lundi 31 mars 2014

dimanche 30 mars 2014

Le livre et sa reliure

Jules Lemaître (1853 – 1914), photographié par Paul Dornac.

« Les livres ne consolent pas. Ils sont les amis des beaux jours. Dans la peine, il n'y a plus que des reliures. »

Jules Lemaître, cité par Ferdinand Bac, à la page 82 du livre dont les références sont données dans le billet précédant celui-ci.

samedi 29 mars 2014

L'esprit de Monseigneur

Mgr Guibert (1802 – 1886), archevêque de Tours, puis de Paris

« Monseigneur Chapon se mit aussitôt à raconter des histoires savoureuses. Il parla de l'illustre Crémieux, le grand avocat israélite qui, après un entretien avec l'Archevêque de Paris, Monseigneur Guibert, lui avait demandé la permission de l'embrasser. Ils s'embrassèrent… Alors M. Clemenceau qui assistait à la scène de s'écrier : “ Voilà enfin l'Ancien et le Nouveau Testament réunis ! ” Mais l''Archevêque de Paris répondit : « Je ne m'y connais guère en droit, Monsieur, mais j'ai toujours entendu dire que lorsqu'on faisait un nouveau Testament, l'ancien ne valait plus rien ! ” »

Ferdinand Bac, Intimités de la IIIe République – Des ballets russes à la paix de Versailles, p. 31 de l'édition Hachette de 1935.

vendredi 28 mars 2014

L'Enfant ou un déjeuner chez ma mère

Il y a quelque temps, je me suis retrouvé, sur un blog (le mien ? un autre ?) à parler de Jules Vallès. Je me souviens d'avoir affirmé qu'il s'agissait d'un bon écrivain. À peine cet embryon de discussion clos, je me suis rappelé que j'avais lu la trilogie de Vallès au lycée Pothier d'Orléans (grâce à Carlos et à son père, comme à peu près tout ce que j'ai lu à cette époque), et que je n'y étais jamais revenu depuis environ 40 ans ; je pérorais donc dans le vide, comme il doit, je le crains, m'arriver plus souvent qu'à mon tour.

Aujourd'hui, j'étais attendu chez ma mère à midi précise, à Fontaine-le-Dun, à 127 km de chez moi si j'en crois les instances gépéessiennes. Elle et nous autres, les héritiers, avions à trois heures rendez-vous chez un notaire quelconque pour régler la succession de mon père, laquelle ne soulevait ni contestation ni grande masse d'argent (Pauvre je suis de ma jeunesse / De pauvre et de petite extrace / Mon père jamais n'eut grand richesse…) ; et, de fait, on n'y a passé que le strict minimum de temps, lequel, à mon avis, était tout de même du temps envolé, perdu, gâché, stupide… (j'ai encore des adjectifs, mais enfin…).

À un moment, chez ma mère, dans cette maison qui aurait dû être celle de mes parents, mon regard distrait balayant la bibliothèque, j'ai eu la surprise de constater que s'y trouvaient les trois volumes de Vallès ; collection France Loisirs, évidemment. (Ma mère a longtemps été une “fan” de ce système de vente par correspondance ; moi-même, je leur suis redevable d'avoir lu tous les romans de Simenon ; et ils ont même, vers 1999 ou 2000, proposé dans leur catalogue un livre que j'avais écrit, et pour lequel je n'ai jamais vu arriver le premier centime. – On s'en fout.)

J'ai extrait de son rayonnage L'Enfant, qui n'avait pas dû en bouger depuis fort longtemps : le volume datait de 1987, soit trois ans avant que Catherine et moi… Mais justement, voilà l'étonnement. À cette époque (pénible…) de ma vie, je rentrais chaque week-end dans la grande maison de Sologne, afin, d'une certaine manière, de m'y rouler en boule et d'oublier ce qui s'était passé les quatre jours précédents. Mais je sens que je diverge… Je voulais dire qu'il me paraît étrange que, pour une fois, ma mère ait acheté des livres intéressants, en tout cas qui pouvaient nous intéresser ensemble, et que nous n'en ayons jamais parlé (elle m'a assuré aujourd'hui, qu'elle avait lu les trois Vallès, et je la crois).

La conclusion de ce billet ridiculement long est que je lui ai demandé si je pouvais lui prendre son Enfant, qu'elle m'a dit oui, et que je l'ai rapporté ici, comme une sorte de butin discret et précieux. Je l'ouvrirai demain.

jeudi 27 mars 2014

Que sont devenus les snobs d'antan ?


Jadis, et même encore naguère, un jeune homme de basse extraction qui parvenait à se hisser dans la classe immédiatement supérieure à la sienne n'avait plus qu'une hâte : faire oublier ses origines ; et qu'une hantise : qu'on les découvrît. Rappelons-nous le petit Lucien qui, propulsé par le bon vouloir de Mme de Bargeton jusque dans les salons de Mme d'Espars ou de la duchesse de Grandlieu, s'empresse de renier son pharmacien de père, le bon M. Chardon, pour se parer des plumes du paon, en l'occurrence le nom de sa mère, demoiselle de Rubempré jusqu'à sa mésalliance. 

Aujourd'hui, les Modernes issus du prolétariat arborent comme une Légion d'honneur leur mère femme de ménage ou leur grand-père fort des halles. Le snobisme est exactement le même, mais inversé, comme une veste dont on aurait décidé d'arborer la doublure. Du reste, en y réfléchissant, je trouve la version actuelle encore moins excusable, et donc plus risible, que l'ancienne. Car si Lucien se livre au reniement, c'est parce qu'il sait que, sans cette éradication du Chardon, il perd tout espoir d'épouser Clotilde de Grandlieu ; il y a un intérêt. (Il échouera, mais c'est une autre histoire, qui n'appartient qu'à Balzac – et de toute façon c'est bien fait pour lui.) Dans le cas, de notre snob contemporain, sa vanité prolétarienne (son prolorgueil…) ne lui sert rigoureusement à rien, elle n'est plus qu'une pose que l'on prend devant le miroir, en se demandant si les autres nous trouvent aussi beau que l'on se découvre. Et il y a même une certaine chiennerie, à battre (petite) monnaie sur la base de l'humblesse, de la pauvreté, voire de la misère de ses aïeux.

mercredi 26 mars 2014

Bram et moi : dialogue à deux voies

J'arrive, j'arrive ! Je peux garder les chaussettes ? Merci…

Bram : Monsieur Goux ! Asseyez-vous…

Moi (m'asseyant en effet) : … [Docteur, je ne comptais pas rester debout dans le réduit que la clinique Pasteur vous alloue ; mais enfin, merci.]

Bram (assis lui aussi, mais en face, et en blouse blanche comme il se doit) : Donc, voyons un peu ce scanner…

[J'ai les résultats "papier" à la main, mais il s'en fout, puisqu'il a les mêmes en version "dessins animés" sur son écran d'ordinateur, que je vois aussi, en me penchant légèrement ; ce que je fais par courtoisie, pour faire semblant de m'intéresser, sachant que je n'y comprendrai pas plus qu'à un film coréen en VO et sans sous-titres. De plus, je m'aperçois à cet instant que je m'en moque réellement, ontologiquement.]

Bram  (entreprenant, avec la souris, d'animer l'image) : Bon, là, ce sont vos épaules…

[Je comprends qu'on commence le tranchage de moi-même par le haut, et que le docteur se fout de l'état de mes épaules, vu qu'il passe assez vite aux réalités inférieures. C'est un peu logique puisqu'il est urologue.]

Bram : Les poumons, très bien…

Moi (l'air qui se veut humoristique et s'entend niais) : Ah, ben… tant mieux…

[Ça continue à remuer sévère sur l'écran, on s'attend à voir Bip-Bip traverser l'espace, le Vil Coyote cancéreux à sa poursuite – mais non. On voit un embranchement se dessiner puis disparaître : je me dis que ce doit être mes deux voies urinaires. Et, juste après : a-t-on réellement deux voies urinaires ? Deux voies constituent-elles un duo ? Je ne suis plus sûr de rien – ça continue à défiler, c'est infernal.]

Bram : Rien au foie… Rien à la rate… rein impeccable… 

[Moi, in petto : Et le foie ! et le foie… Et la rate ! et la rate… Et le rein ! et le rein… Aaah… ! J'attends l'alouette sans impatience.]

Bram (d'une voix conclusive et satisfaite) : Il y a une petite calcification dans la prostate, mais on s'en fout !

[Je comprends, malgré le ton urbain et le visage souriant, que ça signifie : barrez-vous d'ici, vous êtes tout à fait inintéressant, n'êtes pas censé mourir dans les mois qui viennent, et il y a du monde derrière vous dans la salle d'attente (ce qui est vrai). Donc, je me casse, avec mon petit torse gigotant sur écran, auquel je ne pense déjà plus. Une fois dans ma voiture, j'allume une cigarette et j'appelle Catherine, pour lui dire que les grands-prêtres en blouses blanches m'accordent un sursis. Elle s'en montre satisfaite et convient que cela mérite un verre ou deux ce soir.]

Eh bien voilà.

mardi 25 mars 2014

Pas par les affaires, ou ma mère va gueuler !


La semaine dernière encore, dans le marigot de la blogauche, on nous affirmait, avec cette mâle assurance qu'ont les gens qui ne cessent de se tromper, que Nicolas Sarkozy était fini, que la multitude d'affaires lui tombant dessus ne pouvait que carboniser son avenir politique, et qu'il fallait être bien naïf ou stupide pour ne pas s'en apercevoir ou refuser d'en convenir. Trois jours plus tard, en la petite cité balnéaire et médiévale de Levallois-Perret, M. Patrick Balkany était triomphalement réélu maire dès le premier tour de scrutin.

Mais c'est pas grave, on continue à mouliner nos billets, à écouler nos petites coupures.

lundi 24 mars 2014

Les bouquets séchés de Boni de Castellane


C'est très bien, les Mémoires de Boni de Castellane, très agréable à lire, en ce qu'ils rendent le parfum d'une époque et d'une certaine classe sociale qui n'existe plus ; également parce que l'auteur est capable de distance et d'une ironie d'excellent aloi vis-à-vis des gens qu'il évoque, y compris lui-même. Il n'empêche qu'arrivé à la quatre-centième page, on se prend à ressentir comme des étourdissements de Bottin mondain, des palpitations de Gotha, des fatigues de Palais rose, et on est tout de même un peu content de passer à autre chose. D'autant que, si les ducs, comtesses, princes héritiers et autres altesses régnantes n'ont aucun secret pour lui, il semble être passé à côté de tous les gens qui ont fait la valeur artistique et littéraire de son temps, à fort peu d'exceptions près. 

Le pis est que, à compter de demain, lorsque je serai plongé dans le livre d'Alain de Benoist arrivé ce matin, je commencerai peut-être déjà à regretter l'insouciance et la désinvolture de Boni ; cette poussière de fleurs sèches qui s'échappe d'entre ses pages, et qui est la mélancolie.

samedi 22 mars 2014

Jacques Benoist-Méchin : un Français selon notre cœur


Les volumineux mémoires (800 pages) de Jacques Benoist-Méchin sont inégaux. En tout cas, cela dépend de ce qu'on y cherche. Toute la partie centrale est un plaidoyer pro domo, concernant sa vie et son rôle entre 1940 et 1942 : c'est loin d'être inintéressant, à condition de s'être défait de ses préjugés les plus imbéciles et de s'intéresser vraiment à l'histoire de France. Le premier tiers intéressera les amateurs de littérature, ne serait-ce qu'en raison de cette soirée que ce très jeune homme a passée au Ritz en tête à tête avec Marcel Proust.

Les lecteurs qui se souviennent de la condition humaine, et s'y intéressent, se précipiteront sur le troisième tiers du volume, ou plutôt sur le début du troisième tiers, celui où l'auteur vient d'être condamné à mort et attend son exécution : c'est une assez belle leçon de vie.

Il va de soi que, Benoist-Méchin ayant travaillé pour divers gouvernements de Vichy, et ayant été condamné à mort, je ne conseille cette lecture qu'aux esprits libres, encore capables d'envisager l'histoire telle qu'elle se fait.

Il se prend pour une erreur !

Raymond Barre, économiste français, 1924 – 2007

Il se prend pour une erreur : telle est la phrase que le petit mousse de l'Amiral Woland a répété entre trente et quarante fois durant la matinée, avec une force et un enthousiasme presque communicatifs. Ni son père ni moi ne sommes très sûrs de ce qu'il voulait dire par là (l'Amiral a suggéré que “erreur” pourrait avoir déboulé là en lieu et place de “terreur” : c'est possible, mais non confirmé), il n'empêche que l'affirmation péremptoire et mainte fois réitérée conserve auprès de moi, même après l'envol des deux oiseaux précités, son impact poétique et vaguement inquiétant : quelle peut bien être l'existence d'un homme se prenant pour une erreur ?

jeudi 20 mars 2014

Les ignorances et l'imagination des journalistes


Mes chers confrères sont parfois des gens qui ne ne se laissent pas intimider par la réalité. Prenez le cas de David Le Bailly, par exemple. Un jour, dans le cerveau de ce reporter de Match, point l'idée de faire un livre sur Anne Pingeot, qui fut, on s'en souvient, quelque chose comme la Julie Gayet de François 1er, mais en version durable. Pourquoi pas, en effet. Pour des raisons strictement professionnelles, je viens de lire l'ouvrage en question, qui s'appelle La captive de Mitterrand et dont se sont chargées les éditions Stock. Si la mode était aux titres longs, il aurait pu se nommer ainsi : Comment je n'ai jamais rencontré Anne Pingeot, ni à peu près personne d'autre d'ailleurs. Il aurait au moins eu le mérite de dire la vérité puisque, en effet, M. Le Bailly ne fait aucune difficulté – il y emploie même ses soixante premières pages, ce qui est longuet – pour reconnaître que Mme Pingeot lui a opposé une sèche fin de non-recevoir, et que les personnalités politiques qui l'ont connue et la connaissent encore l'ont toutes envoyé pareillement bouler. Allait-il renoncer pour autant aux 337 pages promises à son éditeur ? Vous plaisantez, j'espère ! Commande il y a eu (et à-valoir, suppose-t-on…), livre il y aura ! Si bien que je crois n'avoir encore jamais lu d'ouvrage de journaliste comportant autant de phrases dont le début est : J'ignore si… j'ignore comment… j'ignore quand… Sans parler de toutes celles bâties sur cet autre modèle, bien connu des gens qui n'ont rien à dire mais besoin de le dire quand même : À cet instant, on peut penser qu'Anne… Devant une telle épreuve, il est raisonnable d'imaginer que… etc. Le plus amusant est que, en dépit de toutes ces ignorances et ces imaginations, le pauvre va peut-être quand même se payer un beau procès : la dame semble assez vindicative…

mercredi 19 mars 2014

Ça ne va pas arranger ma réputation…


Je viens de commander ça. D'après l'interview que Benoist a donné à la Nouvelle Revue d'Histoire (ça non plus, ça ne sera pas porté à mon actif…), il semble bien qu'il y taille plus ou moins en pièces la théorie (pardon, pardon : les études !) du genre. Cela dit, je me demande si passer comme je m'apprête à le faire de Benoist-Méchin à Benoist tout court ne dénote pas chez moi un certain racornissement intellectuel, voire une complète déroute mentale. D'ici à ce que je rebascule à gauche, il y a peut-être moins de kilomètres que ce que je me plais à penser. C'est limite fout-la-trouille.

mardi 18 mars 2014

Circulation alternée ? C'était trop beau pour durer…

Sois gentille, pousse-toi : ce matin, c'est moi qui conduis…

Eh oui, c'était trop beau. Pour une fois que ce gouvernement de mickeys prend une excellente décision, il faut qu'il l'annule dès le lendemain ! Mes deux trajets d'hier se sont déroulés comme dans un rêve, la circulation était d'une fluidité de miel, et j'espérais beaucoup qu'il en irait de même aujourd'hui… voire tous les autres jours, pourquoi pas ? Me levant ce matin, je me prenais à imaginer combien douce serait ma vie si la circul' altern' devenait aussi pérenne que le changement d'heure bisannuel. Puis, j'ai ouvert l'ordinateur de Catherine, et le beau songe a volé en éclats.

dimanche 16 mars 2014

Circulation alternée ? Fume !

Mon assistante et ma voiture de fonction : je ne suis pas sur la photo car c'est moi qui tiens l'appareil.

Alors, comme ça, à compter de demain, on ne devrait plus voir qu'un salaud de pauvre sur deux encombrer nos rues et boulevards ? Tant mieux ! Je suis pour la circulation alternée ; à donf. (J'aime bien aussi les tout petits enfants violacés qui toussent et crachotent dans leurs poussettes rase-bitume, mais ça c'est parce que j'ai mauvais fond.) La circul' altern', donc. Je vais devoir me rendre à Levallois-plage lundi, mardi et mercredi, et cette perspective me laisse parfaitement serein, pour les trois raisons que voici :

– Lundi, ce sera comme à l'accoutumée, puisque ma plaque d'immatriculation est fort opportunément ornée d'un nombre impair (le 037, pour être précis, ce qui correspond à l'Indre-et-Loire mais avec un zéro devant).

– Mardi, avec un rien de dédaigneuse nonchalance, je brandirai ma carte de presse (N° 47 209) sous le nez du pandore qui aura eu le front de m'arrêter entre les ponts de Neuilly et de Courbevoie : il ferait beau voir que la maréchaussée enrayât la marche en avant du quatrième pouvoir !

– Mercredi, 19 mars, retour à un jour impair : tranquillité et bon droit. Mais, si jamais les règles de circulation s'étaient inversées durant la nuit – on est en sous-régime socialiste, ne l'oublions pas –, c'est ma carte d'identité nationale (ou nationale d'identité, ce sera comme vous l'entendrez) que j'exhiberais cette fois aux narines des forces répressives. Qui n'auront tout de même pas le front, j'ose le croire, de me concasser les joyeuses le jour de mon anniversaire.

samedi 15 mars 2014

50 nuances de gri-gri

Médecin français du début du XXIe siècle, affilié à une agence sanitaire reconnue d'utilité publique

Flânant presque au hasard sur les blogs, je me trouve bientôt face au quarantième billet (hypothèse basse) consacré depuis deux jours à la satanique pollution, qui, m'apprend-on, se serait abattue sur Paris telle une nuée de sauterelles casquées à l'orée des années quarante du siècle précédent. J'y tombe sur ce morceau de phrase :

une récente étude (Institut de veille sanitaire) lui attribue une amputation de 6 mois d’espérance de vie en moyenne à Paris

J'apprends déjà qu'il existe donc une veille sanitaire – j'en déduis a contrario que le sommeil sanitaire doit lui aussi avoir une existence avérée –, et qu'elle est même constituée en institut. Le reste de la phrase m'informe que, selon toute évidence, il doit s'agir de sorciers réunis en symposium, ou d'un congrès d'haruspices, voire d'une assemblée générale de marabouts. À moins qu'il ne s'agisse de pitoyables devins (what a pythie ! what a pythie !) lisant l'avenir des populations naïves dans le dioxyde de carbone, et camouflant l'inanité de leurs prédictions sous une phraséologie vaguement scientifique, afin de rassasier leur inextinguible besoin de magie. 

Si je cherche ainsi toutes sortes d'explications au fait que nul ne semble éclater de rire en lisant la phrase que j'ai reproduite plus haut, c'est parce que je me refuse à croire qu'on puisse la prendre au sérieux par le seul truchement d'une intelligence, même simplement humaine ; et que je ne vois pas comment ceux qui en recueillent pieusement l'oracle pourraient être les mêmes qui toisent avec condescendance leurs ancêtres, pour ce qu'ils prétendaient changer le plomb en or au moyen de leurs cornues et alambics.

vendredi 14 mars 2014

La solution du Front de gauche…


… le virage à droite !

(Merci à Koltchak…)

jeudi 13 mars 2014

On est toujours déçu par John Wayne (genre)


Le jour où le jeune homme tendre et naïf découvre, et ce jour arrive inexorablement, que John Wayne se prénommait en réalité Marion, les images conjointes qu'il se faisait du Grand Ouest et de la virilité en prennent un sérieux coup derrière les éperons.

La madone des traîneaux


Je l'ai récupérée en un seul morceau, mais c'était moins une, paraît-il

mercredi 12 mars 2014

Début de résurrection d'écrivains oubliés

L'autre jour, tandis que nous déjeunions, Michel Desgranges et moi en sommes venus à évoquer les écrivains oubliés ; ceux dont l'existence nous était certes connue mais dont nous n'avions jamais lu les œuvres. Le sujet avait surgi parce que nous venions tous deux, lui de lire et moi de relire le précieux livre de Maurice Martin du Gard, lequel est plein, justement, de ces Mémorables dont la mémoire n'a conservé que le nom, alors qu'ils furent, pour certains au moins, des célébrités de leur temps. J'avais tendance, moi, à me désoler  de cette volatilité de la gloire littéraire, mais Michel avait, lui, une position plus allante, et partant plus constructive. Il me disait en substance que, sans doute, parmi ces écrivains réduits pour nous à leur état civil, il devait s'en trouver qui mériteraient que l'on fasse l'effort d'aller vers eux, de tirer leurs livres des rayons sombres et haut situés sur lesquels ils léthargisent

C'est donc ce que j'ai fait, ou du moins commencé de faire : tout à l'heure, la postière m'a remis trois volumes, dont l'un au moins correspond pleinement à ce que Michel et moi évoquions : Sous la hache, d'Élémir Bourges. Le second ressuscité ne l'est que pour moi, car il me semble me souvenir que Michel l'a déjà lu. Il s'agit de Gyp, nom de plume de la comtesse de Martel, née Sibylle Aimé Marie Antoinette Gabrielle Riqueti de Mirabeau. Le roman tiré des des limbes s'intitule quant à lui Le Mariage de Chiffon ; ce que j'ai entre les mains est une misérable reproduction de l'édition originale, publiée par Calmann-Lévy en 1895, mais il faudra bien faire avec, le choix des livres de Gyp n'étant pas si large quand on veut se maintenir dans des prix raisonnables. Car je veux bien rendre chair et sang à des écrivains de poussière, mais je ne tiens pas plus que ça à m'y ruiner.

À ces deux livres, j'ai joint les Poussières de Paris, dont Michel Desgranges m'avait dit grand bien, lors de ce même déjeuner de printemps précoce ; ce qui est bien le moins puisqu'il en fut l'éditeur. Il s'agit de deux recueils d'articles publiés par Jean Lorrain entre 1894 et 1900, soit dans L'Écho de Paris, soit au Journal – Lorrain que, jusqu'ici, je ne connaissais que pour son fait d'arme du 6 février 1897 : ce matin-là, dans le bois de Meudon, le chroniqueur échangea deux coups de pistolet avec son adversaire, un tout jeune écrivain répondant au nom de Marcel Proust, chacun ayant tiré en direction du sol afin de ne pas risque de blesser l'autre.

Je crois bien que, des trois, je vais accorder la préséance à ce Lorrain.

mardi 11 mars 2014

Je ne suis pas venu vous apporter la paix, et cetera

Eugène Delacroix : saint Michel terrassant Christiane Taubira, pourtant très habilement travestie.

Comme je suis levé depuis cinq heures moins le quart, que je viens de m'appuyer un aller-retour…

(Digression rapide : comment construit-on une phrase avec ce fucking aller-retour ? Un aller-retour à Roissy-Charles-de-Gaulle sonne bizarrement ; mais un aller-retour de etc., c'est encore pire. Saloperie de langage, tiens !)

Enfin bref, je suis allé avant l'aurore m'engouffrer dans ce précipité d'horreur post-moderne qu'est un grand aéroport, puis j'en suis revenu, lesté de Catherine et de son bagage. Comme, en plus de vouloir profiter pleinement de sa re-présence, au moins jusqu'à ce que l'apéritif vespéral nous achève l'un et l'autre, je n'ai strictement rien d'intéressant ni d'amusant à raconter ici, eh bien je vais me contenter de me ranger, dans la nouvelle Affaire Dreyfus qui s'amorce, sous la bannière koalée du fougueux Amiral Woland, bien que ce gougnafier ne m'ait absolument rien demandé, me jugeant sans doute trop vieux et trop crachotant pour pouvoir être d'une quelconque utilité dans une guerre, fût-elle seulement blogoformée. 

Donc voilà : c'est ici.

lundi 10 mars 2014

La question qui peut vous gâcher toute votre courte fin de vie


Je me demande si, finalement, je ne place pas Verlaine plus haut que Baudelaire.

(En plus, son bistrot a l'air cool…)

dimanche 9 mars 2014

Bonheur et souffrance du génie


Dans la préface de sa biographie de Proust, que j'ai été amené à commencer de relire, Ghislain de Diesbach affirme que ce dernier aurait un jour soupiré : « J'aurais voulu vivre comme Paul Morand… » C'est une pensée voisine qui m'est venue il y a quelques semaines, alors que j'achevais Venises. Je me disais, comparant ce que je sais des deux, que nulle personne sensée, même reconnaissant l'immense supériorité littéraire de Proust sur Morand, ce qui est mon cas, nulle personne ne souhaiteraient avoir la vie du premier plutôt que celle du second, en admettant qu'un tel choix fût possible. Mais en même temps…

En même temps, me disais-je encore, que sait-on du génie, lorsqu'il est poussé à ce haut point de concentration que l'on rencontre chez Proust ? Je veux dire : que connaît-on des effets qu'il produit sur celui qui en est possédé, dans les moments où il se déploie, où il entre en jeu ? Il n'est pas impossible d'imaginer que, tapi dans sa chambre close, Proust ait vécu des heures de bonheur, d'une qualité et d'une intensité telles qu'aucun humain ordinaire ne peut espérer en connaître jamais ; et que ces moments ineffables aient pu compenser très largement les souffrances et les frustrations dont il devait s'arranger par ailleurs.

Mais il n'est pas non plus interdit de supposer que le génie – littéraire, musical, pictural… –, lorsqu'il se manifeste, lorsqu'il agit, puisse être une véritable souffrance, comme fait souffrir la remise en place d'une épaule déboîtée, à laquelle, pourtant, on ne peut se soustraire si l'on veut que la vie courante redevienne un tant soit peu vivable. Si c'était cela, si c'est cela, alors, là, vraiment, la vie de Paul Morand deviendrait nettement plus enviable que celle de Marcel Proust.

samedi 8 mars 2014

L'Ukraine les rend amok (les néo-nazis ôssi !)


« Je n’aime pas l’argument "per se" qui consiste à prôner le statu-quo autocratique au motif que l’opposition comprend des éléments peu fréquentables. »

Outre le fait que la phrase aurait mérité de se retrouver, toute nue, chez les Modernœuds, on ne peut que donner quitus à ce brave Juan Sarkofrance (non mais ce nom, tout de même…), lui qui s'est toujours scrupuleusement gardé de s'abaisser à ce genre d'amalgame qu'il dénonce aujourd'hui, au moment des “Manif pour tous”. Sinon, il se livre à un merveilleux exercice de contorsions multiples, avec triple saltos arrière et commentaires de Léon Zitrone, que je vous invite à découvrir, en espérant que vous y prendrez le même plaisir que moi. Surtout, ne manquez pas les commentaires : un cénacle de géopolitologues sous ecstasy (ou autre chose, je ne suis pas spécialiste) qui vous règle la question ukrainienne en deux coups de cuiller à pot, et que si ça veut rigoler un peu on va voir ce qu'on va voir. Il n'y manque même pas le rutilant cuistre qui croit bon d'appeler Poutine Putin, parce que quand même, hein, il connaît la Russie un peu mieux que vous, bande de ploucs franco-français, et il sait parfaitement qu'en alphabet cyrillique, on écrit Putin. On suppose que sa parfaite maîtrise des idéogrammes le conduit à faire de Pékin Beijing, et sa profonde connaissance de l'arabe à transformer l'Irak en Iraq. Bref : un pur moment de blogo-bonheur. Allez-y de ma part, vous serez forcément bien reçus.

vendredi 7 mars 2014

Les soirs qui s'attardent

 
De gauche, de droite… D'ici, d'ailleurs… En avant, en arrière… Ça ne finira jamais ? S'il m'arrive encore, certains soirs particuliers, de vibrer en écoutant Ferré gueuler ses Anarchistes, je dois m'en excuser ? Et auprès de qui, je vous prie ? Il est installé où, votre bureau d'enregistrement des excuses officielles et des demandes de pardon ? Il y faudra mon livret militaire ? Une justification de domicile récente ? L'empreinte de mes doigts ? « Juste un moment, Monsieur Goux, une simple remarque, je crois que… » Non ! soyez compréhensif, pour une fois, et taisez-vous ! Je cause à ma jeunesse et à mes morts ; je monologue avec des temps où vous n'étiez pas. En deux ou trois mesures, je rends sa jeunesse à ma mère, la vie à mon père ; je vais oublier mes douleurs articulaires, ce ne sera pas long,  gravir une pente que vous croyez déserte et, une fois là-haut, saucissonner avec des ombres que le vin n'enivre plus depuis longtemps. Je tiendrai alors des propos tout à fait inintelligibles, mais comme d'en bas vous n'entendrez rien – les voix montent, elles ne descendent pas –, vous penserez que tout est resté pareil, que je suis bien toujours le même, et cela vous tranquillisera. Je finirai par redescendre, revenir vers vous ; comme Moïse, mais sans tables ni Loi ni regard de feu : mains dans les poches pour cacher les poings serrés, par courtoisie peut-être, lassitude sans doute. Et nous reprendrons la conversation où nous l'avions laissée.

jeudi 6 mars 2014

Les séries télé (codicille)


Je citais hier Les Soprano comme exemple de bonne série, parce que son créateur avait su donner vie à des personnages et que, par là même, il n'était pas tenu d'empiler les rebondissements improbables pour maintenir les téléspectateurs éveillés. J'en ai désormais une preuve éclatante, dont je suis encore ébloui, un quart d'heure après le générique final.

Le deuxième épisode de la troisième saison des Soprano est un pur chef-d'œuvre, chaque scène est d'une justesse parfaite, les acteurs (à commencer par Gandolfini : la courte scène centrale où il se débat tout seul face à sa psy (impeccable Lorraine Bracco) est un grand moment, par lequel il démontre quel comédien il était) semblent s'évader d'eux-mêmes pour accéder à un plan supérieur. Pourtant, hors l'événement initial (dont je ne dis rien car Catherine, cette finaude, me lit, et je ne tiens pas à lui déflorer l'affaire), lequel n'a lui-même rien d'un de ces coups de théâtre tels qu'on les empile laborieusement dans les mauvaises séries, il ne se passe quasiment rien, durant cette heure qui, si elle n'était de la télévision, pourrait être du grand cinéma. Mais, dans cet épisode, chaque plan est riche, dense, signifiant, simplement parce que sont réunis et réagissent des personnages qui existent réellement depuis déjà deux “saisons”. Je pense que c'est à partir de cet épisode que Les Soprano deviennent une grande série – mais j'attends de voir la suite.

En tout cas, si jamais il m'avait échappé, j'aimerais qu'on me cite le film français de ces vingt dernières années qui lui arriverait au genou.

Les séries télé


C'est la même chose que les femmes, les années ou les paupiettes de veau : il y a les bonnes et les mauvaises. Pour les femmes, les années et les paupiettes, les critères de jugement sont délicats, changeants, sujets à caution. Pour les séries, en revanche, c'est assez simple. Une bonne série met en scène de vrais personnages, ce qui permet de ne pas trop se focaliser sur l'intrigue des épisodes. Gros avantage : vous manquez deux ou trois marches, parce que vous êtes partis en vacances contraintes chez votre belle-mère, vous revenez, vous êtes de nouveau au cœur de l'histoire, vous n'avez rien manqué. Excellent exemple : Les Soprano.

Une mauvaise série ne comporte aucun personnage digne de ce nom, elle mise tout sur le scénario, sur les rebondissements, les coups de théâtre plus ou moins vraisemblables. Je suis en train d'en regarder une, qui est une sorte de caricature du genre (du genre : mauvaise série). Celle-ci est anglaise et s'appelle Hunted. C'est une affaire d'espionnage, il y a des méchants qu trahissent les gentils, puis des gentils qui sont peut-être méchants, puis une taupe dans le service, et on découvre la taupe à l'épisode six, mais c'est une taupe gentille, parce qu'il y a en fait des méchants qu'on n'avait pas vus tout de suite. Oui mais alors, les méchants sont peut-être bien gentils, finalement, parce qu'il se pourrait qu'il y ait des super-méchants qui, depuis un demi-siècle, chercheraient à prendre le pouvoir aussi méchamment que s'ils étaient des juifs du protocole des sages de trucmuche.


Et voilà comment on décroche des mauvaises séries : parce qu'on n'y comprend plus rien. On sent la panique des scénaristes, qui empilent les rebondissements en se demandant ce qu'ils vont en faire à la fin. C'est la fuite en avant (ou la fuite au prochain épisode, si l'on préfère). On se demande s'ils ne se déchirent pas dans la coulisse : Tu m'as tué ma taupe, connard ? OK : je te transforme ton méchant en gentil qui faisait semblant d'être méchant ! Démerde-toi avec l'épisode d'après, trouduc, tâcheron, rewriter

Éventuellement, on s'amuse des acteurs, dont on voit de mieux en mieux, au fil des épisodes, qu'ils ne comprennent absolument rien aux révélations qu'ils nous distillent. Ils prennent des airs profonds, mais à leurs yeux vides, on réalise rapidement qu'ils ne savent plus du tout s'ils sont des gentils, des méchants, des gentils faisant semblant d'être des méchants (parce qu'ils sont trop gentils), des gentils condamnés à être des méchants à cause des super-méchants, etc. Ils méritent leurs salaires.

Vers la fin de la “saison”, on jette l'éponge, parce que les hommes et les femmes qui se sont agités durant huit ou dix épisodes n'ont pas réussi à exister une seule seconde, et qu'on s'est finalement aperçu qu'on n'avait rien à foutre de savoir qui était cette fucking taupe du MI 6 ou 7 ou 8.

Dans Hunted, l'actrice principale est l'australienne Melissa George, qui s'est distinguée dans deux ou trois films parfaitement oubliables. Il n'empêche que c'est la plus superbe bouche à ***** que le cinéma mondial nous ait proposée depuis au moins vingt-cinq ans. Peut-être trente, même.

On parle de moi, dites donc !


M. Daniel Fattore a lu mon livre, et je trouve qu'il en parle fort justement. C'est ici.

mardi 4 mars 2014

Oh ! qui dira les torts de la rime ?


La rime n'est pas une assonance. Forgée par un enfant sourd ou un nègre fou, si l'on en croit Verlaine, elle n'est même pas une assonance riche, une assonance augmentée : elle est d'un autre ordre, plus vaste. Elle englobe l'assonance, bien sûr, mais la dépasse largement ; en ce qu'elle touche à d'autres organes que l'oreille, elle ouvre des mondes incertains – d'où l'enfant sourd et le nègre fou, ce dernier sonnant comme un écho prémonitoire de Lovecraft. La rime peut très bien, ainsi, être purement visuelle, typographique. Il n'est sans doute pas le seul, un meilleur connaisseur que moi de la poésie française pourrait nous le dire, mais c'est une chose dont Baudelaire ne s'est pas privé. Dans Les Métamorphoses du vampire :

Lorsqu'elle eut de mes os sucé toute la moelle
Et que languissamment je me tournai vers elle…

(Je cite de mémoire, d'où la prudente absence de ponctuation…)

On me dira que, peut-être, Baudelaire prononçait moelle mouèle. Soit. Mais alors, ce quatrain des Bijoux :

Elle était donc couchée et se laissait aimer
Et du haut du divan elle souriait d'aise
À mon amour profond et doux comme la mer
Qui vers elle montait comme vers sa falaise

(Même remarque que pour la précédente citation.)

La rime opérée entrer “mer” et “aimer” est bel et bien typographique ; et elle dépasse et fait éclater le cadre étroit qu'on lui assigne ordinairement, peut-être par le fait que l'on confond de plus en plus volontiers les poèmes avec les chansons, et les vers avec ce que l'on nomme fort justement des bouts rimés.

lundi 3 mars 2014

Notre Ruquier-Tinville


Il s'appelle Caron comme Beaumarchais, un costume beaucoup trop grand pour lui. Il se nomme aussi Aymeric, ce qui rime opportunément avec la trique qu'il s'imagine manier tous les samedis soirs, au tribunal de France 2 où officie ce petit Ruquier-Tinville. Il a volontiers le verbe jappant et le sourcil fronceur, dès lors qu'il s'agit de broyer du réactionnaire, de malaxer du néo-facho, de ventiler du mal-pensant. Qui pense mal, aux yeux de cette calamité de salut public ? Tout le monde, qui n'est pas de stricte orthodoxie socialo-sociétale, tout olibrius égaré qui prétendrait qu'il existe encore un monde réel, un hors-studio, un avant-tribunal, et qui tenterait d'en rendre compte en y mettant un peu de nuances. La nuance est une injure faite à l'intelligence de ce Caron-ci ; une provocation ; un dérapage. La nuance cache quelque chose qu'il ne distingue pas, et ça le met d'humeur flétrisseuse ; il est alors très curieux à observer. On dirait d'un chien de berger un peu malingre se mettant à grogner à l'approche du loup, afin de protéger de la rage le troupeau installé en gradins derrière lui. Il brandit alors ses bûchettes en direction de l'ennemi, sans jamais voir qu'il ne peut pas l'atteindre, en raison de la chaîne reliée à sa cheville, qu'il a lui-même fixée au piquet le maintenant à sa juste place. Le sot au piquet produit alors quelques sentences depuis longtemps surgelées, qui, bien ou mal réchauffées dans le four à micro-ondes qu'il prend pour son esprit, ne parviendront jamais à retrouver leur saveur de plein champ. Pour finir il condamne ; mais, ses guillotines étant de caoutchouc et ses galères à moteur, la liste des victimes de Ruquier-Tinville n'en finit plus de ne pas s'allonger.

Ce procureur à perruque naturelle a donc ses fulminations ; il a aussi parfois une brusque poussée de flagorneuse guimauve, et c'est lorsque les hasards de la programmation placent dans le fauteuil d'en face un personnage qui pense comme lui, soit aussi peu et toujours à bas bruit, afin de ne pas risquer d'éveiller les consciences en sursaut. Alors le tigre se fait chatte et s'enivre de ses propres ronronnements, cependant qu'il dévide ses serpentins louangeurs et les enroule autour du bienpenseur que la Providence a voulu lui envoyer ce soir-là, pour le consoler de tous les monstres qu'il se fait un devoir moral d'expédier, en trois phrases et à l'année longue, dans ses chambres à gaz hilarant.

Ruquier-Tinville est aussi précieux qu'une bénédiction : la péremptoire et convenue sottise qu'il donne à voir semaine après semaine est le plus sûr antidote contre ce qu'il croit incarner et tente de défendre. Grâce à lui, on s'aperçoit non seulement que le roi est nu, mais qu'il n'y a rien sous sa couronne.

L'épouse indigne et cruelle


Sans le moindre remords apparent, Catherine m'abandonne durant huit jours, pour aller voir des enfants ! Et, en plus, qui a dû se lever à six heures pour la conduire dans cet antre infernal qu'est un aéroport international portant le nom d'un général rebelle à grand nez ?

dimanche 2 mars 2014

La discrimination à l'embauche ou les joyeusetés contemporaines

J'ai failli vous coller ici une devanture de boucherie hallal, mais je me suis dit que vous ne méritiez pas ça, surtout un dimanche. Et puis, la bonne trogne corrézienne de M. Tillinac me séduisait davantage…

Hier soir, à des heures avancées, passant sur France 2, je me suis retrouvé devant Denis Tillinac, installé dans le fauteuil-sellette de Laurent Ruquier ; il y semblait d'ailleurs parfaitement à son aise,  ne semblant rien redouter du roquet Caron qui lui faisait face et aiguisait ses chicots dans un silence frémissant. Je suis resté un peu. À un moment, le roquet a rappelé, mine grave et sourcils sévèrement froncés, qu'Éric Zemmour avait été condamné par la justice pour avoir encouragé (ce n'est peut-être pas le terme qu'il a aboyé, il était tard…) la très-horrifique discrimination à l'embauche. Mme Polony, qui ne laisse jamais passer une occasion de montrer qu'elle est moins de droite que ce qu'on croit d'elle, s'est empressée d'affirmer que, en effet, ce n'était pas beau du tout, de la part de son prédécesseur à ce fauteuil. Tandis que le chihuahua continuait ses jappements, je me suis demandé ce que je pensais, moi, de cette si monstrueuse discrimination à l'embauche.

Rien. J'ai bien dû m'avouer que je n'en pensais rien, ni en mal ni en bien. Je me contentais de prendre acte du fait qu'elle existe, en tout lieu et tout le temps, de façon parfaitement naturelle ; et que personne, le plus souvent, ne songe à s'en émouvoir. Par exemple, j'ai longtemps fréquenté le quartier chinois du XIIIe arrondissement de Paris ; eh bien, je n'ai jamais vu personne s'offusquer de ce que, dans les restaurants, boutiques, supermarchés, etc., tous les vendeurs et vendeuses soient chinois., ou en tout cas extrême-asiates. Un peu plus tard, vivant à Villeneuve-la-Garenne, Catherine et moi étions devenus des clients assidus des quelques boucheries hallal de cette sympathique bourgade : je puis garantir que ni elle ni moi n'y avons jamais vu le moindre commis français (ni chinois, ni indien, ni latino-américain, ni inuit…). Même chose, chacun en a fait l'expérience, dans les myriades d'épiceries arabes qui jonchent le territoire national.

Inutile, je pense, de multiplier les exemples. Faisons cependant observer que cette discrimination à l'embauche est encore considérablement aggravée par l'épineuse question de la parité. Ainsi, dans les boucheries de Villeneuve, non seulement on ne voyait aucun français, mais pas l'ombre d'une femme non plus. À l'inverse, quand, au hasard d'une rue piétonne et sonorisée, je passe devant un magasin de prêt-à-porter féminin, je vois bien qu'il n'est peuplé que de vendeuses et que le mâle fait ici cruellement défaut – et la situation est presque aussi dramatique dans le corps infirmier. Là encore, on pourrait faire la longueur en multipliant les exemples, mais est-ce la peine ? J'ai l'impression que la discrimination à l'embauche a encore de belles saisons devant elle, ce qui est bien sûr révoltant.

Il n'empêche : le jour où des escouades de petits Caron accrédités vont se mettre en tête de faire embaucher des Français dans les boucheries arabes, en exigeant de surcroît que la moitié d'entre eux soient des elles, on va commencer à rigoler un peu.

samedi 1 mars 2014

Tous les Dard ne sont pas écrivains


M. Desgranges va pouvoir se payer ma fiole tout à loisir, en m'assénant que ce qui m'arrive est bien fait, que cela m'apprendra à acheter des livres barbouillés par d'universitaires tâcherons ; il aura pleinement raison. La quatrième de couverture de cette biographie de Maurras nous informe que M. Olivier Dard est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Paris-Sorbonne. Soit. On aurait été fort surpris qu'il y animât un atelier d'écriture, vu la façon dont il a torchonné son ouvrage. Je ne prendrai que deux exemples, mais on pourrait en trouver à foison. Voici la première phrase du chapitre cinquième :

L'affaire Dreyfus compte parmi l'un des temps forts des « guerres franco-françaises » ou l'une des manifestations de la « fièvre hexagonale ». 

Apparemment, c'est l'auteur qui a la fièvre. Mon second exemple provient de la page 128 – accrochez-vous, ça va tanguer :

De même, la référence très présente chez Maurras à la « barbarie allemande » et qui, est présente chez Maurras mais aussi sous de nombreuses plumes, ne doit pas grand-chose chez lui au contexte de la guerre.

On notera que, de simplement comique qu'était la première phrase, on se hausse ici au niveau de l'incompréhensible. Et l'on se dit que ce pauvre M. Dard n'est pas le seul à devoir être accablé par l'ironie du lecteur un tantinet lassé : les personnes qui, chez Armand Colin, sont en principe chargées de la relecture des manuscrits que leur maison va éditer, ces personnes sont des jean-foutre qui feraient aussi bien de se reconvertir dans l'épicerie en gros – métier qui, par ailleurs, n'est pas sans noblesse.

Quant à moi, je crois que je vais aller me décrasser la syntaxe chez Jacques Bainville.