vendredi 30 avril 2010

Le journal de mars est arrivé !

L'actualité de ce mois d'avril finissant ayant été particulièrement piteuse, pourquoi ne pas se replonger dans celle de mars ?

jeudi 29 avril 2010

Emburkinons les cohortes célestes !

J'ai remarqué ça, pour rire un peu plus. Il y a quelques mois, rappelez-vous, on nous avait asséné la chose. D'après je ne sais quelle officine, il y avait, en tout et en France, 343 femmes burkisées. Je sais, je sais, ce n'étais pas exactement 343 : j'ai pris ce nombre, parce que ça me rappelle les salopes avorteuses de mon adolescence. Mais enfin, c'était à peu près ça : une officine gouvernementale avait décidé qu'il y avait 300 femmes burkisées. Du coup, les petits Bonnet de nuit et les cohortes célestes avaient pu se moquer : comment s'intéresser à cet épiphénomène ne concernant que 300 femmes dans un pays de 60 millions d'habitants ?

Or, aujourd'hui, moi qui lis les blogs des petits crétins de gauche, j'y apprends quoi ? Que vraiment on ne peut pas se moquer des musulmans, pour 2000 femmes emburkées. Deux mille. C'est ce que disent ces petits connards de gauchistes. Néanmoins, ces mêmes petits cons ricanaient il y a six mois parce que les gros réacs dans mon genre frétillaient à cause de 300 burkas.

Donc, ils admettent que, en six mois, le nombre de pétasses emburkinées a augmenté de 300 à 2000. En six mois. Ce sont eux qui le disent, ces abrutis. Ils ne se rendent même pas compte de ce qu'ils disent, évidemment. Prenez date : dans un an ou deux, ces petits connards vous diront ceci, ou à peu près : « Voyons, gros con nazi, des burkas, il n'y en a que 120 000. Or, nous sommes 60 millions de Français. Tu vois bien qu'ils restent minoritaires ! » Certes, il le sont.

Le matin des musiciens : mon hommage à Olivier Greif

J'ai déjà évoqué ici la musique d'Olivier Greif, à propos de sa Sonate de requiem, mais, en dépit de recherches poussées, j'ai été infoutu de retrouver le billet en question. Je pense que vous ne perdez pas grand-chose à cette non-relecture de toute façon.

Le Matin des musiciens est la seule émission de France-Musique que j'écoute régulièrement, pour la simple raison qu'elle est diffusée à l'heure où je suis dans ma voiture pour venir (ou aller, tout dépend...) à Levallois. Et, aujourd'hui, parce que c'est le dixième anniversaire de sa mort prématurée, on y parlait d'Olivier Greif, et notamment de sa Bataille d'Agincourt (charmante petite bourgade à qui je ferais peut-être bien de rendre son “z” français, mais je n'ose), sonate pour deux violoncelles. Naturellement, comme cela se passe deux matins sur trois, les parlotes ont cédé la place à la musique au moment précis où je m'engouffrais dans le souterrain de la Défense, lequel interdit toute captation hertzienne, comme tout bon tunnel qui se respecte.

C'est pourquoi, j'ai décidé de rendre moi aussi un hommage à Olivier Greif, de ma minuscule manière : j'ai illico déserté ce crétin de boyau muet et fait tout le tour de la Défense par son boulevard circulaire, uniquement pour pouvoir écouter le dernier mouvement de son quatuor à cordes avec voix. Et, à peine arrivé à ce bureau, j'ai commandé le disque réunissant les deux œuvres que je viens de citer. Auquel – quitte à dépenser des sous inexistants, n'est-ce pas... – j'ai ajouté le Requiem, du même musicien, œuvre dont j'ignore tout.

Et, maintenant que j'ai joyeusement dépensé ma vie, je vous abandonne afin de tenter de la regagner avant ce soir.

mercredi 28 avril 2010

Rions un peu avec l'affaire Ben Zobi

Zobi. Ou Zebi. Ou zeb. Autant de variations du mot “bite”, lorsque je vivais en Algérie et que nul d'entre nous ne s'était encore servi de la sienne. Bon souvenir : on en riait bien. Quelques années plus tard, mais très peu, Victor Lanoux dans ce film, Dupont Lajoie, marquant le coup d'envoi de cette haine retournée contre soi-même qui devient notre marque de fabrique et le signe de notre mort prochaine : « C'est que je les connais, moi, les Ben Zobi ! » Préfiguration magnifique du monde. J'adopte le sobriquet, pour faire chier. Rien que pour faire chier.

J'ai vraiment et sincèrement bien ri, avec l'affaire du Ben Zobi nantais qui occupe presque tout le monde dans la blogosphère – c'est-à-dire personne dans la vie réelle. Ri de tout le monde. Ri à droite, ri à gauche, ri au centre, ri aux extrêmes, ri dans la casbah. Quand on était enfant, donc sadique et répugnant, on s'amusait à couper des vers de terre en trois, pour le plaisir de voir se tortiller chaque tronçon. Jouant le rôle du sécateur, Ben Zobi m'a rajeuni : ç'a tortillé tant que ç'a pu ! Mes amis de droite essaient de démontrer que. Mes copains de gauche tentent de faire passer leur à-plat-ventrisme péteux pour le n'aux z'armes citoyens ! habituel. Mes potes du centre se demandent ce que pense François Bayrou, qui ne pense rien. Et les zébulons trotskistes se concentrent sur les sacro-saints vrais problèmes – ceux que tout le monde cherche et que personne ne trouve.

Pendant ce temps, Mohammed Ben Zobi, tenant conférence entre ses merguez et ses côtes d'agneau, ses quatre zombis femelles maintenues dans les chambres froides, hors caméras, explique doctement la manière dont il nous pisse à la raie en zig-zag ; les journalistes enregistrent pieusement, le Canard enchaîné et Olivier Bonnet cancanant à sa suite cherchent des poux à Paul Bocuse, pour noyer le poisson dans la merde au shah.

Dans le même temps, Céleste rameute à coup de chanson de Sacha Distel ses affidés, afin de les prendre à témoin de ses tremblotements matriciels – elle, la mère de toutes les bontés bontifiantes – face à tant de haine. On était si joyeux et si purs, au temps de Sacha Distel ! Tellement assourdie par les bravos frénétiques de ses petites lèvres, elle en oublie que, d'après les raclures soixante-huitardes qui lui servent de modèle, les Français étaient censés s'emmerder comme des rats réactionnaires et crevés jusqu'en avril 1968. Contradiction ? Palinodie ? C'est sans importance : il faut sauver le soldat Ben Zobi, sa femme et ses trois maîtresses – cela seul importe.

Combien vous pariez que, d'ici trois jours, on va nous trouver un prêtre catholique polygame ? Laissez tomber, vous perdriez : on le trouvera. Et même que ses quatre femmes seront impubères, vous verrez. Au moins une ou deux, en tout cas.

mardi 27 avril 2010

Notre appétit de fabliaux est impossible à rassasier

Ce qui est terrible, mais aussi fort réjouissant, chez nous autres, petits chrétiens-sans-dieu, c'est cette soif jamais assouvie de mythes merveilleux et de cycles légendaires, qui nous empoigne sans le moindre espoir de relâche. Nous avons certes tué Dieu, mais depuis il se venge en ricanant dans son coin, après avoir fait de nous des laissés-pour-contes. Les contes changent, les fabliaux muent, mais la foi reste inentamée – et c'est beau.

Ceux de mon âge se souviennent bien du credo dans lequel ils ont été élevés, puisqu'ils sont nés dans l'âge de fer du communisme. Encore faut-il préciser, à l'usage des jeunes générations, que le fer était déjà sévèrement paillé à cette époque : Soljénitsyne et Sakharov étaient passés par là, et les avant-gardes arrière du trotskisme – je ne sais trop comment qualifier autrement ces jeunes gens qui regardaient derrière eux pour apercevoir l'avenir – lardaient de mille coups d'épingles indolores mais agaçants le mammouth sibérien, qui commençait à sentir de sa décongélation. Pour qui est trop jeune ou a la mémoire qui flanche, il faut peut-être rappeler qu'alors les communistes et les trotskistes se chamaillaient comme enfants au préau, mais qu'ils étaient d'accord sur à peu près tout – un peu comme l'UMP et le PS ou les Verts d'aujourd'hui : on se tiraient les cheveux à l'avant-scène, on s'empoignait par les habits sous les sunlights, puis on retournait bien vite se partager en coulisse les petits fours arrachés de haute lutte à la bourgeoisie réactionnaire. Mais enfin, le credo était toujours en vigueur.

Il consistait, on s'en souvient, à affirmer que, certes, tout n'était pas parfait dans les dictatures soviétoïdes, sinophiles ou cubanesques, mais que cela tenait exclusivement à un dévoiement de l'idée communiste, laquelle restait intouchable. En clair, on ne pouvait tenir le dieu de cette fable pour responsable des inquisitions, croisades et autres bûchers mis en circulation dans son ombre : discours qui avait déjà fait ses preuves en d'autres temps. Si cela ne vous suffisait pas, vous vous preniez alors dans les dents le deuxième article de foi de ce credo, solidement et dialectiquement arrimé au premier : « Et même s'il y a des choses à condamner dans les pays communistes, vous chuchotait-on avec des mines d'une impayable gravité, il ne faut pas le clamer trop haut, car ce serait faire le jeu de la droite. » Et on fermait le ban jusqu'à la prochaine fois, voire la prochaine foi.

La sonnerie du réveil ayant dissipé le cauchemar communiste, les petits chrétiens-sans-dieu se sont retrouvés ballots, avec leur dogme comme neuf et ne demandant qu'à se rendre utile, mais absurdement privé de maître à servir. Ça ne pouvait pas durer.

De fait, ça n'a pas duré, on a recyclé le dogme en réussissant à le garder intact, aussi efficace que dans sa prime jeunesse. C'est ce qui fait que lorsque vous émettez timidement une vague réserve au sujet de l'islam, on vous fait aussitôt remarquer avec sévérité que vous confondez l'islam avec sa hideuse caricature : l'islamisme. (C'est une idée que les gardiens du dogme “ancienne école” n'avaient pas eue, et c'est bien dommage pour eux : inventer le communinisme, ou le communissisme, pour mieux innocenter leur communisme-toujours-innocent. On est bête, des fois...). On vous explique avec indulgence que vous êtes en train de piétiner une religion de paix et d'amour, sous prétexte qu'elle a enfanté une poignée de malades mentaux bardés d'explosifs et vomissant de haine ; des malades mentaux que les musulmans – les vrais, les purs, comme il y a eu des vrais et des purs du communisme – détestent tout autant que vous sinon davantage.

À ce stade, il serait préférable de vous taire. Car si vous vous entêtez, par exemple en faisant remarquer que partout où des musulmans ont pris le pouvoir en tant que tels, ils n'ont eu de cesse d'instaurer la plus impitoyable et rétrograde des tyrannies, alors ce ne sera plus l'explication mais le couperet : vous faites le jeu de l'extrême-droite – bienheureux encore si ce n'est pas du fascisme. Là, vous n'avez plus le choix de vous taire, sauf si vous acceptez de vous couvrir de pustules vertes et mal-odoriférantes, et de faire peur aux enfants dans la rue.

On notera, poursuivant notre petit parallèle ludique, qu'au moins, lorsque les communistes accusaient leurs adversaires de faire le jeu de la droite, il y avait en effet une droite, et qu'elle savait être agissante. Mais le fait que l'extrême-droite qu'ils brandissent soit inexistante, ou en tout cas totalement inopérante, ne gêne nullement les gardiens du dogme : dans ces histoires de credo, c'est imaginaire contre imaginaire – et que gagne la tête la plus dure, la bêtise à front de taureau : le dieu mort reconnaîtra les siens.

Quel sera le prochain fabliau – car, dans mes moments d'optimisme, je me dis que celui-ci passera comme l'autre – qui fera frétiller les chrétiens-sans-dieu ? Nul ne peut le savoir, s'il n'est prophète ou à la rigueur écrivain de génie. Mais j'espère être encore de ce monde lorsque pointera son mufle. Pour rire encore une fois avant d'avaler mon petit credo à moi.

lundi 26 avril 2010

Didier Goux reconquiert l'Occident, tout seul avec ses petits doigts boudinés

La pédophilie fut-elle progressiste et homosexuelle ?

À l'occasion de la mort de Jean Le Bitoux, fondateur du Gai Pied,
François Miclo nous pose la question.

On retourne dans les langes

On redevient bébé, on ré-infantilise à donf, ça va gazouiller velu à partir d'aujourd'hui ! Sur la suggestion d'Olivier P (un foutu réac, celui-là, avec ses idées de retour aux sources, j'aurais pas cru pourtant...), ce blog reprend le nom qu'il avait dans ses commencements – merveilleuse régression qui n'est pas pour me déplaire, on s'en doute, repliement sur les minimas cher à Maurice Barrès. Va-t-on pour autant renouer avec toutes les ingénuités de l'enfance ? Ses bavochements d'innocence ? Franchement, ça m'étonnerait. Je sens qu'on va prendre un plaisir certain à casser tous les jouets et à régurgiter son lait en poudre sur la jolie blouse de maman. Je vais vous passer l'envie d'aimer les poupons, vous allez voir...

dimanche 25 avril 2010

Didier Goux exagère

Je me souviens que la bannière de mon premier blog – qui a défunté en novembre 2007 pour céder la place à celui-ci – s'ornait d'une photo représentant Babar, lequel agitait un drapeau français du bout de sa trompe. Et on y lisait la phrase suivante : « Toi qui entres ici, abandonne à la porte tout espoir de sérieux », ou quelque chose d'approchant. J'aurais peut-être été bien inspiré de conserver cette devise.

Car à chaque fois que je me lance dans un billet “imprécateur”, il se trouve des commentateurs pour, en toute bonne foi, me dire qu'ils seraient plutôt d'accord sur le fond, mais que non, tout de même, j'exagère. Mais bien entendu que j'exagère ! Toujours. Exprès. Avec une certaine jubilation même. Dans chaque billet de ce type – et dans pas mal d'autres aussi, d'ailleurs –, le sérieux du propos n'implique jamais, en tout cas pour moi, une retenue de la forme : une certaine théâtralisation est préservée – la part dévolue à Guignol, si l'on veut, aux grimaces par derrière et aux coups de bâton excessifs. Je ne tiens pas à faire celle des choses, en revanche. Ni à aménager le vivre-ensemble de la chèvre et du chou : le chou je lui rentre dedans dès que l'occasion s'en présente, et chèvre c'est ce que j'espère toujours un peu que le passant deviendra, à me lire. Simplement parce que, s'il m'est agréable que l'on soit d'accord avec moi sur tel sujet ou un autre, je trouve beaucoup plus jubilatoire de vous mettre en colère – je sais, c'est un peu infantile. Et, par-dessus tout, j'éprouve un plaisir trouble à détruire moi-même mon argumentation par un coup de grisou final, de manière à empêcher par avance toute esquisse de débat. Est-ce que Guignol débat avec le gendarme ? Non, bon, alors ?


P.S. : je me demande d'ailleurs si je ne vais pas rebaptiser ce blog : Didier Goux exagère. Qu'en pense-t-on dans Landernau ?

samedi 24 avril 2010

Réponse à Hermès aux pieds lourds



« C'est étrange: Parfois vous parlez superbement pour dire des choses intelligentes. Et parfois votre texte sue l'écriture rance pour ne pas dire grand chose... sauf pour ressasser un monde perdu, qui sent le vieux,le confiné, le misanthrope.Je n'aime ni le politiquement correct ni son inversion systématique. Mais qu'importe ce que j'aime ou pas. Ne tombez pas dans le "toujours plus", retrouvez cette mesure critique qui vous sied et qui porte du sens. Une colère aigrie n'est rien. Oui, Céline, etc. Rien que du vieux. Ne vous rapprochez pas de l'hospice. »

Voilà ce que m'écrit Hermès, en commentaire de mon billet d'hier. Il perd évidemment son calme. D'une part je ne parle jamais "superbement" et je ne pense pas dire souvent des choses "intelligentes". Mais on aura bien compris qu'il s'agissait là d'un coup de brosse à reluire tactique et machinal destiné à amener la suite. La suite, c'est mon écriture rance. Qui, naturellement, ne dit rien. Ou qui ressasse. Elle ressasse quoi, mon écriture rance ? Un monde perdu, forcément. On suppose que le monde d'Hermès est gagné, lui. Et, bien entendu, lorsque le sien sent la rose, de monde gagné, le mien sent le vieux, le confiné, le misanthrope.

Naturellement, ce billet n'a pu être dicté que par une colère aigrie. Pour Hermès, à qui il arrive d'être intelligent, voir son pays recouvert par cette vague islamiste et tiers-mondiste, se méfier de cette violence animale et primaire qui gagne, refuser de tirer un trait de plume sur plus de mille ans de civilisation, ne pas accepter de retomber de Notre-Dame de Chartres à l'arbre à palabres, c'est forcément être mû par une colère aigrie.

Soit. Je suis en colère et je suis aigri – si cela vous fait plaisir. Voyez-vous, mon bon, je suis même prêt à prendre ce risque majeur de me fâcher avec mes meilleurs et mes plus vieux amis, s'ils n'acceptent pas ce que je dis – même si j'en serais le premier triste. Rester seul, passer pour ce que vous voudrez, même un monstre : mais ne jamais abandonner mon pays, ne pas tourner le dos à mes parents, grands-parents, et les autres avant eux que je n'ai jamais connus.

Et je vais le répéter, calmement mais fermement : je ne veux pas de tous ces gens chez moi, même si je comprends très bien pourquoi ils sont venus et si (ma vie passée l'a prouvé) je me suis entendu merveilleusement avec eux. Et je vomis absolument sur ces petits trous du cul modernants, les Céleste, les Oh ! Machin, les Rimbus de tous horizons, dont j'espère, le jour de notre défaite finale, inéluctable je le crains, être encore vivant pour assister à leur égorgement en direct.

Mais voyez-vous, je reste malgré tout optimiste, mon cher Hermès. Je connais des gens d'à peine trente ans qui ont bien compris dans quel monde ils vivaient. Et qui détestent encore plus que moi les vieillardes gauchistes dont nous espérons tous que le cancer va les emporter au plus vite. Et ils ont, au profond, quelque chose de combatif.

À propos de Philippe Muray


Ce matin, dans son émission de France-Culture, Répliques, Alain Finkielkraut s'entretenait avec Fabrice Luchini de Philippe Muray – lequel manque chaque jour davantage et plus cruellement aux esprits qui tentent de rester éveillés. Et de rire encore au milieu des ruines.

vendredi 23 avril 2010

La valise ou le cercueil : vous vous souvenez ?

Ah, il est très fort, notre petit Nicolas, pour occulter ces fameux “vrais problèmes” qui titillent tant et tant nos petits amis de gauche (ou de droite d'ailleurs) et qui nous amusent si fort, Suzanne et moi ! C'est pratique, les “vrais problèmes” : tout le monde a les siens, qui ne sont jamais les mêmes que ceux du voisin. Pour Maurice, c'est les retraites, pour Robert le chômage, pour Huguette son caddie chez Leader Price et pour Kevin la prochaine fête de la musique. Sans parler des “vrais problèmes” de Mohammed : le racisme et les Nike.

Bref, Nicolas nous a ressorti la burka. Il va faire une loi, Nicolas. Tout seul, avec ses petits doigts agiles. Dès demain matin, il va nous envoyer des escouades de chaussettes à clous dans nos enclaves musulmanes, lesquelles (les escouades) vont défringuer d'autorité toutes les aliénées dont ils croiseront la route : va y avoir du sport. Dans les faits, tout le monde a bien compris que la nouvelle loi restera lettre morte et que, avec la complicité active du même petit Nicolas, on continuera à faire entrer ici, chaque année, plusieurs centaines de milliers de crève-la-dalle inutiles afin de continuer à faire baisser les salaires pour la plus grande joie du patronat.

Mais enfin, on aura la loi anti-burka. Ça fera causer les petits Nimbus, Mademoiselle S nous régurgitera ses entrailles, et Houria Machin-Truc continuera à nous traiter de souchiens en toute quiétude. Et tout le monde s'interrogera gravement pour savoir au nom de quoi, grands dieux, on pourrait empêcher des gens de s'habiller comme ils le désirent. Et c'est vrai que, présenté comme ça...

Sauf qu'il faudrait peut-être songer à présenter les choses autrement. Oublier cinq minutes ces conneries de droits-de-l'homme et songer à une véritable démocratie. Juste ça : demander aux gens ce qu'ils veulent et ne veulent pas. Et se foutre du reste. C'est vilain, d'interdire la burka ? On s'en branle, on l'interdit quand même ! Vous n'êtes pas content ? On est des ignobles racistes ? Cassez-vous, puisqu'on ne vous aime pas et que vous ne nous aimez pas davantage ! Je suis désolé d'avoir à l'apprendre aux plus agréables d'entre vous, mais le fait est là, patent : en dehors de trois plumitifs appointés à Rue 89, personne n'a envie de supporter plus longtemps vos jérémiades ni vos exactions. En plus, on n'est même pas raciste, c'est vous dire ! Vous êtes aussi intelligents que nous (pas difficile), et nettement plus combatifs (encore moins dur). On vous accorde le droit de faire ce que vous voulez où vous voulez, mais pas ici, not in my backyard. Coupez des mains, lapidez des bonnes femmes un peu folles de cul, égorgez des relaps, amusez-vous, soyez festifs : on s'en tape. On vous accorde le droit de vous torcher la queue dans les rideaux, mais seulement dans VOS rideaux, capito ?

Ah, mais je vous entends : « On est né ici, on vit ici, on ne peut pas nous chasser ! » Ah oui ? Faites gaffe, quand même. Souvenez-vous d'Isabelle de Castille et de Ferdinand d'Aragon. Je sais bien que je vous parle d'une époque où les Européens étaient encore du genre Duas habet et bene pendentes. Mais rapprochons-nous dans le temps. 1962 : la valise ou le cercueil, vous vous souvenez ? Vos pères et grands-pères progressistes ont applaudi des deux mains lorsque le FLN a sorti ce merveilleux slogan de ses tiroirs. Et pourtant, ceux qu'on appelait les Pieds Noirs, ils étaient nés là, et leurs pères aussi. Ils ont tout de même fait leurs valises en 15 jours et retraversé la Méditerranée.

Et, la Méditerranée, ça se traverse dans les deux sens, vous savez.

Drogo, appelez-moi Drogo

Je ne sais si cela tient au fait d'avoir banni toute viande de boucherie de notre alimentation, mais ma vie ressemble de plus en plus à un Désert des Tartares. Ma vie professionnelle, s'entend, car pour mon existence conjugale, elle demeure un vaste jardin aux mille fleurs parfumées (Catheriiine ! Il reste de l'apéro pour ce soir ?). À part une bricole qui m'attendait ce matin, je n'ai rigoureusement rien fait d'autre – sauf nettoyer mon bento par le vide – qu'attendre le travail, les yeux braqués sur la ligne imprécise de brume de la rédaction en chef. Et que dalle ! Pas un ennemi en vue ! Rien que le soleil qui poudroie et les folliculaires qui merdoient. Le pis est que j'ai divers travaux personnels que je pourrais très bien mettre en chantier. Mais rien à faire : au bout d'un moment, l'hébétude s'installe, l'attente devient une occupation à part entière – et terriblement fatigante. Je pourrais aussi m'offrir un deuxième tour des blogs, tel un môme au manège ayant attrapé la queue du mickey, mais ce serait un coup à m'achever. Déjà, il y a une demi-heure, je me suis surpris à lire L'Express. Vous vous rendez compte du degré de désespérance du bonhomme ? Après ça, on viendra s'étonner que, retour de Levallois, l'écrivain en bâtiment ait une nette tendance à s'adonner à la boisson, voire à tomber dans le fort.

Et l'ennemi est là !
Je ne serai pas héros...

jeudi 22 avril 2010

Alors, ça biche, mes agneaux ?

Souris, Côtelette et Haricot : c'est ainsi que se nomment les trois agneaux que Nathalie, la sœur de l'Irremplaçable, vient d'accueillir chez elle, en Franche-Comté. Je ne sais pas lequel des trois est Souris, mais une chose est cependant certaine, le concernant : il est voué à terminer dans nos estomacs, puisque c'est pour nous que Nathalie va l'élever. Pour l'instant, ces trois futures daubes semblent avoir adopté comme mère le cerf en mousse qu'Éric, le mari de Nathalie, utilise comme cible de tir à l'arc. Ce qui tendrait à prouver que le mouton est un con.

Lorsqu'on ira le chercher, d'ici quelques mois, Souris sera en morceaux et prêt à la cuisson. Heureusement car, si nous avions dû le ramener vivant, il est à peu près évident qu'il serait mort de vieillesse. Et que nous aurions continué à bouffer des légumes.

mercredi 21 avril 2010

21 avril : joyeux anniversaire, mon Lionel !

Il y a huit ans, souvenez-vous, c'était le No Jospinou Day. Lequel, contrairement à sa pâle copie d'il y a quelques semaines, avait remporté un incomparable succès populaire. Il était huit heures très précises lorsque l'orgasme électoral nous a brusquement ravagé les intérieurs. C'était clair et net : les Français refusaient le clystère qu'on avait essayé de leur refourguer. Et ces sales gros cons de beaufs nauséabonds d'électeurs n'avaient même pas eu la décence d'attendre le second tour pour prononcer leur verdict, refusant au triste frisotté, dans un grand éclat de rire sanguin, la consolation d'une défaite honorable, démocratique et citoyenne. Non, non : la déculottée publique, franche et massive ! Qu'il remballe fissa son petit programme-même-pas-socialiste et qu'il aille exercer en cuisine son droit d'inventaire de foireux majuscule !

Ah, ce qu'on a ri ! Par charité, je passerai sous silence les réflexions peu charitables que nous avaient alors inspirées les visages ravagés des madones sanglotantes, lorsque les caméras de TF1 avaient fouillé les entrailles de la rue de Solférino. Mais le rire n'en était qu'à ses balbutiements...

Car, dès le lendemain, les Bernadette Soubirous éplorées s'étaient muées en d'implacables Rosa Luxembourg – Louise Michel bien nourries offrant leur mamelles tentantes en barrage au mufle du fascisme. De fascistes, nous ne vîmes pas un seul, durant ces deux semaines de foire, mais nous ne manquâmes pas de Jean Moulin pour nous débiter leur petite farine. Ce fut la grande chaîne de la fraternité inutile, les militantes acnéiques du jour donnant la main aux vieillardes gauchistes, exténuées de combats rêvés puis perdus. Enfin, ayant assez arpenté les chaussées et les trottoirs, on se rangea sagement à l'avis des états-majors, lesquels s'égosillaient au sursaut contre la bête rampante qui relevait la tête (pas confortable comme position : essayez, rien qu'une minute).

Et c'est ainsi que l'on put voir, par un beau dimanche de mai, tous nos petits amis citoyens, de gauche comme de droite, s'aligner en silence et bon ordre à la porte des bureaux de vote, le rouge au front et le bulletin Chirac à la main, s'appliquant à être le suivant de celui qu'ils suivaient.

Au suivant !... Au suivant !...

mardi 20 avril 2010

Lave story


Pour l'instant, on prend encore tout cela plus ou moins à la légère. Certains – dont je confesse faire partie, à ma grande et courte honte – trouvent même qu'il y a de quoi rire dans les mésaventures vulcanoïdes d'Homo touristicus. En tout cas, on n'ira pas se recouvrir la tête de cendres en imaginant les théories de familles hagardes, en shorts à fleurs et cousues d'enfants cramoisis d'énervement, qui peuplent actuellement ces immenses morgues que sont les aéroports internationaux – fantômes charnus et suants, tout étonnés de flotter dans les limbes vaguement inquiétantes qui séparent leur camp de vacances “tout compris” de leur zone pavillonnaire inondable. On n'ira pourtant pas jusqu'à se féliciter du calme tout momentané dont peuvent enfin jouir les riverains de Roissy et autres lieux aéroportuaires, sauf s'ils sont installés là depuis plus de trente ans : les autres ont choisi – au moins accepté – de venir s'installer en bordure d'enfer de leur plein gré.

Seulement, imaginons que le gros furoncle islandais persiste à donner du souffle : combien de véritables drames, alors ! Plus d'avion pour les six mois à venir, vous vous rendez compte ? Comme dans une nouvelle de Cortàzar, des gens bloqués une demi-année dans leur aéroport de transit ! Et au retour tant espéré : « Tiens, salut Étienne ! Comment va depuis le temps ? Dis donc, au fait, cette année, ma femme et moi, on a fait l'aéroport de Tunis : ça te dirait, une soirée diapos, un de ces quatre ? »

Et les petits Indiens ? Ces petits garçons z'et filles aux grands yeux confiants et au sourire si doux, qui ne vivent que dans l'attente de la manne que va faire pleuvoir sur leur innocence Maman Céleste ? Nib ! Plus de manne, plus de Céleste ! Pour elle, ce n'est encore pas trop grave : elle pourra toujours aller déverser son implacable bonté au camp d'hébergement pour clandestins tout proche. Mais eux, les grands yeux confiants et les sourires si doux ? Tiens, je préfère n'y pas penser, ça me fait trop mal.

Je ne dirai rien non plus des petites Thaïes qui guetteront en vain dans le ciel (de leurs grands yeux confiants) les gros avions venus de Francfort, Liverpool ou Cincinnati, tout remplis de devises aux noms bizarres mais immédiatement convertibles en roupies de sansonnet locales, en échange de quelques privautés mécaniques. Des drames, des drames en cascades, vous dis-je. Le plus poignant étant peut-être celui de ces sémillants séminaristes, qui attendaient avec ferveur et frémissements de partir pour Rome afin d'y passer leur examen de pédophilie active, dernier saut d'obstacle avant leur accession à la prêtrise, et qui devront patienter une année de plus, au risque d'une irrémédiable perte de vocation.

Et il y a tous les autres. Les alter-mondialistes contraints de se rassembler à Garches plutôt qu'à Porto-Trucmucho ; les difficultés d'approvisionnement des dealers de proximité ; les citoyens du monde reclus dans les limites de leur département ; les découvreurs de l'Autre ; les excités de l'Ailleurs ; les embrasseurs de cultures authentiques...

Je préfère m'arrêter là : voir le monde basculer dans le noir et blanc, sinon le sépia, vraiment il n'y a pas de quoi rire.

lundi 19 avril 2010

Comment je n'ai pas écrit ce billet de blog

À quoi bon insister ? Quand ça ne veut pas rigoler, n'est-ce pas... Il y a plus d'une heure que je m'escrime sur ce billet que je veux écrire depuis hier soir, à propos d'Emma, et plus généralement de Jane Austen, dans laquelle je me suis replongé – si l'on me permet de m'exprimer de la sorte. Oh ! ce n'est pas que je manquais de choses à dire, à propos de cet écrivain que je me sens toujours un peu coupable d'aimer à ce point, tant sa lecture m'est facile et délicieuse. Non, non, j'en avais des tas, au contraire !

Je voulais dire à quel point me ravissait cet art porté à son sommet d'organiser le vide des conversations en un tournoiement de bal ; j'aurais eu quelques aperçus d'une extrême acuité sur sa manière parfaite de recréer, à chaque fois, un petit monde parfaitement autiste et se prenant pour la quintessence de l'univers ; j'aurais brillamment discouru sur l'humour tranchant mais toujours exempt d'ironie – et j'en aurais même obligeamment fourni trois ou quatre exemples, “pris au hasard” comme il se doit dans ces cas-là ; je me serais à coup sûr autorisé une rapide digression sur l'importance et la rigidité des castes sociales, mais j'aurais attiré votre attention sur le fait qu'elles ne sont encore qu'une armature, et qu'il faudra attendre Thomas Hardy pour qu'elles se métamorphosent en ce carcan qui broie Jude l'Obscur ; peut-être me serais-je risqué jusqu'à montrer que le génie de Miss Austen n'est jamais aussi haut que lorsqu'elle s'emploie à arracher les masques de ses personnages, sans pour autant que leurs conversations ni leurs attitudes ne fassent la moindre embardée hors des conventions qui les commandent ; enfin, j'aurais essayé de montrer que l'intrigue de chacun de ses romans – ceux que j'ai lus en tout cas – n'est jamais rien d'autre que l'exposition et la mise en œuvre des rites exogamiques et pleins de dangers de telle ou telle tribu du sud de l'Angleterre.

Mais rien n'est venu, tout se délitait à mesure que je l'écrivais, les phrases semblaient prendre un malin plaisir à ne pas vouloir s'arrimer les unes aux autres – et j'ai tout mis à la poubelle. Voilà pourquoi vous n'aurez aucun billet à lire ici aujourd'hui, et resterez aussi ignares que vous le fûtes hier, pour ce qui concerne ce génie magistral et souriant qu'est Jane Austen.

dimanche 18 avril 2010

Faut que je fasse toute icitt, hostie de ciboire !



Tout à l'heure, partant pour la messe de Pacy en me laissant à charge une cocotte sur le feu et une cuisine en bordel, l'Irremplaçable a eu cette phrase douce mais définitive : « Tu t'occupes du matériel, je me charge du spirituel ! »

Oui, bon, d'accord ma chérie, très bien, pas d'souci. Mais j'aimerais tout de même qu'on m'explique une chose : pourquoi sont-ce toujours les mécréants qui se retrouvent de corvée de pluches ? Et ne serait-on pas là dans une tentative de conversion insidieuse ?

Toujours est-il que – j'ai testé pour vous – faire la vaisselle et ramasser les miettes jonchant la table du petit-déjeuner en écoutant le double concerto pour violon et violoncelle de Thierry Escaich s'est révélé une expérience pour le moins déroutante – le cervelet à flux tendu.

Je vous laisse, il faut que j'aille surveiller la dinde dans sa cocotte. Consigne stricte : laisser réduire à feux doux entre le Sanctus et l'Agnus Dei...

samedi 17 avril 2010

Vol au-dessus d'un double nid de blogo-coucous

Depuis quelques jours (ou semaines : le temps passe si vite, à nos âges...), j'ai une nouvelle lectrice, d'un type pour moi tout à fait inédit. Appelons-la Mildred.

Donc, Mildred passe par ici très régulièrement, au minimum une fois par jour, lit avec attention ce qui est proposé à son entendement et se forge un avis autorisé. Ensuite, elle se fend d'un commentaire pour exprimer cette opinion. Opinion volontiers sarcastique, ce qui est son droit le plus élémentaire. Jusque-là, rien que de très courant, n'est-ce pas ?

Sauf que notre Mildred, demeurant toujours silencieuse ici, s'en va livrer le dit commentaire sur un autre blog que le mien. Chez un brave garçon – lui-même lecteur de ce blog – qui n'en peut mais. Lequel, par gentillesse ou indulgence ou parce qu'il sait que cette étrange façon de se comporter fait partie du protocole thérapeutique de la dame, la laisse obligeamment déposer ses œufs dans ce nid où il n'ont pas leur place. Le drôle de l'affaire est que, s'il m'arrive de vouloir répondre aux persiflages de Mildred, je suis bien obligé à mon tour d'aller le faire chez notre hôte forcé.

Car Mildred persifle, et plus souvent qu'à son tour. Elle semble même y prendre un réel plaisir, ce dont je me félicite à chaque fois, car ce n'est pas si souvent qu'on a l'occasion de faire jouir les dames. Peut-être espère-t-elle me voir sortir de mes gonds ? Me rouler par terre en bavant ? Je ne sais. Un de ces jours, je vais feindre la colère éructante. Pour voir.

vendredi 16 avril 2010

Amarcord défendant

Je n'aime pas Fellini. Fellini m'emmerde, profondément. Ses chefs-d'œuvre m'assoupissent de façon immanquable. Ses “délires” et ses “ambiances de fête” me plongent chaque fois dans des abîmes d'ennui, quand ce n'est pas de tristesse : ça s'agite sur l'écran et j'attends que ça se termine – toujours.

Pourtant, je me souviens être allé voir Amarcord à sa sortie, dans je ne sais plus quel cinéma d'Orléans – avec Denis, et peut-être Carlos, mais de Denis je suis sûr. Et j'avais ri, et j'avais aimé, mais j'avais 18 ans, alors...

Amarcord passe ce soir sur l'une des chaînes mises gentiment à ma disposition par je ne sais qui. Comme il commence à neuf heures moins vingt et tous les autres films (dont pas un vraiment désirable) à neuf heures, je vais accorder à Fellini une dernière chance de vingt minutes.

Être un artiste mort doit être bien pénible, si on s'en trouve réduit à cela : qu'un homuncule blogosphéreux daigne vous accorder vingt minutes de révision de procès – et pas une de plus.

Ça grandit vite, un bouvier bernois...

Elstir fait désormais la même taille que Swann. Du coup, Bergotte tire la tronche.

(Je sais bien que cette photo aurait mieux trouvé sa place chez les gâteux, mais j'fais c'que j'veux.)

jeudi 15 avril 2010

L'Âge des ténèbres : légères révisions de jugement

Deuxième vision de ce film de Denys Arcand, L'Âge des ténèbres, dont je crois bien avoir donné ici, il y a quelques mois, un avis en demi-teintes. J'aurais tendance à réviser mon jugement à la hausse, même si je persiste à trouver tous les passages “oniriques” superflus, ou au moins trop appuyés, notamment vers la fin.

La fin, du reste, est ce qui pèche. Durant les dix dernières minutes, on se croirait presque dans un film de Bertrand Blier, tant Arcand semble soudain incapable d'en finir : les conclusions se succèdent, trois, quatre... Au point que, comme Ludovic le faisait justement remarquer, Arcand en vient à commencer un autre film, tellement il ne sait plus comment conclure celui qu'il vient de faire.

Néanmoins, il s'agit d'une œuvre forte, sombre, glaciale, tranchante, parcourue de bout en bout (sauf la fin, encore une fois) par un ricanement de tête de mort. Mais, pour autant, il ne s'agit pas d'un film réactionnaire. Dans la tonalité générale de cet Âge des ténèbres, un motif réactionnaire (c'était-mieux-avant) sonnerait encore comme une note fausse et joyeuse. Et ce qui nous interdit de céder à cette pente douce, c'est l'épisode à peu près central – mais tout de même décalé vers la conclusion – du tournoi moyenâgeux. Scène burlesque, volontairement outrée et trop longue, mais indispensable pour amputer tout le monde de toute velléité d'espoir. On peut déplorer ce monde, il est naturel que l'on en souffre – comme de son cancer futur, complaisamment mais froidement décrit au personnage central —, mais il est hors de question de l'annuler au profit de celui qui s'est effacé devant lui. Déplorer le passé serait revenir aux tournois de chevalerie qui, eux-mêmes, étaient déjà des combats “pour rire”. Et si on se mêle d'y revenir en effet, les armures se mettent à sentir la boîte de conserve, à sonner comme elle. Et la dame pour qui l'on se bat – dans une scène gesticulante et farcesque qui nous ramène à Chaplin, origine du cinéma comme la chevalerie l'est de l'Occident – n'est plus rien d'autre que de la chair à psys, une pauvre illuminée dont la prise sur le réel est peut-être encore moindre que celle de la mère de Jean-Marc Leblanc, que sa maladie d'Alzheimer plonge dans un silence incompréhensif, d'une intensité pénible.

Car il s'appelle bien entendu Jean-Marc Leblanc. Sa malédiction s'origine dans son état-civil, et aussi dans ce visage qui ne peut plus exprimer quoi que soit, alors que celui de sa mère est d'une furieuse intensité de douleur. Il est Leblanc. Ses seuls amis sont un nègre (ce n'est pas moi qui emploie le mot, mais eux-mêmes) et une lesbienne, qui, écrasés par les mêmes forces mécaniques, finissent eux aussi par devenir des Leblanc comme les autres : c'est l'assimilation terminale. Le nègre a encore la force de “se taper la femme blanche”, mais c'est à la suite d'un speed dating grotesque et morne, et elle est elle-même déjà morte (une sorte de Leblanc au carré), et on sent bien que lui-même n'en a plus pour longtemps : il est encore plus ou moins un souvenir de brousse, un parfum de savane, mais presque entièrement happé, déjà, par le gouvernement provincial du Québec dont il fait désormais partie, telle une métastase rendue inoffensive dans un organisme immunisé contre tout. Il ne sera plus nègre très longtemps : on lui apprendra rapidement à rire selon la technique des voyelles, internationalement reconnue.

J'ai parlé de Chaplin à propos du burlesque de la scène médiévale. Il réapparaît à ce qui aurait pu, aurait dû être la vraie fin du film, sept à huit minutes avant celle qui nous est proposée. Jean-Marc Leblanc sort de sa maison après avoir dit son fait à sa Desperate housewife hyper-battante, et part sur la route, vers l'horizon. Sauf qu'il n'y a pas d'horizon, bouché qu'il est par les pavillons cossus de cette sorte de Wisteria Lane montréalais. Et qu'il n'est pas filmé à hauteur d'homme, mais écrasé par une caméra surplombante. Et qu'on a compris depuis déjà longtemps qu'il fera la route seul, parce que le temps des Paulette Goddard est bien passé, les temps modernes sont derrière nous

Les Mémoires d'outre-tombe ? C'est pas dans la Manche...

Hier soir, l'excellent Clotaire Lothaire terminait son commentaire de mon précédent billet ainsi : « En attendant, je bois à votre santé et je termine les Mémoires d'outre-tombe. » Voilà bien un point que je crains de n'avoir jamais en commun avec lui. Non pas boire à ma santé, ce que je fais assez couramment, mais terminer les Mémoires d'outre-tombe.

Il y a deux livres que j'ai lus trois ou quatre fois chaque, sans jamais en connaître la fin ; ce sont précisément les Mémoires de Chateaubriand, mais aussi le Quichotte de Cervantes. Je ne sais pourquoi, alors que leur lecture m'empoigne, je les abandonne immanquablement avant la fin. Et toujours à peu près aux mêmes endroits : Don Quichotte quelques dizaines de pages après le début de la “suite”, et les Mémoires d'outre-tombe peu après la chute de Napoléon. Naturellement, lorsque quelques années plus tard l'envie me ressaisit de l'un ou de l'autre, je reprends tout da capo, persuadé que, cette fois, je ne boirai pas la tasse au milieu du gué – et chaque fois, si. Peut-être faudrait-il que je me décide enfin à reprendre ces deux livres en leur milieu. Juste à l'endroit où une croix sur un tumulus me signale le lecteur tombé au champ d'honneur que je fus lors de mon précédent passage.


J'ai choisi cette illustration car trouvant que Nicolas 1er avait fière allure sur son âne ; aussi parce que c'était vraiment très gentil de sa part, de m'accompagner dans ma quête d'un bistrot fermé.

Et vas-y que je te reprends goût à l'existence !

Il y suffit d'un déjeuner.

mercredi 14 avril 2010

Les blogs, c'est déjà la fin du monde – et c'est une chance

J'aimerais bien, une fois au moins, écrire et publier un billet avec lequel personne ne serait d'accord. Vraiment personne. Partant des plus cons de mes lecteurs occasionnels jusqu'à mes amis les plus intimes. Rien, pas un. L'unanimité absolue. Une sorte de billet d'après l'homme, tel que vous m'en offrez l'image. Si j'y parvenais, il me semble que j'approcherais alors de la vérité ; un semblant de vérité, quel que soit le sujet. Au début que je bloguais (c'est français, ça ?), j'étais très content d'agacer Pierre, Paul ou Jacques. En réalité, j'aimais surtout quand les filles s'énervaient contre moi : il y avait de l'adolescence mal digérée, là-dedans ; un parfum de revanche, un arrière-goût de...

De quoi ? Un arrière-goût, sans plus. Une parade. L'impression de les tenir. Comme on serre les cuisses pour maîtriser son cheval. Une facilité d'arrière-vie, peut-être – sûrement.

Il ne sert à rien d'agacer qui que ce soit : ce sont toujours nos propres dents qui grincent. Or, pendant ce temps que l'on perd, il reste des livres à lire, à tenter de comprendre ; et des musiques à écouter, à essayer d'entendre. Sans doute aussi à voir des tableaux et des paysages, mais là...

Le blog est une invention terminale (au sens “terminus” : le fracas de la locomotive contre son butoir). Il est le ricanement dernier d'un monde sans Dieu, et même sans dieux, celui où chacun peut coasser à perte d'oreille – le cul de basse fosse de la sottise commune qui a enfin réussi à prendre le pouvoir, et qui s'esbaudit d'aise en s'observant soi-même : le panda restera seul, et il ne se souviendra pas de nous.

Le blog est notre dernière invention avant l'insignifiance immobile et roide. C'est-à-dire avant la mort générale et sans espoir de résurrection des corps – c'est l'ultime ricanement travesti en joie.

mardi 13 avril 2010

Le cardinal et les petits cons progressistes : match nul

Ah, c'est merveilleux ! Aussi sublime que deux pauvres rivières se rejoignant pour former un fleuve majestueux. La connerie a ce pouvoir, elle est ce flot qui balaie tout, qui emporte, qui aveugle, qui noie.

À ma droite, le cardinal Bertone. Qui affirme que “des” psys (l'Église s'abritant derrière ces pauvres déboussolés bavant de sottise roide que sont les psys : beau début de déliquescence post-moderne !) lui ont affirmé l'existence d'une corrélation entre homosexualité et pédophilie. À ma gauche, la progressiste pride des petits athées modernants qui, depuis toujours, depuis des semaines, professent doctement que si les prêtres pouvaient enfin se marier (ils y tiennent beaucoup, nos petits athées, au confort sexuel des prêtres catholiques, allez savoir pourquoi...), il y aurait sans doute moins de pédophiles parmi leurs légions.

Inutile de leur faire remarquer qu'ils disent exactement la même chose que le cardinal précité. Ni que les professeurs de l'Éduc' Nat' ont droit au mariage et que la pédophilie fait pourtant parmi eux les mêmes aimables ravages que dans n'importe quelle profession impliquant le contact avec des enfants. Et ne venez pas leur dire, surtout, que quand un instit' est pris à tripoter ses ouailles laïques, on se contente depuis toujours de le changer d'académie : ils n'aimeraient pas.

Personnellement, tout cela m'amuse beaucoup : ce doit être mon côté “monstre multi-fonctions”. Il me manque à coup sûr des cases dans le cerveau, ce qui explique sans doute que la pédophilie (au sens atrocement moderne où vous l'entendez) ne me choque pas plus que ça. J'ai beau me morigéner, me donner mentalement de grands coups de pompe dans les couilles, je ne parviens pas à saisir en quoi un gamin (ou une gamine) serait plus traumatisé par une petite branlette ou un tiers de doigt dans la craquette, au sortir du gymnase, de la classe d'histoire-géo ou du confessionnal, que par le poids de culpabilité hystérique et d'ennui pleurnichard que fait chaque jour peser sur lui (ou sur elle) sa mère monoparentale, ou ses deux papas dont l'un se fait appeler maman. Ou tonton. Ou Robert. Il doit vraiment me manquer quelques cases. Je vais consulter, promis.

lundi 12 avril 2010

À la télévision comme ailleurs, la tolérance fait rage

C'est une sorte de rituel quotidien, Catherine et moi appelons ça : “La recherche du chef-d'œuvre”. Quête déçue quatre soirs sur cinq, puisqu'elle consiste à trouver un bon film à regarder à partir de neuf heures moins vingt. Ce soir, on touche au sublime. Si l'on élimine les daubes certifiées des chaînes “tous publics” : Joséphine ange gardien, Les Sous-doués, etc., les films possibles mais déjà vus trois fois et les émissions-de-télé proprement dites, que je ne supporte plus depuis lulure, notre choix, en ce lundi, est le suivant :

- L'objet de mon affection, comédie américaine. Le pitchounet : Une jeune femme propose à son meilleur ami de vivre avec elle et son compagnon, dont elle attend un enfant. Il va de soi que l'ami destiné à compléter ce ménage à trois (en vue d'un plus grand épanouissement de l'enfant à naître, subodore-t-on) ne saurait être un avocat d'affaires hétéro ni un vitrier abstinent : il s'agit d'un éducateur homosexuel. Vous la sentez bien, la dose de tolérance et de respect-de-l'autre qui s'en vient ?

- Le plus beau des combats, comédie dramatique américaine. Résumé : Au début des années 70, dans le Sud des États-Unis, l'entraîneur noir d'une équipe de foot doit composer avec le racisme ambiant. C'est Denzel Washington qui s'y colle, préposé number one à tous les racismes ambiants. J'aime beaucoup ce syntagme figé de racisme ambiant. Ça donne l'impression que c'est dans l'air, quoi... impalpable mais d'autant plus réel et présent que 'on ne le distingue pas bien... Le racisme ambiant, c'est comme le sucre dans le café, en fait.

- Dans la vie, comédie dramatique française. Le sujet : Une femme âgée juive accueille sa nouvelle garde-malade, musulmane, avec circonspection. Cette dernière va l'étonner. Alors, là, si la “femme âgée juive” est étonnée, elle devrait bien être la seule. Le téléspectateur pas trop profondément assoupi a déjà, lui, comprit de quoi il allait retourner : grâce à la bonté, à la fantaisie, à la philosophie, à la... (liste à compléter selon vos goûts) de la garde-malade musulmane, la vieille sub-claquante et à demi-étouffée par ses préjugés d'un autre temps va enfin découvrir la diversité et l'amour de l'autre, avant de claquer en pleine extase célestienne, noyée dans un grand bain de tolérance parfumée.

Finalement, en relisant plus lentement, en allant balayer de ma lampe-torche des chaînes hautement improbables, j'ai fini par découvrir ceci (et en VO en plus) :

- Les Cent Cavaliers, film d'aventures italien. Il piccionetto : En l'an mille, un village de Castille sans histoires résiste à l'oppresseur maure grâce au courage et à la témérité d'un jeune marchand. Des Espingos sévèrement burnés et chrétiens jusqu'au fond des braies, qui collent une branlée féroce à des Sarrazins aussi fourbes et cruels que couards et suifeux ? C'est bon, j'achète ! mettez ça sur ma note. En plus, il y a Antonella Lualdi – il était temps que je justifie mon choix d'illustration.

dimanche 11 avril 2010

Didier Goux revient d'une journée dans l'monde

Comme c'est curieux, les choses... Comme c'est étrange, la vie... Oui, je sais : ce billet démarre mal...

Mais c'est que je voulais vous entretenir de ma (de notre) journée d'hier : un texte plein de langueur, de bruissements de conversations multiples, avec des plans généraux de la tablée et des plongées assez douces sur tel ou tel protagoniste, comme dans les meilleurs films de Claude Sautet. Bref, revenant de ce déjeuner (fort prolongé) chez des blogueurs que vous ne connaissez pas – et moi non plus avant aujourd'hui –, j'avais dans l'idée de vous en parler. J'avais même un titre sublime, celui-ci : Il ponctue à peu près comme je conduis ma bagnole. C'est du titre, ça, non ? Vous le retrouverez peut-être demain, si je m'en ressens.

Mais dans l'intervalle j'ai dérapé. Le dérapage est à la mode, je ne vois pas pourquoi je m'en priverais. Catherine s'étant repliée (c'est une image) dans le salon-télé, je me suis quant à moi rencoigné dans le salon tout court. Avec une bière (tiens donc). Et d'abord un disque de Philippe Hersant (pièces pour violoncelle), puis Olivier Greif dont je parlais avant-hier, et finalement Gérard Pesson dont je parlais il y a quelques jours (débrouillez-vous pour les liens, ça ne date pas d'il y a six mois...).

Et je me suis fâché. tout seul, comme ça, dans mon coin de salon. Je me suis demandé quel était ce monde de merde, où il était à peu près impossible (j'ai vérifié avant de venir écrire cela) d'acheter plus d'un disque de Greif, deux ou trois de Pesson, quatre ou cinq d'Hersant – et je ne parle pas des autres, y compris de ceux que je ne peux même pas connaître parce que personne ne m'en a jamais parlé.

Pendant ce temps, Jean Ferrat devient un poète immortel, Mick Jagger le musicien emblématique du XXe siècle, Michael Jackson l'artiste absolu. Vous rendez-vous compte à quel point ce que je viens de dire est un crachat absolu à la face de l'art, ou même du simple bon goût ? Est-ce que vous comprenez que les trois noms que je viens de citer renvoient immédiatement au néant ? Voyez-vous que vous n'avez jamais écouté de musique, lu de poésie, même visionné de film ? Et comprenez-vous pourquoi, moi qui me sais d'assez médiocre intelligence, votre simple satisfaction d'être juste ce que vous êtes parfois m'énerve ?

L'association des racistes anonymes, vue par Dieudonné



Puisque c'est dimanche, autant sourire un peu...

vendredi 9 avril 2010

Que les morts enterrent les morts mais au violoncelle et au piano

Je sais bien. Je sais que je devrais m'abstenir de parler de la musique (de “parler musique”, en français d'après). je sais que je vais probablement dire des conneries et que, à raison, Georges va se foutre de moi.

Néanmoins, je vais le faire tout de même – tenter de. J'ai découvert l'existence d'Olivier Greif au travers d'une interview de Philippe Hersant, dans laquelle il disait toute son admiration pour ce musicien, mort à 50 ans – soit plus vieux que Mozart mais plus jeune que Beethoven. J'avais commandé ce disque de confiance et étais bien “tombé”.

La Sonate de requiem est une œuvre d'environ une demi-heure, quatre mouvements, pour violoncelle et piano ; lesquels, en dehors de la clarinette, sont les deux instruments qui m'atteignent le plus facilement – non : le plus directement. Pièce grave, austère et parfois coléreuse, fantomatique et habitée par les morts. Les morts de qui ? À chacun les siens. Il y a là des relents de Primo Levi, des arrière-plans de camps, et aussi, sans doute, des morts plus intimes. Des violences du piano, presque toujours dans les graves, et des stridences au violoncelle – des cris.

Et puis, rapidement, comme s'excusant d'être là, dans le premier mouvement, cette courte mélodie de boîte à musique, avec sa danseuse mécanique tournant sur elle-même. Et, plus loin, cet écho rapidement étouffé de fête foraine, des flons-flons égorgés. Et encore d'autres choses, beaucoup, que je me sens bien incapable de traduire en mots, ici.

Les quatre mains de Ludwig van

Jusqu'à ce matin, neuf heures et demie, j'ignorais absolument qu'il existât, faite par Beethoven lui-même, une transcription de la Grande fugue pour piano à quatre mains. Rappelons qu'à l'origine, cette grande fugue-là devait être le finale du 13e quatuor, opus 130, que le compositeur, de fort mauvaise grâce, consentit à détacher de l'œuvre, sous la double pression à froid du public de la création et de son éditeur. La grande fugue vécut alors sa vie de grande fugue de manière autonome, en s'adjugeant au passage l'opus 133.

Et voilà donc que, tout à l'heure, branché sur France Musique, je découvre dans Le Matin des musiciens l'existence de la transcription, réalisée par Ludwig van un an avant sa mort et baptisée ensuite opus 134. J'eus droit tout d'abord – entre Le Plessis et Meulan, approximativement – à une sorte d'explication de texte faite par le responsable de l'émission (dont j'ignore le nom, ayant pris le bouzin en marche) et les deux pianistes invités qui se chargeaient évidemment de l'illustration sonore des propos. C'était fort intéressant, et aussi un brin saugrenu pour un analphabète musical tel que je le suis. Ensuite, le tandem nous servit l'intégralité de la Grande fugue pour piano à quatre mains.

Eh bien, je puis vous dire que cette version, que je n'irai pas jusqu'à préférer à l'originale, cette version m'a fait exactement le même effet que celle pour les quatre archets, une sensation identique : celle de me trouver en face d'une magnifique monstruosité. Et ne venez surtout pas me demander ce que j'entends par là.

jeudi 8 avril 2010

Ode à la semi-clodo de Pacy-sur-Eure

Retour de Levallois, je me suis arrêté à Pacy, mais à une autre époque que celle de la photo, que j'aurais adoré connaître – mon côté passéiste indécrottable. J'ai acheté cinq bières (mais je ne vous dirai pas lesquelles : on ne va pas retomber dans les discussions d'hier) chez l'épicier divers, et une baguette tradition chez le boulanger pas divers.

Là-dessus, je retourne vers ma voiture, pressé d'aller goûter à mes achats (moins la baguette). Entre la quincaillerie et la poste, je repère la semi-clodo en jogging qui est presque toujours là. Comme toutes ses semblables, il est mal aisé de lui donner un âge. Du reste, je ne pense pas qu'elle soit vraiment clodo (pardon : SDF). Mais enfin, on sent bien que, même si elle dispose d'un trou pour dormir, l'essentiel de sa vie se passe dans les rues de Pacy-sur-Eure. Elle a ce teint plombé des filles qui on bu leur dernier verre d'eau au moment de leur puberté, et encore. C'est bien simple : on dirait Nicolas déguisé en fille (te fâche pas, Gros, je déconne !).

Nous n'avons jamais échangé un mot. Or, là, au moment où je passe à sa hauteur, elle me dit : « On a fait ses courses pour son dîner ? », en exhibant des gencives violacées et des dents à peine visibles. Je me contente d'un sourire pour réponse et, la dépassant, je me plais à imaginer le dîner en question : mes cinq bières versées dans un saladier, et y trempant mes mouillettes. Juste ensuite, je me fais la réflexion que cette femme ne doit pas être si clodo que je le pense, car je ne l'ai jamais vu réclamer la pièce à qui que ce soit, en tout cas pas à moi. Le plus souvent, elle est là, dans la rue principale, même pas assise – juste là, immobile, silencieuse, le regard un peu ailleurs.

Je vais pour fermer sur moi-même la portière de ma voiture lorsque : « Pardon, Monsieur... ». Je la rouvre, elle est là. « Vous n'auriez pas deux euros ? » (De ce ton qui serre le cœur , trop humble, trop préparé au refus, qu'ont les gens qui sollicitent.) Et aussitôt, constatant le luxe insolent de votre serviteur : « Ou quatre, si vous pouvez... ». De cette même voix lointaine et désabusée qui attend le "non". Je lui ai donné trois euros. Non pour couper la poire en deux, mais parce que j'avais trois euros à portée de main. On s'est mutuellement souhaité une bonne soirée.

Pour la suite, j'avoue avoir été coupable d'une mauvaise pensée. De cette mauvaise pensée : « Maintenant que j'ai donné la première pièce, va-t-elle se précipiter sur moi à chaque fois qu'elle me verra ? » Et quand bien même ?

Si ça se trouve, elle s'appelle Violette, ou Virginie, ou Patricia. Elle a sans doute été une jeune fille, et peut-être fort belle. On peut imaginer que j'ai été son prince charmant sur le retour, durant trois secondes, le temps que les pièces passent de ma main à la sienne.

mercredi 7 avril 2010

Maredsous : on a la madeleine qu'on peut...

Hier, poussant le chariot dans le hangar infernal derrière Catherine, et explorant seul le rayon des bières, je suis tombé sur ce flacon de 75 cl : Maredsous "Triple". Bière belge. Blonde, mais pas décolorée : blonde à la mode belge, tirant sur le roux, avec une certaine opacité trouble. 10° : pas de la pisse d'âne post-moderne, du genre Carlsberg ou Heinneken, pas une bière de pédé. Un truc qui goûte, qui mousse et qui saoule.

Maredsous est une abbaye bénédictine, planquée dans un repli des monts d'Ardenne – côté belge, donc. Abbaye reconstruite, moderne, sans intérêt, sauf son emplacement et la bière qu'on y brasse, le fromage qu'on y mature (l'exultation du souvenir me fait inventer des verbes, comme la saute du bouchon produit de la mousse – même facilité jubilante), le pain qu'on y pétrit.

J'y fus vers 1980, un week-end, avec mes amis Luc et Denis. Denis, je l'ai perdu depuis. Connu en 1972, classe de première au lycée Pothier d'Orléans, colocataire rue de de Patay dans le 13ème arrondissement entre 1976 et 1981, puis... perdu.

Luc, journaliste à Europe 1, garçon flamboyant, modèle-obstacle de ma jeunesse essoufflée, élégant comme je ne le fus jamais et presque aussi intelligent que moi (smiley). Dernière rencontre : Toussaint 2007, un restaurant de la rue François 1er ou alentour. On s'est engueulé, mais comme des amis s'engueulent – sans importance.

Or, ce week-end de 1980 (fin d'année), nous partîmes, les trois, dans ma voiture toute neuve. Première étape : Haybes-sur-Meuse, vallée de la Meuse, pointe de France, chez les parents de Luc, déménagés depuis – je les salue. Le lendemain, journée difficile. À dix heures du matin, première halte à Maredsous, petit-déjeuner tardif à la bière et au fromage locaux. Je ne conserve aucun souvenir de notre déjeuner, mais il a bien dû être, et sans doute pas arrosé d'eau. En fin d'après-midi : abbaye d'Orval – bière et fromage de nouveau. On est ensuite rentré à Paris, Luc malade, moi somnolent et Denis au volant, ricanant et fier d'être en état.

Ce qui m'étonne est qu'on ne soit pas pas passé par Sedan, chez mes grands-parents – vivants tous deux et si incroyablement jeunes, quand j'y pense. J'ai un autre souvenir, de Sedan. Et alors, il y avait Philippe Bernalin, mais pas Luc, et sans doute pas Denis – mais allez savoir. Et tout se brouille. Et je me désespère un peu de ne plus être capable de démêler ces vieux écheveaux. Qui était qui ? Et où ? Et quand ? Il demeure cette tablée de trois, que je revois avec une netteté presque inquiétante, avec ce fromage, ces tranches épaisses de pain foncé et ces verres à ras bord de bière, considérablement évasés, comme des cols de femme en prévision d'accouchement.

mardi 6 avril 2010

Saint Nicolas (du Chardonnet), multipliez les pains, à l'instar de Notre Seigneur !

L'histoire, découverte au petit matin, m'a mis en allégresse pour la journée : c'est simple, j'en glousse encore, y repensant. Pourtant, au départ, rien de vraiment drôle, dans cette tragique et sanguinaire agression de gentils modernes par des fanatiques – écume aux babines et missel comme un canon. Le sourire commence à vous poindre lorsque vous découvrez l'anecdote sur le blog de mon ami Gwendal qui, pour charmant garçon qu'il semble être, n'en est pas moins sujet parfois à des coups de grisou psychique dès que l'on prononce devant lui certains mots-clés proprement démoniaques : curé, catholicisme, religion, etc. Rien que du lourd, vous le voyez. (Je vous conseille vivement d'aller le lire en guise de préambule et de ne pas “zapper” les commentaires, notamment ceux d'un certain Pseudo, particulièrement à la ramasse.) Ce que j'ai eu un peu de mal à comprendre c'est la raison pour laquelle l'excellent Gwendal, tout postillonnant de fureur athée, a cru bon de nous fournir les liens qu'il indique. Car c'est grâce à eux que l'on apprend, en cliquant, le fin mot de l'histoire – qui vire illico à Che Guevara au pays des Schtroumpfs.

Un pitoyable folliculaire nommé John Paul Lepers (je sais bien que, à l'instar de sa famille, on ne choisit pas son prénom, mais enfin, il semblerait que “justice immanente” ne soient pas de vains mots...) et son tandem de supplétifs ont eu la citoyenne et modernante idée d'aller dimanche dernier planter à la sortie de la messe de Pâques célébrée en l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet leur roulotte festive, agrémentée de la banderolle suivante : Parlons de l'islam. Couillu, non ? Et si provocateur ! Tellement chou ! L'Ite missa ayant été, l'un des fidèles de cette paroisse et l'abbé Beauvais, le régional de l'étape, les ont donc sauvagement agressés. À deux. Contre un journaleux (les journalistes, ces garants de nos libertés ! comme s'exclame Gwendal, dans un triple salto arrière) et ses deux porte-coton : trois hommes, donc. On s'est pris au collet, on s'est poussé, on a même dû échanger deux gifles. Fin de l'histoire.

Là-dessus, le petit Lepers va jouer les candides auprès de ses chers confrères. Il ne comprend pas, John Paul premier, il est tout interdit, stupéfié du sol au plafond. Figurez-vous que, quelques jours plus tôt, il était allé faire son numéro de guignol devant une mosquée, et que, là, personne ne s'était offusqué qu'il souhaite parler de l'islam : c'est bien la preuve que les cathos sont de gros nazis, non ? Vous la voyez, la petite jubilation aigre de Juan Paulus ? Vous les sentez et les entendez, les grosses bulles qui remontent en cavalcade du fond de ce marais sur pattes ?

Je le répète, cette histoire me ravit à l'extase. D'abord parce que, s'ils en arrivent à ce degré de ridicule, à ce fin fond de bêtise éructante, c'est bien que nos petits ânes gauchistes braient désormais le dos au mur – et que tout le monde va finir par s'en apercevoir. Ensuite, je trouve très jouissive cette application un peu voyoute de la multiplication christique des pains. Si j'avais des relations à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, et dans d'autres paroisses environnantes, je leur conseillerais de n'user que de pains de quatre ou cinq jours. Afin d'être bien certain que tous les mignons Johann Pablo de la Création s'y pètent quelques dents de lait.

lundi 5 avril 2010

... et non point sacrifier nos frères pour pardonner à des ennemis

« Car il ne sert de dire : “ Nous sommes avec Dieu pour la paix des peuples, et nous ne voulons pas d'armes, de ces armes mauvaises ! ” Caïn les empoigne, les armes, avec férocité : quitte à les asséner, parfois, sur notre philanthropie. Et notre bonté, la voilà en pièces ; et nos viscères, les voilà pourfendus, tout pleins qu'ils soient de machins charitables. Alors, tant de carnage accumulé, sur les monts, dans l'infernale pierraille, nous incite à trouver les adages d'une sagesse neuve, ainsi que les paroles d'une charité neuve. Mais quand nous avions les armes pour frapper, du cœur pour les porter, là oui c'était la plus charitable des charités, la plus sage des sagesses. Parce que c'était frapper l'ennemi pour sauver nos frères, et non point sacrifier nos frères pour pardonner à des ennemis. Baste, laissons là ce chapitre. »

Carlo Emilio Gadda, Le Château d'Udine, Grasset, Les Cahiers Rouges, p. 30.

dimanche 4 avril 2010

Les “christianophobes” sont de braves zigs

J'ai assisté hier, à un superbe déferlement de haine obscène et rigolarde, lors que l'émission télévisée du sieur Ruquier, que je m'efforce parfois de suivre, non par masochisme clinique mais pour y entendre Éric Zemmour. Nous en étions à la partie où chaque invité est prié de choisir un dessin “humoristique” paru dans la presse au courant de la semaine. Tout d'abord, chapeau bas devant Mme Françoise Hardy, qui a tranquillement déclaré n'avoir pu en élire aucun car cet humour bas et vulgaire ne la faisait pas rire.

Les autres, eux, ne se sont évidemment pas privés d'une telle aubaine, et un sur deux avait privilégié des dessins “traitant” de la pédophilie au sein de l'Église – pauvres crobards d'une bassesse qui m'a laissé en état d'hallucination avancée. La pupille dilatée et la lippe pendante, je me suis demandé ce qui se passerait si, par hasard, un de ces auto-proclamés dessinateurs s'en était pris avec la même verve cloaqueuse à une autre religion que la catholique – question que j'ai remisée bien vite, ayant tout de suite trouvé la réponse. Et puis, tout à l'heure, je suis tombé sur ceci :

« (...) il faut prendre en compte un antichristianisme militant évident, le nouveau « socialisme des imbéciles », prêt à rivaliser avec l’antisémitisme d’autrefois. Les blagues sous forme de dessin d’une certaine presse à propos des curés pédophiles paraissent calquées sur les images antijuives classiques, avec des caricatures de rabbins aux traits répugnants crucifiant ou égorgeant des enfants chrétiens. Et les persécuteurs on les voir venir de loin, parce qu’ils ont recours toujours aux mêmes techniques stéréotypées pour propager la haine. »

Cet extrait de texte, j'en ai trouvé la traduction française ici, et l'original dont il est extrait . Et je crois bien n'avoir rien à ajouter à ce qui y est dit.

samedi 3 avril 2010

Émile Zola et son stabilo jaune


Comme disait Stravinsky à propos de je ne sais plus quel compositeur français (Gounod ? Massenet ? Impossible de me souvenir...) : Zola, je n'y pense pas tous les jours... L'envie m'est tout de même venue de rouvrir l'album de famille des Rougon-Macquart, l'autre soir, en voyant – pour la première fois, je crois bien – le Pot-Bouille de Julien Duvivier, avec notamment Gérard Philipe (dont je me suis toujours demandé ce qu'on pouvait bien lui trouver de si extraordinaire) en Octave Mouret et Danielle Darrieux interprétant Mme Hédouin, la propriétaire du magasin Au bonheur des dames. Projet mis à exécution dès le lendemain matin : on est un homme de décisions fermes ou on ne l'est pas.

Je viens de terminer Pot-Bouille et ai enchaîné sur Au bonheur des dames. Pas un seul personnage, chez Zola : rien que des types personnifiants. Et cette façon de surligner au stabilo jaune fluo les explications qu'il veut à toute force nous faire entrer dans le crâne est gênante et puérile, gênante parce que puérile. Ceci, pris entre cent exemples du même acabit :

– Moralisons le mariage, messieurs, moralisons le mariage, répétait Duveyrier de son air rigide, avec son visage enflammé, où Octave voyait maintenant le sang âcre des vices secrets. (Pour le coup, c'est moi souligne.)

Et c'est constamment ainsi, sans cesse reviennent ces insistances qui, à trop vouloir démontrer, finissent parfois par ne plus rien signifier du tout. Le sang âcre des vices secrets ? Ma parole, on se croirait dans un Brigade mondaine ! Je regrette maintenant de n'en avoir pas relever d'autres, car certaines phrases, certaines psychologisations du physique en deviennent cocasses de vouloir trop dire – de même, cocasse, cette tendance lourde à hypostasier les maisons, les rues, voire les villes tout entières, comme, si je me souviens bien, dans La Conquête de Plassans. Pot-Bouille – par ailleurs l'un des meilleurs romans des Rougon-Macquart, il me semble – est à ce titre exemplaire : Dès le deuxième ou troisième chapitre (sur dix-huit), on a croisé tous les protagonistes, chacun est venu saluer sur le devant de la scène, et l'on sait bien qu'ils ne changeront jamais, ne bougeront plus, quoi qu'il puisse leur arriver. Tous, y compris ceux qui seront détruits, sont parfaitement inaltérables. Il en résulte une impression d'immobilité un peu morne, que l'enchaînement des péripéties et rebondissements ne fait que rendre plus visible et morne encore.

Mais enfin, ce n'est pas rien tout de même. Zola qui se voulait réaliste, naturaliste, est sauvé en partie par ces plongées dans le fantastique où l'attirent ses obsessions personnelles, notamment pour les odeurs, les matières dégradées, les humeurs. Et je dois dire que, par moment, mais par moment seulement, cette manie de l'hypostase dont je parlais peut atteindre à certains effets hallucinatoires saisissants. (Les halles dans Le Ventre de Paris, la mine de Germinal, etc.). Au fond, Zola est un halluciné, un rêveur noir. S'il avait pu laisser tomber le stabilo...