vendredi 31 décembre 2010

On s'en paie une tranche grâce à Dame Tartine


Le camarade Corto, en bon militant socialiste qu'il est (air de la calomnie, en fond…), nous rappelle opportunément que 2011 va être l'année de l'une des plus belles rigolades politiques que l'on puisse imaginer : les primaires socialistes. Et, dans la foulée de son enthousiasme, il nous en détaille les modalités. L'affaire est suffisamment importante pour que je relaie ici. Ce qui est important, c'est que tout électeur inscrit aura le droit de participer à la pantalonnade, après avoir rempli un petit papier de sa belle main, par lequel il affirmera sur l'honneur être béat d'admiration pour les idées socialistes et sanglotant de gratitude à la simple évocation du programme du parti. Ensuite, il n'aura plus qu'à glisser son petit bulletin dans la petite urne. Et c'est là que le spectacle commence.

Les gens qui verraient sans déplaisir le PS se ridiculiser doivent représenter environ 70 % de l'électorat, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche, en passant par les Verts qui ne sont nulle part et entendent y demeurer. C'est à tous ceux-là que je lance à nouveau un appel solennel et tonitruant : nous devons, tous, absolument participer à ce vote-pour-rire, en prenant soin de faire porter notre choix sur le plus saugrenu, le plus échevelé, bref, pour dire les choses sans affèterie : le plus dément parmi ceux qui brigueront nos suffrages – et, bien entendu, en écartant impitoyablement les “ténors” autoproclamés. Pas une voix ne doit manquer à Guignol. Ensuite, il n'y aura plus qu'à attendre le dépouillement, que l'on suivra avec gourmandise.

De plus, pour le même prix modique, nous aurons eu, en remplissant notre déclaration de sympathie pour les idées socialistes (ah ! la splendide aporie que voilà !), le plaisir suprêmement raffiné et rare de nous faire du même coup félons et parjures : ça ne se refuse pas.

jeudi 30 décembre 2010

Nous n'irons plus à Avallon


Et pourquoi diable les Avallonnais, au fallacieux prétexte qu'ils ne sont que sept mille, n'auraient-ils pas droit à une belle mosquée rien que pour eux, comme leurs camarades des grandes villes ? Eh bien le fait est, pourtant, que jusqu'à maintenant ces infortunés Bourguignons étaient contraints de s'en passer ! Honte sur nous… Mais, grâce à la bonne volonté collaboratrice du maire PS de cette charmante cité médiévale, le scandale est fort heureusement en passe d'être effacé.


(Sinon, oui, je vous remercie : j'ai bien pris mes comprimés.)

mercredi 29 décembre 2010

Mon Dieu, pourquoi tant de cruelles havanies ?


Faites l'expérience vous-mêmes, si vous ne me croyez pas. Annoncez sur votre blog, ou au café, à la cantine d'entreprise, chez vos amis bobos voire dans le clandé de Lulu la Nantaise, annoncez disais-je que vous venez d'arrêter de fumer. Aussitôt, vous allez voir sortir de terre, tels des zombis romériens, une moisson de commentateurs et d'interlocutrices, tous anciens fumeurs bien entendu, qui vont avoir à cœur de vous soutenir le moral et vous raffermir dans votre résolution. Comprenez qu'en pratique il ne leur faudra pas quarante-huit heures pour vous cisailler la volonté et vous précipiter dans la première tabagie venue.

Ce que vous souhaitiez, vous, en faisant votre coming out, c'était que survienne un bon gars, une brave fille, qui vous tienne à peu près ce langage : « Félicitations ! Tu vas voir, ça se fait quasiment tout seul. Moi, j'ai arrêté il y a quatre ans. Eh bien, je peux te dire qu'au bout de trois semaines je n'y pensais déjà plus. Et après trois mois, je n'étais plus sûr du tout d'avoir déjà fumé. Dingue, je te dis ! Je t'envie presque d'en être seulement au début et d'avoir encore devant toi toute cette merveilleuse délivrance... » Vous pouviez toujours rêver.

Au lieu de ce charmant compagnon des jours gris, vous allez attirer celui qui se fera un devoir de vous expliquer comment il a failli devenir fou de frustration, cet autre qui s'est brouillé à mort avec tous ses amis demeurés fumeurs, un troisième qui vous dressera un portrait fort pittoresque du légume trémulant que vous vous apprêtez à devenir, sans compter tous ceux qui vous déclareront doctement qu'après un an de tortures inimaginables ils ont fini par replonger, “parce que c'est la seule issue possible, à part la défenestration ou la corde”. Et si malgré tout vous espérez vous raccrocher à un qui n'a pas craqué, celui-là vous révélera, avec une sorte de fierté malsaine, qu'après huit ans de sevrage il éclate encore en sanglots tous les matins à l'idée d'avoir à traverser une nouvelle journée semblable aux précédentes.

Le plus étrange est que tous ces témoignages apocalyptiques mis bout à bout produiront bientôt un effet comique d'une incroyable puissance de feu, lequel vous confortera dans votre résolution hygiéniste et vous donnera une chance de mener le petit au bout.


Mon conseil en plus, comme on dit à la télé : ne perdez jamais une occasion de vous vanter de votre sevrage auprès des médicastres que vous pouvez être amenés à fréquenter, afin de recueillir leurs félicitations, mécaniques mais toujours bonnes à prendre. C'est ce que je comptais faire à midi, mais je me suis rendu compte juste à temps que, de tous les spécialistes diplômés par la faculté, l'oculiste (ophtalmo, en langage modernœud) était sans doute le seul à se moquer absolument que vous fumiez ou non. Avec peut-être le podologue, lequel n'est même pas médecin – ce con.

mardi 28 décembre 2010

La cartouche fumigène et le fût à bière : anatomie d'un calvaire

Écrire un billet, écrire un billet… Vous êtes drôles, vous. Et pour dire quoi ? Raconter quelle anecdote passionnante ? Vous avez déjà essayé, mes bons apôtres, de remplacer, simultanément ou presque, les alcools les plus massifs par l'eau du robinet, et les volutes gitanes par l'air ambiant ? Eh bien, tentez donc l'expérience, et on verra si vous avez encore assez de cœur au ventre pour venir faire le guignol sur votre blog !

Côté biberon, encore, on pourrait s'arranger : aucun manque n'est à signaler, pas de tremblures intempestives ni d'énervements incontrôlables – juste une difficulté à l'allumage pour ce qui concerne l'inspiration jaillissante. Évidemment, on pourra toujours me rétorquer que l'inspiration est parfaitement inutile en l'espèce, et que la plupart des blogs en sont d'ailleurs la plus flagrante des preuves…

Par contre, pour ce qui est des champs fumigènes, alors pardon ! Là, il y a belle et bien mobilisation totale et sauvage de l'appareil neuronal, lequel semble baigner du matin au soir dans une fumée absente, clapoter dans des goudrons introuvables, et se montre incapable de fournir le moindre travail productif raisonnable. La catatonie cotonneuse et l'hébétude critique atteignent de tels seuils que j'en viens à envisager la possibilité – notamment au réveil, lorsque le jour hésite à poindre – d'avoir brutalement mué pour me retrouver emprisonné dans le crâne d'un militant socialiste, sans possibilité d'en ressortir autrement que par la cartouche de Camel et le fût à bière.

Comment voudriez-vous, dans ces conditions extrêmes, ushuaïennes, que je réussisse en plus à faire tourner la planche à billets ? Soyez humains, merde !

samedi 25 décembre 2010

Selon que vous serez pédé ou catholique...


Il y a quelques jours, on s'est bruyamment réjoui çà et là de ce que les États-Unis venaient d'abandonner la doctrine du Don't ask, don't tell ; les homosexuels de chez nous par réflexe corporatiste, suppose-t-on, et Modernœud à leur suite, parce qu'il est dans sa nature de s'esbaudir dès qu'il croit renifler une avancée sociétale – tout cela non sans écrire quelques approximations et sottises au passage, tel l'ami Corto pour qui « Cette loi autorisait l'armée à virer manu militari tout militaire dont l'homosexualité viendrait à être découverte ». Non : l'armée américaine a évidemment toujours eu ce pouvoir de renvoyer de ses rangs les homosexuels qu'elle y découvrait, pour la simple raison qu'ils y étaient interdits. La nouvelle règle de 1993, voulue par Bill Clinton, était en réalité une atténuation, un “moins discriminant”, puisqu'elle autorisait de facto les homosexuels à intégrer l'armée américaine. Il suffisait pour cela que les recruteurs cessent de s'intéresser à leur orientation sexuelle (Don't ask) et que les recrues de leur côté de fassent pas étalage de leurs pratiques (Don't tell). Ni ne s'enculent sur la place d'Armes pendant la montée des couleurs.

Cette obligation de réserve n'a jamais été acceptée par les homosexuels américains, ce qu'on peut parfaitement comprendre, et ils l'ont fait bruyamment savoir. À peine moins bruyants mais avec des raisons moins évidentes de s'indigner, n'ayant aucune chance d'intégrer l'armée américaine, les homos européens ont ajouté leurs voix au concert, inévitablement rejoints pour finir par l'arrière-ban des modernœuds, lesquels n'ont jamais besoin de raison particulière pour brailler dans le sens du vent. Et l'infamant D.A.D.T. a finalement été aboli, les militaires gays américains n'auront plus à cacher leurs tendances pour pouvoir torturer de l'Irakien rétif, les voilà débarrassés de cet humiliant silence qu'on leur imposait, de cette obligation de descendre aux catacombes pour pratiquer leur culte.

Pendant ce temps, on va répétant chez les laïcards – notamment à propos de quelques dizaines de culs levés sur le macadam de la rue Myrha – que la religion doit rester une affaire strictement privée, qu'elle ne saurait en aucun cas se donner à voir dans l'espace public, et encore moins y prosélyter bien entendu – bref, que les croyants ont le droit d'exister, qu'ils ne seront pas persécutés (enfin, pas chez nous en tout cas...) en raison de leur foi, mais que s'il ne veulent pas tâter du gourdin ils feraient mieux de rejoindre les catacombes que les pédés galonnés du Middle West viennent tout juste de laisser vacantes. Et c'est ainsi que les religieux sont sommés de se contenter – transparence et mutisme – de ce qui était jusqu'à hier considéré comme odieusement humiliant par les homosexuels, et dont ils se sont à juste titre désassujettis.

En ce qui concerne la religion, du reste, le don't ask est chez nous en vigueur depuis plus d'un siècle – à l'exception de l'Alsace concordataire, que les laïcoïdes aimeraient bien ramener sous le joug commun aussi vite que possible. Mais pour le don't tell, c'est beaucoup plus récent. Et il est assez piquant de constater que l'injonction s'adresse principalement à ceux-là qui se taisent déjà, et non à ceux-ci qui brandissent, à tout bout de discours et de tribunes, leur croyance comme un fer à empaler.

vendredi 24 décembre 2010

jeudi 23 décembre 2010

La rue arabe : ce que savait Cassandre

Le texte de Cassandre que je reproduis ici fait partie d'une discussion qui se déroule ailleurs. Le voici :

« Du moment que nous ne leur posons pas de bombes, que nous n'obligeons pas leurs femmes à porter le tchador ou la burka ni à rester cloîtrées chez elles, que nous ne les obligeons pas à ne pas boire d'alcool ni à ne pas manger de porc, où est le problème ? Pourquoi ne nous laisserait-on pas vivre à notre guise ? »

Cette opinion qu'on devine répandue chez les musulmans est sans doute partagée par un certain nombre de nos compatriotes, même si ce nombre va en diminuant. C'est que les uns et les autres ne connaissent pas ce qui les attend : la rue arabe.

En Occident, et tout particulièrement en France, la rue citadine a toujours été un lieu d'étonnements et de découvertes, un lieu de plaisir et de spectacle, un lieu d'échanges et de mélanges où hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres, compatriotes et étrangers, sont heureux de se côtoyer et le font paisiblement ; bref, un lieu civilisateur par excellence. La rue arabe, hormis aux heures de marché, et dans certains hauts lieux du commerce, est tout le contraire : un désert, un désert d'hommes (que les messieurs du forum m'excusent). Un désert d'hommes ou ceux-ci ne semblent être là que pour patrouiller, imposer une sorte de sinistre couvre-feu, comme si le pays était en guerre. Et de fait il l'est, en guerre : contre tout ce qui est “autre”, différent, nouveau. Dans la ville, dans la rue arabe soumise à cette sorte d'étrange couvre-feu, la femme, l'étranger, le non musulman, le handicapé sont au mieux des intrus tolérés, au pire des coupables, coupables de ne pas être homme, de ne pas être musulman, de ne pas être fort, et comme tous les coupables, ils ne s'aventurent à l'extérieur qu'à leurs risques et périls, en rasant les murs et, pour les femmes, cachées sous leur voile. Quant aux patrouilleurs, faute d'avoir, pour délier la langue et l'esprit, un peu de vin et de cet autre alcool inconnu en terre musulmane : la liberté de penser, ainsi que le droit au flirt avec l'un ou l'autre sexe, ils n'ont rien à se dire, rien à échanger, que des rodomontades, le plus souvent sexuelles, précisément, rien sur quoi s'exciter en dehors des injustices prétendument subies par les musulmans à travers le monde, et seule la traque de la moindre transgression à l'ordre islamique établi les tire de leur léthargie. La rue arabe, à l'image de l'islam, n'est pas un lieu d'échanges civilisateurs mais un lieu de rapports de forces insidieux, permanents et mortifères où les très jeunes mâles aiguisent leur virilité et trompent leur ennui en démolissant ce qui peut être démoli et en insultant tous ceux et celles qui peuvent être insultés sous le regard indifférent des adultes.

Bien sûr ils ne se font jamais prendre la main dans le sac. Ils ne mettent pas d'écriteaux de mise en garde menaçante dans les rues, ni ne s'imposent avec des armes. Alors, que leur reprocherait-on ? s'inquiètent-ils la main sur le cœur. Les intolérants c'est nous, pas eux ! En attendant, c'est un des aspects les plus aimables de notre civilisation qui risque de disparaître. Et le plus fort, c'est que la jeunesse maghrébine quitte ses pays d'origine pour fuir, entre autres, ce monument d'ennui qu'est la rue arabe, dans laquelle ils vont finir par se retrouver aussi, chez nous, sans y avoir pris garde, sans avoir eux-même rien compris ni vu venir !

On me dira qu'il s'agit d'un archétype qu'on ne trouve pas forcément dans tout le monde arabe ; mais tout le monde arabe, ou presque, tend vers cet archétype.

mardi 21 décembre 2010

dimanche 19 décembre 2010

Pro-té-gez nos CRS !

Que se passe-t-il lorsque de braves Compagnies républicaines de sécurité, ne demandant qu'à gentiment cultiver le vivre-ensemble, se font faire des misères par la racaille qui tient le quartier (populaire, le quartier, forcément populaire...) où elles sont en villégiature ? Eh bien le syndicat représentant nos braves Compagnies républicaines de sécurité exige fièrement qu'on les change de chambrées. Qu'on leur accorde de plus gentils camarades. Et il l'obtient. C'est que c'est fragile, une Compagnie républicaine de sécurité, ça s'abîme comme un rien.

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samedi 18 décembre 2010

On se recouche jusqu'en avril

Hier après-midi, cependant que je télé-travaillais benoîtement dans La Case, L'Irremplaçable s'est mise en tête d'aller faire quelques courses à Vernon – que des denrées de première nécessité : eau de Cologne, pyjamas neufs, des os pour les chiens...

La neige a commencé à tomber à gros flocons à sa sortie du Monoprix. Elle a pu grimper sans trop d'encombres la côte qui permet de s'extraire de la vallée de la Seine, puis traverser le plateau et redescendre de l'autre côté, dans la vallée de l'Eure. C'est lorsqu'il lui a fallu – à elle et à quelques autres – remonter de l'autre côté que les choses se sont gâtées. Au point qu'elle a bien dû se résoudre à abandonner la voiture sur le bas-côté pour couvrir à pied les trois kilomètres qui restaient jusqu'à la maison.

Et, bien entendu, ce matin, après un appel téléphonique et renseignatoire à la gendarmerie de Pacy, nous avons reparcouru cette même distance dans l'autre sens afin de récupérer Roselyne qui, depuis une quinzaine d'heures, se frigorifiait les ovaires non loin de la déchetterie.

Nous voilà revenus à bon port, la neige s'est remise à tomber, les chiens ont leurs nonosses, nous du pain frais et de quoi fumer. L'hibernation se profile.

vendredi 17 décembre 2010

Les chardonnerets, quand y en a un ça va...

Le chardonneret, c'est mon marronnier à moi, moins ombreux en été mais beaucoup plus gai en hiver : j'en fais un billet chaque année, sans désemparer ni mollir. Il y a bien quatre ou cinq ans que l'on a vu apparaître les deux premiers, vers la fin de la saison, venus casser une petite graine dans la mangeoire commune, afin d'établir la soudure avec le printemps qui s'annonçait. Depuis, ayant compris l'aubaine, ils rappliquent de plus en plus tôt, et chaque année plus nombreux. En 2009, l'Irremplaçable et moi en avions, un jour, compté jusqu'à sept (c'est difficile, de compter des chardonnerets : ces petits imbéciles bougent tout le temps).

Eh bien, le record est largement battu puisque, voilà deux jours, ils étaient onze en même temps, qui dans la mangeoire, qui au pied de l'arbre à picorer ce que font tomber les autres. On a recompté pour être bien certain ; pas d'erreur : onze. À ce rythme-là, encore quelques années et on va pouvoir se confectionner des manteaux en poil de chardonneret, tellement plus chaud et souple que l'écaille de tortue ou l'écume de mer.

Dans mes poubelles de cinéma : Fellini

Alors, lui, j'ai essayé vingt fois ou plus, durant les trente années qui viennent de s'écouler – et encore hier soir. Ginger et Fred, pour Mastroianni, j'ai ressayé, je le jure. Impossible. Je n'ai même pas tenu jusqu'au moment où Marcello arrive dans le film, c'est assez dire.

Je déteste Fellini. Non, même pas : il m'emmerde. Profondément. Il m'a toujours emmerdé, et les vingt minutes que je lui ai encore accordées ont pesé leur poids de plomb, de fausse gaudriole, de délire pachydermique. Les acteurs pèsent des tonnes chez Fellini, les trognes sont trop choisies, les chorégraphies pesamment improvisées, le faux ravissement dans les regards, de se retrouver sous la caméra d'un tel génie, tout cela m'endort et m'énerve à la fois. Je ne connais pas de plus faux génie que Fellini, de plus lourde légèreté appliquée, de cinéma plus dénué de grâce que le sien. Rien que de parler de Fellini me donne envie de distribuer des gifles à tout ce qui s'agite devant une caméra.

Il n'est pas le seul, notez. Des Woody Allen, des Tarantino, des Almodòvar (et je dois bien en oublier deux ou trois) sont aussi surestimés aujourd'hui qu'il le fut naguère. Mais Fellini est l'archétype de l'imposteur, le membre fondateur de ce club des nuls encensés.

Il est parfaitement inutile de venir emplir la boîte à commentaires de plaidoyers en défense de cet Italien boursouflé : je ne vous répondrai pas, et vous dégringoleriez des trois barreaux que vous aviez su par ailleurs grimper sur l'échelle de mon estime.

D'autant qu'il se peut que je me trompe du tout au tout, et que votre Fellini soit en effet un génie. Eh bien, je vais vous dire : ma détestation est telle que, si c'était le cas, je préférerais passer pour un con dans les siècles des siècles que de laisser varier d'un pouce mes présupposés le concernant.

jeudi 16 décembre 2010

La Clef de certains songes, avec porte ouverte sur la mort (notes rapides)

Un homme et une femme. Deux époux. (Un gars, une fille, si l'on veut adopter le langage contemporain et renoncer à comprendre quoi que ce soit au monde.) Lui a 56 ans, elle 45 – mariés depuis 20 ans, une fille unique. Chacun tient un journal, dans lequel il ne parle que de la vie sexuelle conjugale. Les deux cachent ce témoignage en pensant (espérant ?) que l'autre le découvrira – et en effet l'autre le découvre. Chacun prétend dans son journal qu'il ne lit pas le journal de l'autre, mais chacun est persuadé que l'autre lit son propre journal. Jeu de miroirs multiples, entraînant des réfractions, des éclats de vérité. Réfraction première : l'introduction de l'homme tiers, aussi important pour le mari que pour l'épouse (mais n'existant qu'à peine en lui-même), cristallisation et sur-multiplication d'une angoisse érotique diffuse : on pense à Dostoïevski, pour ce tiers envahissant, à René Girard bien entendu, mais aussi (davantage en arrière-plan, peut-être) à Georges Bataille, en raison de cette profonde inquiétude sexuelle qui innerve tout le roman, inséparable de la mort (Histoire de l'œil, mais pas seulement, je fais très vite – Madame Edwarda aussi), la provoquant, la défiant, l'appelant. Sexualité se nourrissant d'elle-même. Apparition du fétichisme. Non, pas fétichisme : fragmentation. Le mot important, pour ce roman est : fragmentation. Comme le jeu de miroirs dont je parlais fait éclater les images, il les grossit également. Le mari photographie sa femme, qu'il n'a jamais vue entièrement nue en vingt années de mariage, jamais. L'appareil-photo (fourni par l'homme-tiers) lui permet non seulement de la voir enfin, mais de la découper : les seins, le cul, le sexe – et ses pieds dont il est si friand. (J'avais prévu, ici, de recopier un passage extraordinaire, mais le livre est resté dans le salon…)

L'épouse, elle, pendant que son mari la diffracte, se rassemble, paraît prendre possession d'elle-même et de ses désirs, se libérer (le mot n'est jamais dit, évidemment : on parle de littérature, pas de tract politique), mais d'une façon qui se retourne aussi contre elle, sans cesse. Et qui n'est jamais tout à fait assumée. Parce qu'il y a l'importance de l'alcool, de ce cognac Courvoisier que les protagonistes sont contraints d'ingurgiter pour accepter ce qui leur arrive, et même le rendre possible. Et qui les détruit. De manière médicale, précisément médicale (il est question de symptômes, de pression artérielle, d'arythmie cardiaque, de médicaments dont les noms sont cités – et ce sont même les seules incursions de la vie réelle dans cette histoire).

Il faudrait relire ce roman-là en même temps que Les Belles Endormies de Kawabata ; parce qu'il y a des thèmes communs, et en premier lieu celui de l'endormissement qui libère (les pulsions, les forces de la chair), mais aussi celui de la vieillesse impuissante qui se contemple et refuse de renoncer. Chez Kawabata, le sommeil livre la femme à l'homme. Chez Tanizaki, il lui permet, à elle, de prendre le pouvoir sur lui. Chez Kawabata, la léthargie semble vouloir et pouvoir prolonger non pas la virilité mais son souvenir ; chez Tanizaki, elle offre à l'homme un douloureux et dernier feu d'artifices.


(Junichiro Tanizaki, La Clef – Confession impudique, Folio.)

mardi 14 décembre 2010

Comment je n'ai pas lu certains de ces livres

Que faire lorsque vous arrivez à la fin d'un chapitre, que le moment de passer à table n'est pas encore venu, mais qu'il est néanmoins trop proche pour espérer lire en son entier le chapitre suivant ? Une solution palliative consiste à se rendre en fin de volume et à parcourir cette liste qui s'intitule fréquemment Déjà parus, ou encore Dans la même collection. Et de rêvasser sur les titres qu'elle propose.

A-t-on jamais lu Louis Dumont, par exemple ? Non, bien entendu. Mais soudain, son Groupes de filiation et alliance de mariage donne très envie de l'être, lu. Si l'on se sentait capable de bouger du fauteuil, on irait même le commander tout de suite ; rien ne semble plus urgent et désirable que de tout savoir sur ces groupes et cette mystérieuse alliance. Mais cette envie a déjà été bousculée par celle de se placer Sous l'invocation de saint Jérôme en compagnie de Valery Larbaud (sans accent sur le “e”, je vous prie). Par contre vous négligerez avec un certain dédain ce qui se nomme De l'individualisme révolutionnaire – désolé pour Alain Jouffroy. Mais qui pourrait ne pas avoir le brûlant désir de se précipiter vers le Dionysos mis à mort du très discret Marcel Detienne ? Sûrement pas vous, en tout cas. C'est même de première urgence, et tant pis pour Friedrich List, dont le Système national d'économie politique devra attendre un peu.

Soudain, au détour d'une allée de cette bibliothèque très modestement babélienne, vous débouchez dans un salon familier : c'est Philippe Muray qui propose sans se pousser du col trois de ses livres ; comme vous les connaissez déjà bien, l'auteur et ses ouvrages, vous vous contentez d'un petit signe de tête accompagné d'un sourire, et vous allez faire craquer le vieux plancher un peu plus avant. Parce que, tout de même, il y a l'appel discret d'Alexandre Kojève et de son Athéisme, celui un peu plus ronflant et satisfait de Mario Praz, dont s'étalent sur deux lignes, pas moins, La chair, la mort et le diable dans la littérature du XIXe siècle, sous L'œil vivant de Jean Starobinski, dont vous évitez le regard, pas plus fier pour cela. Le Balzac d'Alain vous rassérènera plus ou moins, au rayon suivant.

Mais d'un coup la bibliothèque s'efface, ses kilomètres de savoir et de trompe-l'œil se dissolvent, les murs s'abattent et vous vous retrouvez dans votre propre salon (la bonne odeur vous informe que le dîner n'est plus très loin, maintenant). C'est que vous venez de tomber sur le Cours familier de philosophie politique de Pierre Manent, qui est le livre même que vous tenez entre les mains et dont vous avez repoussé le chapitre VII à plus tard. Naturellement, vous profitez de ce retour inopiné pour ne plus bouger, vous contentant d'écouter les cliquetis de couverts qui s'arrangent et s'alignent sur la nappe de la pièce voisine. Le Napoléon de Jacques Bainville et le Chateaubriand de Marc Fumaroli sauront bien vous attendre jusqu'à demain, ayant sans doute des choses à se dire, de petites querelles à vider. Mais tout de même, passant finalement à table, vous conserverez un moment le regret de ce livre sans nom d'auteur et dont le titre étrange, Midrash Rabba sur Ruth, parfumera d'épices colorées les premières bouchées de votre repas.

lundi 13 décembre 2010

La vérité, mais à quel titre ?

La question des règles typographiques présidant aux titres d'œuvres, et en particulier lorsque ces titres commencent par l'article défini, est de celles qui ont tendance à irriter et à décourager – tantôt l'un, tantôt l'autre ; souvent les deux –, à force de complications byzantines. Même les utilisateurs opiniâtres et consciencieux finissent par se sentir des envies de jeter d'éponge, lorsqu'ils consultent les sites internet dédiés à cette question et constatent que la guerre fait rage au sein même des diverses académies. La tentation est grande alors de se replier sur ses minima, comme disait Barrès à propos de tout autre chose, et d'adopter la procédure simplifiée à l'extrême qui consiste à placer une majuscule au premier mot du titre quel qu'il soit et à en priver tous les autres, sauf bien sûr s'il s'agit de noms propres. Comme beaucoup de tentations simplificatrices, il convient de ne pas céder trop vite à celle-ci. Car, ce faisant, on risque d'effacer certaines nuances mises là par l'auteur, de perdre du sens.

Prenons le cas du roman de Kawabata dont le titre est fait de ces trois mots : les-belles-endormies. On voit bien qu'il est composé d'un article défini suivi de deux adjectifs, dont l'un substantivé. Oui, mais lequel ? Seule la typographie (ou la lecture du roman, bien entendu) est à même de nous le dire. Le titre : Les belles endormies resterait tout à fait muet à ce sujet et, sans doute plus ennuyant, d'une neutralité triste. Si l'on écrit : Les Belles endormies, le lecteur rompu à la règle en déduira que l'on va lui parler de femmes dont la beauté est la principale caractéristique, et qui se trouvent par surcroît, de manière peut-être plus anecdotique, être plongées dans le sommeil. Or, bien entendu, ce n'est pas cela que Kawabata a écrit, c'est même l'inverse : ses jeunes filles n'ont leur place dans son histoire que parce qu'elles sont endormies, et c'est cet adjectif-là qui se fait donc substantif. Si elles sont belles – et elles le sont à des degrés très variables, et même la beauté de chacune d'elle est très changeante selon les heures et les angles –, c'est en plus. Le vrai titre doit donc être : Les Belles Endormies, avec majuscule initiale à chacun des trois mots.

Sinon, c'est la pagaille.

dimanche 12 décembre 2010

L'amusante rhétorique du camarade CSP

Le camarade CSP, qui semble se prénommer Thierry dans le civil, est obsédé par les étrangers basanés. Par les hordes fascistes qui s'apprêtent à déferler sur la France, aussi, mais ça c'est normal, c'est son fond de commerce de petit besanceniste appliqué. Pour les étrangers, c'est un peu plus surprenant, mais enfin chacun ses obsessions, et je serais mal venu, sur ce sujet, de lui jeter la pierre. Ce qui est surtout amusant, ce sont les contorsions auxquelles il se sent obligé pour aborder le thème. Son billet de vendredi commençait ainsi :

Hier soir, j'ai pris le métro. Oui, je sais : il m'arrive des choses exceptionnelles, parfois. Pour aller voir Mamour qui vit dans un "quartier sensible", on dit comme ça je crois. À la quasi-fin de la ligne, je me suis rendu compte que j'étais le seul Blanc dans toute la rame. Et là, je me suis dis in petto...

Je vous laisse aller lire la suite si ça vous chante. Pour résumer très brièvement, s'ensuivait un exercice assez piteux (il arrive au camarade d'être bien meilleur, dans ce registre) où il feignait de se mettre dans la peau d'un gros-beauf-facho-raciste-etc. crevant de trouille devant tous ces “bougnoules” et ces “nègres” (les termes sont de CSP lui-même, comme on peut aller vérifier : il les aime beaucoup et les emploie souvent) et s'imaginant qu'il est en train de vivre la fin du monde occidental. Et le billet se concluait comme suit :

Bon, non, évidemment. Je ne me suis pas dit ça. J'ai un cerveau en étant de marche, moi. Je me suis contenté de constater que ah oui, tiens, je suis le seul Blanc dans la rame. Et c'est tout, il ne s'est rien passé d'autre. Comme les 364 autres jours où ça m'arrive, quoi. Et après, j'ai continué d'écouter Nine Inch Nails sur le MP3. Tout de même, on dirait pas, mais il se passe de drôles de choses, dans certaines cervelles, parfois...

Donc, il ne s'est pas dit ça, notre camarade. On est tenu de croire qu'il ne se l'est pas dit. Sauf que, pour l'écrire en rentrant chez lui, il a bien fallu peu ou prou qu'il se le dise tout de même. Il a au moins été nécessaire qu'il remarque cette incongruité : que l'on peut se trouver être le seul blanc dans une rame du métro toulousain ; que c'est même devenu une banalité de la vie quotidienne. Qu'il la remarque et qu'elle le frappe suffisamment pour qu'il éprouve le besoin de la chasser de sa tête, parce que c'est mal de voir la réalité, en la faisant endosser sous forme de caricature assez poussive au facho fantasmé qui lui sert de monstre-étalon à toute heure du jour et, on l'imagine, surtout de la nuit. Ce billet, c'est une sorte de On purge bébé, dans lequel Feydeau cède la place à Fedayin – ne demeure que le vaudeville. On les perçoit à peu près, les réflexions qui se sont formées dans ce cerveau à peine moins bodybuildé que l'enveloppe chargée de le promener dans les quartiers “sensibles” ; on la voit assez bien, l'espèce d'auto-exorcisme qui s'est jouée là, entre les stations Capitole et Bamako. Expulsion violente du démon, lequel a bien dû se défendre un moment, d'où le recours aux purgatifs les plus musclés, tels que “nègres” et “bougnoules”, ces mots dont CSP se pourlèche plus souvent qu'à son tour, mais toujours bien entendu sous forme de fascisto-citation, si je puis dire.

En fait, ce qu'on entend le plus clairement résonner, dans ce billet, c'est la chansonnette que se fredonne le petit Thierry pour y trouver le courage de considérer tout ce qui lui arrive comme parfaitement naturel. Courage, mon Thierry : Mamour est au bout de la ligne. Bientôt, tout cela ne sera plus qu'un mauvais rêve…

samedi 11 décembre 2010

Le repas de Noël ? Personne n'a hâte...

Déjà, essayez donc d'imaginer un réveillon arrosé d'eau minérale (ou du robinet : à ce niveau de tristesse, les différences s'estompent) ; aucune personne normalement constituée n'a envie d'être confrontée à une semblable épreuve, à cette immense plage de temps morne. Mais on peut encore raffiner le supplice.

Ainsi, il y a quelques jours, l'Irremplaçable a trouvé de quel plat nouveau elle allait agrémenter nos aqueuses festoyances, dont elle a malencontreusement découvert la recette sur je ne sais quel blog asilaire : le foie gras cuit au lave-vaisselle. Vous ne me croyez pas ? Allez-y voir, je vous attends…

Alors ? Convaincus ? On n'est même plus dans le limite-fout-la-trouille, là, mais carrément dans le gastrogorenomique, non ? Je suppose qu'à la fin du repas, pour rester dans la tonalité bizarre, on va nous convier à passer nos assiettes au four à pyrolyse afin de leur rendre l'éclat du propre.

Encore, afin de vous ménager, n'ai-je mis en lien que la recette soft, le foie gras autorisé aux plus de 12 ans. Car il paraît que sur certains sites interdits aux mineurs on trouve la même recette exactement, mais en bocal non étanche. À ce stade, même le chien recule.

Quand on pense qu'il y a des oies et des canards qui sont morts pour ça… Quelle connerie, la faim, tout de même…

vendredi 10 décembre 2010

L'amiral a vraiment mauvais esprit


Voici ce qu'il ose écrire sur son blog, ce bougre de marin d'eau saumâtre :

« J’ai appris que les primaires du parti socialistes était ouvertes à tous. Donc je fais le même appel que Rush Limbaugh même si je n’ai pas de favoris pour la présidentielle de 2012, même si je n’irais d’ailleurs sans doute pas voter, allez tous voter pour le candidat le plus improbable du PS! Rien que pour le plaisir de foutre le merde, rien que pour retourner la pseudo-démocratie contre elle-même, rien que pour faire trembler la gueuse sur ses grosses jambes pataudes. Quand les petits candidats à demi-attardés auront fait des bons scores, les gros seront obligés de leur donner des gages de bonne volonté, ou ils se déchireront.

« Que du bonheur comme disent les animateurs de télé au sourire de figue éclatée.

« De toutes façons, bien malin qui est capable de dire où nous en serons dans 2 ans. Statu quo ou explosion de l’euro? Soulèvement populaire ou pérennisation du totalitarisme soft? On verra bien. En attendant autant rigoler un peu en faisant pleurer les autres. »


Je trouve une telle idée parfaitement ignoble. Mais bien tentante tout de même.

jeudi 9 décembre 2010

2011 ? Qu'est-ce que c'est que ça, 2011 ?


Ils sont mignons, nos collabos modern style, non ?

Et puis, le vert leur va si bien...

Le réchauffement climatique bat son plein


L'impression un peu perturbante, ce matin, de vivre à l'intérieur d'un dessin animé de Walt Disney – et la question immédiatement corollaire : comment faire pour se sortir de ce piège à rats, tout en sucre et en guimauve durcie ? Eh bien, on ne peut pas. On ne va même pas essayer. On va rester tout tranquillement devant son ordinateur, on n'ira pas à Lagardère et c'est Lagardère qui viendra t'à nous, si besoin est. Déjà, partant de Levallois à trois heures et quart hier, Ludovic et moi avons eu beaucoup de chance de rallier le Plessis en une heure et demie : les malheureux qui ont tenté leur chance après nous étaient encore dans leurs voitures à neuf heures du soir, en tout cas dans certains coins de l'Île-de-France ; la vie, présidée par le tout-puissant et irrésistible réchauffement climatique commence à prendre les allures d'une nouvelle de Julio Cortàzar.

Disney d'un côté, Cortàzar de l'autre : l'écartèlement spirituel est à son comble.

lundi 6 décembre 2010

Et si on reparlait un peu du vers décasyllabique ?

Le vers de dix syllabes (et non “pieds”) est l'un des plus français, et des plus anciennement français qui soient. On le rencontre à chaque pas chez François Villon, poète fondateur s'il en est. La “coupe” classique de ce vers est à 4/6 le plus souvent, parfois à 6/4 mais en de moindres occurrences :

Je meurs de soif/auprès de la fontaine
Chaud comme feu/et tremble dent à dent
En mon pays/suis en terre lointaine
Science tient/à soudain accident

Le vers décasyllabique n'a jamais vraiment disparu, mais il a changé de coupe, si l'on peut dire. Au XIXe siècle, Verlaine le traite comme un alexandrin, c'est-à-dire avec césure à l'hémistiche :

Je vous vois encore/en robe d'été
Blanche jaune avec/des fleurs de rideau
Mais vous n'aviez plus/l'humide gaîté
Du plus délirant/de tous nos tantôts…

(Ce poème de Verlaine possède la faculté de me faire monter les larmes aux paupières, sans que je sois bien capable d'en démêler le pourquoi. – C'était une incise.)

Ou encore, dans ses si délicieuses Pensionnaires :

Et sa sœur les mains/sur ses seins la baise
Puis tombe à genoux/et devient farouche
Et tumultueuse/Et folle et sa bouche/
Plonge sous l'or blond/dans les ombres grises…

(Je reconnais que le premier vers cité est, de ce point de vue de la césure, boiteux.)

De même Victor Hugo, grand maître ès-prosodie, dans ce poème qui, je ne sais pourquoi, résonne en moi :

Vous êtes bien belle/et je suis bien laid
À vous la splendeur/ de rayons baignés
À moi la poussière/à moi l'araignée…

Néanmoins, Verlaine, pour revenir à lui, se souvient fort bien de la découpe de François Villon et d'autres :

Votre âme est un/ paysage choisi
Que vont charmant/ masques et bergamasques
Jouant du luth/ et dansant et quasi
Tristes sous leurs/ déguisements fantasques.

Mais il est vrai que Verlaine prend là des libertés qu'un Villon n'aurait sans doute pas tolérées, faute de les avoir imaginées lui-même. Enfin, qu'ils se débrouillent entre eux, où ils sont.


(Pas de ponctuation dans ces lambeaux de poèmes cités de mémoire : les points et les virgules sont volatiles...
)

Serge Gainsbourg : procès en appel

Il fallait bien que j'y revienne, après ce que j'en ai dit hier. Et, surtout, ayant brandi cette période 1958-1963, qui serait celle où Gainsbourg aurait été vraiment Gainsbourg. Donc, ce soir, deuxième entorse, j'ai pris la peine d'écouter les disques de cette époque-là. Eh bien, oui, Serge Gainsbourg, à ses débuts, a étincelé. J'ai sans doute exagéré en poussant jusqu'en 1963 , car il a commencé à s'effondrer avant cette date (écoutez donc Viva villa...). Mais enfin, il fut durant trois ou quatre ans impérial, captant l'époque comme personne et avec une élégance suprême, même dans ses chansons les plus misogynes. Cette élégance se voit, s'entend “en creux” lorsqu'on écoute Ronsard 58, texte écrit par un abruti dont je ne tiens pas à me souvenir du nom et qui, grâce au Ciel, a disparu corps et bien. Cette chanson, qui tenait emphatiquement à témoigner d'une époque, est de celles qui ont le plus mal vieilli, que l'on “saute” dès qu'on a une zapette à portée de main. Bref : c'est de la merde.

Gainsbourg (Gainsbourg, auteur), lui, ne cherche pas à capter son époque, il veut juste gagner de l'argent avec ses chansons. Et c'est comme cela qu'il saisit l'époque. (Du reste, c'est en écoutant ce Gainsbourg-là, et en se souvenant de Trenet, que l'on comprend pourquoi on considère Nougaro comme une merde, ne connaissant à peu près du jazz que Dave Brubeck...)

Revenons à Gainsbourg, à celui de cette époque. Il s'inscrit – sans doute sans l'avoir voulu – dans une tradition. Son Poinçonneur des Lilas, c'est évidemment du Boris Vian (lequel vient d'entrer en Pléiade, ce qui dit bien à quel point la Culture s'est effondrée, mais comme dirait l'autre : c'est un autre sujet…). Saviez-vous, bonnes gens, que Vian et Gainsbourg avaient en projet un disque commun, en 1959, et qui ne s'est pas fait pour cause de mort du premier cité ? Bref.

Revenons à la tradition. Gainsbourg est très solidement inscrit dans les années cinquante, ne serait-ce que parce qu'il “musique” des poètes classiques (Musset, Hugo, Baudelaire, Arvers, etc.), comme le font Léo Ferré à la même époque, par exemple, ou Brassens. Gainsbourg oscille toujours entre l'extrême point de la modernité et la tradition la plus ancrée : des chansons comme Le Jazz dans le ravin font irrémédiablement penser à ces films en noir et blanc où évoluent Jean Gabin, Paul Frankeur et d'autres, sous la caméra d'un Decoin ou, en dessous, d'un Grangier.

En même temps, réécoutez cette chanson, Alcool, qu'on commentateur signalait hier ici même : elle annonce le Houellebecq d'Extension du domaine de la lutte.

Pour finir, il va de soi que les “auteurs-compositeurs-interprètes” ne valent pas forcément mieux que les interprètes seuls. C'est du reste une classification qui étonnerait beaucoup les Américains. Ainsi, Serge Reggiani est le meilleur interprète, ou traducteur, des années soixante-dix de ce qui s'appelle encore, mais pour peu de temps, la France. Il est l'interprète, et pour le coup au sens fort, de la France mise en image et “en sens” par Claude Sautet – ce pays disparu dont nous sommes quelques-uns, encore, à nous souvenir.

dimanche 5 décembre 2010

Vous pouvez remiser vos boules de cristal


Pour connaître l'avenir de la démocratie en France, il suffit, depuis quelques jours, de se tourner vers la Côte d'Ivoire. Les fabricants de machettes se frottent les mains, on n'a pas fini de rigoler.

Accordez, accordez, accordez donc…

À tant faire que de transgresser, n'est-ce pas… de se risquer sur le bizarre… Puisque l'Irremplaçable m'a pour ainsi dire contraint à une reprise momentanée de l'apéritif (on est prié d'attendre le journal de décembre pour vraiment comprendre…), j'en ai profité pour faire une chose dont je ne me serais pas cru capable : réécouter Gainsbourg. D'abord L'Homme à la tête de chou, puis L'Histoire de Melody Nelson. Triste constat : comme tout cela est poussiérieux, obsolète, presque mort déjà ! Et quand je dis presque

Ce pauvre Gainsbourg, il a dû bien souffrir de ses admirateurs. Entre ceux qui le prenaient pour un poète au nom de ses jongleries verbales du premier concept album cité, et – pire, bien pire – ceux qui l'ont cru musicien à cause des nappes violoneuses de Jean-Claude Vannier épandues sur le second, sans même parler des acheteurs de ses derniers disques absolument vides, on entrevoit bien la douleur de l'imposture qui a dû être la sienne et qui…

Wof ! quelle importance ? Serge Gainsbourg, fausse valeur se sachant tel, a déjà disparu de ce monde, et c'est la moindre des choses. (Ici, l'écoutant, j'avais prévu un petit couplet à propos de Melody Nelson, qui est tout de même l'une des pires kitscheries que le second XXe siècle ait produites, dans ce domaine sans grand intérêt de la variété, et puis à quoi bon ?) Mais, juste après cette pure guimauve prétentieuse – que j'ai interrompue à mi-chemin, n'en pouvant plus de ces dégoulinades vanniéresques –, j'ai posé dans le chariot un disque de Juliette Gréco, et la première chanson disait : “ Accordez, accordez, accordez donc / L'aumône à l'accordé-accordéon ”. – Et peut-être Gainsbourg restera-t-il pour ces trois couplets vite troussés et cette mélodie évidente posée dessus. Parce qu'il me semble – je n'en sais rien, je subodore – qu'il n'y a rien de plus rare que de trouver une mélodie évidente pour habiller des vers de mirliton et néanmoins miraculeux (miraculeux dans leur conjonction avec la mélodie, mais aussi avec une époque – et de nombreuses chansons “idiotes” de Piaf possèdent cette vertu étonnante et fraîche).

Tenez, prenez ceci, ce simple titre : Que reste-t-il de nos amours ? Fredonnez-vous la mélodie qui va avec. Là, vous avez une chance d'accéder à l'intemporel. De même avec Parlez-moi d'amour : suprême et sublime bêtise. On n'en finit jamais avec la bêtise commune. Pour l'exprimer (au sens où l'on exprime un jus d'agrume ou de fruit), il y faut une forme de génie, lequel se révèle comme en passant et sans doute pas à coups de concept albums.

Serge Gainsbourg est mort et il ne ressuscitera pas, croyez-m'en. Et il me semble qu'il le savait.

samedi 4 décembre 2010

Les mâles perdus dans leur infini de trois jours


Ne reculant devant aucun obstacle, l'Irremplaçable a bondi dans sa voiture (c'est-à-dire dans la mienne, et me laissant son tas de boue) dès huit heures du matin, afin de gagner la Franche-Comté, après une halte déjeunatoire – je parle désormais couramment le modernœud de la rue – à Dijon. Elle se trouve actuellement sur l'autoroute A je-ne-sais-combien, la toute neuve qui relie Orléans à l'A 6, et dont Roselyne, cette pouffe passéiste, refuse d'admettre l'existence. C'est un voyage de filles, puisqu'elle a emmené Bergotte, laissant ses trois mâles à la maison. Le vieux mâle à deux pattes est allé faire quelques courses de première nécessité, avant de rentrer se calfeutrer avec ses frères canins. Il a lu le billet du jour de cette pâle baudruche de Guy Birenbaum, et se demande encore par quel accès de vague masochisme il en est arrivé là. À présent, il va aller vider le lave-vaisselle, ce qui revient un peu au même.

L'homme seul est le dernier théâtre possible de l'épopée journalière.

vendredi 3 décembre 2010

Les Parents pauvres ou : la caillera est-elle soluble dans le crâne d'œuf ?

« (...) Depuis 25 ans, le Collège international de Paris fonctionnait ainsi. Un mélange de classes d’élite et de classes lambda, vivant à peu près en bonne intelligence dans ce gigantesque paquebot de béton. Et puis une nouvelle proviseure est arrivée cette année, avec un « projet d’établissement » sous le bras. Madame Katia Blas a décidé de mélanger les classes générales et internationales dès la rentrée prochaine. Jointe au téléphone, la proviseure s’est montrée choquée par l’indignation des parents d’élèves internationaux. Comment ne pas être d’accord avec son projet égalitaire, qui n’a d’autre but que de « prévenir la violence » et « améliorer les résultats de l’établissement » ? Avec un aplomb digne d’un Benoît Hamon expliquant son projet « d’égalité réelle », Madame Blas s’est émue des différences de résultats entre les classes « d’élite » (93% de reçus au brevet) et les classes générales (à peine 45%). Pour la proviseure l’idée même de classes d’élites est insupportable. Comme de bien entendu, le mot « discrimination » fait partie de son vocabulaire. Pour ces petits soldats de « l’égalité réelle », il ne saurait y avoir de justification à l’existence de classes internationales, peuplées d’intellos avec seize de moyenne, dans un établissement public.

« Pour la sécurité des internationaux (dont elle reconnaît qu’ils se prennent à l’occasion des claques dans les couloirs, sur le mode « zyva sale bouffon »), la proviseure prône donc la seule solution possible : mettre dans la même classe intellos et cailleras nihilistes. S’appuyant sur les travaux de sociologues obscurs, la proviseure certifie que son projet d’établissement est la solution à tous les problèmes. Fini les violences ! En passant leurs journées côte à côte, bons élèves et ados en échec scolaire vont devenir les meilleurs amis du monde. Terminé les claques et les moqueries. Pour couronner le tout, les cancres vont, bien entendu, s’inspirer des bouffons à lunettes et raccrocher les wagons de la réussite scolaire ! Si ce n’était pas aussi triste et naïf, on pourrait en rire. (...) »


L'article intégral de Causeur

jeudi 2 décembre 2010

La Bourse et la vie – Cees Nooteboom

Harry Mulisch m'a entraîné chez Multatuli, lequel viens de me ramener vers Cees Nooteboom par une double volonté, de ne pas quitter encore les Pays-Bas et de revenir vers le présent – un présent de plus en plus large, épais, profond ; un présent qui englobe la totalité de mon existence ; un présent d'un demi-siècle.

Rituels (Rituelen), paru à Amsterdam en 1980, est un roman assez court – d'après mes rapides calculs, il a exactement le volume d'un Brigade mondaine... –, divisé en trois parties inégales (30, 110, 110). Les deux plus importantes en volume se passent respectivement en 1953 et 1973 ; quant à la plus courte, curieusement intitulée Intermède alors qu'elle ouvre le roman, elle se situe en 1963 ; ce qui, du coup, justifie son titre.

En dehors d'Inni Wintrop, le principal personnage, celui qui entraîne le livre, il en est deux autres, père et fils, qui sont éponymes (ah ! ah !) des deux dernières parties : Arnold et Philip Taads. Ce sont des hommes qui s'éloignent, pour reprendre la très lapidaire quatrième de couverture du dernier roman de Renaud Camus, Loin. Quant à Wintrop, il aime à se décrire comme “un trou”, une absence, et il prend comme un compliment la remarque à lui faite un jour par un de ses amis : « Tu ne vis pas, tu te laisses distraire. » Je suis arrivé au moment de l'histoire où Wintrop fait la connaissance d'Arnold Taads, et ne puis donc rien dire encore de ce qui va advenir. Mais je peux donner cette esquisse de portrait, que l'on rencontre à la page 15 de l'édition folio :

« Inni Wintrop, aujourd'hui plutôt dégarni, mais en ce temps-là pourvu d'une toison d'or drue, rebelle et longue pour l'époque, se distinguait de nombre de ses contemporains en ce qu'il ne se sentait pas la force de passer une nuit seul, possédait un peu d'argent et avait parfois des visions. En outre, il faisait épisodiquement commerce de tableaux, tenait la rubrique astrologique du quotidien Het Parool, savait par cœur une foule de poèmes néerlandais et suivait au jour le jour le marché des valeurs et celui des matières premières. Quant aux convictions politiques de toute nature, il voyait en elles des formes plus ou moins bénignes d'aberration mentale, et il s'était réservé dans la vie le rôle du dilettante, au sens italien du mot. (...) S'il avait jamais possédé la moindre ambition, il eût été le premier à se traiter de “raté”, mais il en était totalement dépourvu, il considérait la vie comme un club un peu bizarre dont il était devenu membre par hasard et dont on pouvait être radié sans explications. Il avait déjà résolu de quitter ce club dès que la réunion deviendrait trop ennuyeuse. »

Et pour faire écho à cette dernière phrase, je vous livre en conclusion provisoire celle par laquelle s'ouvre le roman, et qui devrait ravir mon ami Hervé Ikspé par sa concision impassible et cocasse :

« Le jour où Inni Wintrop attenta à sa vie, l'action Philips cotait 149,60. »

Je retourne lire.

Vive la neige, le télétravail et l'infection des voies urinaires !

Comme le dit un fameux proverbe qui mériterait bien d'exister : la conjonction fait le larron. Ce matin, en m'éveillant, j'ai pu comme beaucoup d'entre vous constater qu'il était tombé une dizaine de centimètres de neige, et que celle-ci, bien accueillie, avait décidé de rester. La dernière fois que cela s'était produit, en 2009 – décembre, je crois bien –, j'avais mis deux heures pour gagner Levallois au lieu d'une d'ordinaire. Ce qui, en principe, n'est pas pour faire reculer le vaillant petit rewriter.

Oui seulement, là, depuis deux jours, votre bloguesque serviteur est affligé d'une infection localisée entre le bas de son ventre et le haut de ses cuisses, laquelle le conduit à se rendre aux lieux environ trois fois par heure. Et l'expérience lui a montré, durant ces quarante-huit heures, que le délai maximum pour dénicher un réceptacle, après que le besoin a point, était d'environ trente secondes. Si vous combinez ces deux données hautement contingentes, vous comprendrez que je n'aurais su prendre la route ce matin, sous peine d'arriver à bon port en des états propres à faire sourire de moi et à dégoûter de ma personne les femelles de l'espèce. C'est ce que mon vénéré chef de service a admis sans difficulté notoire ; et, par sa grâce, je me suis donc transformé en télétravailleur qui regarde la neige choir sur le Plessis en attendant que survienne dans sa boîtamel une quelconque tâche à accomplir – laquelle fait la course avec un déjeuner de plus en plus imminent, sans qu'on puisse dire qui des deux va l'emporter.

Il faut que je vous laisse : les toilettes de la Case sont au moins à six mètres de ce bureau, et je ne dois rien négliger...

mercredi 1 décembre 2010

Bon, on la fait, cette promenade quotidienne ?

À la page 251 des Demeures de l'esprit – France du Nord-Est, je tombe sur ce début de paragraphe :

« J'ai bien peur qu'il n'y ait pas grand-chose à dire de la maison natale de Claude Gellée, dit le Lorrain, à Chamagne, village du département des Vosges mais situé tout à fait dans la plaine, à l'ouest de la chaîne éponyme – c'est terrible, on n'ose plus employer cet adjectif, depuis qu'il signifie tout et n'importe quoi (un peu comme surréaliste) ; mais, en l'occurrence, c'est bien éponyme que je veux dire. »

Rien de plus irritant, en effet que ces mots dévoyés, le plus souvent – et c'est le cas ici – par les ânes apprêtés qui encombrent les salles de rédaction. Il y a bien deux ans maintenant que mes doigts restent en suspens au-dessus du clavier chaque fois que ce pauvre éponyme devrait être choisi, et même requiert de l'être. Ne tenant pas à passer pour un perroquet médiatique, je m'abstiens généralement de l'utiliser et m'efforce de tourner autrement ma phrase – mais c'est irritant de devoir ainsi descendre du trottoir pour laisser aller les brutes.

Il y a quelques années – j'en ai peut-être déjà parlé, mais répéter n'est pas mauvais –, j'ai dû bannir de la même façon la locution sauf à, qui, après avoir tout à fait disparu du langage, au moins de celui que l'on parle, a brusquement opéré un retour, mais totalement défiguré par le mâchouillage des mandibules journalistiques – au point que son sens est devenu à peu près le contraire de ce qu'il avait toujours été. En français classique, la phrase : Je ferai ma promenade quotidienne sauf à être trempé devrait signifier, a très longtemps signifié : Je ferai ma promenade quotidienne dussé-je être trempé.(puisque “sauf à” est synonyme de “quitte à”). Or, désormais, tout le monde comprendra : Je ferai ma promenade quotidienne à moins que je doive être trempé. Partant, on est bien obligé de laisser tomber cette malheureuse locution, pourtant d'une élégante sobriété, sous peine d'être compris de travers ou de passer pour un plouc, au moins à ses propres yeux. Et il en va désormais de même, en effet, pour éponyme.

Il reste que Renaud Camus et moi devrions peut-être nous montrer un peu moins soucieux de l'opinion d'autrui, pour tout dire un peu moins snobs. Assurés d'employer le mot dans son acception correcte, pourquoi tendre l'oreille aux remarques ironiques et l'œil aux sourires en coin ? Il faudrait savoir passer outre. Comme dirait l'autre : quand on sait que l'on ne doit pas couper la salade avec son couteau, on peut couper la salade avec son couteau. Et il ne faudrait pas renoncer à éponyme, sauf à se faire moquer de soi.

lundi 29 novembre 2010

Publication des bans


Ça se passait le 23 octobre. La preuve : c'est dans le journal...

dimanche 28 novembre 2010

Précieuse vertu de l'héritage ou : la culture hors-sol

« Une des mauvaises nouvelles idéologiques que j'apporte, ou que je rappelle, c'est que, statistiquement (il y a bien sûr toutes les exceptions qu'on veut, mais elles ne sont pas pertinentes statistiquement), il n'y a, en caricaturant à peine, de gens cultivés que les enfants de gens cultivés. Ou bien, pour tourner cela différemment : culturellement, à quinze ans, et peut-être même à douze, voire à dix, tout est joué. On peut, adulte, apprendre le piano, le violon ou la danse, on ne peut pas devenir un grand pianiste, un grand violoniste, un grand danseur. On peut, adulte, se cultiver, on ne peut pas devenir vraiment cultivé (sauf cas de génie ou de talent véritablement exceptionnel, sans importance statistique). Après quinze ou vingt ans on peut apprendre à mieux parler, à pratiquer une langue meilleure, jamais on ne parlera vraiment bien si l'on n'a pas été élevé par des personnes qui n'avaient pas elles-mêmes une bonne maîtrise de la langue. »

Renaud Camus, Kråkmo – Journal 2009, Fayard, p. 213.

Cette désagréable assertion, j'étais pleinement convaincu de sa vérité bien avant d'avoir lu la moindre ligne de l'auteur qui la pose ici. J'ai toujours su (ce toujours n'est évidemment pas à prendre au pied de la lettre) que quoi que je fasse, autant de livres que je puisse lire dans ma vie, ou de musiques écouter, mes efforts ne porteraient pas tous leurs fruits, du fait d'une trop grande faiblesse des racines. Pour filer la métaphore végétale, j'ai une claire conscience de la pauvreté du sol où j'ai poussé ; d'où la faiblesse des rameaux malgré les tonnes d'engrais que je leur alloue depuis quarante ans.

À un moment de ma jeunesse, j'ai cru que l'école pourrait suppléer à l'héritage. Chaque année, dans le mois d'août, lorsque arrivaient à la maison les livres scolaires de l'année qui se profilait, je me précipitais sur le Lagarde & Michard (ou son équivalent) afin de prendre connaissance des auteurs “au programme”. Puis, à la bibliothèque locale, je raflais tout ce que je pouvais de leurs œuvres afin de les avoir lues, et si possible avant le début des cours. Ce n'était pas forcément idiot, bien sûr, mais tout à fait inutile s'il s'agissait – et il s'agissait en effet, dans mon esprit – de pallier le manque initial : la découverte ne remplace pas la familiarité. Camus écrit encore, juste après le passage qu'on vient de lire :

« L'école ne suffit pas. Elle ne suffisait pas même quand elle remplissait son rôle. L'école peut instruire (ou du moins elle le pouvait), elle ne peut pas éduquer (elle ne l'a jamais pu). L'éducation est une entreprise conjointe de l'école et du milieu d'origine. »

(C'est bien pourquoi l'appellation Instruction publique était certainement préférable à notre Éducation nationale.)

Cette sensation de manque – sur lequel la lecture de Renaud Camus m'a au moins permis de poser des mots, ce qui est une manière de le combler mais bien peu satisfaisante et très imparfaitement – a perduré et elle est toujours là aujourd'hui. Si l'on veut bien un moment considérer la culture comme un château, mettons, c'en est un où je suis toléré, parfois même invité, voire apprécié, mais dont je ne posséderai jamais les clés ; et il me semble bien, parfois, qu'on m'y fait entrer par les communs et non en traversant la cour d'honneur.

De ce manque naît le sentiment d'imposture, celui qui fait que je ne trouve jamais agréable, et même son contraire, de m'entendre dire que je suis quelqu'un de cultivé. (Remarque annexe : en réalité, on ne vous dit jamais que vous êtes cultivé, mais plutôt que vous êtes très cultivé. Par quoi il faut entendre quelque chose comme : plus que moi qui le serai toujours bien assez, qui le suis raisonnablement, dans la bonne moyenne. Passons.) Je possède très certainement des bribes de culture, voire des pans si on veut être indulgent avec soi-même, mais ce ne sera jamais qu'une sorte de culture hors-sol, en quelque sorte non fondée. C'est un peu comme faire ses délices d'un couscous, d'un ceviche de poisson ou d'un canard laqué : ce peut être délicieux mais ça restera toujours exotique, importé, greffé.

Renaud Camus, pour revenir à lui, dit souvent qu'il faut trois générations pour faire un homme cultivé (ce qui, bien entendu, ne signifie nullement que cet homme de la troisième génération sera automatiquement cultivé : il y faut ensuite la curiosité et la constance de toute une vie). Je suis, je crois, le représentant de la deuxième de ces générations ; je suis le terreau fertile. Si le hasard ou une conformation différente de mon esprit m'avaient fait avoir des enfants, eux auraient sans doute eu une chance de devenir des hommes ou des femmes cultivés. Dans le sens ancien de l'expression, il va sans dire.

On verra ça dans une existence prochaine.

samedi 27 novembre 2010

L'exemple éclairant du Naziland et du Bamboulistan

Une chose m'étonne toujours un peu, lorsqu'il est question de cette contre-colonisation arabo-africaine que nous connaissons actuellement – et que nous sommes censés, voire sommés de, ne pas remarquer –, une chose m'étonne disais-je, chaque fois que l'un de ces Français administrativement affiliés (comme dirait mon ami XP) se livre à des débordements répréhensibles par la loi, ou par la simple morale publique, c'est que l'on nous enjoint immédiatement de ne pas faire d'amalgame et de reconnaître – que dis-je ? De clamer – que ces quelques brebis galeuses n'affectent en rien le comportement irréprochable de l'immense majorité du troupeau. De là, nous sommes fortement incités à considérer que la diversité reste un bienfait en dépit de ces quelques faux-pas bien compréhensibles.

Soit. Je reconnais bien volontiers que quand une douzaine de cailleras s'en prennent par exemple à une caserne de pompiers ou se mettent à casser du p'tit blanc isolé dans un bus noctambule, l'immense majorité des populations exotiques dont ils sont issus doit certainement les désapprouver – qu'en tout cas il ne leur viendrait pas une seconde à l'idée de se livrer aux mêmes voies de fait. Il n'en demeure pas moins que l'argument me semble tout à fait irrecevable, en tout cas dans les conclusions qu'on veut nous en faire tirer.

Prenons l'exemple imaginaire d'une colonisation “classique”, c'est-à-dire celle d'un pays européen quelconque – le Naziland, mettons – s'avisant d'envahir une terre africaine non moins quelconque – et que nous appellerons Bamboulistan. Et admettons que, par extraordinaire, ces colons se comportent envers les colonisés d'une manière scrupuleusement irréprochable. Les Bamboulistanis ne seraient-ils pas néanmoins tout à fait en droit de se vouloir débarrasser de ces Nazilandais qui ont envahi leur terre ancestrale sans leur demander leur avis ? Personnellement, je pense qu'ils en auraient non seulement le droit, mais en quelque sorte le devoir moral, ne serait-ce que vis-à-vis de leurs ancêtres qui y reposent, sous cette terre. Et, se mêleraient-ils de chasser l'occupant, je suis bien certain qu'ils le feraient sous les applaudissements enthousiastes de Modernœud et de ses affidés gaucholaliques.

Par conséquent, le fait qu'une population exogène, chaque jour plus nombreuse, accepte de se conformer plus ou moins aux lois et mœurs du pays où elle a décidé à peu près unilatéralement de planter sa tente, ne la rend ni moins exogène ni plus désirable. De même qu'un violeur qui prendrait la peine de proposer de la vaseline à sa victime n'en resterait pas moins un violeur. Enfin, il me semble.

vendredi 26 novembre 2010

Petit billet à la Nicolas J.

Pourquoi est-ce que seuls les usagers du métro ou du RER auraient le droit d'emmerder tout le monde de distraire agréablement leurs lecteurs en narrant leurs petites histoires de changements de ligne, d'incidents de parcours, de mouvements de grève sauvages ou de suicidés malencontreux, etc. ? Pour que cesse l'odieuse discrimination dont semblent victimes les travailleurs automobilisés, j'ai décidé de briser le tabou, de rompre l'omerta. Voici donc.

Ce matin, tout avait bien commencé : obligé de délaisser la voie rapide et de rentrer dans Pacy-sur-Eure pour y acheter deux baguettes et un morceau de pain “meunier”, j'ai trouvé une place de stationnement juste en face de la boulangerie. Le miracle s'est prolongé : deux braves dames pour seules clientes, et qui voulaient chacune uniquement leur baguette du jour – rien de pis que les chalands qui ont des envies de petits gâteaux : si vous ajoutez le temps de l'empaquetage à celui du choix, vous ne ressortez pas de là avant une bonne demi-heure. Ensuite, il y avait des baguettes “tradition” bien cuites, ce qui n'arrive pas tous les jours.

Fort épanoui étais-je donc déjà, lorsque j'ai eu la joie sans mélange d'avoir le feu vert à Chaufour : on imagine l'exaltation qui m'a emparé. Une fois sur l'autoroute, j'ai calé Roselyne sur 108 km/h comme je le fais chaque matin : cela permet de ne point se soucier des portions limitées à 110 au lieu de 130 – pensez-y.

Une vague inquiétude m'a saisi lorsque cette même Roselyne m'a annoncé un retard de 4 mn à 16,8 km de Mantes-la-Jolie. « Diantre ! me suis-je exclamé en mon for intérieur, tandis que Léo Ferré se mettait à brailler comme un con que C'est extra, voilà qui risque de mettre à mal ma légendaire ponctualité... » Fort heureusement, le dit bouchon s'est dissoudu avant que je n'arrive à lui – et j'en fus bien aise.

Tout s'est gâté lorsque je me suis engouffré dans le souterrain de la Défense. Tout soudain, voilà que le panneau lumineux m'annonce : A 14 -----> BP : 9 mn, alors que le temps normal est de cinq minutes. « Fichtre ! me suis-je derechef exclamé, dois-je suivre le flot des crétins qui m'entourent et me cernent, ou me faut-il tenter le contournement extérieur de la Défense, au risque de quitter ce Charybde annoncé pour un Sylla inconnu ? » C'est que je n'avais que quelques secondes pour prendre une décision qui pouvait se révéler fort lourde de conséquences pénibles...

Finalement, mâchoires serrées et regard fixe, chantonnant un petit air pour me donner du cœur au ventre, j'ai contourné – et m'en suis fort bien trouvé. Le reste du parcours s'est déroulé sans incident notable, à l'exception d'une grosse dame qui a fait mine de traverser le quai à hauteur de la rue de Villiers – qui, je le rappelle pour nos amis de la province et nos correspondants étrangers, est celle qui sépare Neuilly-sur-Seine de Levallois-Perret – alors que c'était à moi de passer ; je l'ai littéralement fusillée du regard et elle se l'est tenu pour dit.

Une fois à mon bureau, sain et sauf une fois de plus, j'ai constaté que les cailleras du service informatique m'avaient taxé mon ordinateur. On ne peut décidément faire confiance à personne.


Qu'on ne s'étonne pas de la photo choisie : lorsque j'ai demandé à Mme Goux gueule de m'illustrer “autoroute A 13”, elle m'a sorti ça...

jeudi 25 novembre 2010

À la Sainte-Catherine, toute pine est assassine

Peut-on imaginer quelque chose de plus stupide, ou en tout cas de plus inutile, qu'une journée contre le viol ? De quoi s'agit-il ? D'organiser une campagne d'information sur les marchés et à la sortie des bureaux ou des lycées pour les pas-au-courant qui penseraient encore que le viol c'est bien ? Toléré ? Admis ? Encouragé, voire ? Mais tout le monde est contre le viol, à commencer par les violeurs eux-mêmes, si jamais la victime devait être leur femme ou l'une de leurs filles – ou même leur buraliste. En tout cas, personne n'est pour : vous en avez déjà croisé, des activistes pro-viol ? Des associations pour le développement du gang bang non désiré ? Des amicales de la tournante ?

On est là, une fois encore, dans la pure gesticulation, l'effet de manche festif. J'apprenais ce matin, chez Nicolas, que circulait même une pétition contre le viol. Oui, une pétition. Vous voyez la saynette ? « Pardon Monsieur, êtes-vous contre le viol ? – Euh... oui. – Parfait, signez là. » Et puis, quelle redoutable efficacité sur les candidats violeurs ! On les imagine, juste avant de passer à l'acte, consulter sur leur iPhone l'état de la dite pétition : 1239 signatures seulement ? OK, j'peux y aller tranquille ! 358 741 ? Waouh ! J'vais peut-être surseoir, là...

Moi, la prochaine fois qu'un “bouton de fièvre” (comme on disait quand j'étais enfant) me vient aux babines, je lance une pétition contre l'herpès labial. En évitant l'amalgame avec les militants anti-herpès génital, parce que faut pas déconner non plus : il y a cause et cause.

mercredi 24 novembre 2010

Commerce (conjugal) équitable

« Souvent aussi, lorsqu'il était mécontent de son travail ou contrarié par une triste nouvelle qu'on venait de lui rapporter, il sursautait et lui lançait une parole un peu rude... à elle qui n'avait pourtant aucune part à son mécontentement ! Mais elle aimait ces apostrophes, car elle y voyait une preuve de plus de la confusion que Max, dans son esprit, entretenait entre elle et lui. Et jamais on n'exprimait de regret d'une telle rudesse apparente, ni de pardon de l'autre part. À leurs yeux, c'était aussi absurde que de se demander pardon à soi-même, pour s'être frappé le front dans un moment de colère.

« De fait, elle le connaissait au point de savoir exactement quand elle devait être là pour lui offrir un instant de détente... pour savoir exactement quand il avait besoin de ses conseils, et non moins exactement quand elle devait le laisser seul. »

(Multatuli, Max Havelaar, Babel, p. 279.)

lundi 22 novembre 2010

Les fientes de Modernœud et la statue d'Alexandre

Il y a déjà quelques semaines, il fut question ici de la haine de l'art et, plus généralement, du refus de beaucoup d'admettre qu'il puisse exister chez certains hommes une supériorité, sinon mesurable du moins tangible. On devrait bien, d'ailleurs, s'interroger sur les raisons réelles qui fondent un tel refus. Je ne songeais à rien moins, tout à l'heure, lorsque, au milieu de ma somnolence postprandiale, je suis tombé sur ce passage (p. 216-217) de Max Havelaar :

« Lorsque nous nous voyons obligés de reconnaître à quelqu'un des qualités lui donnant droit à l'estime, au respect, à l'admiration, nous sommes bien aises de découvrir à côté de ces mérites un trait qui nous dispense, en tout ou en partie, de lui payer notre tribut. « Qui ne s'inclinerait devant un si grand poète ? Seulement... il bat sa femme ! » Nous usons volontiers, voyez-vous, des bleus de son épouse, comme prétexte à garder la tête haute et, au bout du compte, nous ne sommes pas mécontents de le voir battre la malheureuse, bien qu'en principe ce soit un acte fort répréhensible. Lorsque nous sommes forcés d'admettre que quelqu'un possède des mérites qui le rendent digne d'être placé sur un piédestal, lorsque nous ne pouvons plus décemment lui en dénier le droit sans passer pour ignorant, insensible ou envieux... nous finissons par dire : « Bon, allez, hissez-le sur son socle ! » Mais son installation n'est pas encore achevée, et lui-même nous croit encore sous le charme de son rayonnement, que nous avons déjà fait le nœud au lasso qui, la première occasion venue, nous servira à l'abattre. Plus rapide est la rotation entre les titulaires de piédestaux, plus grande notre chance d'y accéder aussi à notre tour, et c'est si vrai que, par habitude et en guise d'exercice – un peu comme un chasseur qui tire des corneilles et les laisse sur le pré –, nous aimons bien faire tomber aussi les statues dont nous ne gravirons jamais le piédestal. Le père Piquette, qui se nourrit de choucroute et de petite bière, cherche à s'élever au-dessus de sa condition dans cette critique vengeresse : « Alexandre n'était pas un grand homme... il était intempérant » – sans qu'il y ait pour le dit Piquette la moindre chance de rivaliser jamais avec Alexandre dans la conquête du monde. »

Depuis l'époque de Multatuli, le ridicule qu'il met en lumière a encore bien progressé puisque, en nous sommant de remplacer, et plus vite que ça, supériorité par différence, Modernœud entend supprimer jusqu'à l'idée même de piédestal. Ce qui ne l'empêche pas de jouer son rôle de roucoulant citoyen en allant, dès que faire se peut, se percher en foule sur les rares statues restantes afin d'y fienter tout à son aise.

dimanche 21 novembre 2010

Max Havelaar ou le Hollandais naviguant – notes

Un roman dont le personnage éponyme, cent ans plus tard, saute à pieds joints dans le monde réel pour y devenir l'emblème d'une réalité nouvelle et ô combien concrète, ce n'est pas si fréquent – C'est pourtant le sort dévolu à Max Havelaar. Lequel, dans un livre de 380 pages, n'apparaît pas avant la 104e.

Réussir à survivre à un nom de plume aussi pathétique que Multatuli (Multa tuli : j'ai beaucoup souffert...), il y fallait tout le génie d'Eduard Douwes Dekker, écrivain contemporain de Flaubert.

Max Havelaar est écrit d'un bout à l'autre à la première personne, mais ce n'est pas toujours le même narrateur qui parle. Et ce n'est jamais Havelaar lui-même.

Les quatre premiers chapitres sont vus par le courtier en café Droogstoppel, le bourgeois hollandais dans toute l'horrible drôlerie de ses déficiences morales et intellectuelles : étriqué, cupide, papelard, inculte, matois, lâche, pontifiant et bête, il pourrait sortir d'un roman de Dickens. Ses charges contre la poésie et le théâtre, les arguments qu'il produits à leur encontre sont d'une irrésistible bouffonnerie. Il dit aussi (page 58) : « J'en arrivais à la conclusion de plus en nette qu'il faut être courtier en café pour savoir avec exactitude ce qui se passe dans le monde. » Bref, Droogstoppel a un grain.

L'art de la digression à la fois saugrenue et docte vient de Sterne. D'ailleurs, le jeune Allemand à qui Droogstoppel demande d'écrire son livre à sa place (par prudence...), livre qui doit se baser sur le récit à venir des tribulations indonésiennes d'Havelaar, ce “nègre” s'appelle Stern.

Il y a dans ce roman de la hargne et de la grandeur, de la cocasserie et du romantisme, un éclatement des styles et une unité profonde.

Je laisse de côté pour le moment le ressort principal, la dénonciation rageuse de l'oppression hollandaise sur les Javanais, car j'aborde tout juste cette partie “exotique” de l'œuvre.

Multatuli est un satiriste éblouissant doublé d'un moraliste soupe-au lait.