lundi 30 mai 2016

Scène de rue avec trio d'enfants


Ils étaient donc trois, comme indiqué dans le titre, qui débouchaient d'une ruelle perpendiculaire à la mienne au moment où je parvenais à sa hauteur, me dirigeant vers la seule boulangerie de Pacy ouverte le lundi ; deux filles et un garçon, âgés de huit à dix ans : je ne suis pas spécialiste. Leurs propos, d'abord indistincts, devinrent brusquement compréhensibles à l'instant de notre réunion. L'une des fillettes disait : « En tout cas, moi c'est simple : je devrais pas le dire, mais jamais j'épouserai un noir. » Elle était elle-même la seule noire de ce petit ensemble.

Dernier printemps laborieux ?


Parce qu'il est beaucoup question de retraite, en avril

samedi 28 mai 2016

Laurent Joffrin, âne couronné


Dans le follicule subventionné qu'il dirige, Laurent Joffrin se fendait hier d'un article (signalé ici) d'une achevée sottise bien pensante, à propos de la bataille de Verdun. Il y écrit notamment ceci : 

Or, en France, en Allemagne, en Autriche, en Russie, aux Pays-Bas ou même en Grande-Bretagne, c’est-à-dire au cœur des mêmes nations qui se combattaient en 1916, les mêmes forces xénophobes sont à l’œuvre, jusqu’à remporter des succès angoissants.

On commencera par sourire de la (fausse ?) naïveté de l'auteur, qui semble stupéfait de ce que, lors d'un conflit long et sanglant, il puisse se développer parmi les peuples jetés les uns contre les autres des “forces xénophobes” ; alors qu'un gentil “vivre-ensemble” établi d'une tranchée à celle d'en face aurait été, c'est vrai, infiniment plus réconfortant. Mais ce n'est pas tout. Dès les premiers jours du conflit, en août 1914, les Pays-Bas ont affirmé clairement leur stricte neutralité et, de ce fait n'ont jamais engagé le moindre soldat dans la guerre, ni n'ont vu leur territoire occupé par aucun des belligérants. L'article du directeur de Libération s'intitule : Ne pas oublier la leçon de Verdun (ton de maître d'école, habituel chez Laurent le Mirifique) ; apparemment c'est l'ensemble de ses leçons sur la Première Guerre mondiale que M. Joffrin a oublié.

dimanche 22 mai 2016

Iron Sky, film nazilunaire


L'argumentaire était alléchant, nous y avons cédé. (Bien qu'il n'entre pas dans nos habitudes de regarder la télévision avant huit heures et demie du soir, mais les circonstances, en ce moment, sont particulières.) Donc, voici : en 1945, après l'effondrement germanique du dernier espoir de survie de la civilisation occidentale, les lambeaux du régime nazi se sont réfugiés sur la face cachée de la lune (Dark side of the moon, dans le langage adopté par ce chef-d'œuvre finlando-teuton, probablement pour un plus grand retentissement international). Il y ont construit un gigantesque complexe intersidéral en forme de croix gammée dextrogyre (ce qui est bien le moins), ainsi qu'un énorme vaisseau spatial baptisé Götterdämmerung (kolossal finesse) et destiné à reconquérir la Terre, ce qui est prévu pour 2018 : gare à vos miches. Rien que de très normal, donc, jusqu'ici.

Le film commence au moment où une mission spatiale, dont on ne comprend rien, barre en sucette et a pour résultat de larguer l'un de ses membres sur la falaise qui domine notre sympathique complexe séléno-hitlérien. Il est évidemment capturé (par des types en tenue SS mais avec masques à gaz puisqu'on est sur la lune, où il n'y a guère plus d'air respirable que dans les chambres à gaz de nostalgique mémoire). Le fait que ce cosmonaute soit noir ajoute évidemment à la perplexité de ces braves nazis, un peu déconnectés, depuis 70 ans, des réalités terrestres et des charmes du multiethnicisme.

Il y a un savant fou qui ressemble à Einstein, lequel refuse de croire que le smartphone du terrien inattendu est vraiment un ordinateur. Il y a aussi sa fille, une blonde gretchen qui donne des cours de nazisme aux enfants lunaires, à partir des cinq minutes du Dictateur de Chaplin où on le voit, sur fond de Lohengrin, jouer au ballon avec un globe terrestre, preuve indubitable que le führer voulait le bien de l'humanité. Sa rencontre avec le spatio-nègre crée chez elle une sorte de commotion racialo-sexuelle, qui va la conduire, une heure et demie plus tard, à devenir le porte-étendard à la fois de l'anti-nazisme et de l'antiracisme en acte (sexuel, toujours).

Après, l'affaire s'embrouille assez nettement, si je puis dire. On croise une présidente des États-Unis qui ressemble à Sarah Palin, sa première conseillère qui imite Bruno Ganz imitant Hitler dans sa résidence berlinoise souterraine, et deux ou trois autres de moindre importance ; et il y a une guerre terrible qui se déclenche, sans qu'on parvienne bien à comprendre qui frappe quoi, ni qui est contre qui. À un moment, deux nazis de-la-face-cachée arrivent sur terre (comme ils sont très cons, ils gardent leurs masques à gaz, ne sachant probablement pas que l'atmosphère est respirable), et on les surprend à feuilleter un magazine de cul. Ils trouvent curieux que les femmes, sur terre, n'aient pas le moindre poil là où en ont les femelles de la face cachée de la lune ; l'un d'eux note que, si par hasard elle ont conservé une certaine pilosité intime, celle-ci ressemble à la moustache de leur führer défunt (que Dieu l'ait en Sa Sainte Garde). Ils rigolent derrière leurs masques inutiles et conviennent que cela les excite quand même un peu.

À la fin, les gentils gagnent, la face cachée est violemment niquée, il manque un bon quart de lune, comme une pomme dans laquelle on aurait croqué ; et la blonde, devenue antinazie militante, parce qu'elle a finalement vu Le Dictateur en entier dans un cinéma du Bronx, roule des pelles lippues au cosmonaute divers, en lui promettant des lendemains qui batifolent.

vendredi 13 mai 2016

Le rap des vils et le rap des champs (d'honneur)


Pour une fois, on en reste tout ébaubi, la honte, l'humiliation et le ridicule nous auront été épargnés : contrairement à ce qui avait été ourdi, et sans doute parce que le calibre de cette couleuvre était encore un peu trop important pour les gosiers flasques de l'époque, le rapeur Machin Truc ne viendra pas encombrer de sa présence borborythmique les cérémonies du centenaire de la bataille de Verdun. On s'en réjouit, même si l'on sent bien que ce type d'avanies profanatrices est appelé à se reproduire et à se multiplier dans l'avenir le plus proche. Certains vont en revanche s'en affliger : ceux qui, en vertu (?) du racialisme névrotique qui les agite, se félicitaient hier à grand bruit de cette “reconnaissance” accordée aux combattants de la France coloniale, dont une doxa en parfaite contradiction avec la réalité historique veut que l'on n'en parle jamais, qu'elle soit depuis l'origine occultée. Ces ânes auto-couronnés ont évidemment tort : la venue du triste guignol pressenti eût été un crachat sur les tombes de tous les morts de la bataille, y compris ceux dont la couleur de peau fut la même que la sienne, pour la simple et forte raison qu'ils sont devenus, en tombant, indissociables à jamais les uns des autres.

À la réflexion, il aurait peut-être été intéressant de le laisser venir souiller ces champs de silence : qui sait si l'on n'aurait pas vu, alors, fouettés par quelque Victor Francen inconnu, les morts se lever tous ensemble de leur tourbe, comme dans le J'accuse de Gance, et leurs spectres piétiner solennellement les ludions invertébrés réunis autour de leur minuscule blasphémateur ? Ce n'est quand même pas tous les jours que l'on peut applaudir sans réticence au travail d'éviscération des morts-vivants.

mercredi 11 mai 2016

Dragueurs lourds, suivrons-nous d'ahan…


Tout le billet est à lire, avec lenteur, recueillement même, tant il est un concentré presque chimiquement pur de bigoterie néo-féministe, d'aigreur pro-pénale, d'auto-aveuglement immature et, finalement, d'incurable désarroi. Il est ici. Dès la deuxième phrase, se donne à voir une sorte de “panique conceptuelle”, si je puis ainsi jargonner. Relisons-la :

Nous avons énormément de mal à bien nommer les choses en matière d'agressions sexuelles parce que nos définitions ne prennent jamais en compte une chose ; le fait de ne pas tenir compte du consentement de la victime.

Madame Georgette Crêpe invente, ou au moins réhabilite, sans s'en apercevoir la phrase cacophonique : avoir du mal à bien nommer est déjà très joli, chez quelqu'un qui, pourtant, ne conçoit pas que le bien et le mal puissent avoir intimement à faire l'un avec l'autre ; ne pas prendre en compte le fait de ne pas tenir compte est encore plus beau ; la bouillie du sens atteint un parfait moelleux avec le consentement de la victime : somptueuse aporie.

Ensuite, tout l'effort de Mme Georgette Crêpe va consister à déblayer totalement le terrain, à repousser aussi loin que possible l'un de l'autre le bien et le mal, pour établir entre eux un désert barbelisé. Car dans l'univers de Crêpe, jamais aucune femme n'a fait mine d'accueillir avec froideur des avances masculines, soit pour préserver son image de fille “pas facile”, soit pour tester un peu les “motivations” du candidat. Jamais ! Ça ne se peut pas, ça ne doit pas exister. Si une femme dit “non”, c'est toujours un “non” intangible et éternel ; et si elle envisage de dire “oui”, elle est tenue de le faire immédiatement, d'une manière totalement dépourvue d'ambiguïté et de clair-obscur ; on le sent bien : l'idéal pour Mme Georgette Crêpe serait que les deux futurs partenaires signassent un contrat écrit en la double présence d'un huissier et d'une huissière.

La suite de ce long texte (les crêpes de Mme Georgette sont souvent très épaisses : on sent qu'elle ne pleure pas la pâte) pourrait être elle aussi décortiquée paragraphe par paragraphe, presque ligne après ligne ; à quoi bon ? Je n'ai pas toute la journée non plus… Le but, de toute façon, reste le même de bout en bout, même si notre dialecticienne croit varier ses prises de vue et ses angles d'attaques : il s'agit de coudre un très grand sac, que l'on nommera “agressions sexuelles” et d'y fourrer tout ce qui passe, depuis le viol en réunion jusqu'à la petite phrase qui pourrait vaguement faire penser, chez le mâle, à une légère insistance. (« Eh, M'dame, je peux t'offrir un café ? – Non, merci, c'est gentil, mais je suis pressée… – Allez, M'dame, juste un petit café : ça vous engage à rien ! » : c'était, en direct, un exemple d'agression sexuelle.)

La conclusion est trop prévisible pour être vraiment savoureuse ; la voici : 

Vos amis "draguent lourdement" ?  Stoppez-les.  Il n'y a pas de si, il n'y a pas de mais. On a tous et toutes connu de ces gens qu'on nomme dragueurs lourds car on n'ose penser que nos potes ou collègues sont des agresseurs sexuels.

Le message est limpide : ne pas être un agresseur sexuel vous-même n'est évidemment pas suffisant, ne pensez pas vous en tirer à si bon compte. Il va s'agir de revêtir l'uniforme de l'agent de police – ou la blouse du psy – et de faire rentrer vos amis dans le rang, après avoir dûment répertorié l'historique de leurs comportements intolérables. Et si ces dangereux prédateurs refusent d'entendre raison et de repasser dans le rang des dragueurs légers, nuageux, évanescents, impalpables, éthérés, alors il vous faudra vous transformer, pour le bien de chacun et du monde, en impitoyable délateur lanceur d'alerte : Mme Georgette Crêpe saura certainement vous indiquer la procédure.

mardi 10 mai 2016

De mal en pis


Aujourd'hui, 10 mai, c'est la journée où l'on est sommé de se souvenir de la traite. Et voyez comme le monde est harmonieux : les vaches ont justement fait leur apparition dans le pré dit “de derrière”. 

La traite, c'est aussi, apparemment, à quoi cherchait à se livrer un certain M. Baupin, lorsque ses mains ne se trouvaient pas occupées sur son clavier d'ordinateur : depuis deux jours, ses “victimes” se multiplient comme champignons après l'ondée ; elles étaient choristes dans le silence, elles le demeurent dans la pleurnicherie.

Avec cela, aucun blogueur n'a encore pris le temps de bafouiller le traditionnel billet à la gloire de la vieille momie qui, en des temps fort reculés, parvint au pouvoir ce jour-là. 

Mais les 10 mai sont bien encombrés, et on ne peut pas être partout.

vendredi 6 mai 2016

Washington Square, comédie de personnages


On entend dire fréquemment que Henry James (1843 – 1916) est le plus anglais des écrivains américains : ce n'est pas parce que tout le monde le répète que c'est obligatoirement faux. Les tenants de cette thèse font généralement valoir que le romancier a passé la plus grande partie de sa vie féconde à Londres et qu'il fut naturalisé anglais sept mois avant sa mort. Il reste néanmoins un écrivain américain, par l'acuité du regard qu'il porte sur la société de son pays natal (langage de journaliste : honte !), comme on peut le constater dans l'un des romans majeurs de sa maturité, Les Bostoniennes, dont je crois bien avoir déjà parlé ; et aussi par sa propension à plonger certains de ses compatriotes dans le bain de l'Europe aux anciens parapets, afin de voir quelles réactions vont se produire dans les deux sens : c'est ce qui se passe en particulier dans son Portrait de femme

Washington square est un roman à la fois très simple et complexe. Simple, il l'est par son écriture, vive et claire (ce n'est que des années plus tard que la phrase de James s'alourdira et se ramifiera, parfois à l'excès) ; il l'est aussi par son intrigue qui ne met en scène que quatre personnages : une jeune fille peu gâtée par la nature mais très riche d'espérances, son père, brillant médecin qui l'a élevée après la mort de la mère, la tante, sœur du précédent, vieille célibataire romanesque un peu folle, et, moteur de l'intrigue, le prétendant beau parleur et beau garçon mais désargenté. Aucun suspense ni coup de théâtre : dès les premières pages, on sait que le coureur de dot n'est rien d'autre que cela et que l'héritière va tomber dans ses filets ; en effet, tout se déroule exactement comme le lecteur le prévoit. Mais c'est aussi un roman complexe, en ce que ces quatre protagonistes ont chacun une personnalité ondoyante et diverse, en particulier le père et la fille, dont les rapports ne cessent de se modifier à mesure des chapitres, ou en tout cas d'être éclairés différemment par l'auteur. Ce sont des portraits superbement maîtrisés et fouillés, mais des portraits “en action”, les quatre personnages ne cessant de se révéler sensiblement différents, sous l'effet des chocs qui les jettent les uns contre les autres. Complexe aussi parce que James ne nous accorde pas la facilité de nous désigner les bons et les méchants, les généreux et les sordides, les intelligents et les stupides, etc. Chacun d'eux est un composé instable, mais tout de même homogène, de ces divers défauts et qualités, et aucun d'eux ne nous apparaît jamais comme tout à fait sympathique, ni complètement l'inverse. Le plus étonnant, peut-être, est que de ces diverses incertitudes qui forment la trame du roman, il ressort une impression de totale maîtrise psychologique : à chaque moment, même quand son premier mouvement est la surprise, le lecteur se dit que oui, en effet, le personnage devait faire ou dire exactement ce qu'il vient de faire ou dire, y compris lorsque lui-même semble s'empêtrer dans des contradictions qu'il ne contrôle pas ou peu. Il ressort de l'ensemble du roman une impression de fatalité certes pesante, mais où le drame et ses éclats sont toujours tenus en lisière.

mercredi 4 mai 2016

Vers le soir


Et surtout, il y a cette douceur, certains soirs, de paraître maîtriser le temps ; mieux : de le stopper ; un très court instant, en ce moment même. Catherine, récupérée souffrante et manchote, est allée se coucher, après deux larmes de whisky que le très-excellent Dr Pluton l'a encouragée à prendre. Comme elle ne peut, pour quelques jours, que dormir assise, je lui ai arrangé des montagnes d'oreillers,  et ce fut une répétition de l"époque assez proche où nous serons très vieux, si nous y parvenons ensemble. Le soleil s'attarde, l'obliquité de ses rayons incite évidemment à penser à la fin de toute chose, mais les derniers chants d'oiseaux semblent aller à l'encontre de cette vision naturellement pessimiste de notre vie humaine. Il est possible, pendant que j'écoute L'Offrande musicale, que Catherine grimace de douleur en tentant justement d'amoindrir celle qu'elle ressent par un mouvement millimétrique : je n'en sais rien, je suis ailleurs, loin, à deux pièces d'elle, avec cette puérile impression de veiller. Le vent léger vient de s'éteindre, tout se tait sauf Bach et le cliquetis de mes doigts sur ce clavier qui n'est pas le mien. Une sorte de paix s'étend sur le monde. Mais des bruits de moteurs, doucereux, me parviennent.

dimanche 1 mai 2016

À propos de la télévision (menus propos désagréables)


Michel Onfray devrait faire un peu attention : à devenir de plus en plus réactionnaire tout en continuant à se vouloir de gauche et “libertaire”, il s'est engagé dans un grand écart qui risque de le conduire tout droit au claquage des ligaments ; ce qui, à son âge, presque aussi avancé que le mien, est toujours fort ennuyeux. Dans sa chronique mensuelle, il chante les louanges de la télé-de-papa, et notamment de l'une de ses émissions les plus appréciées alors : La Caméra explore le temps, série de dramatiques historiques (on dirait sans doute docu-fictions de nos jours) diffusée de la fin des années cinquante au milieu de la décennie suivante. Il écrit notamment ceci : « Avec quelques autres dont Marcel Bluwal, Max-Pol Fouchet, Jean Prat, Pierre Dumayet, Pierre Desgraupes, Stellio Lorenzi a montré que la télévision pouvait être un formidable instrument d’éducation populaire, distrayant et intelligent. Avec eux le peuple pouvait être peuple et digne : ils pensaient édification et culture. Ceux d’aujourd’hui transforment le peuple en populace : ils pensent audimat et argent. La télévision est devenue une arme de destruction massive de l’intelligence. »

Je crois qu'Onfray se trompe ; non sur le fait que la télévision ait changé, bien entendu, mais quant aux causes de sa mutation. Il ne me semble pas que lorsque Jean Prat, par exemple, proposait, en 1961,  à huit heures et demie, une représentation filmée des Perses d'Eschyle, il pensait “éduquer le peuple” : il donnait simplement à son public ce qu'il le savait capable de recevoir et d'apprécier. Car, en ces années, un poste de télévision était un achat coûteux, ce qui le mettait hors de portée de la plupart des ouvriers et des paysans : la présence d'un téléviseur dans un salon restait un “marqueur bourgeois”. Il était donc logique, et même naturel, que les gens qui concevaient les programmes les adaptent au niveau culturel, réel ou supposé, de leur “cœur de cible”, ainsi qu'on ne disait pas. Cela le leur était d'autant plus, naturel, que ce niveau d'exigence de leur public correspondait en tous points au leur. On peut donc dire, en un sens, même si celui-ci n'était pas encore l'obsession qu'il est devenu par la suite, que les Lorenzi, Bluwal, Fouchet et autres se souciaient bel et bien de leur audimat, c'est-à-dire de leur audience, pour parler en français de cette époque. C'est lorsque le prix des postes s'est effondré, faisant d'eux des objets de consommation courante, qu'ils ont fait une entrée massive dans les appartements ouvriers et les maisons paysannes, entraînant une sorte de “mise à niveau” des programmes, laquelle me paraît tout à fait légitime : à partir du moment où des gens peu riches décident de dépenser une partie de leur argent pour acheter un récepteur, puis de payer la redevance annuelle, ils s'attendent à ce qu'on leur offre des programmes qui leur plaisent, et je ne vois pas au nom de quel impératif d'éducation, on irait les leur refuser. 

La télévision n'est pas devenue “une arme de destruction massive de l'intelligence”, mais est restée ce qu'elle était depuis son origine : le reflet à peu près fidèle de l'intelligence moyenne des gens qui en font consommation.