mardi 30 septembre 2008

Défendons la laïcité !

Mais sachons s'adapter...

Je m'présente, je m'appelle Henri...

« La vérité est que c'est le plus souvent par amour du luxe qu'on désire le bien-être, parce que le bien-être qu'on n'a pas apparaît comme un luxe, et qu'on veut imiter, égaler ceux qui sont en état de l'avoir. Au commencement était la vanité. »

Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion.

Conscience nationale des blogueurs de gauche

Il est possible que je me trompe, bien sûr ; ou que l'esprit partisan m'aveugle. Néanmoins, moi qui traîne volontiers mes chausses dans des bouges mal famés, il me semble que point de plus en plus ouvertement, dans divers blogs de gauche militants, une certaine jubilation face à la crise boursière actuelle. Il y entre évidemment l'anti-américanisme pavlovien de ces gens, mais pas seulement.

En même temps que la jubilation, se fait sentir une certaine inquiétude : et si, par malheur, cette crise épargnait l'Europe, et plus particulièrement la France ? Ou bien les frappait, mais pas assez durement ? Quelle occasion perdue ce serait !

Car il devient patent que, pour ces impétueux jeunes gens, les dégâts que cette crise ne peut manquer de produire ne sont rien, ou pas grand-chose, face à la merveilleuse chance qu'elle offre, celle de mettre en difficulté leur adorable bête noire, leur idole détestée et indispensable, leur modèle-obstacle : Nicolas Sarkozy. Tout sera bon pour abattre le totem, on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs des épargnants, la fin justifie l'effondrement des moyens, et toutes ces sortes de choses. C'est ce qu'on appelle « la conscience de l'intérêt national », je suppose.

En face, les petits libéraux dansent au milieu des futures ruines la ronde du tout-va-bien, désormais certains de triompher de leurs adversaires collectivistes. Sans s'apercevoir une seconde qu'ils leur sont devenus tragiquement semblables ; eux aussi, mais de manière moins ouverte, appelant la salutaire crise de leurs voeux, afin de prouver aux peuples l'inaltérable vertu auto-régénératrice du capitalisme mondial.

Au bal des aveugles mimétiques, il devient de plus en plus difficile de trouver un simple borgne. De toute façon, si elles venaient à en débusquer un, nos deux bandes rivales s'uniraient aussitôt pour lui faire subir le sort d'Oedipe en lui crevant son oeil restant : le pieu d'Ulysse n'est jamais très loin, et Polyphème se fait bien vieux...

lundi 29 septembre 2008

Mange ta crème

Cosmimétique : se dit d'une femme se tartinant soudain le visage de crème antiride parce qu'elle vient de voir une autre le faire, dans un spot télévisé.

C'est la faute à la yaya !

À Nefisa, parce qu'il en est question chez elle...

Je sais : le texte qui suit est non seulement réchauffé, mais de plus infernalement long. Mais c'est de la faute à Nefisa qui, sur son blog-que-le-Péloponnèse-entier-lui-envie, a remis en lien un billet qu'elle avait fait sur les blogs de filles. Billet drôle et méchant comme on aime. Du coup, je me suis souvenu d'un exercice similaire, dans feue ma première taule Alors voilà : ça cause de blogs...


vendredi 1 juin 2007


À vos marqueurs... Prêts ? Partez !


Quand on n'a rien à dire et pas envie de parler, le plus simple est :
1) de fermer sa gueule,
2) de causer de blog.

(Maxime de La Rochefoucauld)



Je remarque que, l'habitude venant, on peut visiter de plus en plus de blogs encore inconnus en y perdant de moins en moins de temps. C'est une question de marqueurs, fonctionnant au premier ou à la rigueur deuxième coup d'oeil - chacun a les siens, je suppose. Les marqueurs négatifs (ceux qui vous font fuir) sont évidemment les plus efficaces. La liste des miens commence à s'allonger sérieusement. La première sous-catégorie, la plus évidente, est celle des marqueurs négatifs immédiats.

En ce qui me concerne, la prolifération, dans un texte de blog, de ces sortes de petites lunes jaunes, hilares (et parfois clignant de l'oeil), destinées à m'assurer que, non, je ne rêve pas, le tenancier est vraiment un type hypercool, suffit à me faire débloguer sans espoir de retour.

Même les fameux :-) ont tendance à m'irriter un peu, me faisant penser à ces lumières rouges qui, lors des émissions publiques de télévision, s'allument pour signifier au public à quel endroit il doit rire. Il me semble plus amusant - et plus courtois pour lui - de laisser au lecteur éventuel la responsabilité de déterminer seul s'il y a de l'humour ou non dans ce qu'il vient de lire - quitte à provoquer des malentendus.

N'ayant aucun goût pour les méthodes gestapistes, ceux qui prennent plaisir à torturer la langue française doivent également se résigner à la perte de ma pratique.

J'aime la gauloiserie, la paillardise, je ne dédaigne pas non plus une certaine forme de grossièreté, mais l'obscénité m'indispose. En conséquence, tout blogueur (ou plutôt blogueuse, car c'est un travers, je l'ai constaté, plus répandu chez ces dames) s'auto-proclamant poète dès le fronton de sa page s'accueil peut s'attendre à ne connaître de moi que mon dos (et je suis poli).

D'une manière générale, les blogs qui, par message, alignent des dizaines de photos sans le moindre commentaire, la plus simple mise en prespective, etc., me tombent des yeux, si je puis risquer l'expression. Même chose, mais en pire, pour les vidéos, quand elles occupent tout l'espace (sans parler du temps qu'il faut pour les charger).

J'ai dit plus haut que je n'avais rien contre les malentendus, je ne tiens pas à devenir malentendant pour autant. Par conséquent, les blogs qui, dès l'abord, vous balancent une tonitruante bouillie rockandrollesque dans les esgourdes, je les conchie dans leur totalité.

Voilà, en gros, pour les marqueurs négatifs immédiats (la liste n'est pas exhaustive et pourra être complétée). Il y a ensuite les marqueurs négatifs secondaires, ceux qui, malheureusement, nécessitent un examen un peu plus approfondi, pour aboutir finalement au même résultat : la fuite sans retour.

[Mais voilà que, tout soudain, j'en ai assez d'être ici (sans pour autant avoir envie d'être ailleurs), et que je décide unilatéralement que la suite est remise à demain...]



Samedi 2 juin 2007



Priez Bourdieu
que tous nous veuille absoudre


Hier soir, dans le message précédent, je vous ai abandonnés au milieu du gué, sans même vous avoir demandé de prendre vos bottes en caoutchouc, ce qui est rien moins que sympatoche. On va commencer par envaser les corps de ceux d'entre vous qui ont succombé à une congestion durant la nuit - si vous me donnez un coup de main, ce sera assez vite fait - et on reviendra aux choses vraiment sérieuses.

Donc, les blogs. On en était aux marqueurs négatifs médiats (que j'ai dû appeler autrement hier, mais j'ai la flemme d'aller voir). Parmi ceux-là, le plus évident est le fameux "profil de l'auteur", mais il n'existe pas toujours - c'est bien dommage. En tout cas, souvent, il accomplit très vaillamment sa fonction purgative, au moins en ce qui me concerne.

Ainsi, il y a quelques jours, j'atterris par hasard (un lien de lien de lien de...) chez une dame qui, pour se caractériser, donner une image d'elle comptant à ses yeux, j'imagine, écrit : Maman de deux enfants.

Je ne nourris aucun a priori négatif contre la parturition multiple (encore que... il faudrait voir...), j'ai moi-même d'excellentes amies mères de famille (comme disent les racistes à propos des Arabes), mais que cette dame ait choisi de mettre ce haut fait en avant, à l'exclusion de tout autre, et qu'elle se voie non comme une mère mais comme une maman, m'a fait comprendre qu'elle et moi ne vieillirions pas ensemble.

Outrepas, donc.

Un autre excellent test, mais il n'est que provisoire, est d'aller directement lire les réactions du blogomane au soir ou au lendemain de la dernière élection présidentielle. Vous pouvez, d'un coup d'un seul, éliminer à la fois les sarkozystes triomphants et les pleurnicheuses ségolénardes : ça fait du monde.

En fait, je me rends compte qu'il y a au moins trois grandes catégories de blogs avec lesquelles je n'ai pas d'affinités - ou pas assez pour y revenir régulièrement. Ce sont les :

1) blogs-de-femme,
2) blogs-de-fille,
3) blogs-de-pédé.

Je m'empresse tout de suite d'attirer votre attention sur l'extrême importance des traits d'union - avant qu'on ne lâche contre moi je ne sais quelles meutes associatives pour qu'elles me traînent jusqu'au tribunal le plus proche par la peau des roubes. Je précise donc, avec énergie et détermination, que je n'ai évidemment rien contre les blogs dont l'auteur se trouve être une femme, ou une jeune fille, ou un homosexuel mâle. Du reste, si je devais éliminer ces trois catégories, il ne resterait plus grand monde dans la liste de mes "favoris"...

Les traits d'union sont là pour marquer le stéréotype figé, le côté attendu de ce qu'on va lire, l'impression de tourner en rond en ayant éliminé tout risque d'être un jour agréablement surpris.

Quand je tombe sur l'une de ces trois catégories, pour vérifier que je ne suis pas en train de commettre une erreur, et donc une injustice, je clique sur trois ou quatre des "favoris" de la personne en question : en principe, ils se ressemblent tous et s'intercongratulent à qui mieux mieux - ou plutôt, en l'occurrence, à qui pire pire.

Mais comment les identifier à coup sûr ? C'est assez simple, oyez plutôt.


1) Le blog-de-femme

La première chose est qu'un blog-de-femme possède une auteure et non un auteur. C'est une citadine qui a entre 35 et 42 ans. Elle a un enfant qu'elle élève seule par la force des choses, le géniteur s'étant généralement barré (pour aller partager un blog-de-fille, le plus souvent - oui, je sais : on est des salauds).

L'auteure d'un blog-de-femme est surchargée de travail, passe ses journées à courir, n'a jamais le temps de tout faire, et prend néanmoins une heure par jour pour le dire sur son blog, alors qu'elle ferait mieux de faire son repassage en retard - sinon, elle va coller la honte à son Gilou, son Pierrot, sa Vany, qui va être obligé d'aller au collège avec ses fringues de la veille. Et, forcément, elle va culpabiliser encore un peu plus.

[On passera charitablement sur le fait que, ayant parfaitement compris les points faibles de sa génitrice esseulée, le Gilou s'est rapidement mué en un petit connard imbuvable et tyrannique : n'accablons pas les mères aimantes.]

Malgré cela, notre auteure est terrassée par l'ennui de vivre, ce qui la pousse, en les rares moments où elle pourrait souffler un peu, à se lancer dans des activités aussi inutiles que sottes : peinture sur soie, initiation au slam, danse africaine, atelier d'écriture - des conneries comme ça, voyez. Elle est profondément blessée, meurtrie, déçue par les hommes, ce qui ne l'empêche nullement d'en parler tout le temps et de les guetter du coin de l'oeil, des fois que. Ses copines sont généralement dans le même état, et ça se compassionne tant que ça peut.


2) Le blog-de-fille

S'exprimer sur son blog, c'est trop génial, tu vois. L'auteur d'un blog-de-fille est une sorte de jolie fée ricaneuse qui a l'âge de son acné, ou à peine plus.

Par rapport à cet axe central et fixe qu'est le phallus, son problème est symétrique à celui de l'auteure de blog-de-femme : celle-ci a perdu un homme, celle-là aimerait bien en trouver un - ou, à défaut, plusieurs. Si par hasard elle en a un durant plus de deux semaines, il devient son chéri - c'est le terme consacré : impossible d'ouvrir un blog-de-fille sérieux et crédible si vous négligez ce vocable fondamental.

L'essentiel de l'activité, sur un blog-de-fille, consiste à réviser pour le prochain partiel et à demander, sur les blogs-de-fille voisins, si c'est vrai que Jessica n'est plus avec Kevin, parce que ce serait trop galère pour elle. Il est de bon ton, aussi, de donner régulièrement des nouvelles de son doudou. Et de prendre des nouvelles des doudous des autres.

Si vous ignorez tout de la cuvée 2007 de La Nouvelle Star, et si vous ne sanglotez pas, étendue sur votre lit à une place, en repensant à la mort trop injuste de Grégory Lemarchal, inutile de seulement songer à ouvrir un blog-de-fille : c'est la blogosphère tout entière qui vous sauterait à la gueule.


3) Le blog-de-pédé

Si vous ouvrez un blog-de-pédé, c'est que la grande affaire de votre existence humaine, celle que vous placez en avant et au-dessus de toutes les autres, est précisément votre homosexualité. Il convient de la rappeler quasiment à chaque message, sans jamais omettre de souligner à quel point vous êtes heureux, voire fier, de cette amusante particularité sexuelle, dans laquelle vous n'êtes absolument pour rien.

Le rappel peut s'opérer de deux manières. Soit il forme le fond du message, son objet principal : une belle "sortie de placard" (ou son rappel, même dix ans après les faits) fera par exemple très bien l'affaire. Soit votre appartenance est signalée comme en passant, presque distraitement : " Ce matin, en allant au kiosque de la rue de Charonne pour acheter le nouveau Têtu, voilà-t'y pas que... " - hop ! le tour est joué.

L'auteur d'un blog-de-pédé aime parler de lui au féminin et évoquer les copines pour désigner les autres homosexuels qu'il fréquente. Mais bizarrement, il se se qualifie jamais d'auteure - c'est un petit mystère.

Si vous avez la chance d'avoir des parents rétrogrades qui n'acceptent pas votre différence, c'est très bien : vous pourrez irriguer votre blog, après chaque visite dominicale au pavillon d'Aulnay-sous-Bois, de "séquences émotion" à peu de frais.

Si, au contraire, vous avez une mère "géniale", qui a tout de suite compris que seul comptait votre bonheur, et qui accepte même votre chéri sous le toit familial, c'est bien aussi : ça vous permettra de susciter admiration et envie chez les copines.

Pour être tout à fait complet, il faudrait maintenant examiner une quatrième catégorie de blogs : le blog-du-gros-con-pénible. Mais je préfère laisser cette étude à d'autres : concerné de trop près par le sujet, je risquerais de perdre un peu de ma belle et saine objectivité.

dimanche 28 septembre 2008

Putassier d'homme !

« Voilà bien la suprême imbécillité du monde : lorsque notre fortune est malade, souvent du fait des excès de notre propre conduite, nous accusons de nos déboires le soleil, la lune et les étoiles, comme si nous étions scélérats par fatalité, sots par compulsion céleste, crapules, voleurs et traîtres par ascendant astral, ivrognes, menteurs et adultères par soumission forcée à l'influence des planètes ; et tout ce que nous faisons de mal, c'est par instigation divine. Admirable dérobade de ce putassier d'homme que de mettre son instinct de bouc à la charge d'une étoile ! »

Shakespeare, Le Roi Lear, I, 2. Trad. Jean-Michel Deprats.

Les escaliers de la Butte sont durs aux miséreux

Sur Arte, ce soir, French Cancan, de Jean Renoir. Merveilleux film que je ne me lasse jamais de revoir, chaque fois qu'une chaîne le diffuse. Il en va de même pour La Rivière sans retour, Rio Bravo ou Pouic-Pouic. En avant-première, Mouloudji... On peut aussi écouter la version originale de cette même complainte.


samedi 27 septembre 2008

Qui ? Police !

À M. Balmeyer, parce qu'il m'a posé la question...


Nous sommes en l'an de grâce 1980, déjà Mitterrand perce sous Giscard d'Estaing, les Soviétiques se font fourrer tout debout en Afghanistan, votre serviteur a 24 ans, toutes ses dents et l'estomac plein (le plus souvent de liquides divers). Sorti de l'école de journalisme dont je parlais avant-hier, il a durement maquetté six mois au Figaro-Magazine (si jeune et déjà réac...) avant de se retrouver au chomedu à peu près volontairement ; période qui va durer onze mois (mais on ne le plaint pas : il fuyait alors le travail avec une habileté qui force l'admiration), et qui sera la seule de son existence professionnelle jusqu'aujourd'hui.

Au bout d'un ou deux trimestres d'inactivité alcoolisée et prostituphile, mes finances allant s'épuisant, je m'ouvrai de mon désarroi économique à l'un des journalistes-professeurs que j'avais eus au CFJ et avec qui je m'entendais bien. Preuve de son attendrissant aveuglement professionnel, cet homme avait une certaine estime pour mes capacités folliculaires. Bref, il me recommanda à un sien ami, chef de service en ce glorieux hebdomadaire nommé Détective.

En réalité, à cette époque, suite à des démêlés judiciaires ayant entraîné une interdiction de paraître, le fanzine en question avait brutalement muté pour devenir Qui ? Police !, nom que je trouvais absurde, mais je n'allais pas faire la fine bouche : j'avais une ardoise considérable au Big Buddha de la rue Hérold.

Durant environ trois ou quatre mois, j'ai donc écrit des faits-divers, en tant que pigiste extérieur, pour ce journal - qui payait fort bien, eu égard au temps que je lui consacrais. On me cantonnait à ce qu'on appelait pudiquement les "affaires étrangères". Il s'agissait de très vieux faits-divers, le plus souvent anglo-saxons ou germaniques et remontant aux années cinquante ou soixante. J'arrivais rue des Graviers, à Neuilly, on me refilait une vieille coupure d'une quinzaine de lignes, parfois moins. Mon "travail" consistait à transformer cela en un fait-divers actuel d'une dizaine de feuillets : on voit la déontologie en béton.

L'affaire me prenait entre deux et trois heures, mais, prudent, lorsqu'il m'avait posé la question, j'avais affirmé au rédacteur en chef qu'il me fallait bien la demi-journée. Il avait hurlé que ce n'était pas assez et qu'on ne pouvait pas faire un bon papier pour Détective Qui ? Police ! en moins d'une journée. J'avais promis de freiner sur les suivants.

Détail amusant : le rédacteur en chef en question, petit bonhomme tout vieux, tout ridé, toujours fagoté d'une blouse grise d'instit de la IIIe, il m'a fallu plusieurs semaines pour comprendre qu'il n'était pas le garçon d'étage que j'avais d'abord cru voir en lui.

Je ne sais plus comment ni pourquoi cette fructueuse collaboration a pris fin. Ensuite, novembre, je suis entré dans le groupe Hachette, qui ne s'appelait pas encore Filipacchi et encore moins Lagardère. Une suite qui appartient à l'Histoire et sera un jour gravée en lettres d'or sur quelque fronton glorieux.

À ceux qui pensent que Swann et Bergotte sont des chiens martyrs...

vendredi 26 septembre 2008

Le syndrome nonosse

Qu'est-ce donc que le syndrome nonosse, amis lecteurs, fidèles et innombrables ? Je m'en vas vous le narrer sur l'heure.

Chacun sait que l'humanoïde portraituré ci-contre présente une certaine appétence aux boissons fermentées, à base de fruits ou de céréales : il suffit d'agrandir la photo d'Irrempe et d'examiner ses ravines visagières pour s'en convaincre.

Or, il arrive que la même Irrempe, remarquable cuisinière par ailleurs, décide de réaliser telle ou telle recette, parfois à base de bière, ou de porto, ou de whisky, ou de tout autre breuvage interdit par le Coran mais susceptible d'attirer l'écrivain en bâtiment comme la lumière attire le papillon nocturne. Dans ce cas, que fait-elle, l'irremplaçable Rusée ?

Je vous le dis tout net : elle achète l'alcool en question et, dès que j'ai le regard détourné, le planque quelque part, ainsi que font les chiens lorsqu'elle leur apporte des nonosses frais-du-jour.

Pour la suite, parfois, elle se comporte - j'ai regret de le révéler - exactement comme les clébards sus-évoqués : elle oublie l'endroit où elle a enterré le trésor. Ce qui fait que, de temps à autre, ouvrant négligemment une porte de placard pour y chercher (c'est un exemple) un sac poubelle, ou un vieux préservatif inemployé parce que la voisine est passée alors que Catherine est chez sa fille à Barcelone (Te fâche pas, merde, c'est un EXEMPLE !!!), on découvre, ébahi, émerveillé, deux canettes de 1664, une bouteille de porto, un flacon de Famous Grouse, ou toute autre merveille depuis longtemps oubliée.

Et, là, sanglotant presque, la gorge nouée devant la beauté de la Création, on se dit que, finalement, peut-être, l'existence vaut la peine qu'on se donne pour elle.

L'écureuil et la tortue

Les écolos sont des gens conscients et responsables (je n'aime guère les diminutifs en général, mais je me refuse à appeler "écologistes" des gens dépourvus de toute formation ne serait-ce que vaguement scientifique). Allègrement catastrophistes, c'est dans leur nature, mais très responsables. Sérieux et cohérents, voyez.

Ainsi, ils poussent régulièrement des cris d'alarme contre le mélange brutal d'espèces n'ayant pas vocation à occuper le même habitat. Ils le font dans l'intention louable de conscientiser les Martine-à-vélo, lesquelles sont toujours promptes à s'émouvoir et à pleurnicher dans leurs mouchoirs en papier. Ainsi, pour qui aime les scénarios-catastrophes, la tortue de Floride, introduite en fraude en notre vieille Europe, est en passe de bouffer tout ce qui, jusque là, peuplait nos rivières : on est censé pousser un braiement d'horreur, hurler à l'irresponsabilité, stigmatiser son voisin-émissaire, réclamer des coupables, exiger des têtes. Ah ! ça ira, ça ira, ça ira, les putains de tortues U.S. à la lanterne !

Pareil, pour ces enculés d'écureuils américains, impérialistes jusqu'au bout du panache caudal, immondément grisâtres faute d'être vert-de-gris, qui, introduits dans nos forêts, sont en train de niquer la joie de vivre de nos gentils écureuils de souche, d'une rousseur de bon aloi. Là encore, dégainant leur gentillesse à six-coups (chargeurs supplémentaires en option), nos braves écolos s'égosillent : par notre laisser-faire, notre aveuglement, voire notre cupidité, on est en train de perpétrer un massacre - que dis-je ? Un génocide ! -, dont nous porterons la responsabilité pour les siècles des siècles - amen.

Well. Saisis par leur enthousiasme communicatif, nous en venons - les plus naïfs d'entre nous - à leur demander ce qu'il en est de l'espèce humaine. Où sont nos tortues de Floride ? Nos écureuils américains voraces et prédateurs ? Grossière erreur ! Vous n'avez rien compris ! Vous êtes des gros cons de gestapistes ! Transporté chez les bipèdes culturés, ce désastre écologique se transforme en un bonheur inouï, un éden qu'il convient de ne pas laisser passer, une Chance-pour-la-France (CPF) qu'il est requis d'accueillir à bras ouverts et avec des sanglots de reconnaissance, sous peine de re-néandertalisation immédiate ! Ce qui est bien la preuve que l'homme est irrémédiablement différent de l'animal : ce qui lui est désastre nous est bonheur.

Et puis, entre nous, à part quelques molosses à casquette gammo-crucienne, qui en a quoi que ce soit à foutre, des petits écureuils roux ? Si ça se trouve, en plus, ils mettent leurs noisettes à droite...

jeudi 25 septembre 2008

Passé boomerang

Brice venait de se lever, pour remonter au journal ; il était tout juste trois heures, je suis resté seul à la terrasse de L'ambiance d'à côté, afin de finir notre troisième pichet. Passe un vieil homme, seul, aux sourcils broussailleux. C'est à ça qu'il m'a semblé le reconnaître ; à ça et à une certaine qualité de bleu dans le regard, ainsi qu'au bec du nez.

José De Broucker. Journaliste au Monde dans les années soixante ; directeur de la rédaction de La Vie catholique dans les années quatre-vingt. Entre les deux, directeur d'études au Centre de formation des journalistes (CFJ), notamment pour l'année scolaire 1977 - 1978, mon année d'entrée dans cette école.

Est-ce lui ? Presque sûr. Le laissé-je passer sans rien dire ? Impossible. Je me lève, m'avance, il tourne la tête vers moi.

- Pardon Monsieur, seriez-vous M. De Broucker ?
- Je suis l'un des messieurs De Broucker...
- José De Broucker ?
- Oui, c'est moi...

Nous avons passé une dizaine de minutes ensemble, le temps que sa femme sorte de la bibliothèque toute proche. J'ai dû lui dire au moins trois fois que j'étais fort ému de le rencontrer ; il m'a peut-être pris pour un pochtron, mais il arrivait d'une époque où ces sottises n'avaient aucune importance. Il se souvenait de quelques-uns des gens de cette "promotion", dont un ou deux de mes meilleurs amis d'aujourd'hui. Son épouse a fini par arriver et nous avons pris congé, bien poliment, alors que le passé carillonnait à toute volée à l'intérieur de mon crâne.

Et, tu vois, mon pauvre Bergouze, quand "Debrouke", ainsi qu'on l'appelait alors, m'a demandé si j'avais gardé des contacts avec certains de ma promotion, j'ai parlé d'André (il s'en souvenait), de Jean-Louis, pour lui apprendre qu'il était mort, de Luc, de Jef... et je t'ai, toi, oublié.

Lorsque lui et sa femme ont tourné le coin de la rue Baudin, tu m'as sauté à la gueule. J'ai failli courir derrière eux pour réparer. Je suis resté assis : ce n'était pas réparable.

mercredi 24 septembre 2008

Tu reviendras à Toulouse

À Orage

On me demandait, hier, en commentaire du billet précédant celui-ci, de préciser les raisons pour lesquelles Toulouse est une ville qui ne me plaît qu'à demi. Je vais tenter de m'exécuter, après cette seconde visite qui n'a fait que confirmer les impressions de la première, effectuée il y a deux ans. En réalité, il serait sans doute plus juste de dire que Toulouse est une ville qui me plaît, mais où il ne me conviendrait pas de vivre.

Elle me séduit pour ce qu'on sent qu'elle a été, et demeure par maint côté. Monuments, églises, placettes triangulaires, ruelles, musées, lacis médiévaux, opulence des hôtels particuliers, grande beauté des façades, etc. : elle m'attire par ses vestiges, principalement. Toulouse est une ville que l'on a envie d'avoir connue.

Dans ce cas, pourquoi ne pas vouloir y vivre ? Pourquoi cette satisfaction de la quitter et la quasi-certitude que l'on n'y reviendra plus ? Parce que, à l'instar des petits villages de Brassens, Toulouse a un point faible, et c'est d'être habitée. Pour dire les choses rondement, cette ville est trop jeune pour moi, à chaque tournant de rue elle me fait savoir mon incongruité, brandit l'arrêté d'expulsion. Je n'ai bien entendu consulté aucune statistique, mais je parierais volontiers pour une moyenne d'âge inférieure à 35 ans. Il s'ensuit des conséquences lourdes.

Les artères - celles du centre - prennent un aspect grouillant, bruyant, dépenaillé et, paradoxalement si l'on se réfère aux individus composant cette foule qui avance sans cesse, unicolore. Du coup, la rue ancienne, encore discernable par endroits, se transforme en décor pour ce théâtre de rue perpétuel : les cybercafés détrônent les bistrots, les boutiques de fringues les magasins de vêtements, les kebabs les restaurants, les échoppes à paninis les boulangeries, les officines de piercing les salons de coiffure, etc. Ne venez pas me dire que je généralise : je le sais parfaitement. Je voulais juste exprimer une impression assez vague mais tenace, essayer de décrire ce léger glissement vers le factice qui m'a frappé et, au bout du compte, gêné puis déplu.

L'une des conséquences de cela est que Toulouse m'a fait l'effet d'être assez putassière à force d'être ouverte, quand j'aime qu'une ville soit a priori un peu austère ; sinon fermée, du moins légèrement dédaigneuse envers le voyageur. Cela pourrait sembler former un paradoxe avec ce que je disais plus haut, concernant mon impression de rejet ; ce ne l'est pas : une prostituée fait toujours très bon accueil à l'hypothétique client, le racole puis le renvoie au néant de sa condition avec la même facilité. En quoi elle n'a d'ailleurs pas forcément tort, mais c'est un autre sujet.

Coupons court : la prochaine fois, on ira à Bordeaux, qui a l'air d'une ville moins «sympa», moins cool, moins fun que sa rivale régionale. Et nous ne reviendrons pas à Toulouse, n'en déplaise à l'âme de Juan Benet.

mardi 23 septembre 2008

Pour changer, une histoire d'eau

Comme le trajet aller en une seule étape avait été pénible pour l'Irremplaçable (750 km tout de même), nous avons décidé de rentrer de Toulouse en deux jours. L'étape choisie fut Guéret, parce que nous n'y étions jamais allés ni l'un ni l'autre et parce que le Limousin nous faisait envie, allez savoir pourquoi.

La Préfecture de la Creuse est une mégalopole hyper-touristique : seize mille habitants et trois hôtels. Lesquels étaient aussi complets qu'il se peut être, pour cause de Journées du Patrimoine, autre invention grotesque d'une époque qui n'en est jamais avare. Je ne devrais pas râler, du reste, car ce fut notre grande chance : grâce à cette complétude, nous nous sommes retrouvés au Moulin noyé, hôtel situé sur les bords de la Creuse (la vue de notre chambre ci-dessus), à cinq kilomètres au nord de la tentaculaire cité que nous venons d'évoquer. Je pourrais même vous le mettre en lien, le Moulin, mais comme l'arrivée sur leur site s'agrémente d'une musique de merde imposée, je vous épargne l'épreuve.

Après trois journées passées à Toulouse - ville que décidément je n'aime pas beaucoup, principalement en raison de l'âge moyen de sa population et de toutes les nuisances que cela induit -, cette soirée de calme, de verdure et de glougloutements de l'eau vive nous fit un bien fou. De plus, le restaurant était raisonnablement gastronomique et le chablis fréquentable.

Mais je vous ai promis une histoire d'eau. Sur chaque table, à notre arrivée dans la vaste mangeoire offrant une vue panoramique sur la rivière, se trouvait un petit dépliant vantant les mérites de la source de Saint Géron, en Auvergne. Attendant le vin, je m'intéressai donc à l'eau. En dehors du fait que ce liquide se boit, paraît-il, j'y appris des choses étonnantes, parfois frôlant l'admirable. Je vous livre quelques perles (d'eau) en vrac :

La source de Saint Géron en Auvergne peut s'enorgueillir d'une longue histoire naturelle... C'est là une eau minérale gazeuse qui résulte d'un voyage étendu sur un millénaire, entamé avec la pluie infiltrant le sol (...).

Dès les trois premières lignes, donc, on apprend avec surprise qu'une eau peut faire preuve d'orgueil, qu'elle a une histoire comme vous et moi ; on découvre également qu'elle résulte d'un voyage, lui-même étendu mais susceptible d'être entamé avec la pluie. Et ça continue :

L'eau de Saint Géron a reçu une pluie de récompenses (...) À l'orée du XXe siècle, Saint Géron gagne les chemins de l'Hexagone, favorisée par le développement des transports. (...) la «reine des eaux de table» affiche fièrement ses origines et un argument de poids : «zéro bactérie».

À ce stade, l'Irremplaçable s'est montrée inquiète, craignant que la pluie tombant sur notre eau ne lui dilue ses bienfaisantes bulles. Le fait que la vaillante petite source gagne les chemins l'a rassurée. En revanche, elle a nettement flairé, ma Vigilante, des relents de lepénisme dans le fait qu'une eau française ose revendiquer fièrement ses origines - c'est même pour cette raison idéologique majeure qu'on s'est rabattu sur le vin. Enfin, nous apprîmes avec ravissement que :

La source gallo-romaine se veut intarissable, dessinant ses arabesques mobiles.

Mais aussi qu'elle se retrouvait finalement prisonnière d'

une bouteille de forme élancée sur une base carrée, aux courbes légèrement mutines et galbées, qui offre l'avantage d'une belle prise en main.

Je ne sais pas si vous pensez la même chose que moi du pool de créatifs qui a régurgité ce texte, mais si c'est le cas, ils doivent avoir les oreilles qui sifflent. Et pas en raison du tempérament intarissable, mutin et galbé de Mlle de Saint Géron.

lundi 22 septembre 2008

Monde de girouettes

Notre voyage commençait mal, il faut l'admettre : bien que partis à six heures du matin de la maison, nous avons tout de même dû affronter des bouchons sur les différentes autoroutes qui bordent la région parisienne. Ensuite, une fois le trafic derrière nous, filant vers Orléans, j'eus l'occasion d'éprouver mon premier véritable agacement de la journée.

Depuis notre dernier passage, la Beauce, si merveilleuse dans sa platitude même, ses imperceptibles ondulements (1) d'orge et de blé, la Beauce avait été furieusement saccagée, assassinée, réduite à néant. En une poignée de saisons funèbres, une armée d'abrutis antinucléaires et josé-bovins l'avaient tout hérissée de centaines d'éoliennes, ces sinistres caricatures de moulins.

Je couvris mentalement d'insulte la racaille écolo-obscurantiste, vraisemblablement responsable de cet attentat absurde, priant qu'un trait de feu lui accablât le chef ; j'eus une pensée émue et attristée pour Charles Péguy, qui venait ici jouer son dernier personnage ; enfin, vaincu, je fermai les deux yeux dans ma froide épouvante. Rêvant sans trop y croire que, déjà, quelque part, en des lieux secrets et très anciens, des légions de Quichotte s'armaient silencieusement afin de courir sus à ces moulins des enfers.

(1) Je sais que le mot ondulement n'existe pas : je l'ai créé en hommage à Péguy.

La samba des tartufes

Notre petite escapade toulousaine n'a pas consisté seulement à titiller les protons et à chatouiller les électrons. On a également découvert des choses, pour en admirer certaines et ricaner bassement devant d'autre.

La place du Capitole, chacun le sait, est un ensemble architectural magnifique, d'une impeccable unité et même, osons le mot, empreint d'une réelle grandeur. Sauf lorsqu'il est ridiculisé, pratiquement anéanti par de modernes déjections, telles que les immenses tentes de plastique blanc que nous y avons découvertes. Devant l'une de ces horreurs citoyennes se trouvait cette affiche, qui a eu le don de nous ébahir, l'Irremplaçable et moi. Au moment où nous passâmes la première fois, la tente était fermée et, donc, déserte. Nous nous sommes interrogés longuement sur la réalité que voulait définir l'expression MOBILITÉ DURABLE. Nous avons émis plusieurs hypothèses peu satisfaisantes, avons même évoqué la possibilité d'une garantie désormais faites aux citoyens de ce pays qu'ils resteraient parfaitement ingambes jusqu'à cent ans et plus. Avant de poursuivre notre route, dans la plus noire incertitude.

Retraversant la place du Capitole en milieu d'après-midi, le même jour, nous avons retrouvé notre tente, mais cette fois ouverte et envahie de paralytiques en fauteuils roulants. Nos yeux se dessillèrent d'un coup, et nous comprîmes que nous avions été une fois de plus le jouet de la tartuferie grotesque de notre époque, laquelle par pure bisounourserie s'attache à ne plus jamais dire la moindre parole susceptible de choquer tel ou tel.

Là, il nous est nettement apparu que nos petits crétins post-modernes venaient de franchir une étape supplémentaire sur la voie de la tartuferie, dans la mesure où ils en arrivaient à écrire exactemement le contraire de ce dont ils voulaient parler. Le concept de "mobilité durable", déjà fort drôle en soi, devenait alors d'un noir cynisme, totalement inconscient, puisque s'adressant à des personnes ayant précisément perdu tout espoir de mobilité. Et de façon tellement durable, en effet, qu'elle en devenait de toute évidence définitive.

Après avoir convenablement daubé sur ces imbéciles, l'Irremplaçable et moi avons repris notre chemin, en utilisant la bonne vieille méthode qui sera dite désormais de mobilité temporaire. C'est-à-dire sur nos deux jambes, et pas trop vite.

dimanche 21 septembre 2008

De la préparation de complexes de cuivre (I) luminescent à l'auto-assemblage de systèmes supra-moléculaires complexes

Vendredi était le grand jour, pour Adrien : soutenance de sa thèse de doctorat de chimie, à l'université de Toulouse. Thèse dont l'intitulé m'a paru si glamour, dans sa simplissime clarté, que j'ai décidé de l'utiliser comme titre de ce message. La descente dans l'arène était prévue à dix heures.

Lorsque l'Irremplaçable et moi sommes arrivés, le futur docteur (oui, je sais : mon affaire manque de suspense...) était bien entendu déjà là. Lui et une poignée d'autres chimistes avaient eu le temps de mettre les bouteilles de vin blanc d'Alsace dans de grands seaux blancs pleins de glace pilée : on peut être un scientifique de haute volée et conserver néanmoins le sens des priorités dans l'existence quotidienne. Inutile de dire qu'Adrien était légèrement tendu ; mais néanmoins souriant, ainsi que le prouve la photo prise par Irrempe (levez les yeux, c'est juste au-dessus), peu avant l'entrée des six membres du jury dans la salle - des jurés dont trois étaient arrivés de Strasbourg par le train de nuit et en avaient profité pour siffler la moitié des bouteilles de Riesling qu'ils s'étaient proposé d'apporter. Mais enfin, glissons sur cette utilisation abusives de molécules-qui-font-rire.

Contrairement aux procureurs de la République et aux juges des tribunaux, les chimistes sont des gens ponctuels. Ils sont arrivés avec moins de cinq minutes de retard, ce qui, quand on s'est tapé une cuite de plus de huit cents kilomètres, est très méritoire. Et Adrien s'est retrouvé seul face aux lions, durant plus de trois quarts d'heure.
Il a superbement parlé, bien que je n'aie pas compris un traître mot de ce qu'il a pu raconter : si ça se trouve, c'était rien que des conneries. Durant les dix premières minutes, en fait, je tremblais de trouille pour lui, persuadé qu'il allait fatalement perdre ses mots, avoir un trou de mémoire, etc. Après, je me suis progressivement rassuré. Ce qui n'a d'ailleurs pas entraîné chez moi une meilleure compréhension sur le fond de l'affaire.
Il faut dire que le fond en question, pour quelqu'un qui n'a jamais eu l'idée de tripoter des molécules, et encore moins de les forcer à s'accoupler à coups de ligands POP, était particulièrement vicieux, rétif à la comprenette du profane.

N'en déduisez pas que l'on s'ennuie à ce genre de divertissement. Il faut prendre cela comme la lecture publique d'un long poème surréaliste, dans lequel presque tous les mots sont identifiables, mais dont l'assemblage n'aboutit jamais à la moindre phrase compréhensible Ou alors, presque par hasard, à la sauvette. Soudain, hébété, vous entendez dire que, de cette manière (mais quelle manière ? Mystère...), on obtient une lumière presque blanche. Et vous avez la surprise de vous en sentir tout ragaillardi. Mais, le reste du temps, c'est du Mallarmé sous acide : à mon avis, y avait pas que du ligands POP, dans ce truc...

Au bout de trois-quarts d'heure, le même profane se détend d'un coup lorsqu'il comprend que l'exposé est terminé. Il a tort, le profane. Car, ensuite, le futur impétrant doit subir un feu roulant de questions vicelardes, posées durant une heure et demie par les six membres du jury, les uns après les autres. Heureusement, comme chacun d'eux fait précéder ses pièges par un petit laïus fort louangeur sur ce qu'il vient d'entendre, on se doute que l'affaire est quasiment dans le sac et qu'on va bientôt avoir une bonne raison pour faire sauter les bouchons.
En effet, le motif de réjouissance finit par arriver : après s'être retirés pour délibérer durant un très long quart d'heure, les jurés reviennent, et le président annonce solennellement au futur docteur qu'il n'est plus futur mais bel et bien docteur. Et lui renouvelle les félicitations de tous les membres de ce jury.

Ensuite arrive la partie la plus délicate et éprouvante pour la santé de tous, mais surtout de quelques-uns : l'assèchement méthodique des flacons de boisson fermentée. J'y ai généreusement tenu ma partie, comme bien on se doute. Quant au nouvreau docteur, il a terminé comme il est montré ci-contre : les chimistes ont des private jokes presque aussi surprenantes que leurs centres d'intérêt professionnel et que le langage qu'ils ont forgé pour pouvoir en parler entre eux sans être emmerdés par les profanes.

Bref, quand on pense qu'on l'a connu haut comme ça, le chimiste, on se dit que ça ne rajeunit personne et on se reprend un petit verre de pinot gris, avant d'aller fumer une cigarette sur le campus. C'est ce que j'ai fait.

mardi 16 septembre 2008

Comment vous la trouvez, ma Garonne ? Haute...

Demain, dès l'aube, à l'heure où gnin gnin gnin, l'Irremplaçable et moi sauterons dans notre superbe tomobile, tout juste récupérée, pour filer vers Toulouse, où nous devons, vendredi, assister à la soutenance de thèse d'Adrien, le neveu de Catherine. Thèse de chimie non organique : je sens que ça va être l'éclate totale.

D'ici là, j'aurai enfin eu le temps (j'espère), d'aller découvrir la station de métro Carmes. On avait vaguement envisagé aussi d'aller prendre un verre avec M. Poireau, mais lui-même, en ces jours, a des obligations familiales, à ce que j'ai cru comprendre. Ce sera pour une autre fois, ici, là, ou ailleurs.

Enfin, bref, tout cela pour dire que ce blog devrait rester désert jusqu'à samedi soir, au moins pour ce qui concerne les salons d'apparat. Mais vous pouvez continuer de vous ébattre librement dans les communs...

lundi 15 septembre 2008

Mon père jamais n'eut grand richesse


Pourquoi ce soir ? Mon père pourrait attendre. Du reste, il ne demande rien. Les hommes de ma lignée ne demandent jamais rien : ils se contentent de ce que l'existence leur donne, notamment en matière de femmes.

Les hommes de ma race aiment les femmes qui leur échoient, et je suis leur successeur impeccable, il me semble. Les femmes de ce lignage sont plus fortes que les hommes qu'elles choisissent. Les choisissent-elles ? Je le crois. Elles sont plus fortes - toutes. Les hommes, eux, sont contents de cette faiblesse d'eux-mêmes que les femmes leur camouflent. D'une certaine manière, ils y gagnent. Ainsi, mon grand-père m'a toujours paru être d'une qualité supérieure à ma grand-mère (il avait la carrure pour mourir de soif auprès de la fontaine, elle non) - et c'est probablement pour cette raison qu'il est mort depuis quinze ans, lorsqu'elle est toujours vivante : sa longévité (à elle) ne peut guère lutter contre son sourire et sa voix (à lui).

Mais je devais parler de mon père. On m'a toujours dit que je ressemblais à ma mère. D'après mon frère et ma soeur, je dois même être son "chouchou". C'est peut-être vrai. Mais alors, pourquoi, chaque année passant, me sens-je de plus en plus proche de cet homme, Daniel Goux, avec qui je bavarde volontiers mais jamais ne parle ? Pourquoi son visage, quand je l'évoque, m'émeut-il un peu plus chaque fois ? Par quelle alchimie suis-je certain, à chaque heure davantage, que sa mort me plongera dans des abîmes que je ne veux pas sonder, mais que, peut-être... peut-être quoi ?

J'allais écrire : que peut-être quelques paroles suffiraient à combler. C'est faux, évidemment. Daniel et Didier ne se sont jamais parlé : pourquoi commenceraient-ils ce jour ? Ou demain ? De toute façon, il n'y aura pas de demain, pour Daniel et Didier Goux. Nos lendemains sont derrière nous, si je puis me permettre cette indélicatesse, cette indiscrétion.

Néanmoins...

Nulle envie de mettre fin à ce billet, dans lequel je n'ai finalement rien dit, où le visage de mon père reste invisible, y compris à mes yeux, pourtant bien ouverts, il me semble.

Par quel sombre miracle parvenons-nous à devenir si vieux tout en restant tellement enfant, tellement stupide, touchant d'une main au berceau, de l'autre à la pierre et à la croix ?

Et comment devient-on aussi pompeux et grandiloquent, parlant de choses naturelles, éprouvées par tant de générations ?

L'An 1


À Monsieur Kéké.
Pour plus tard...


« L'arrivée de l'enfant a été dure pour la mère. Enfin, il est là. Bien portant, vigoureux. Déjà il rue, il crie, il veut vivre.
Ses yeux sont bleus avec du vert dedans.
Et je le vois puissant, calme, raisonnable et surtout poli.
Car moi la politesse surtout dans la chicane m'a toujours étonné. " Tirez les premiers, messieurs les Anglais " ? Non, pas jusque là, mais un peu mousquetaire, bûcheron et poète. Enfin, le fils est là.
Il lui reste à étudier, comparer, discuter les pensées dans les livres, les visages, les lunes, les voisins, les jardins, à découvrir le fleuve, les milliers de soupirs qui font de la musique dans les marais de nuit pour les Bozos fragiles. À chausser des patins, à nager sous les lacs, à filer vers la lune en français librement.
Il lui reste à se pencher sur celui qui demande, mais à se redresser devant celui qui donne, à ne rien accepter de facile, de gratuit.
Jamais oui, jamais non, plus souvent non que oui.
Voilà comme je le vois.
Étudiant jusqu'au soir de sa vie, il couvrira ses petits-fils de lainage, de patience et d'humour, cette arme pour le voyage qui est la plus utile.
Il quittera sa maison ouatée de neige, gagnera ou les champs, ou le bureau, ou l'usine, exigera juste salaire, la tête haute, mais ne détruira rien.
Vandales et braconniers sont des profanateurs et méritent potence. Il fera face au loup, dénoncera le fourbe. Trop de temps, trop longtemps, la terre fut aux lâches, aux oisifs, aux tricheurs.
Qu'il la prenne, lui, mon fils, c'est à son tour. Chacun son tour.
Elle est belle, elle est là, elle est sienne, et que la peur de vivre soit rayée à jamais.
Tu es chez toi, enfin, vis, goûte, savoure et chante.
Ne me remercie pas. Que tu vives comble mes jours de joie.
Bon voyage à toi et à ta descendance. »

Félix Leclerc, 1974.

dimanche 14 septembre 2008

Mais que dirait saint Paul s'il revenait ici ?

Tout s'est donc passé normalement, nos joyeux modernes peuvent se rendormir : le pape est venu, on lui a répandu sur la tête les habituels tombereaux d'ordure ; les microscopiques progressistes, les infinitésimaux Dagrouik ont déversé leurs habituels petits jets de fiel, les troupeaux de Martine-à-vélo ont bavé leurs petits ricanements attendus, toutes les paramécies ont agité leur cils vibratiles dans la soupe primordiale.

Que s'est-il passé ? Pour eux, rien. Sa Sainteté Benoît XVI est passée, a parlé. Magnifiquement, en particulier au collège des Bernardins (je ne mets pas le lien, je sens bien que c'est inutile pour les homoncules qui parfois me lisent ; ceux que ça intéresse sauront où le trouver). Si l'on est dans le vent, festif, fun, il convient d'appeler ce pape " XIII et III" (très z'étroit : ça fait rire, on est entre gens libérés, dégraissés du pectoral, décontracté du maxillaire).

Qui est cet homme ? Nul ne s'en soucie. Il importe seulement de jouer les esprits forts en se moquant. On n'est pas dupe, on n'est pas des mollusques, on achète Charlie Hebdo, on lit le Philippe Val dans le texte. Bien sûr, il convient, pour être tout à fait girouettoïde (dans le vent, donc) de s'agenouiller avec componction aux sandales du premier imam venu, de s'esbaudir devant ce gesticulage post-dînatoire qu'est le ramadan, d'aller célébrer le monde de demain avec les Martine-à-vélo en se gavant de couscous dès la nuit tombée.

Mais il importe de bien stigmatiser ce panzer fait homme qui ose se nommer Benoît XVI, et non Benoît XIII & III, comme le lui réclament gentiment nos plagistes perpétuels, pour faire sourire les petits tyrans qu'ils ont engendrés : leurs enfants, le monde à venir, l'horreur dans le pare-brise, juste au bout du pinceau croisé des phares.

Durant ce temps, Sa Sainteté Benoît XVI, qui a la sottise anti-moderne de croire qu'il est le successeur de Pierre sur le trône de Rome, s'épuise à maintenir vivant, s'il se peut, le dogme qui nous a façonnés, tous ; alors que tout ce qu'on lui demande est de devenir le directeur moral d'une sorte de Planning familial planétaire et éternel - mais d'une éternité que tout le monde aura oubliée dans un demi-siècle. Bizarrement, il ne veut pas.

C'est sans importance. La venue du pape, dans ce pays fatigué de lui-même, épuisé de son histoire, honteux aussi bien de sa gloire que de ses hontes, aura comme chaque fois permis aux petits singes de l'avenir de se refaire hâtivement une belle armure anti-religieuse - ignorants qu'ils sont de leur identité réelle : cogner sur l'Église, c'est encore se montrer et se prouver catholique de stricte obédience. Ainsi, Ronsard, voilà tout juste cinq siècles :

Mais que dirait saint Paul s'il revenait ici ?
Que dirait-il de voir l'Église à Jésus-Christ,
Qui fut jadis fondée en humblesse d'esprit,
En toute patience, en toute obéissance,
Sans argent sans crédit sans force ni puissance ?

(...)

Et Ronsard conclut :

Il se repentirait d'avoir souffert pour elle
Tant de coups de bâton, tant de peines cruelles,
Tant de bannissements. Et, voyant tel méchef,
Prierait qu'un trait de feu lui accablât le chef.

[Ponctuation probablement fautive...]

Il y a cinq siècles, n'est-ce pas ? On ne vous a pas attendus, mes petits dagrouiks, mes jolies martines. Nos inapercevables modernes, nos immarcescibles porteurs d'avenirs plus ou moins chantant peuvent bien aller se rhabiller. S'il leur reste quelques hardes : ce ne sera jamais le manteau de saint Martin.

vendredi 12 septembre 2008

Cette immonde sollicitude...

Le monde que l'on tente de nous vendre devient vraiment charmant. Déjà, une rectification s'impose, une sorte de repentir, ou pour mieux dire de scrupule : ce monde, "on" ne nous l'impose pas. Il s'impose tout seul, nul n'est responsable, identifiable en tant que tel. Il se déploie, comme une bête qui bâille et s'étire, dangereux et bonnasse. Il n'empêche.

L'entreprise a, me semble-t-il, longtemps été un lieu plus ou moins ouvert, où circulait, même canalisé et raréfié, l'air extérieur. C'est en voie de terminaison. Elle est devenu un lieu clos, à l'image des locaux qui l'abritent, où l'on ne peut ni ne doit ouvrir les fenêtres, afin de ne pas contrarier les effets de la climatisation.

Se refermant sur elle-même, l'entreprise devient inhumaine, forcément. Il ne peut pas en être autrement, et c'est la grande stupidité des libéraux de croire - après Montesquieu et sans l'avoir bien compris - que le marché (le commerce) peut adoucir les moeurs : bien au contraire, il les durcit, les radicalise ; l'exploitation s'indure en quelque sorte dans la matière grise de tous les salariés, qui finissent par s'imaginer respirer un certain coulis de liberté, lors même qu'ils sont de plus en plus asservis - mais asservis suivant des procédures modernes.

À mesure que l'entreprise devient inhumaine, si elle veut que son visage souriant signifie encore quelque chose, ait un soupçon d'efficacité léthargique, il convient qu'elle demeure capable de distraire l'attention. C'est ce qu'elle fait, en se préoccupant chaque jour davantage de la santé, du bien-être - ou du mieux-vivre, pour employer un langage actuel - de ses salariés, de plus en plus en but à des rafales de répugnante douceur tirées à bout portant, à une immonde sollicitude de chaque instant.

Alors qu'un jivaro cravaté est requis pour "écrémer" tel ou tel service, cette branche d'activité ou cette autre, dans le même temps, d'autres costarisés nous enjoignent, d'abord aimablement, de cesser de fumer (ou alors dehors) et de boire (ou bien de minuit à deux heures du matin et en cachette). C'est pour notre bien. Si nous refusons de voir où est notre bien, de l'admettre pour tel, apparaissent rapidement les expressions mielleusement menaçantes, comme "tolérance zéro".

Ces deux tendances se donnent la main, leurs courbes sont rigoureusement parallèles : Il y a encore peu de temps, le sigle DRH signifiait "Direction des Relations Humaines" ; il dit aujourd'hui : "Direction des Ressources Humaines" - on ne saurait être plus clair. De toute façon, ces barbares à sourire humain, pour paraphraser Philippe Muray, sont toujours trahis spar le langage, lequel ne peut mentir et dissimuler qu'un temps. Les actionnaires (du mot action, du verbe agir) sont ces gens qui ne font rien et décident de tout. Ceux qui produisent, travaillent, fabriquent, créent, sont désormais désignés comme les charges salariales.

La messe est presque dite. Enfants d'aujourd'hui, bienvenus dans le monde de demain...

Sur le vif

Anne C. : - De toute façon, les pigistes sont considérés exactement comme des salariés.

Moi : - Ah bon ? Si mal que ça ?

Samba à la Comète

Ambiance torride, bière fraîche, terrasse battue par une pluie qui lorgnait vers le tropical, compagnonnage sans histoire. Et une Irremplaçable héroïque qui a fort peu bu, afin de pouvoir ramener la voiture au Plessis. Je n'en dirais pas autant de certains de nos convives...

jeudi 11 septembre 2008

Dernier bistrot avant le silence

L'argument consistant à dire qu'on peut toujours aller lire ailleurs est irrecevable.
Je suis désolé, mais in fine, il me paraît parfaitement recevable, même s'il n'est pas l'alpha et l'oméga de toute discussion : on peut en effet toujours aller lire ailleurs.

Surtout ici, où bon nombre de billets sont consacrés aux blogs qui hérissent Didier.

Il me semble normal de consacrer quelques (et non "bon nombre de") billets aux blogs qui me hérissent MOI, vu qu'on est, ici, sur MON blog.

On attend d'ailleurs qu'il s'attaque à plus gros gibier que des Fiso aussi inoffensive qu'omniprésente dans ses allusions, ou d'autres blogueurs confidentiels à quinze visites par jour.
Il n'y a ni gibier ni chasseur. Nul n'a jamais dit que Fiso était offensive, et je ne crois pas qu'elle soit omniprésente ici (ou alors, il faut que j'aille consulter d'urgence).

Pédé ramollo au 32ème degré reste une insulte homophobe. Etc.
En effet. de même que "grand con de Norvégien" reste une insulte scandinavophobe. Et ?

(...) pas la peine de faire la démonstration par l'absurde avec les grands cons de blonds Norvégiens, ou les cathos abrutis, c'est l'accumulation du reste qui me pousse à réagir. Il n'y a aucune géométrie variable là-dessus, juste un constat.
Bien sûr. soudain, on est touché par la grâce, on arrache le masque bonnasse afin de révéler au monde le monstre qui se cache dessous. Parfois, l'opération est un peu longuette, mais on finit par y arriver.

Mais ce qui me fait le plus marrer - parce que des blogs de provoc comme le tien il y en a d'autres - c'est la manière que tu as de faire avaler ces pilules "au 32ème degré" à certains que tu ne tiens absolument pas en estime. Et là, c'est toi qui surfe surla géométrie variable.

Le rire ne ressortait pas de façon très nette. Je vois mal ce que les autres « blogs de provoc » viennent faire ici. Mais j'aime beaucoup le « à certains que tu ne tiens absolument pas en estime » : on sent que Rambo en a encore sous le coude...

C'était ma première et dernière contribution à une blogowar avortée, dont je vois trop bien les tristes tenants et les impossibles aboutissants.

Paul Léautaud is well, alive and living in Paris...

Hier, explorant les différents passages parisiens, Catherine a croisé Paul Léautaud. Je comptais en faire un billet, et, tout naturellement, l'idée m'était venue de le dédier à Ygor Yanka, l'un de mes plus précieux lecteurs. Il se trouve que l'Irremplaçable l'a fait avant moi. Et comme ce sont ses photos...

mercredi 10 septembre 2008

Tromsø ! Tromsø !

On s'est aperçu rapidement qu'avec Trondheim, on jouait petits bras : méchamment loin en dessous du cercle polaire ! presque le Midi, pour tout dire. En revanche, Tromsø se trouve 400 km au-delà du cercle polaire : pas une existence de pédé ramollo. D'autant que, sur ce site, on signale, mine de rien, qu'aucune ville de ce pays de grands cons aux cheveux délavés ne possède davantage de bars par habitant.

Vous hésiteriez, vous ? Un pays où il fait continuellement nuit durant près de trois mois et où les bistrots ouverts se pressent en foule ? Franchement ?


Vous avez remarqué que je sais déjà faire les "o" barrés ? Encourageant, il me semble...

Avis aux populations désespérées

On peut de nouveau commenter ici en "anonyme". Ce qui n'empêche pas de signer, bien entendu.

mardi 9 septembre 2008

Trondheim ! Trondheim !

Si ça se trouve, dans un an, on sera là : à Trondheim, Norvège. Ce sont les dégâts collatéraux et imprévisibles des discussions d'apéro. J'ai émis, juste entre la bière Royale et le bourgogne aligoté, l'idée que j'aimerais assez aller passer un an près du cercle polaire, pour voir l'effet que font des journées de quasiment vingt-quatre heures, suivies par des nuits de même durée. L'Irremplaçable, parlant la langue, a sauté sur l'occasion, suivant son appétence pour les idées stupides. Il ne s'agirait en fait que de prendre un congé sabbatique d'onze mois (le maximum autorisé) et de foutre le camp, nos deux chiens sous le bras. On va voir.

Auparavant, un peu plus tôt dans l'apéro, on avait plaisanté grassement (mais gentiment néanmoins) sur les ivrognes de toutes origines, qui ont besoin de l'excuse de la Fête de l'Huma pour aller s'arsouiller grave. Et qui, en plus, vont se lester de quatre ou cinq Martine à vélo, dont on attend déjà impatiemment le compte-rendu de l'événement.

Avec une naïveté qui l'honore, Catherine m'a demandé comment il pouvait exister encore une Fête de l' l'Huma, alors que le parti communiste est en état de mort clinique, et son torchon sub-claquant. Je lui ai répondu que, déjà à l'époque où il m'était arrivé d'y mettre les pieds, la fête en question n'était rien d'autre qu'un gigantesque stand à merguez pour martines à vélo - les martines de cette époque défendant bec et ongles les hôpitaux psychiatriques de l'URSS, au nom du bonheur de l'humanité. Finalement, pour sottes qu'elles soient, les martines d'aujourd'hui me paraissent moins nocives, mais j'ai peut-être tort.

Finalement, Trondheim s'est imposé à l'imaginaire : l'idée de voir des martines à vélo se rétamer leur tronche hilare sur de la neige gelée nous a rendu le sourire. On a repris un petit verre.

Carburant : Comme d'habitude, en quantité fort raisonnable.

Nourriture terrestre : sardines à l'huile et salade de tomates-oignons. Mais attention : tomates du jardin d'une part. Et, surtout, sardines bretonnes, à l'huile d'olive vierge, sorties de notre cave personnelle. c'est-à-dire achetées en 2001 et, depuis sept ans, pieusement retournées tous les six mois, afin de les bien confire dans leur huile. Le tout avec bon pain et beurre au sel de Guérande généreusement tartiné.

Environnement sonore : néant : le temps nous a permis d'écluser en terrasse...


Rajout de 20 h 52 : la menace se précise, l'Irremplaçable nous a déjà trouvé un appartement pour 117 € par mois...

Rajout de 20 h 57 : un autre, à 190 €...

lundi 8 septembre 2008

Six mois... à mon âge...

DG attendant, serein, le verdict du tribunal (allégorie)

À Audine

Ça s'est donc passé comme ça. Rendez-vous au TGI (tribunal de grande instance) de Versailles, à neuf heures : bureau 206 A, 2e étage. En tant que dangereux malade du retard, je contrains mon Irremplaçable Chauffeur de partir à sept heures - ce que nous faisons.

Ce que nous faisons à juste raison, dans la mesure où deux ou trois connards croient bon de fomenter un accident sur l'A 13, qui nous mène au château de Versailles vers huit heures et demie. Nous voilà néanmoins installés dans un épais couloir d'un palais de Justice labyrinthique sur les coups de neuf heures moins le quart (où aucun coup ne sonne bien évidemment). Nous sommes seuls, l'Irremplaçable et moi, elle lisant Jude l'obscur de Thomas Hardy, moi révisant La Violence et le Sacré, de René Girard. Et le temps passe...

Arrive notre avocat. Puis, les douze ou quinze personnes convoquées également à neuf heures. Sur les coups de dix heures moins le quart, se pointe une sorte de bonniche en jean et chemisier à fleurs, tellement mal fringuée que je la prends pour une enseignante de collège : c'est le procureur de la République.

Mon avocat (qui se trouve être également l'avocat d'à peu près tout le monde) m'explique qu'il y a deux solutions. Le procureur-bonniche peut décider de faire passer les "clients" dans leur ordre d'arrivée ; ou bien dans celui que le "rôle" transmis par le tribunal lui dicte. La bonniche choisit la deuxième solution. Moyennant quoi, je me retrouve avant-dernier : je passe exactement quatre minutes devant la bonniche, aux environs de midi moins vingt-cinq. Seule chose que j'ai à lui dire : oui, je trouve merveilleux de payer 800 € et de n'avoir que six mois de retrait de permis (que j'ai de toute manière, et contre lesquels elle ne peut rien). Rendez-vous à 14 H, ailleurs dans le labyrinthe, avec le juge qui doit entériner l'affaire.

Le juge en question est plus consciencieux : alors que le procureur avait cinquante minutes de retard, il n'en a que vingt. Cette fois, la séance est publique. On s'entasse, on écoute, on patiente. Histoire de me faire moins chier, je prends des notes. Je suis furieusement décalé, mais alors furieusement.

En dehors de Lahrbi ben Mes glaouis (je modifie son nom), 41 ans, qui est là pour avoir explosé la gueule de son épouse légitime (laquelle, après avoir porté plainte, a retiré sa plainte le matin même, est revenue sagement vivre avec ce charmant mari), je suis le seul à :

1) être français de souche,

2) avoir plus de 30 ans,

3) savoir qu'on dit "oui, M. le Président", plutôt que "ouais".

À part le cogneur d'épouse légitime dont on vient de parler ( le président fait discrètement part de son étonnement quant au retour de l'épouse (de ce cogneur récidiviste), mais c'est sans doute parce qu'il est raciste et ne connaît pas les autres cultures), tous les autres sont condamnés pour avoir conduit sans permis : soit parce qu'ils n'en avaient plus, soit pas du tout. Y compris la petite Viet assez mignonne, dont Catherine espérait vaguement qu'elle soit liée à une affaire de prostitution ou de massacre d'ours : non, elle avait juste conduit sans permis - décevant, je reconnais.

Lorsque mon tour est venu, Catherine me dit qu'il y eut un hoquet derrière elle lorsque le président annonça une amende de 800 €. Pour les autres, en effet, la peine était soit de deux mois de prison avec sursis "simple" (je ne sais pas ce que cela veut dire), soit, par deux fois, "100 jours/amende à 5 € par jour". Là, j'ai fini par comprendre : cela signifie que le condamné doit payer ces cinq euros chaque jour, durant trois mois un tiers. Il peut évidemment payer en deux, trois, dix, voire une fois - comme cela l'arrange. Mais chaque "5 €" qu'il ne paie pas, au bout de ces cent jours, se transforme en autant de jours de prison effectifs.

Bref, j'ai appris des trucs, je me suis ruiné les miches sur des chaises inconfortables, j'ai croisé de tout petits magistrats ne méritant pas plus que le smig-et-demi qu'ils gagnent par mois, mais qui affirment leur microcosmique pouvoir en arrivant systématiquement un ou deux quarts d'heure en retard à leurs audiences de merde.

J'ai vérifié également que, si on pouvait payer 800 € d'amende, on ne vous faisait pas trop chier sur la durée du retrait de permis.

D'une manière plus essentielle (si je puis dire), il va de soi que toute personne pénétrant dans un palais de Justice est de toute façon coupable ; coupable d'être là, même si, in fine, elle est déclarée innocente (ce qui n'était pas mon cas, loin s'en faut).

Pour aller dans le sens de Renaud Camus (qui n'a nul besoin de moi pour cela), le langage qu'emploient entre eux les avocats, les juges, les procureurs, and so on, sans même parler de la manière dont ils s'habillent, semble prouver que ces gens n'ont désormais plus la moindre supériorité intellectuelle sur la marchande de fruits & légumes de Pacy-sur-eure ; laquelle, au moins, fait superbement son boulot, et ouvre sa boutique à l'heure indiquée sur sa devanture.

dimanche 7 septembre 2008

Demain, on sera là...

À Olivier P.

En réalité, nous ne serons pas exactement là. À Versailles, certes, mais plutôt au palais de Justice, où l'on doit statuer sur le sort futur de mon permis de conduire, qu'au château. Un rendez-vous le matin, un autre l'après-midi : journée pourrie, réveil à six heures du matin, afin d'être certain de n'être point en retard au rendez-vous fixé par les petits juges.

Donc, ce soir, zapéro en demi-teinte. Après avoir tenté d'expliquer à l'Irremplaçable, et à cause de Balmeyer, l'essentielle différence entre les médiations externe et interne (et, non, ça n'a rien de dégueulasse : couché, Nicolas !), la conversation s'est faite languissante, rien qui mérite d'être rapporté ici.

Fond sonore : deux quintets avec clarinette, celui de Brahms, op. 115, et celui de Mozart, K 581.

Carburant : le même aligoté qu'hier, plus une bière Goudale avant, pour moi.

Nourriture terrestre : pâtes au citron et au safran, agrémentées de saumon sauvage et de saumon fumé, ainsi que de fines lamelles d'oignons crus.

L'ablette féministe

Je viens d'aller la taquiner ici.

samedi 6 septembre 2008

Get your kicks on the route 66...

Sujets de conversation : deux, dont un perdu corps et biens. D'abord, pour faire honneur au nom de ce blog, on a envisagé la possibilité d'un déménagement. Cela fait six ans que nous n'avons pas revendu, acheté, jeté le pognon par les fenêtres, etc. : ça commence à manquer. L'idée actuelle est d'acquérir la maison d'une amie de Carlos, située dans la région d'Étretat, pas loin de chez ma soeur Isabelle : comme ça, elle pourra aller nourrir les cadors quand l'envie nous pognera d'aller nous arsouiller à Paris. Le côté aberrant de l'idée en question nous a immédiatement séduits.

Là-dessus, téléphonage (mot emphatiquement camusien) : Ronaldo, le nouveau dessinateur chargé des couvertures de Brigade Mondaine (l'ancien est mort bêtement il y a quelques mois...), à qui je suis censé communiquer mes instructions. Comme il est : 1) à moitié sourd, 2) complètement brésilien, les conversations téléphoniques ont un petit côté surréaliste auquel je suis sensible.

Retour au salon, nouveau sujet de discussion : celui que l'Irremplaçable et moi avons totalement oublié. On a parlé de notre soirée à la Comète, de Nicolas et du vieux Jacques, mais il y avait autre chose. C'est étrange.

Sinon, on a évoqué René Girard, dans l'oeuvre duquel je me suis replongé, notamment Des choses cachées depuis la fondation du monde et Mensonge romantique et vérité romanesque, de peur d'être interrogé à leur sujet, le week-end prochain, par deux fâcheux nantis d'enfant - on n'est jamais trop prudent, surtout avec les jeunes-qui-ne-respectent-rien.

Là-dessus, on s'est offert un plan foutrement régressif, en dévorant un gratin de coquillettes au comté et aux deux jambons. J'ai plus faim, tout baigne.

Carburant : Bourgogne aligoté pour Catherine, même chose pour moi, mais avec une bière La Géante avant.

Environnement sonore : Nat King Cole (d'où le titre). Puis, retour à l'écran : Arvö Part, Spiegel im spiegel.

Belle soirée.

vendredi 5 septembre 2008

Petites robes écossaises

J'étais déjà dans le métro, depuis Pont de Levallois. Elles sont montées porte de Champerret, si je me souviens. La mère et ses deux filles, l'une dix ans, l'autre huit, à peu près. Elles ont la même jupe, taillée à la maison, écossaise. On sent les petites filles catholiques, le genre dont se moque ce gros con d'Étienne Chatilliez, dans son film de merde, La Vie est un long fleuve tranquille. L'aînée se tait, la petite parle. Elle raconte à sa mère que, ce midi, à la cantine scolaire, elle a mangé du poisson et des pommes de terre. Elle parle très bien. Sa mère l'écoute, la relance.

Un moment, entre deux stations, je tapote l'avant-bras de la gamine et lui demande si elle a réellement mangé ce qu'elle dit. Elle ne me répond pas, mais sa mère me sourit - superbe sourire d'une femme pas plus belle qu'une autre, mais néanmoins bien plus belle qu'une autre. À Saint-Lazare, nous descendons ensemble. Nos regards se croisent, la petite fille continue de parler. Je remercie sa mère d'exister, avant de disparaître. Ces trois femelles prennent l'escalator en même temps que moi. Je les vois disparaître de ma vie avec une violente nostalgie qui dure très peu.

En ce moment, je me demande quelle est leur vie, où elles habitent, et comment elle vont s'arranger pour continuer d'exister m'ignorant absolument. C'est à elles de voir. À moi aussi.

Des nouvelles du front

Vers six, hier soir, attablé à L'Ambiance d'à côté devant un demi bien mousseux, l'idée m'est venue de téléphoner à Jef. Jean-François est, comme dirait l'autre, un ami de trente ans : on était ensemble au CFJ. Cela faisait en gros deux ans que l'on ne s'était vu : j'ai remarqué qu'avec l'âge, si les liens de l'amitié restent solides, ils ont moins besoin de se vérifier régulièrement. Bref.

Donc, j'appelle Jef, à Charenton où il demeure, avec l'idée d'aller y dîner un de ces soirs. Or, que m'apprend-il, ce bougre de pochtron impénitent ? Qu'André - un autre ami de trente ans - allait incessamment arriver de Strasbourg et passer la soirée ainsi que la nuit chez eux. Du coup, j'ai empoigné mon petit "sac de pédé" (Jef dixit) et me suis transporté à Charenton-le-Pont.

La soirée fut on ne peut plus aimable. Grand bonheur de revoir Tica (la femme du maître de céans), ma filleule Beatriz (ce n'est pas une faute de frappe : Tica est portugaise...), que j'ai virtuellement portée sur les fonts baptismaux il y a 25 ans, et sa soeur Charlotte. Quelques années avant la naissance de Beatriz, alors qu'il ne connaissait même pas encore sa future épouse, j'avais arraché à Jef la promesse que je serais le parrain de son premier enfant, un soir où on était faits comme des rats ; promesse d'ivrogne, mais promesse tenue.

On a démarré dignement au vinho verde, portugaiserie oblige, avant de passer au rouge (je ne sais plus lequel), puis d'attaquer sauvagement la bouteille de bourbon, après un petit détour par le porto. Inutile, je suppose, de préciser que je me suis couché très tard et sévèrement entamé.

Finalement, j'aime beaucoup les Corses

À Jérôme V.


Ils en ont. Je sais que c'est mal porté, mais ils en ont. Les Corses sont de mauvais coucheurs, ils n'ont pas compris, ces cons, que le monde avait changé, que l'ambiance était à la douceur généralisée ; que chacun se devait, pour être moderne, de transformer son pays, son village, sa maison - voire sa chambre à coucher, dans un avenir proche - en une gentille nurserie mondiale.

Les Corses sont décalés, anachroniques, scandaleux. Ils veulent, ces re-cons, que leur île leur demeure, sans s'apercevoir qu'il est parfaitement ridicule, voire réactionnaire, de prétendre conserver sa terre et en faire ce que l'on a, entre soi, décidé d'en faire. Alors qu'il est si doux, si gentil, si merveilleusement enfantin, de s'ouvrir aux glamoureuses caresses des "cultures" venues d'ailleurs.

Les Corses, qui s'obstinent à ne rien comprendre du monde dans lequel ils vivent, persistent à vouloir une Corse corse, ces re-re-cons. Ils tiennent à ce que les étrangers restent ce qu'ils sont, à savoir peu nombreux et respectueux du rocher qui les accueille : a-t-on des idées pareilles ?

Pour leur punition, ils subissent de considérables dégâts collatéraux. Ainsi, c'est un exemple entre mille, chaque 31 décembre, les habitants d'Ajaccio passent un réveillon triste et chiant, sans aucun feu de joie, alors que, dans le même temps, leurs petits amis strasbourgeois ont le plaisir de voir flamber leurs voitures par dizaines. Pourquoi ? Parce que les Arabes d'Ajaccio boudent, alors que ceux d'Alsace laissent librement s'exprimer leurs frustrations nées du racisme, de l'injustice sociale, du prix du Big Mac et du maxi-Coke, etc.

Certains - des sales fachos pas fréquentables - prétendent que les "jeunes" d'Ajaccio ou de Bastia savent pertinemment ce qui leur arriverait s'ils s'avisaient de toucher au moindre pare-choc de la voiture d'un natif, et que, du coup, ils préfèrent s'inventer d'autres jeux. Alors que leurs homologues de métropole savent tout aussi bien, à l'inverse, qu'on trouvera toujours d'excellentes excuses à leurs débordements ludiques.

Il ne faut absolument pas croire ces pourceaux naziformes. La réalité, c'est que les "jeunes" de Corse sont amollis par le climat. Et qu'ils savent, ces chérubins broyés par le système, qu'ils vivent cernés par de curieux olibrius pensant, à rebours du monde, qu'ils ont quelque droit sur la terre où ils sont nés et dans laquelle reposent leurs grands-parents.

Définitivement, on n'est pas plus con.