagrant, mais je me suis abstenu. On a conversé quelques minutes, mais je ne sais plus de quoi, et on a raccroché.

C'est la dernière fois que nous nous sommes parlé. Mais allez donc savoir, avec ces Polonaises.


P.S. : pour ceux qui souhaiteraient lire, ou relire, les trois épisodes dans le bon ordre, je viens de ranger l'ensemble dans le bungalow...

Il faudrait avoir trois jambes de bois pour ne pas danser la Polska (II)

Résumé de l'épisode précédent : Et Janina de me demander si, par hasard, dans mes relations, je ne verrais pas quelqu'un susceptible de lui rendre le service de l'épouser. Je m'entends alors répondre : « Ben, si... Moi ! »

Elle réagit très vite, ma Polonaise sans visage : « Nooon, tu ne peux pas dire ça ! Réfléchis, c'est une question grave ! » Et moi, prenant la mouche : « Mais c'est tout réfléchi ! Je t'épouse, grosse connasse ! »

(Il va de soi, on l'aura compris, que je ne lui ai pas dit “grosse connasse” : c'est juste pour faire genre, 25 ans plus tard...)

Là-dessus, elle se met, la Janina, à parler pognon. Parce que , évidemment, il lui semblait normal de me rétribuer pour cet éventuel mariage. Moi, de mon côté, je sentais bien que j'étais en train de faire une connerie. Mais cette connerie m'amusait et, tant qu'à faire, il fallait aller au bout, non ? Donc, je me fâche (belle envolée de ma part, l'honnêteté faite homme : vous auriez dû me voir...), lui affirme qu'il est hors de question qu'elle me verse le moindre centime pour cette piètre péripétie : notre mariage. Deux jours ou trois plus tard, je raconte cette histoire à Bernalin, que cela amuse beaucoup, mais qui s'inquiète tout de même pour moi. Il a tort de s'inquiéter : dans six mois, il sera mort, ce con, et face à son cancer de merde je peux tout de même me permettre de me marier avec n'importe qui. Enfin, bon, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais...

Là-dessus, ma grosse Janina m'assène qu'elle va m'offrir une télé – que je dois considérer cela comme un cadeau et non comme un paiement. Bon, elle semble y tenir, je dis d'accord. Et, tout soudain, se passe le seul épisode torride de notre vie de couple.

À cette époque, je n'avais, comme aujourd'hui, jamais un franc d'avance, mais je m'en foutais. J'invite donc ma fiancée au Globe d'Or, restaurant situé entre Palais Royal et les Halles, tendance Sud-Ouest, tendance cantine-de-Didier-Goux, et qui n'existe plus depuis des années. Durant ce dîner, fort agréable (Janina est une femme point sotte et d'une belle douceur), ma futur épouse me lâche qu'elle n'est jamais allée dans un cinéma porno (ça existait à l'époque) et que l'idée l'excite plus ou mons. Soit : on y va.

Nous nous retrouvons, à Barbès, face à un écran large, observant des bites pénétrant des chattes – enfin, la routine. Janina a cet air émerveillé de l'enfance de qui découvre un univers nouveau. L'affaire l'excite – ou peut-être simplement l'idée qu'elle va devenir prochainement Madame Goux – ; lorsque je prends sa main pour la poser sur ma braguette, elle ne rechigne pas, et me branle gentiment sans décoller ses yeux de l'écran, tandis que, au bout de la rangée où nous sommes assis, un homme se branle lui-même en nous regardant d'un air encourageant.

On ressort assez vite de cette salle obscure (parce qu'on se lasse de tout, très vite, et que je dois admettre que je n'ai pas, ce jour-là, jailli impétueusement sur le dossier du siège avant, comme ça se produit dans les films). J'aimerais vous dire que j'ai joui comme une bête, aspergé ma toute neuve fiancée du coude jusqu'au bout des doigts – mais en fait non : même jeune, je ne jouissais pas si facilement, j'avais mon quant-à-soi.

Bref, on se casse et ma grosse Janina me ramène chez elle (j'ai totalement oublié où elle habitait). Là, avant le mariage, pas longtemps avant le mariage, plongé à fond dans le péché de chair, je l'air fourrée princesse, et elle a eu l'air d'aimer (ou elle a fait semblant, ce qui est toujours possible avec les gonzesses, mais je ne vois pas bien pourquoi, en l'occurrence).

Et ce fut notre seule fusion charnelle : deux jours plus tard nous nous mariâmes et onc ne commerçâmes de ce point de vue.


(À suivre..)

vendredi 19 mars 2010

Il faudrait avoir trois jambes de bois pour ne pas danser la Polska (I)

Elle se prénommait Janina et portait un nom emphatiquement polonais, que je préfère ne pas dévoiler ici, vu la teneur hautement scabreuse du petit récit qui va suivre. Janina est devenue Madame Goux en 1985 et l'est restée jusqu'en 1993, si j'ai bonne mémoire. Flash back.

Janina et moi nous sommes rencontrés sur ce qui s'appelait alors Le Réseau. De petits malins s'étaient avisés, en ces années-là, que les personnes qui appelaient en même temps l'horloge parlante avaient la possibilité de converser entre elles, dans les blancs laissés par les annonces horaires. C'est ainsi que cette bonne vieille horloge était devenue un salon plutôt convivial et assez intensément sexuel – un “lieu de drague”, pour tout dire. Le code était simple : dès qu'un blanc survenait, les quelques hommes en ligne se présentaient et annonçaient ce qu'ils recherchaient : femme, homme, raton laveur, etc.. Les femmes restaient en embuscade silencieuse, ne se manifestant que lorsqu'une voix (ou un prénom, ou autre chose) attirait leur attention. Alors, l'émoustillée demandait à l'inconnu son numéro de téléphone (jamais l'inverse !) et ils n'avaient plus qu'à poursuivre leur conversation par les voies ordinaires. C'est ainsi qu'un soir (une nuit ?), je me suis retrouvé à parler avec Janina. La conversation a été fort longue, se teintant d'un érotisme de plus en plus dense sur la fin – à tel point que je me demande si nous n'avons pas baisé par téléphone, ce premier soir : je crois bien que oui. Contrairement à ce qu'on pourrait penser elles ne sont pas rares, les femmes qui aiment s'envoyer en l'air au téléphone. Et c'est un peu comme le sexe en vrai : plus fatigant pour l'homme car il doit parler presque tout le temps, se creuser la cervelle pour enchaîner les salaceries en crescendo, afin que Madame puisse grimper en mayonnaise de son côté.

Par la suite, étalées sur plusieurs semaines, Janina et moi avons eu plusieurs conversations de ce type, mais nous éloignant toujours plus de l'érotisme initial (l'amour c'est simple comme un coup de fil, mais ça va un moment) pour le remplacer par des confidences babillardes à caractère plus ou moins amical.

Et voilà qu'un soir, elle m'avoue n'aller pas bien. Je m'enquiers, évidemment. Elle m'apprend que sa mère, demeurée en Pologne, est au plus mal et qu'elle craint de ne pas pouvoir la revoir avant sa mort. Car, étant venue en France avec un passeport touristique et étant demeurée à Paris (où elle avait un travail tout ce qu'il y a de plus stable), Janina ne pouvait pas remettre les pieds en Pologne. Sauf – car le rideau de fer commençait à se gondoler sérieusement – si elle épousait un Français, auquel cas les autorités jaruselskiennes ne s'opposeraient pas à son retour dans le monde libre. Et Janina de me demander si, par hasard, dans mes relations, je ne verrais pas quelqu'un susceptible de lui rendre le service de l'épouser.

Je m'entends alors répondre : « Ben, si... Moi ! »


(À suivre...)

Le Pélicastre est en grande forme

Si vous ne me croyez pas, allez donc savourer son abécédaire...

jeudi 18 mars 2010

Mais où avais-je la tête ? (La presse en délire)


La “une” du Nouveau Détective de cette semaine vaut le détour. Au point que, alors que la dominante de ma journée était plutôt au grisailleux, elle m'a ensoleillé tout le quart d'heure suivant sa découverte. Ça se décline comme suit :

L'assassin d'Anna l'avait décapitée et s'était enfui avec son macabre trophée.


Le cri désespéré de son mari :

« RENDEZ-MOI LA TÊTE DE MA FEMME ! »


En matière journalistique, c'est ce qui s'appelle : faire un cou...

Si j'étais alsacien, je voterais à gauche – et des deux mains encore

Si j'étais alsacien,

[Pause : cette entame n'est pas purement rhétorique : j'aurais vraiment adoré être alsacien. D'abord parce que je les fréquente depuis tout petit et que je finis par avoir une assez bonne Connaissance de l'Est, comme disait le camarade Claudel ; ensuite parce que, dans les guerres, ils gagnent tout le temps, vu qu'il sont toujours du côté du manche ; et enfin parce que j'habiterais plus près de chez mon ami André, qui a une cave du feu de Dieu.]

Si j'étais alsacien, disais-je, je serais sûrement inscrit sur les listes électorales, et, dimanche prochain, j'irais voter pour la gauche. « Didier Goux est-il encore bourré-délirant ? », s'interroge-t-on gravement dans les diverses chancelleries. Point. Simplement, il se trouve que le chef de file des khmers verts régionaux est le frère cadet de l'un de mes deux ou trois plus vieux et meilleurs amis (je l'ai même connu tout gamin, le Jacques bio, et, comme tous les Fernique mâles (je vous parlerai des femelles un autre jour...) considérablement chevelu). Et que, à l'instar d'Albert Camus, je préfère la cave de mon pote à mes présupposés idéologiques (adaptation assez libre). Donc, dimanche...


VOTEZ JACQUES FERNIQUE, BORDEL !

mercredi 17 mars 2010

Vous venez pour le casting pédophile ?

Tout à l'heure, tandis que je me prélassais dans le canapé en compagnie de Curzio Malaparte, une grappe de mamans a soudain envahi le hall, chacune étant escortée d'un ou plusieurs enfants. J'ai failli leur demander aimablement si elles venaient pour le casting-photo du numéro “Spécial pédophilie” d'Union. Mais, craignant que ces mégères ne voient rouge au point de me sectionner séance tenante les joyeuses, je me suis finalement abstenu. Il m'en est resté un très vague sourire durant quelques secondes.

Prends ton bento et va bosser

À midi, je vais manger ça, amoureusement (je suppose...) préparé hier par l'Irremplaçable. Et, désormais, tel sera mon lot tous les midis, en tout cas ceux que je passe à Levallois-plage. La petite boîte à étages contenant mon déjeuner nous est arrivée il y a deux semaines directement de Tokyo par porteur spécial et s'appelle un bento. C'est l'avenir du travailleur. Car l'avenir, c'est connu, appartient à ceux qui se lèvent ben tôt.

Du reste, il est midi : je vous laisse...

mardi 16 mars 2010

La chaîne à remonter dans le temps

S'il y a bien une chose dont on est certain qu'elle ne peut pas être, c'est la machine à remonter le temps. Pourquoi ? Simplement parce que si elle devait exister un jour, elle existerait déjà – c'est ce qu'on appelle le paradoxe temporel, réfléchissez-y. En revanche, il n'est nullement interdit d'en rêver.

C'est ce que je faisais, l'autre soir, après avoir revu la plus récente des adaptations du livre de H. G. Wells à la télévision. Et je me demandais ce que je ferais si on mettait une telle machine à ma disposition, mais pour un seul et unique voyage. Où irais-je, ou plutôt : quand irais-je ? Car je suis, dans mon paresseux vagabondage, parti du principe que la dite machine se trouvait à Paris et que, donc, le voyageur ne pourrait aller ailleurs que là.

Comme on me connaît, on ne s'étonnera guère que j'aie éliminé l'idée d'un saut dans le futur d'un négligent revers de cortex, pour me tourner vers le passé. Et comme je suis un voyageur de nature peu aventureuse, j'ai choisi de ne pas aller bien loin, ou pour mieux dire : de ne pas aller bien avant. Ce sera 1876 ou 1877, entre sept heures du soir et minuit. Chez Magny. Ou au café Brébant. Ou encore au Rocher de Cancale. Peu importe lequel de ces lieux de ripailles, l'important est que ce soir-là s'y réunissent Gustave Flaubert, Edmond de Goncourt, Alphonse Daudet, Émile Zola, Guy de Maupassant, Ivan Tourgueniev tout juste arrivé de sa steppe – et pourquoi pas Hippolyte Taine ou Ernest Renan, pour faire sérieux. Et même George Sand, tiens, si c'est en 1876, parce que sinon elle sera morte.

Ne me demandez pas comment j'ai fait pour être invité : quand on est capable de remonter le temps, ce ne doit tout de même pas être la mer à boire de se faufiler dans un dîner. Bref : j'en suis. Installé au bas bout de la table, je ne dis pas un mot de la soirée, me contentant d'écouter ces illustres en vidant tous les fonds de bouteilles, et en terminant augustement saoul. Après les liqueurs et les cigares, tout le monde se rabat sur le bordel le plus proche, à part bien sûr ce cul serré de Zola qui file attraper le dernier train pour Médan. – Et George Sand dont on s'est débarrassé sous n'importe quel prétexte.

(Pause : je sais aussi bien que vous que Zola n'a connu Médan qu'en 1878, mais on ne va pas s'encombrer d'incohérences temporelles vu le sujet du jour, si ?)

Au salon où nous attendent ces demoiselles, je repère une petite brune, dont les dentelles masquent à peine un corps replet qui onc ne connut le rasoir sacrilège – nous montons. Évidemment, avec la muflée que je me tiens, je suis incapable de bander. Et c'est comme ça que je manque l'unique occasion qui ait jamais été donnée à un homme de cueillir un flocon des neiges d'antan. Je retrouve notre siècle grisâtre et répugnant avec une solide gueule de bois, en me demandant si c'était bien la peine d'inventer la machine à explorer le temps pour aboutir à un résultat aussi habituel et prévisible.

Et vous, vous iriez quand, sur cette machine ? Pour y faire quoi ? Y rencontrer qui ? Je refile le levier de commande à Suzanne, Lediazec, Balmeyer, Falconhill et Manuel.

lundi 15 mars 2010

Face à Dieu (réflexion en cours)


Pour les croyants, c'est un Oui,
les athées disent “non” et détournent leurs regards.
Mais pour tous les autres, ceux qui scrutent sans voir ?
Dieu, c'est leur grand Peut Être.

dimanche 14 mars 2010

Ma France, elle, ne ment pas – lettre ouverte à Jean Ferrat

De plaines en forêts de vallons en collines
Du printemps qui va naître à tes mortes saisons
De ce que j'ai vécu à ce que j'imagine
Je n'en finirai pas d'écrire ta chanson
Ma France

Au grand soleil d'été qui courbe la Provence
Des genêts de Bretagne aux bruyères d'Ardèche
Quelque chose dans l'air a cette transparence
Et ce goût du bonheur qui rend ma lèvre sèche
Ma France

Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnaient le vertige
Et dont vous usurpez aujourd'hui le prestige
Elle répond toujours du nom de Robespierre
Ma France

Celle du vieil Hugo tonnant de son exil
Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines
Celle qui construisit de ses mains vos usines
Celle dont monsieur Thiers a dit qu'on la fusille
Ma France

Picasso tient le monde au bout de sa palette
Des lèvres d'Éluard s'envolent des colombes
Ils n'en finissent pas tes artistes prophètes
De dire qu'il est temps que le malheur succombe
Ma France

Leurs voix se multiplient à n'en plus faire qu'une
Celle qui paie toujours vos crimes vos erreurs
En remplissant l'histoire et ses fosses communes
Que je chante à jamais celle des travailleurs
Ma France

Celle qui ne possède en or que ses nuits blanches
Pour la lutte obstiné de ce temps quotidien
Du journal que l'on vend le matin d'un dimanche
A l'affiche qu'on colle au mur du lendemain
Ma France

Qu'elle monte des mines descende des collines
Celle qui chante en moi la belle la rebelle
Elle tient l'avenir, serré dans ses mains fines
Celle de trente-six à soixante-huit chandelles
Ma France

Mon pauvre Jean,

tu as eu de la chance de nous sortir ça en 1968, tiens ! À l'époque, c'était encore de la geste révolutionnaire cousue main, sur fond de paysages immuables ou présumés tels. Tu enregistres la même chose aujourd'hui, je te garantis que, dans la semaine, les petits flics de Libération et des Inrocks auront vite fait de te bricoler une fiche de néo-pétainiste dont tu ne pourrais plus te défaire, ta carrière dût-elle durer cent ans !


Non mais, tu te rends compte de ce que tu oses écrire, mon vieux ? D'entrée de jeu, là, tes plaines et tes forêts, tes vallons et tes collines : ouh la ! franchouillard à mort, pas bon ! Soupçons, déjà ! les petits flics des rédactions et des officines relèvent un sourcil...

Ensuite, tu aggraves ton cas, j'ai le regret de te le dire, avec tes genêts bretons et ta bruyère ardéchoise. Sans parler de ce “goût du bonheur” : quoi ? Du bonheur ? En France ? Avec l'exclusion ? Le racisme ? Sarkozy ? Le chômage ? La vie chère ? L'arrogance des riches ? Le parti unique au pouvoir ? Le ventre encore fécond ? Et les libertés fondamentales qui partent en digue-digue ? Il faut que tu sois fou, mon pauvre ! Et alors, la suite, c'est le pompon, le sceau d'infamie, la fosse commune citoyenne :

Cet air de liberté au-delà des frontières
Aux peuples étrangers qui donnait le vertige ?

Colonialisme immonde ! Arrogance typiquement française ! Impérialisme ! Mépris des autres cultures, si tant riches et si tant belles ! Et cette manière de nous ressortir Hugo de tes tiroirs nauséabonds – ce mâle occidental blanc et machiste jusqu'au fond des flanelles –, alors que tu avais vingt ou trente vrais écrivains à main gauche, tout prêts à t'expliquer quel cloaque est en réalité Ta France. Non, vraiment...

Par pure charité, je ne dirai rien de Ta France des travailleurs qui monte des mines et descend des collines, comme un dérisoire yoyo réactionnaire. Des travailleurs ? Mais tu le fais exprès, ou bien ? Encore, tu aurais dit, je ne sais pas, moi : Que je chante à jamais celle des travailleurs sociaux, par exemple. Bon, là, ça passait. Mais “travailleurs” tout court, mauvais, ça : on sent tout de suite poindre la casquette et le pastis au comptoir, avec un écho de je-hais-ces-mensonges-qui-etc. Et les mines ! C'est quoi, ça, des mines ? Et des collines, en plus ? Il faut me revoir tout ça, si tu veux passer chez Ruquier, mon Jeannot ! Tu me remplaces ta France moisie – celle des travailleurs qui puent – par une France aux mille couleurs (c'est pour que tu puisses garder ta rime), ensuite tu bazardes ta mine et ta colline, et tu me la fais monter de la zone commerciale et descendre à Paris-Plage, ta France : tu vois le truc ?

Tu tords le nez ? T'es pas content ? Estime-toi heureux qu'on en reste là : avec Nuit et brouillard, tu pourrais encore passer pour un anti-palestinien primaire, et là, ce serait le pilori direct ! Mais, bon, je ne veux pas t'accabler : tu viens de mourir, tu dois avoir déjà des tas de trucs fastidieux à régler.

Ah, si, tout de même, une dernière chose, puisque je te tiens et avant qu'on se quitte : quand j'étais très jeune et que j'écoutais tes chansons en boucle – dont cette France qui “fait problème” justement –, j'étais quand même un peu choqué par cette invocation au boucher Robespierre. Et puis, j'ai compris ou cru comprendre. Lorsque tu dis que la France répond toujours du nom de Robespierre, je crois que j'ai longtemps entendu qu'elle répondait toujours au nom de Robespierre. Or, s'il s'agit d'en répondre, de l'assumer comme on jargonne maintenant, de l'incorporer au grand corps malade de ce pays, sans en être trop fiers mais sans s'en excuser non plus devant quiconque, alors là, oui, j'en réponds aussi.

Je t'embrasse. Bonne éternité, s'il en est une.

samedi 13 mars 2010

Ferrat tabasse (de “faire un tabac”)

Eh bien, non ! Je sais parfaitement ce que vous attendez de moi, en pourléchant vos babines violacées d'alcool et déformées par un rictus charognard, je le sais bien, allez ! Vous espérez qu'au milieu du concert de pleureuses dont les vagues lacrymales ont commencé d'engloutir la blogosphère, je sois celui qui piétine le saint laïque, qui déboulonne l'idole incontestable. Eh bien, non, ne comptez pas sur moi, pour une fois.

Je ne serai pas celui qui rappellera les génuflexions castristes du barde moustachu, non davantage celui qui soulignera la haute teneur poétique de vers tels que :

Entre l'ancien et le nouveau
Votre lutte à tous les niveaux
De la nôtre est indivisible

Et qu'on ne compte pas davantage sur moi pour ébruiter cette anecdote que me contèrent dans ma jeunesse plusieurs vieux reporters et photographes de la presse qu'on ne disait pas encore people. Je le ferai d'autant moins que je suis certain qu'il s'agissait d'une ignoble calomnie ; qu'un homme aussi honnête et aussi droit n'a pas pu, alors qu'il vivait déjà dans sa propriété de la vallée de Chevreuse, conserver durant plusieurs années son petit trois-pièces HLM de Vitry-sur-Seine (ou Ivry : la mémoire me faut) à seule fin d'y recevoir les journalistes et de leur jouer la grande scène du chanteur resté proche des travailleurs – non, ça, jamais je ne pourrai y croire, m'entendez-vous ?


Bon, allez, foin d'ironie facile sur ce grand dadais : je l'aimais bien aussi, finalement. Au moins entre 12 et 18 ans, en tout cas.

Si l'hérédité n'est pas un vain mot...


Depuis hier, c'est l'âge de Suzanne, ma grand-mère maternelle, ce qui prouve qu'elle est plus balèze que Jean Ferrat. Et si l'hérédité n'est pas un vain mot, cela veut dire que je n'ai pas encore tout à fait fini d'emmerder les blogueurs ni de planter ma zone dans des rades de banlieue...

vendredi 12 mars 2010

Se faire interdire de Comète : l'avenir appartient au futur

Ce matin, dans ma boitamel, un copieux message de Nicolas qui, à la suite d'une longue et minutieuse enquête cométale, s'est trouvé en mesure de reconstituer – plus ou moins – le fil des événements d'avant-hier. Il me dit notamment que le patron du rade sidéral se serait excusé auprès de moi. Si c'est bien le cas, et si d'aventure il poussait le masochisme à venir traîner sur ce blog, qu'il daigne donc accepter les miennes en retour, ce afin d'apurer nos comptes – même s'il est très bizarre de ne pas savoir de quoi on s'excuse au juste.

Hier soir, l'Irremplaçable et moi avons bien ri en imaginant le prochain Kremlin des blogs. On voyait les vingt ou trente convives réunis à la Comète et moi, tout seul, planqué à l'Aéro, en face. Et, régulièrement, au fil de la soirée, l'un ou l'autre des blogueurs s'éclipsant discrètement de la Comète, avec cet air faussement désinvolte que l'on prend pour se rendre aux chiottes, afin de venir en loucedé s'en jeter un avec moi – tremblant d'excitation devant l'interdit, et de peur d'être découvert fraternisant avec le proscrit.

Enfin, voilà, on s'est bien amusé et il y a même eu un début de castagne, comme quand on était beau, Jef, comme quand c'était le temps d'avant qu'on soit poivrot. Dans vingt ans, si on est encore de ce monde de merde, on y repensera avec émotion, les soirs sans lune, et je dirai à l'Irremplaçable, en bavochant dans mon dentier : « Tu te rappelles, notre dernière altercation dans un bistrot ? C'était quand, déjà ? En tout cas c'était le bon temps... » Et on se reprendra une tasse de Viandox pour fêter ce souvenir.

jeudi 11 mars 2010

Se faire interdire de Comète : codicille

Tout à l'heure, j'ai appris par le billet de Nicolas que l'incident décrit succinctement plus haut (donc plus bas) avait trouvé son origine dans le fait que le taulier de l'abreuvoir où nous stationnions m'avait, à voix haute et intelligible par tous, traité de gros con. Du coup, la vague honte que je ressentais d'être à l'origine de ce barouf s'est aussitôt évaporée.

Car j'ai passé l'âge de me faire insulter par un limonadier, à plus forte raison lorsque je fourre dans sa caisse enregistreuse de quoi assurer sa pénible et superfétatoire existence. Par conséquent, je ne suis pas fâché, mais alors pas du tout, d'avoir flanqué mon houblon dans la face de ce jean-foutre. Suis même prêt à recommencer avec un bol de chocolat. Parce que ça brûle les têtes de nœud et que ça colle.

Se faire interdire de Comète : la méthode

Les bistrots c'est un peu comme les casinos : on sait bien qu'il serait préférable de ne plus les fréquenter (pour ses finances, pour son foie dans le cas des premiers cités, etc.), mais la tentation reste là et elle est parfois forte. Pour les casinos, c'est simple : il suffit de demander à être interdit d'entrée. Pour les bistrots, cette interdiction officielle n'existant pas, il faut employer de plus considérables moyens – c'est ce que j'ai fait hier soir, à la célèbre Comète du Kremlin-Bicêtre.


Tout a commencé alors que l'Irremplaçable et moi-même venions de quitter cet honorable établissement ainsi que la précieuse compagnie de Nicolas et de Tonnégrande. J'étais, il faut bien le dire, assez considérablement murgé. Ayant décidé, malgré le peu d'enthousiasme de Catherine, que nous irions manger une soupe phò dans l'avenue d'Ivry toute proche, j'ai prétendu prendre le volant. Très raisonnablement, Catherine a refusé avec la dernière énergie (elle tient à sa peau et à mon permis). Du coup, comme tout ivrogne stupide, je me suis fâché tout violet et j'ai déclaré bredouillé que puisque c'était comme ça, j'irais à pied et qu'elle n'avait qu'à rentrer toute seule en Normandie avec SA voiture. Ce qu'elle a fait.

Quel rapport avec la Comète ? Eh bien c'est que, apparemment, j'ai eu la mauvaise idée d'y repasser avant d'aller dîner. Je dis “apparemment”, car je n'en ai pas le moindre souvenir. Mais c'est Nicolas qui l'a dit à Catherine, donc il n'y a pas de raison de mettre en doute. Toujours d'après le même témoin digne de foi, il y aurait également eu dispute entre le patron et moi, après quoi je lui aurais balancé le contenu de mon verre à la figure, juste avant qu'il ne sorte la bombe lacrymogène. Il y aurait même eu bagarre, me souffle-t-on dans l'oreillette. Le comique de l'affaire est que, de cette échauffourée, je ne conserve nulle trace, ni au sens propre (je n'ai mal nulle part, pas les yeux rouges non plus), ni au figuré (rien dans le disque dur).

Mais il me paraît évident que ma prochaine soirée-Comète sera pour fêter l'arrivée des prochains patrons...

Pour mémoire (si je puis dire), la fin de ma soirée : je suis en effet allé manger ma soupe régénératrice – la mémoire me revient à ce stade, probablement du fait du retour en mode “eau minérale” et de l'ingestion de solide – avant de me rapatrier à Levallois en taxi. Évidemment, pas question d'aller au studio, puisque Ludovic l'occupe. J'étais résigné à dormir à mon bureau, et c'est ce que j'ai fait, au prix de quelques courbatures matutinales : mon fauteuil est très confortable pour travailler, mais pas pour y dormir sept heures...

mardi 9 mars 2010

Un homme s'éloigne... Une femme aussi... Et les chiens suivent...


Sans paroles superflues...

Qu'ils sont beaux, qu'ils sont profonds, ces silences nigérians...

Hier soir, quittant ce clavier, j'apprenais par la télévision (ou plus exactement par l'Irremplaçable regardant le journal à la télévision) qu'au Nigéria, profitant de la détente d'un week-end bien mérité, quelques centaines de villageois musulmans s'en étaient allés massacrer quelques centaines de villageois chrétiens, à quelques lieues de là.

J'étais très impatient, ce matin, de m'assourdir des clameurs d'indignation humanitaire qui n'allaient pas manquer de s'élever de ces blogs où rien de ce qui concerne les droits de l'homme n'est étranger, où l'on est à juste titre fort sourcilleux pour tout ce qui touche aux discriminations religieuses. Je croyais les entendre déjà, ces flétrissures infligées aux bouchers nigérians : honte aux chris-tia-no-phobes ! phobes ! phobes !

Et puis non, rien. Pas le temps, actualité chargée. Les régionales, vous comprenez ? Oui, ça doit être ça : les élections de dimanche : impossible de quitter ce petit ragoût des yeux sinon il risquerait d'attacher dans le fond de la gamelle électorale. Mais je suis bien certain que, le scrutin oublié, tout le monde va s'empresser de crier sa révolte et s'étonner comme moi de cet étrange silence des premières heures. Espérons seulement qu'il n'y aura pas, alors, trois clandestins expulsés à défendre ou un peintre homosexuel à soutenir. Parce que, sinon, nos fantomatiques chrétiens d'Afrique devront attendre encore un peu. C'est qu'on a ses priorités par chez nous, et qu'on y tient. On y tient à un point, vous ne pouvez pas savoir.

Enfin, si, d'ailleurs, vous pourriez savoir.

lundi 8 mars 2010

Vous reprendrez bien un vers de vigile ?

Vous l'avez remarqué comme moi (ainsi que disait le professeur Rollin dans la série Palace), on parle beaucoup de la violence scolaire, ces temps derniers – alors, par parenthèses, qu'on ferait mieux de parler de “violence à l'école”, ou encore de “violence des écoliers”, car je ne vois pas du tout ce qu'un coup de surin dans le bide peut avoir de scolaire – mais bref.

Donc, on en parle. Notamment chez nos bons amis les professeurs, c'est-à-dire, en clair, à gauche. Bien entendu, il n'est jamais question des causes de cette violence, puisque celles-ci sont en réalité une, et entendue d'avance : Nicolas Sarkozy. Du reste, si les électeurs de droite avaient l'esprit un tant soit peu malicieux, il me semble qu'ils devraient tout faire pour, en 2012, porter au pouvoir le candidat du Parti socialiste quel qu'il sera : juste pour le plaisir, ensuite, dans un pays qui, nul n'en doute, continuera de s'effondrer, de voir le peuple de gauche, amputé de sa prothèse sarkozienne, errer l'âme perdue et la démarche titubante, telle une armée de figurants grimés par George Romero. – Mais je m'égare une fois de plus.

Revenons à notre violence scolaire. S'ils restent le plus souvent muets sur ses causes – établies d'avance, par décret tacite et hautement reconductible –, nos amis de l'Éduc' Nat' sont en revanche très babillards sur comment (clin d'œil) il conviendrait de l'endiguer. En gros, deux pistes : “Plus de moyens !” et “Plus de personnel de surveillance !”, celle-ci découlant directement de celle-là, on l'aura compris.

Ah, ce personnel de surveillance ! Si j'ai bien compris, il doit s'agir de ce qu'on appelait jadis – et peut-être encore – les “pions”, soit de gentils étudiants ravis de se faire un peu d'argent de poche, souvent à peine plus âgés que les lycéens qu'on les chargeait de surveiller. Et que l'on peut aujourd'hui supposer nettement moins rompus au délicat exercice de la guérilla intra-scolaire. Par conséquent, j'aimerais que l'on m'explique comment cinq ou six étudiants de plus par établissement, postés séparément à la jonction des couloirs, s'y prendront pour s'opposer victorieusement aux cinq ou six zoulous armés qu'ils verront débouler en face d'eux avec des prétentions attilesques ? Mission impossible, non ? À moins que...

À moins que, s'inspirant de l'excellent exemple donné par les principales enseignes de la grande distribution, l'Éduc' Nat' ne se résolve enfin à embaucher des surveillants efficaces : les “grands frères” de ceux qui, etc. Les avantages seraient multiples, mais il suffira d'en citer un seul : ces pions new style connaissant parfaitement les dédales de l'établissement, ses passages secrets, ses sorties dérobées, depuis qu'ils y furent, quelques années auparavant, dealers ou racketteurs ou les deux, il sera bien difficile aux petits frères de les y semer, lors de leurs sympathiques affrontements.

On peut bien sûr toujours voir tout en gris (c'est volontairement que je n'ai pas écrit “en noir”) et songer que, de semi-délinquants à quart-de-vigiles (avec possibilité d'embauche ultérieure dans une société de surveillance et de gardiennage – promotion garantie), voilà des gens dont toute la vie se sera déroulée sous le seul signe de la force et de l'intimidation. Ce serait pécher par pessimisme, car oublier que promouvoir les grands frères est un moyen comme un autre, un moyen en plus des autres, d'achever de mettre à bas la statue du père – ce qui est toujours ça de pris.