vendredi 5 septembre 2008

Petites robes écossaises

J'étais déjà dans le métro, depuis Pont de Levallois. Elles sont montées porte de Champerret, si je me souviens. La mère et ses deux filles, l'une dix ans, l'autre huit, à peu près. Elles ont la même jupe, taillée à la maison, écossaise. On sent les petites filles catholiques, le genre dont se moque ce gros con d'Étienne Chatilliez, dans son film de merde, La Vie est un long fleuve tranquille. L'aînée se tait, la petite parle. Elle raconte à sa mère que, ce midi, à la cantine scolaire, elle a mangé du poisson et des pommes de terre. Elle parle très bien. Sa mère l'écoute, la relance.

Un moment, entre deux stations, je tapote l'avant-bras de la gamine et lui demande si elle a réellement mangé ce qu'elle dit. Elle ne me répond pas, mais sa mère me sourit - superbe sourire d'une femme pas plus belle qu'une autre, mais néanmoins bien plus belle qu'une autre. À Saint-Lazare, nous descendons ensemble. Nos regards se croisent, la petite fille continue de parler. Je remercie sa mère d'exister, avant de disparaître. Ces trois femelles prennent l'escalator en même temps que moi. Je les vois disparaître de ma vie avec une violente nostalgie qui dure très peu.

En ce moment, je me demande quelle est leur vie, où elles habitent, et comment elle vont s'arranger pour continuer d'exister m'ignorant absolument. C'est à elles de voir. À moi aussi.

22 commentaires:

  1. Nostalgie... Vous voulez voir ma petite jupe écossaise de quand j'étais petite ?

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  2. ...A celles qu'on connait à peine
    Qu'un destin différent entraîne
    Et qu'on ne retrouve jamais...

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  3. «Elle ne me répond pas, mais sa mère me sourit - superbe sourire d'une femme pas plus belle qu'une autre, mais néanmoins bien plus belle qu'une autre.»
    Ah, voilà l'étincelle et la mise à feu !
    Très bine dit...
    :-)

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  4. Méfiez vous qu'elle ne soient pas allées au commissariat, voir si il y avait une prime pour des informations sur le vieux qui touche le bras des petites filles dans le métro !

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  5. Joli petit texte fort bien troussé (!) monsieur Didier...
    Dites-moi : Avaient-elles des chaussettes blanches dans des petits souliers noirs vernis ?
    Sinon, ce serait l'ombre de ce tableau et le signe irréfragable de la décadence de ce monde, je vous le dis !

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  6. C'est amusant. Il m'arrive aussi, parfois, de 'croiser' un autre humain sur terre. On papote, peut-être deux minutes en tout et pour tout, mais...il se passe quelque chose, un petit moment magique... Comme quoi, tout n'est peut-être pas perdu, allez savoir!

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  7. "comment elle vont s'arranger pour continuer d'exister m'ignorant absolument".

    Heu...

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  8. Les mystères de Paris, revus et corrigés façon rétro-moderne (je me comprends)?
    C'est un texte à sensations... l'essentiel est d'éprouver des sensations, c'est un gage d'humanité...

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  9. Votre France d'avant commence à lorgner du côté de Sophie...

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  10. Sénilité précoce, mon cher Guillaume...

    Et ravi de vous retrouver !

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  11. Un seul L à Chatiliez.

    Pour le reste, je trouve qu'avec votre « gros con », vous y allez quand même un peu fort. Je me trompe peut-être, mais le fait est qu'en dépit de son passé de publicitaire, Étienne Chatiliez ne me paraît pas, a priori, mériter un tel titre. En tout cas, de ses quelques interviews qu'il m'a été donné d'entendre, autrefois, j'ai plutôt le souvenir d'un homme très calme, qui ne prétendait pas avoir délivré un message universel, mais abordait malgré tout, sur un ton caustique, certains sujets que, pour le seul plaisir d'entendre ricaner, je me risquerai même à qualifier de sociologiques.

    Pour dire vrai, je n'ai jamais vu que ses deux premiers films, mais ni l'un ni l'autre ne m'ont semblé particulièrement infâmes : autant que je me souvienne, La Vie est un long fleuve tranquille n'appelait en effet pas plus à envoyer les notables de province dans les rizières ou à stériliser les èrémistes que Tatie Danielle ne se voulait un plaidoyer pour l'euthanasie des vieillards. Alors, partant de là...

    Il est vrai toutefois que je n'ai pas revu La Vie est un long fleuve tranquille depuis sa sortie, en 1987, mais il m'étonnerait vraiment que ce soit devenu à mes yeux ce que je pourrais qualifier de film de merde, catégorie qui, je vous l'accorde, est assez subjective et recouvre toute une palette de productions pelliculaires. Quoi qu'il en soit, j'ai vu ce film à l'époque où, étudiant, je n'avais pas le moral particulièrement au beau fixe mais, chose assez rare, je me souviens avoir pris du plaisir à entendre les gens rire à gorge déployée dans la salle de cinéma. Mais peut-être étaient-ce des barbus gauchistes pro-hezbollah prompts à se gausser de ce que la France a de plus vrai.

    Il est d'ailleurs intéressant de constater que les reproches faits à ce film à propos de la vision trop caricaturale qu'il proposait ont, dans mon souvenir tout au moins, toujours porté sur la famille bourgeoise-catholique qu'il donnait à voir, mais jamais sur celle, tout aussi gratinée, des beaufs-prolétaires, comme si la satire semblait plus normale pour cette dernière catégorie de gens (en fait, la seule personne véritablement critique avec qui je me souviens m'être entretenu, à l'époque, au sujet du film en question était une sorte de jeune dandy villéro-pasquaïen, lui-même suffisamment caricatural pour se prétendre issu de vieille noblesse poitevine – l'individu disait, quant à lui, « des Deux-Sèvres » ou « de la Vienne », c'est dire si, en plus d'être mythomane, il était un peu con – qui, le fait est, n'avait pas supporté les piques somme toute gentillettes de Chatiliez contre les cathos-cucul, visiblement annonciatrices à ses yeux de pogromes futurs contre le peuple chrétien de France, déjà mis à rude épreuve, il est vrai, par cinq années terribles de régime socialo-communiste).

    Sinon, une comédie sortie l'année dernière pourrait, me semble-t-il, nous mettre d'accord à propos de cet important sujet des petites robes écossaises. Il est signé de Julie Gavras, fille de Costa Gavras, et a pour titre La Faute à Fidel. C'est, en très gros, l'histoire, entre 1970 et 1973, d'une petite fille issue d'un milieu intellectuel bourgeois, qui voit ses parents s'engager politiquement du jour au lendemain dans l'anti-fascisme et le féminisme, et qui est amenée à lutter contre eux pour rester scolarisée dans son école religieuse, puis pour continuer d'assister au cours de catéchisme. Ce film ne verse jamais dans la caricature, ni d'un côté ni de l'autre, et m'a semblé sonner vraiment très juste, notamment par l'interprétation des acteurs et la restitution de l'époque.

    Autrement dit, il ne reste plus à Spider qu'à vous en envoyer une copie...

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  12. Vaut mieux pas que tu saches où elles habitent, tu vas finir en taule .

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  13. Chieuvrou : ce qui m'avait outré, à l'époque, dans le film de Chatiliez-avec-un-seul-l, c'était précisément sa vision des prolos : aussi con et caricatural que Ces gens-là de l'autre grand con de Brel. À part ça, scénario bâclé, effets faciles, etc. : bref, film de merde.

    Pour celui dont vous parlez en fin de commentaire, ça me donne envie.

    Tonnégrande : je compte sur vous pour les oranges (et le Chassagne-Montrachet...).

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  14. En quoi, mon doux monsieur, Brel est-il plus con que Brassens, hormis le fait d'être Belge quand soi-même on est Français ? J'entends bien que Brel n'est pas toujours subtil, s'il est expressif, mais Brassens avec sa bonne pipe et son irréprochable moustache est-il toujours exempt de ces tares qui vous font traiter de con le premier quidam à ne pas péter dans votre sens ? « L'abbé Brel » a fini par maudire les curés. Le bouffeur de soutanes et de flics Brassens a fini par chanter la messe en latin et par louer le brave agent qui arrête le trafic pour laisser traverser les chats de Léautaud. Bref, pourquoi toujours opposer Brassens à Brel ? Moi, je les aime tous les deux, beaucoup (mais je déteste Ferré).

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  15. Yanka : où avez-vous pris que j'opposais Brel à Brassens ? Je les ai passionnément aimés tous les deux et il se trouve que le premier cité m'est devenu insupportable, cependant que le second ne m'est qu'indifférent.

    En revanche, je continue, de loin en loin, à écouter Ferré (je sais, c'est mal).

    Et puis, si j'ai traité Brel de "grand con", c'était aussi pour énerver le digne M. Chieuvrou...

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  16. Même pas mal, d'abord. Il est vrai que je savais à quoi m'en tenir pour ce qui est de l'appréciation que vous portez sur le grand Jacques. Reste malgré tout ce mystère : pourquoi semblez-vous vous polariser sur Ces Gens-là en donnant l'impression de croire que Brel a voulu faire de la famille d'affreux qu'il dépeint l'archétype des petites gens ?

    Du reste, et pour aller du même coup un peu dans le sens de Yanka, j'apprécie également que Jacques Brel – qui, à ma connaissance, ne poussa jamais le grotesque jusqu'à tenir des propos enflammés sur le prolétariat en lutte revêtu d'un bleu de chauffe – n'hésitait pas, à la fin de sa vie, aux îles Marquises, à faire le taxi dans son petit avion au profit de la population locale, que ce soit pour les Polynésiens ou pour les bonnes sœurs.

    Désolé, sinon, d'avoir de nouveau cédé, hier, à ma logorrhéite aiguë. Une rechute, probablement. Pour ce qui est, par ailleurs, de La Vie est un long fleuve tranquille, il est possible, réflexion faite, que vous ayez raison et que ce soit effectivement un « film de merde ». Je ne me souviens, en fait, que de la prestation de Patrick Bouchitey en curé chanteur, dont rien ne pourra me faire penser qu'elle n'était pas proprement tordante.

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  17. Je veux bien vous accorder Bouchitey, allez ! Encore que je trouve la caricature vraiment trop appuyée, mais bon.

    Quant à Brel, au fond, en dehors du plaisir enfantin de vous asticoter un peu, je m'en fous.

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  18. j'aime et j'aime bien l'idée de la violente nostalgie qui dure très peu...
    On en rencontre souvent de ces coups de coeurs tout aussi spasmodiques qu'éphémères...

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  19. Ca fait quelques jours que j'essaye de commenter ce texte : je le trouve très bon, je ne sais trop par où commencer. Une sorte de légèreté de tout, touchée du doigt, qui m'émeut.

    Quelques phrases : "Je les vois disparaître de ma vie avec une violente nostalgie qui dure très peu."

    Sentiment si bien décrit, j'en joue, parfois : je détaille une personne, et je sais qu'invariablement je l'aurai oubliée dans quelques minutes, je joue de cet oubli promis, ce passage à l'évidence d'une présence, d'un corps, à un néant d'indifférence même pas dramatique, comme si tout cette scène était un jouet miniature de la vie.

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  20. Déprime pas, de toute façon la premère des filles va tomber enceinte à 17 ans d'un jeune loubard et va faire un procès à ses parents pour qu'ils subviennet à leurs besoins

    La deuxième fille sera anorexique et se droguera. Elle ira jusqu'a faire cambrioler la villa de ses vieux pour s'acheter de la dope.

    Quand à la maman souriante elle trompe déjà son mari et dans quelque temps elle va prendre 50 kilos.

    Alors n'aie pas de regrêt.

    PS il y a un autre Kris sur ton blog mon cousin. Alors celui qui dit des choses intelligentes n'est pas moi.

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  21. Kris et Balmeyer : vous me flattez !

    Kris-Cousin : j'avais rectifié de moi-même...

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  22. Brel fustigeant les Flamingants, c'est plaisant quand même, en ces temps où même être belge ne suffit plus à ces prétentieux...
    :-)

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.