mardi 24 mai 2022

Emmanuel de Florette


 Un triste jour du XXIème siècle, les plus célèbres et pénétrants pédagogues s'avisèrent avec une incrédulité consternée qu'Intelligence et Instruction étaient en train de disparaître totalement du beau pays de France. Ils se doutaient bien que la source du Savoir devait encore bouillonner quelque part dans les catacombes de la rue de Grenelle – mais où ? Exactement Où ? Personne n'était assez vieux pour s'en souvenir.

C'est pour la faire rejaillir, cette vivifiante source, que le président Emmanuel de Florette se résigna à donner les clés du ministère de la Garderie nationale au seul homme encore capable de la retrouver : le Papet.

lundi 23 mai 2022

Les bons conseils de l'Irremplaçable


 Cet après-midi, Catherine a rendez-vous chez le kinésithérapeute de Saint-André-de-l'Eure : suite à un genre de “tour de reins” qu'elle s'est fait en se livrant à je ne sais plus quelle activité superfétatoire, elle marche depuis quelques jours un peu comme une centenaire en très petite forme. C'est pourquoi, avec la générosité de cœur qu'on me connaît, je me suis (et lui ai) proposé de faire le chauffeur.

Elle : « Mon pauvre ! tu risques d'attendre un moment ! Pense à emporter un livre… »

Moi, aussi sec : « La recommandation est à peu près aussi superflue que si tu me disais : “N'oublie pas de mettre un pantalon.” »

À la réflexion, elle l'est peut-être même davantage : quand il prendra à Herr Alzheimer la fantaisie de me ravager les connexions cérébrales, je suis persuadé que je sortirai me promener cul nu dans les rues du Plessis avant de partir baguenauder sans un livre sous le bras. 

Mais enfin, il ne faut jurer de rien…

vendredi 13 mai 2022

Alphonse, prophète à Neu-Neu

Alphonse B, à l'époque où il jouait les “combattants du petit bonheur”.

 1977,  c'était à mes yeux hier, ou peu s'en faut. Pour les cinquantenaires, ce doit être quelque chose comme le moyen âge, et aux yeux des moins de, à peine la fin de la préhistoire ténébreuse. Ce fut aussi la date de parution du livre de Boudard que je suis occupé à terminer, Les Combattants du petit bonheur, lequel se passe pour l'essentiel, durant l'Occupation. C'est dire si un lecteur de 2022 est soumis à divers ressacs temporels, Boudard lui-même, alors solidement quinqua, se montrant fort sensible au gouffre qui le sépare des nazilleries sus-évoquées et de ses vingt ans – qu'il fêtera (ou non…) huit mois après la capitulation allemande. 

Ces jumelles qu'il braque durant près de trois cents pages sur les ans 40 et leurs joyeusetés ne l'empêchent pas, souvent, de jeter un rapide regard vers l'avenir, c'est-à-dire vers nous maintenant. Regard rapide mais presque toujours juste, et dont l'acuité est renforcée par ce qui constitue sa marque d'écrivain et que je définirais volontiers, si on insistait, comme une ironie indulgente – voire bienveillante

Donc, pour illustrer mon propos – et justifier tant soit peu mon titre –, je m'en vas vous recopier deux courts passages du dit roman. Le premier s'est imposé tout naturellement, vu que nous sortons à peine d'une splendide “quinzaine anti-Le Pen” et qu'une autre se profile à l'horizon proche. Voici donc ce qu'écrivait A.B. il y a 45 ans :

« On parle de fascisme, de nazisme aujourd'hui sur les murs, dans les petits journaux… il ne passera pas, on se regroupe ! C'est plutôt du mimodrame. Il est bel et bien mort le fascisme. Mussolini pendu à son crochet de boucherie… le popolo qui vient lui glavioter le cadavre. Rudolf Hess, gâteux octogénaire, seul dans sa forteresse de Spandau gardé par une quadruple armée. Dans sa forme ostentatoire, évidente, nationaliste, il est bien crevé, le fascisme. On n'agite son fantôme que pour faire peur aux petits enfants. Il ne peut revenir, intolérant, féroce, implacable que sous une défroque tout à fait inattendue. Les survivants, les nostalgiques de la Collabo s'imaginent-ils que le règne de l'ordre, du travail dieu, du racisme, risque d'être instauré par leurs pires ennemis ? Le retournement ironique de l'Histoire, la grande farce. Hitler est asiate aujourd'hui… roi nègre ! »

Comme le fascisme c'est plutôt une histoire d'homme, et que je suis paritaire à m'en inonder les braies, voici maintenant un petit paragraphe pour ces dames :

« Dans le militantisme, j'ai pu constater, les nanas refilent aisé le double six aux hommes. Dès qu'elles sont vraiment convaincues de l'existence de Dieu ou du sens de l'Histoire, elles y vont bon poids… à toutes les messes, les réunions, les meetings, les cellules, les pèlerinages… Maintenant qu'elles ont trouvé une cause vraiment à elles, leur libération du joug du mâle… on n'a pas la partie belle, je vous le prédis, mes frères en biroute. Elles vont nous vaincre à la rage, la longueur du temps… à l'arsenic, à l'usure, au Code pénal… elles utiliseront tout, les vaches ! Et ça ne s'arrêtera pas, leur victoire, à l'égalité des droits. En vérité, je vous l'affirme, elles ont déjà gagné… l'avenir est à elles ! On sera réduits tous esclaves… exterminés après le service comme les bourdons par les abeilles. Ça va être ça, mes petits potes… le fin du fin de la lutte finale, de la dialectouille ! la véritable égalité. Le vrai communisme en sa phase ultime ! »

Et nous allons, si vous le voulez bien, nous quitter là-dessus : il faut que j'aille libérer Paris, moi…

mercredi 11 mai 2022

Lorrain et le Dupont-aux-ânes

Jean Lorrain (1855 – 1906) vu par Sem.

 Je viens de parcourir, à très grands pas, les vingt pages (douze de trop, au moins), de l'introduction à Poussières de Paris, recueil de chroniques de Jean Lorrain. : son auteur, Jacques Dupont, m'a semblé un cuistre de la plus belle eau, écrivant en tortillons pour tenter de masquer le fait qu'il n'a rien à dire sur Jean Lorrain ni ses chroniques, hors quelques emberlificotés lieux communs. Un exemple ? D'accord :

« Les rubriques un temps envisagées par Lorrain nous éclairent sur le sens, somme toute ambigu et incomplet, qu'il donnait à son titre. “Poussières” suggère une discontinuité, comme des confetti de la durée, un émiettement aléatoire et pulvérulent du temps sitôt que le jour – systématiquement marqué par une date, ou plutôt par une date comme signe ostensible et dérisoire du quotidien dans son apparition/disparition, et donc comme pseudo-référence “vérifiable”, et d'autant moins vérifiable que ces dates sont souvent inexactes, ce que prouve l'examen des pré-originales… »

On pourrait gloser durant six pages sur ces six lignes, non ? S'extasier d'apprendre, grâce à M. Dupont, que le mot “poussières” puisse suggérer une discontinuité, par exemple. S'ébahir de ce qu'un jour puisse être marqué par une date “ou plutôt par une date” ; et que cette date – c'est inouï – soit le signe du quotidien, lequel a en outre l'extraordinaire capacité d'apparaître puis de disparaître. Et pas n'importe quel signe encore : un signe “ostensible et dérisoire” : voilà deux adjectifs qui vous posent leur signe un peu là ! 

Hélas, c'est pour apprendre, juste après, que ce signe, tout ostensible et tout dérisoire qu'il soit, ne sera jamais qu'une pseudo-référence, laquelle, comme beaucoup de pseudo-références, est non seulement vérifiable-entre-guillemets, mais en outre “d'autant moins vérifiable”. 

Enfin, comme M. Dupont est un grand coquet, il prend bien garde de ne pas affubler d'un s final ses confetti, pour affirmer très haut qu'il connaît l'origine italienne du mot. On suppose que lorsqu'il en trouve un seul au revers de sa veste, il parle alors d'un confetto. Et aussi d'un spaghetto, s'il est à table et qu'il en a oublié un au fond de son assiette.

Il est vrai que ses confettis à lui sont aléatoires et pulvérulents, ce qui autorise bien des fantaisies : les confetti de M. Dupont, ce ne sont pas les confettis du vulgaire.

Quels que soient les défauts que l'on pourra trouver à ce pauvre Jean Lorrain, je ne crois pas qu'il ait mérité d'être attelé avec ce Dupont-aux-ânes – ou “aux âne” s'il s'agit de bourricots d'origine cisalpine.

samedi 7 mai 2022

Alphonse vs Ferdinand


 J'étais occupé à ranger Marcel Aymé (La Jument verte, plutôt décevant par rapport à d'autres romans du même) lorsque mes yeux se sont posés sur Alphonse Boudard, son voisin de rayon : Cinoche, une histoire qui, comme son titre le laisse subodorer, se déroule dans les milieux du cinéma, lesquels Alphonse a connu par les soutes, c'est-à-dire comme scénariste et dialoguiste. J'ai aussitôt rapporté au salon le volume – un banal livre de poche assez fatigué mais encore vaillant –, me promettant quelques heures de réjouissances fortement colorées : rien que la première page était déjà du bonheur…

J'arrivais tout juste au bas d'icelle lorsque le livreur amazonien a glissé un paquet dans la boîte idoine : c'était le Guerre de Céline, sous sa couverture blanche de la Néref. Revenant à mon fauteuil, je vis bien qu'Alphonse me reluquait de traviole : il se gaffait que j'allais le larguer recta. Dame ! ce n'est quand même pas tous les morningues qu'on voit débarquer un Ferdinand frais émoulu des presses ! De fait, je m'y ruai, sautai à pieds joints par-dessus l'introduction du Gibault de service, snobai pareil les explications du machiniste qui avait bidouillé le manuscrit brut de décoffrage, pour piquer une tête direct dans le ressac célinien…

Un scrupule surgi de mes plus lointains tréfonds, mais néanmoins impératif, arrêta mon œil dès le second paragraphe, alors que Ferdinand pataugeait en maudit, le bras en capilotade, dans la boue de 14. Et la lumière se fit en plein : puisque j'avais tiré Alphonse des limbes, assez brusquement même, avais-je le droit de le laisser aussitôt choir comme le dernier des loquedus ? La réponse était non, catégoriquement.  J'ai donc repris Cinoche où je l'avais prématurément abandonné, sous l'œil ma foi plutôt compréhensif de Ferdinand – enfin, il m'a semblé.

J'ai même fait mieux, ou davantage : comme je me sentais un peu merdeux de mon lâchage alphonsin, j'ai décidé d'aller passer commande d'un gros pavé contenant cinq autres de ses tartines, au Boudard. Histoire qu'il arrête de grommeler pendant que je savoure sa prose juteuse en essayant de ne pas m'en faire gicler trop sur le devant de ma limace. Il fallait au moins ça pour qu'il reprenne des couleurs.

On ne dirait pas, à les voir, mais tous ces gros durs à la redresse cachent souvent des cœurs de frangines.

jeudi 5 mai 2022

Un film vraiment nouilles


 Si vous ne l'avez jamais vu, c'est sans doute par manque de bols. Et s'obstiner dans cette ignorance serait gravement coupable, puisqu'il est disponible pour le prix d'une soupe ou à peu près (par exemple ici).  

Tampopo n'est peut-être pas l'un des plus grands films qu'ait engendré le cinéma japonais, mais c'en est à coup sûr le plus délicieux.On y prend conscience, tout naturellement, que la soupe n'est pas simplement de la soupe : c'est une quête ; dont la nouille est le Graal – lequel, comme tout Graal qui se respecte, ne se révèle pour finir qu'à celui qui s'en est donné les moyens et le mérite. Le résultat est un film fort drôle, olfactif, nourrissant, où la chère est montrée pour ce qu'elle est : le pivot central de l'homme, aussi bien dans l'histoire principale que dans ses différents “contrepoints” saugrenus, étranges, presque oniriques.

Tampopo est aussi un hommage à la fois admiratif et désinvolte au cinéma lui-même, lequel s'exprime sous la forme du pastiche : pastiche de western, pastiche de film noir, pastiche de comédie du temps du muet, etc. On y voit passer une procession fellinienne, on y découvre une chorale improvisée filmée comme par John Ford, ainsi de suite. Tout cela sur fond de musique classique occidentale, qui semble n'avoir été écrite que pour atterrir ici, dans ce minuscule restaurant de ramen. J'ai repéré au vol Wagner, Moussorgski, Mahler : il y en a d'autres, que mon inculture m'a empêché d'identifier. 

Du reste, la présence ici de l'Occident n'est pas seulement sonore : on y donne aussi un ou deux coups de chapeau, très légèrement ironiques, à la gastronomie française, ainsi qu'aux spaghettis des Italiens, ces “frères en nouilles” des Japonais. 

Et comme les plaisirs de la bouche et du ventre ne sont jamais totalement dissociables de ceux du sexe, on a également droit, dans l'un des contrepoints, à deux ou trois scènes d'un érotisme indiscutablement culinaire ; notamment un jeu de bouches entre amant et maîtresse qui, par le jaune d'œuf qu'il prend pour objet du désir, fait évidemment songer à Georges Bataille.

Je terminerai ce trop rapide aperçu par deux recommandations en forme d'impératifs catégoriques :

– Il est absolument indispensable de regarder Tampopo dans sa version japonaise, sous-titrée en français – ou sans sous-titres du tout si vous maîtrisez parfaitement la langue de Junichirô Tanizaki et de Kenzaburô Ôé : choisir une version doublée vous exposerait à être par moi maudit jusqu'à la septième génération, au moins, de vos putains de descendants.

– Ce film doit être abordé au sortir immédiat de table : visionné avant le repas, votre faim naturelle alliée au doux murmure et aux fragrances des bouillons s'échappant des marmites et des bols suffiraient très probablement à vous rendre fous ; en tout cas, quelque peu agressifs.

dimanche 1 mai 2022

Charenton, le pont

 Pourquoi le pont de Charenton ?

Réponse dans le journal d'avril.