lundi 30 novembre 2009

Sont-ils pas mimis, nos gentils démocrates ?

Mon bons amis, ce matin (mais la fête va durer toute la journée), si vous voulez vous offrir une bonne tranche d'hilarité saupoudrée d'ironie, il vous faut absolument aller traîner sur les blogs de gauche – en sélectionnant habilement ceux qui parlent de la Suisse (je ne mets pas de liens, vous vous débrouillerez très bien). L'impression dominante est que Père Ubu vient de réussir un putsch et prendre le pouvoir dans le camp des progressistes progressants.

D'abord, il y a l'attendrissant désarroi : mais comment les Suisses ont-il pu nous faire ça ? De là, on passe facilement à l'insulte et au mépris : 57 % des Helvètes sont pis que des Waffen-SS, des waffenculo (cet approximatif jeu de mots italo-nazi est dédié à Dorham) de leur race. Ensuite, on arrive au meilleur.

Le meilleur, c'est l'espoir fou qui saisit nos modernants depuis ce matin : grâce au ciel, d'ici 5 ans, on pourra faire revoter les Suisses sur la même question et effacer le résultat-de-la-honte d'hier. Car nos modernants sont certains d'une chose : cette votation dominicale (qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire de la Suisse), c'est une sorte de petit coup de calcaire que nos voisins ont pris derrière la nuque. Dès qu'ils auront retrouvé leurs esprits placides et débonnaires, ils s'apercevront que, comme tout le monde autour d'eux, il désirent ardemment voir des minarets hérisser demain leurs cantons.

Donc, nos avenirophiles commencent déjà à bouillir d'impatience en attendant cette rebelote qu'ils appellent avec des accents chateaubriannesques (Levez-vous, votations désirées !). Tellement enthousiastes qu'ils ont apparemment oublié avoir récemment poussé des cris d'orfraie lorsqu'on a fait revoter les Irlandais sur la constitution européenne, et d'horreur quand Méphisto Sarkozy a contourné le “non” des Français pour le faire transformer en un “oui” par ses laquais du palais Bourbon et de l'hôtel de Lassay réunis.

Et c'est pour ne rien dire du tracsir intense qui saisit nos futurolâtres lorsqu'il songent que l'on pourrait poser la même question au peuple français. Grâce au Ciel, et dans le but charitable de ne point troubler la dormition de nos vierges laïques, il ne lui sera rien demandé, à ce connard de populo populiste.

dimanche 29 novembre 2009

Trop forts, ces Helvètes !

Il y a des jours – peu nombreux, il est vrai – où on adorerait être suisse : aujourd'hui en est un. Il y a peu de temps, en commentaire chez je ne sais plus quel blogueur de gauche, qui réclamait plus de démocratie, davantage de référendums, etc., je faisais remarquer qu'il devrait peut-être mettre une sourdine à son admiration pour les votations de nos voisins car, organisant la même chose ici, on aurait sans doute des surprises qui feraient grincer les dents à nombre de nos amis du camp du Bien. Aujourd'hui, près de 58 % des électeurs suisses ont expliqué à leurs dirigeants et à leurs laquais journaleux bien pensants que, les minarets étant déjà taillés plus ou moins en pointe, ils pouvaient s'ils le désiraient se les introduire dans le rectum, mais certainement pas les installer dans leurs alpages.

Tariq Ramadan s'est dit très préoccupé par ce résultat – ce qui est en soi une bonne nouvelle – et les Verts helvètes, aussi grotesques et malfaisants que les nôtres, sont déjà en train de piailler qu'ils vont prendre le premier train pour Bruxelles demain matin, pour aller pleurer très fort auprès des instances idoines.

Rendre la parole et le pouvoir au Peuple ? Sir, yes sir !


(Rajout de huit heures six : À Bruxelles ? À Bruxelles ? Mais qu'est-ce que des écolos suisses iraient foutre à Bruxelles, pauv'con ?)

samedi 28 novembre 2009

On m'a fait un beau cadeau

J'étais dehors lorsque la factrice est passée et j'ai bien vu qu'elle glissait dans la boîte quelque chose qui ressemblait à un livre. J'en ai été surpris, n'ayant aucune commande en attente.
Ce n'était en effet pas une commande, mais un cadeau : Lenin Kino, superbe livre de peintures réalisé par Olivier Deprez, un Belgo-gardois d'élite. Je n'ai fait que le feuilleter rapidement, bien trop rapidement, et serais donc en peine de dire quoi que ce soit d'intelligent au sujet de ce livre, sinon que j'ai d'emblée été frappé par la profondeur de certains gris, par leur luminescence.
Merci à vous, précieux ami, merci.

vendredi 27 novembre 2009

Abonné absent (momentanément)

Bon, les commentaires ont chu comme à Gravelotte, pendant que j'avais le dos tourné, et sur des tas de billets différents. Comme j'ai du taf par-dessus la tonsure, je me suis résolu à ne répondre à aucun, en tout cas pas avant demain. Et si je fais ce petit billet, c'est pour éviter que Marine ne nous tape une crise de paranoïa en pensant que personne ne l'aime et tout ça.

Voilà.

jeudi 26 novembre 2009

Y en a deux ou trois que j'ai mis à la poubelle, direct...

Tiens, je vais commencer par répondre à ma nièce. Nefisa, ma poule, il y a des choses que tu ne peux pas encore savoir, parce que tu es trop petite. Tu sembles penser que, quand on vieillit, on devient plus sage : c'est une erreur (tu verras à l'usage). En réalité, ma belle, plus on vieillit et plus on devient con (surtout les filles – smiley...), tu verras.

Tonton aurait dû fermer sa gueule, évidemment. Mais Tonton, vois-tu, adore se friter avec telle ou telle, avec celle-ci (qu'il aime bien) ou celle-là (qu'il aime moins). Tonton, le lendemain, regrette (pas toujours...). Bref : tonton tient à l'estime de sa nièce, et se fout des autres, tu comprends ?

Bien, maintenant. J'emmerde absolument Nicolas qui semble parfaitement incapable de comprendre que ces histoires ne le concernent absolument pas. On en a parlé dix fois : huit par mail, deux en vrai, on ne se comprend pas. Lui pense qu'il est le vrai patron du poulailler, moi je crois que tout cela ne le regarde en rien. Et ni lui ni moi, de ce point de vue, ne sommes capables de faire un pas l'un vers l'autre.

Là dessus. On peut rigoler encore un peu. Tenez : mes ennemis, de gauche, donc forcément dans le camp du Bien-avec-un-B-majuscule, trouvent très amusant de me qualifier d'ALCOOLIQUE. Or, si j'ai bien compris, l'alcoolisme est une maladie – une vraie maladie, un truc dont les gens de gauche ne devraient pas se moquer, quoi.

Or, quand c'est moi (gros réac de merde, and so on), on a le droit de se moquer. Même, c'est recommandé. Didier Goux, on lui pardonne ce qu'il dit PUISQU'IL est alcoolique. Au fond, ce gros con, il ne sait absolument pas ce qu'il dit, n'est-ce pas ? De toute façon, il ne dessaoule à peu près jamais, hein ?

Pas grave, il est amusant, le gros. On le garde pour ça, du reste : il est notre connard de référence, l'abruti de droite dont on a besoin pour se croire intelligent. D'ailleurs, tiens : chez lui, on lui fait des tas de coucous avec "smiley" en prime. Mais, entre nous, n'est-ce pas, on dit ce qu'on en pense vraiment, comme ça, en commentaire, chez Pierre, Paul ou Jacques, en pensant qu'il ne le verra pas.

Ben si, il l'a vu, bande de cons.

Moi, je fais tout comme Trublyonne

La Dame me signalait, en commentaire du billet d'hier soir, qu'elle avait finalement supprimé le sien, de billet, dont j'étais la vedette incontestée. Il me paraît donc normal de faire la même chose ici. Mille révérences obséquieuses devant ceux qui se retrouvent avoir commenté pour rien...

mardi 24 novembre 2009

Mais qu'il est con, ce Didier Goux ! mais qu'il est gras !


Chapitre XIV



Céleste Vigier marchait au milieu des autres, sous l’une des banderoles déployées dans tout le travers de la rue Myrha. Elle scandait machinalement les mêmes slogans que tout le monde, d’une même voix mécanique, qui se voulait joyeuse et déterminée :
« Des papiers pour tous ! Nicolas, pourquoi tu tousses ? »
Ou bien :
« Les Français, les Africains : nous sommes tous des êtres humains ! Ni plus ! Ni moins ! »
Ou encore :
« Ni racisme, ni douleur ! nos enfants n’ont pas d’couleur ! »
Céleste marchait avec les autres, mais seules ses jambes et ses cordes vocales participaient à la manifestation de soutien aux douze familles maliennes clandestines, barricadées en l’église Saint-Polycarpe depuis plus de deux semaines maintenant.
Lorsque le cortège s’était arrêté devant ce haut-lieu de l’innocence martyrisée, le père Garçon, curé de la paroisse, était sorti pour prononcer quelques mots, et son allocution, trémulant de générosité, avait été fort applaudie, y compris par les athées pratiquants dont Céleste Vigier faisait partie :
« Il est temps de dire la vérité au monde, l’éclatante vérité : Dieu est daltonien ! il ne voit pas vos couleurs, mais seulement le cœur qui bat dans vos poitrines ! Et même ceux d’entre vous qui se détournent de Sa Face restent ses enfants chéris ! [Là, tout de même, mouvements divers parmi les laïcards du DAP.] Dieu est Un, l’humanité est Une et le monde est sien, partout et tout le temps, sans condition ! Certes, il y eut le Peuple Élu dont parle la Bible. Mais c’était il y a longtemps ! Et qui dit “élu”, dit “élection”, n’est-il pas vrai ? Or, dans une élection, chaque voix compte, et la vôtre autant que n’importe quelle autre, mes frères ! Gageons que, depuis les lointaines époques bibliques, Dieu, dans Son Infinie Sagesse, a su découvrir les vertus rédemptrices du Suffrage Universel et qu’il parle désormais, avec Ses anges et Ses saints, de l’Humanité Élue ! Et cette humanité, aujourd’hui, celle qui tremble au sein de notre église, il lui faut des papiers ! À vous, mes frères, de les lui procurer, par la force rassemblée de votre compassion citoyenne ! »
Mais Céleste Vigier n’avait pas plus la tête aux harangues qu’aux slogans ; son esprit dérivait vers des récifs menaçants et encore indiscernables. Car, depuis quelques heures, par le hasard d’une boîte en carton découverte sur le dessus d’une armoire, elle savait être la mère d’un homme qui, au cours des cinq dernières années, avait violé et massacré trois adolescentes. Dont le salut, s’il pouvait encore être gagné, ne dépendait plus que d’elle seule.

lundi 23 novembre 2009

Ma valise est prête ! Je l'attends, la fin du monde, je l'attends...

J'aime beaucoup les folles, et même de plus en plus. Je ne parle évidemment pas des gay-prideuses en tutu rose, qui, elles, sont d'un conformisme dans la liesse bruyante à faire périr n'importe qui d'ennui, mais des authentiques folles – la “féminine du fou”, si l'on veut. On en découvre quelques-unes dans la vraie vie, mais assez peu, le plus souvent du fait que leur folie, leur idée fixe, leur mono-manie, etc. n'apparaît qu'au bout d'un certain temps. Et que, du temps, on en manque, vous ne savez pas encore à quel point.

Dans le blogomonde, en revanche, la folie se voit tout de suite, dans la mesure où elle se donne à voir – et même à admirer –, et que, au fond, c'est même la fonction première des blogs que de lui servir d'écrin.

Par exemple, Dame Hypos est folle – je le dis en toute sérénité d'âme. Elle est vive, intelligente, sympathique, charmante, drôle – mais elle est folle. Ce n'est d'ailleurs pas une folie-repoussoir que la sienne : je suis certain que vivre avec Dame Hypos – à condition de distancier à donf' – doit se révéler très amusant pour un homme suffisamment amoureux, même si un peu fatiguant par moment.

Sa folie, à elle, c'est la catastrophe à venir, le cataclysme imminent, le tsunami de proximité – le monstre sur le seuil, comme dirait Lovecraft. Encore une fois, je ne jette aucune pierre (j'ai peu de goût pour la lapidation, malgré les modes qui s'en viennent) : je suppose que les deux ou trois chevaux de bataille (oh ! et puis, soyons modestes et disons : baudets d'escarmouche) que j'enfourche régulièrement ici même doivent aux yeux de certains me ranger dans la même catégorie des fous catastrophistes, des médaillés d'or à l'idée fixe (et deux fois médaille d'argent aux idées asymétriques). Mais, évidemment, ce type de démence est toujours plus facile à voir chez le voisin, et partant plus amusant à observer.

La catastrophe du jour, pour en revenir à cette chère Hypos, celle qui va nous transformer l'intelligence en cervelle de canut, c'est le SICEM, le syndrome d'intolérance aux champs électromagnétiques. D'après son ami, le professeur Belpomme (si, si, je vous jure, allez-y voir...), si on n'alerte pas le monde entier demain, si possible avant la récré de dix heures, on va tous crever dans d'atroces souffrances.

Il y a cinq jours, notre vie était entre les mains multiples d'un sommet de Copenhague concernant, si j'ai bien compris, ce fameux réchauffement climatique qu'il est de bon ton de tenir pour avéré – et évidemment destructeur, sinon c'est pas drôle. “Sommet de la dernière chance ! ”, clamait alors la dame. Mais, comme le dit sommet ne doit avoir lieu qu'en décembre, je me demande si le sournois SICEM ne nous aura pas butés avant.

Il y a du prophète Philippulus chez Dame Hypos ; un syndrome vêture-en-drap-de-lit-et-gong-tibétain assez prononcé. Je ne la connaissais pas encore à l'époque, mais je l'imagine très bien, tout au long de 1999, essayant d'alerté les foules planétaires à propos du bug de l'an 2000, qui fit les ravages que l'on sait. Et, aujourd'hui, elle ne doit pas non plus faire la fiérote face à la méchante grippe porcine (ou aviaire, ou ovine, ou horticole : je m'y perds un peu, quant à moi).

Vous voulez que je vous dise, au bout du compte ? Eh bien, je la trouve merveilleusement roborative et euphorisante, moi, Dame Hypos. Parce qu'enfin : après avoir pris connaissance des cataclysmes qu'elle nous promet de façon assurée, certifiée, quasi inévitables sauf si Belpomme prend le pouvoir mondial, qui éprouverait encore le plus petit soupçon d'angoisse en entamant un nouveau paquet de brunes sans filtre tout en débouchant sa huitième canette de col blanc ? Petits bras, l'alcool et les clopes, petits bras !

dimanche 22 novembre 2009

Des p'tits gars qui positivent dans une France qui fume

Plusieurs sympathiques dealers de diverses banlieues et de banlieues diverses viennent de se regrouper en une association à but hautement lucratif, dont les objectifs sont d'améliorer leur image auprès d'une population trop souvent repliée frileusement sur des idées et une morale obsolètes. Son nom ?


LE BLÉ EN HERBE


(La proposition concurrente, émise par une fraction extrémiste de l'association, La thune en beu, ayant finalement été rejetée à une courte majorité.)

L'Armée des anges plonge en rase-mottes

Chapitre XI


Céleste Vigier eut un sourire de satisfaction en mettant le point final à son nouveau “billet” de blog, consacré, comme une fois sur deux, aux violences de plus en plus grandes, de plus en plus inhumaines que notre société post-capitaliste et mondialisée inflige à ses pauvres en général et à ses immigrés en particulier.

Cela allait bientôt faire quatre ans qu’elle avait découvert l’univers des blogs : elle avait ouvert le sien en novembre 2005, et l’avait appelé Légion céleste – un nom dont elle n’était pas peu satisfaite car, à ses yeux, il symbolisait l’avant-garde citoyenne et miraculeuse dont elle faisait partie, celle qui travaillait à détruire le vieux monde et ses frontières iniques, à instaurer entre les hommes, quels que soient leur origine, leur sexe, leur religion, etc., une grande paix horizontale dans laquelle, tout conflit ayant été éradiqué, au besoin par la contrainte, chacun se reconnaîtrait rigoureusement identique à son voisin. Cette Légion céleste, à laquelle elle donnait tout son temps, toute son énergie, c’était elle qui allait – mais ce serait long et douloureux, elle en avait bien conscience, elle n’était pas un “bisounours” – diluer enfin ces survivances des âges barbares qu’on appelle les peuples, les races, les civilisations, pour faire enfin advenir le règne de l’Humanité, affranchie de l’espace et du temps, enfin réconciliée avec elle-même dans une véritable éternité fraternelle.

La souris bien en main, Céleste Vigier cliqua sur le cartouche “publier”, avec la même énergie tranquille qu’elle aurait employée à plonger sous l’eau jusqu’à l’asphyxie la tête de l’un de ces immondes réactionnaires qui, régulièrement, venaient épandre leurs prose nauséabonde dans la partie “commentaires” de son blog, afin de salir sa bienheureuse Légion. L’un d’eux, notamment...

Céleste s’ébroua et se leva de sa chaise d’un mouvement brusque, manquant renverser le globe terrestre qui trônait à portée de sa main gauche. Un petit sourire dédaigneux arrondit encore son visage naturellement rouge, à la peau toujours un peu luisante.Non, elle ne devait pas penser à ces semi-cadavres ricanants pour qui toute idée généreuse était une insulte personnelle à la puanteur fangeuse qu’ils dégageaient sans même s’en apercevoir. Ce qu’il fallait, c’était les ignorer, et les ignorer tranquillement, sans haine ni agressivité ; les repousser doucement mais sans faiblesse vers les cloaques de l’Histoire dont ils n’auraient jamais dû sortir. Il fallait positiver, toujours. Tourner le dos à ce qui était derrière soi afin de mieux embraser l’avenir du regard, cet avenir qui, Céleste en était un peu plus certaine chaque matin, appartiendrait tout entier à ceux qui n’avaient rien eu.

Aussitôt elle se rassit et, saisissant une demi-feuille de papier sur la pile à sa droite, elle entreprit d’y inscrire des indications aussi précises que possible, afin que Laurent, son Lolo, puisse la rejoindre tout-à-l’heure à la grande manifestation organisée par un nouveau collectif très prometteur. Il s’agissait de jeunes des quartiers qui refusaient catégoriquement l’assimilation républicaine au nom du droit inaliénable des hommes à la différence.

Et Céleste Vigier n’était pas peu fière de leur avoir elle-même suggéré le nom qu’ils avaient en effet adopté dans l’enthousiasme : Les Indigestes de la République.

samedi 21 novembre 2009

Sans déconner, j'ai cru à un gag

Quand je suis tombé, dans ma blogroll (oui, il m'arrive de choir dans ma blogroll, même à jeun : ça gêne ?), sur ce titre de billet, j'ai d'abord cru, et très sincèrement, à une petite chose humoristique qui allait me faire sourire durant une minute ou deux ; un second degré gentiment railleur destiné à brocarder nos hallucinations festives.

Quand je me suis avisé que le billet en question émanait de mon amie Marie-Laure, j'ai commencé à douter : la raillerie n'est guère son registre d'expression favori, à Dame Hypos. Alors, je suis allé voir, forcément. Et il a bien fallu me rendre à l'évidence : c'est du sérieux.

Qu'on me comprenne : lorsque je dis “c'est du sérieux”, l'affaire reste bien sûr totalement démente et ressortit du cabanon. Je veux juste signifier que les impeccables jeunes gens qui ont pris cette initiative semblent sérieusement persuadés qu'un café peut être citoyen. Et j'attends avec une certaine impatience de voir fleurir des bistrots solidaires, des mastroquets engagés, voire des autogrills antiracistes ou des alter-bowlings. Je pense que je ne devrais pas avoir à attendre trop longtemps.

Non, mais, dites : qu'est-ce qu'on s'amuse, tout de même !

vendredi 20 novembre 2009

Ni dieu ni maître (la révolution tra-la-lère !)

C'est de plus en plus rare, mais parfois, cela se passe encore comme ça : L'Irremplaçable va se coucher, et moi, parce que la nuit est peut-être un peu plus noire que d'ordinaire, je dépucèle une autre canette de mousse, je vais me carrer dans mon fauteuil agonisant – et je ressors les disques de Léo.

On pourra toujours me dire ce qu'on voudra, je vous emmerde à un point difficilement imaginable : quand Ferré chante, j'ai 17 ans.

Les yeux des tout petits riboulant de tendresse

J'habite à Orléans-La Source, petite chambre, dans un petit appartement d'un petit immeuble de merde. Ma mère est malheureuse, parce que mon père est à Djibouti : il gagne de quoi faire construire la maison que nous occuperons plus tard. Moi, évidemment, je m'en fous :

Pour tout bagage on a vingt ans
On a l'expérience des parents
On se fout du tiers comme du quart
On prend l'bonheur toujours en r'tard

Je suis anarchiste, vous imaginez l'affaire ? Je ne sais même pas tellement ce que cela veut dire (du reste, personne ne sait exactement ce que cela veut dire : c'est très commode).

Ils ont des chiens parfois compagnons de misère
Et qui lèchent leurs mains de plume et d'amitié

Mais, comme mon père est militaire et que j'ai 17 ans, je suis donc anarchiste. Mon père eût-il été ardent révolutionnaire que je me serais peut-être engagé dans l'armée : on ne tient qu'à un fil, et on ne le voit pas.

La plupart fils de rien ou bien fils de si peu

Je ne sors jamais, je ne suis pas un garçon très festif. Ou bien, je suis très en retard pour mon âge, je ne sais pas. C'est comme ça : les filles ne m'intéressent pas ; ou plutôt, je crois bien, je ne me sens pas très armé pour la lutte. Donc, week-ends entiers dans cette petite chambre, ou dans le salon où ma mère tourne en rond, un chiffon à poussière en main, en attendant le retour de son homme – mon père. Néanmoins, je crois avoir des rêves de chair féminine, alors. Il me semble même pouvoir encore y mettre certain prénom.

Et sous le voile à peine clos
Cette touffe de noir Jésus
Qui ruisselle dans son berceau
Comme un nageur qu'on n'attend plus

Et il n'y a pas que cela, bien sûr. C'est l'âge où l'on se demande pourquoi le monde fonctionne si mal (l'âge des renoncements viendra plus tard, dans longtemps mais très vite).

Madame la Misère
Écoutez le tumulte qui monte des bas-fonds
Comme un dernier convoi

Le papier peint est si laid, personne ne l'a choisi, il était là avant qu'on arrive, la chambre est minuscule, et hideuse, et terriblement à angles droits. Mais :

Les âmes de nos chiens en bouquet réunies
Et leurs paroles dans la nuit
Comme une traine

La voix de Léo, n'est-ce pas. Tout juste un peu d'hiver pour rompre les façons. Et à la fin de ce disque (double album, à l'époque vinyle), Les Anarchistes, et puis Ni dieu ni maître. Le disque absolu, qui renvoie tous vos Bénabar au néant.

Imaginez cela : février 1969, vous venez de prendre un billet au guichet de Bobino. Vous vous asseyez à l'orchestre. Derrière vous, au-dessus, il y a des chevelus excités qui agitent des drapeaux noirs. Devant vous, sur la scène

Sur la scène y a l'silence
Tout habillé de noir
Sur la scène y a une pute
Avec des yeux abstraits

sur la scène, il y a Paul Castanier, le pianiste aveugle, qui vaut un orchestre à lui seul. Et puis, un homme habillé de noir entre et dit :

Je suis arrivé à huit heures et quart
J'ai grillé une sèche en lisant l'courrier
Dans cette loge d'artiste où s'arrête la gloire
Le temps de s'refaire une petite beauté
Regarde-moi bien : j'suis une idole

Et ce soir, pour la trois cent millième fois, jai écouté ça : Léo à Bobino – février 1969.

Y en a pas un sur cent et pourtant ils existent
La plupart espagnols allez savoir pourquoi
Faut croire qu'en Espagne on ne les comprend pas
Les anarchistes

jeudi 19 novembre 2009

Une vie (billet fendu en son milieu)

Je suis entré dans ce roman à reculons, stupidement persuadé (mais par quoi ? par qui ?) que Maupassant ne valait que par ses nouvelles et n'était pas romancier. Reculons encore alenti par le fait que le hasard d'une soirée télé m'avait fait voir une adaptation – point trop calamiteuse – d'Une vie, il y a un mois ou deux. Donc, durant les cinquante premières pages, ennuyé par l'impossibilité même de se raccrocher à l'intrigue, à l'histoire, la trame (appelez donc ça comme vous voudrez) qui m'était connue.

De fait, dans le premier tiers, l'impression dominante a été celle d'une sorte de “délayage poétique”, par rapport aux notations sèches, étincelantes et coupantes des nouvelles. Ensuite, le roman a dérivé – dérivé au sens marin : il a atteint les hauts fonds. Le temps (impossible apparemment à rendre dans le cadre d'une fiction télévisée, et peut-être même au cinéma, mais je ne demande qu'à être détrompé) s'est mis à jouer son rôle, à devenir le personnage principal, et bientôt le seul agissant, les autres se soumettant à lui, devenant des marionnettes lourdes, lourdes du temps passé, et paradoxalement de plus en plus légères dans le vent qui s'accélère et les emporte. Cette maîtrise du temps, si elle n'est pas souveraine comme chez Tolstoï, est pourtant palpable chez Maupassant, on touche du doigt l'accélération des saisons, on hume parfaitement leurs odeurs qui finissent par se brouiller.

Et, soudain, vingt pages avant la résolution, je suis sorti du roman. Précisément à la scène où, devant se séparer du château familial, la pauvre héroïne, la si peu héroïne, monte au grenier pour y découvrir les souvenirs empoussiérés de ceux de sa race qu'elle n'a même pas connus : ses grands-parents. Et le visage de mes arrière-grands-parents m'est alors revenu.

Pas ceux que j'ai connus, étrangement. Ceux-là, mes “arrière” maternels-maternels, Julia et Charles, sont restés bien tranquilles. Non, ce sont les maternels-paternels (comprenez : les parents de mon grand-père maternel) qui ont ressurgi – et notamment lui, que ma mère appelle “grand-père Léon”, et dont je n'ai jamais connu que la moustache noir et blanc, sur le buffet de ma grand-mère Suzanne, au 13 du boulevard Fabert, à Sedan, Ardennes. Quant à sa femme, mon arrière maternelle-paternelle, j'ai non seulement oublié son prénom, mais même son visage, pourtant en vis-à-vis oblique du cadre de Léon sur le buffet, juste derrière la boule de verre enneigée coiffant Notre-Dame de Lourdes, se dérobe obstinément.

Il me reste 20 pages à lire d'Une vie. Ce sera pour ce soir ou demain midi : ce qui doit s'accomplir s'accomplira, et rien ne presse – le temps a déjà fait son œuvre.

mercredi 18 novembre 2009

Halte au chou clandestin ! (Appelons les choses par leur nom.)

On a mangé ça, ce soir : du chou farci végétarien. Forcément végétarien, puisqu'aucune viande de boucherie n'entre plus, je le rappelle, dans la maison qui est la nôtre, et pour des raisons que j'ai déjà dites.

La question était donc la suivante : comment farcir un légume sans viande ? L'Irremplaçable s'en est magnifiquement tirée, trouvant une recette de base, changeant tout pour en faire totalement autre chose (un peu comme elle a fait avec moi ces dix-neuf dernières années...) : dès qu'elle a mis la recette sur son blog de frangines je vous fais un lien (ah... voilà, c'est fait...). Mais ce n'était pas mon sujet.

Alors que nous voguions au mitan de l'apéro du soir, voilà donc qu'elle se lève, va inspecter son four sans rien demander à son homme, comme font les vraies femmes, celles qu'on épouse et pas celles qu'on lit sur internet, et annonce :

– Il y a encore beaucoup de jus. Je crois que je vais le remettre un peu à cuire, mais sans papier...

Moi (trop content de pouvoir remplir mon verre, mais faisant semblant d'être fâché) : – On ne dit pas un chou sans papier (d'aluminium), mais un chou clandestin !

On a a rit (comme des crétins) et, pendant que le jus bouillonnait gentiment, on a repris un petit verre. Durant ce temps, nos trois chiens...

Mais c'est un sujet pour le blog annexe, ça, pour la meute. Il reste que, clandestin ou pas, ce chou était hautement consommable, je l'affirme sans peur. Et, en outre, on ne me croira pas, je le sais, mais malgré son absence de papier (aluminium), il n'a fait chier personne et s'est laissé aimablement bouffer. Très chou, quoi.

Marie Ndiaye clouée nue au poteau de couleur

C'est le Stalker qui fournit le poteau, mais c'est Jean-Gérard Lapacherie qui enfonce les clous.

mardi 17 novembre 2009

Pour rester dans l'ambiance alanguie des cimetières...

Remords posthume

Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d'un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir
Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse ;

Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,
Empêchera ton coeur de battre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse,

Le tombeau, confident de mon rêve infini
(Car le tombeau toujours comprendra le poète),
Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni,

Te dira : " Que vous sert, courtisane imparfaite,
De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts ? "
- Et le ver rongera ta peau comme un remords.

J'irai rebondir sur nos tombes

Donc, hier, l'ambiance était funéraire, comme on a pu le constater. Ce matin, ayant relu le billet précédent celui-ci, l'Irremplaçable rebondit sur ma tombe, si je puis dire, et sur le commentaire qu'elle y a laissé (pas sur ma tombe, sous le billet).

– Je trouverais ça très bien que tu aies une tombe, me dit-elle, sirotant son café et moi le mien. Comme ça, si tu meurs avant moi – mais je suis bien certaine que je mourrai la première –, je saurai où te trouver si j'ai envie de te parler. Le seul truc qui m'ennuie, c'est que si je reste seule, je refuse de continuer d'habiter ici. Donc, il faudra déménager ta tombe et tout le bazar...

Effectivement, l'objection était de taille : une urne, c'est tout de même plus facile à glisser dans son sac à dos qu'une dalle funéraire avec sa croix en surplomb. Finalement, désirant n'être source d'aucun tracas post mortem, j'ai fini par trouver la solution :

– C'est tout simple : lorsque j'en serai à la chimio de la dernière chance (celle qui rate toujours sa cible, contrairement à la chimio de la première chance), tu te dépêcheras de choisir ta future villégiature, au moins d'en circonscrire la proche région, et on n'aura plus qu'à acheter une concession au cimetière du village de ton choix. Ensuite, dès que mon ombrelle sera repliée, tu vends la maison et tu viens me rejoindre.

– Ah, oui, c'est pas mal, ça... Il faudra penser à prévoir grand, pour ta tombe, parce qu'après ma mort à moi je veux qu'on y mette mes cendres.

– Oh, ça, c'est pas un problème : d'ici que tu me rejoignes, j'aurai eu le temps de maigrir pas mal...

Là-dessus, on a repris un café.

lundi 16 novembre 2009

L'incinération, ce truc exotique ou de fiote post-moderne

Une tombe ! Ma vie contre une tombe, pour paraphraser Richard. Je sais bien que mon titre va énerver l'Irremplaçable, qui s'est mis dans l'idée, à sa mort, de jouer les enturbannées hindoues, mais sans la culture ni le sari qui vont avec : elle a décidé de rôtir, c'est son droit. ça m'énerve, mais si je lui survis, je respecterai son ultime aberration mentale (question d'habitude, après tout...), parce que je ne veux pas d'emmerdes avec son fantôme. Elle veut cramer ? Elle cramera.

Moi pas. Je trouve ça barbare, pas en phase avec moi-même. Et inhumain, en plus : vous vous êtes déjà rendu à une crémation moderne ? Non seulement on se fait chier comme des rats morts, non seulement ça dure une éternité sans qu'il ne se passe rien, mais personne ne parle. Dans un cimetière, ça cause. On est triste (et encore, pas toujours, pas tout le monde), mais ça cause. D'abord à voix chuchotantes, et plutôt éloignées de la fosse. Puis, ça gagne, de proche en proche. Une crémation ça sent la mort, un enterrement ça appelle la vie – et très fort, parfois.

D'abord, ça se passe en plein air, on a marché jusqu'au cimetière depuis l'église (car il est impensable de se faire enterrer au cimetière sans être passé par l'église ; comme grimper sur une pute sans les ablutions rituelles : mal élevé. J'y reviendrai), une brise s'est levée ; elle appelle le saucisson futur, la rillette proche, le vin à venir.

Qui dit plein air dit oiseaux, oiseaux gibier, gibier banquet : tout le monde y pense – d'autant qu'on vient de passer midi. Trois tombes plus loin, il n'est pas impossible que des mains masculines s'égarent sur des croupes féminines – ou autres combinaisons, puisqu'il paraît qu'on a changé de siècle récemment.

De plus, il y a matière à rire, ce qui est plus rare en cas de crémation post-occidentale. Je ne parle évidemment pas des vrais bûchers, indiens ou autres, de ces cérémonies plus ou moins artisanales qui, j'en suis certain, doivent elles aussi être sources d'hilarités imprévues : le bois qui refuse de prendre à cause de l'averse inopinée, la veuve vivante qui, gigotant comme une pétasse incroyante, fait dégringoler le tas de bûchettes, etc : je ne suis pas spécialiste.

Au cimetière chrétien, les motifs de marrades sont moins spectaculaires, il faut bien l'admettre. Ça dépasse rarement le stade du cercueil trop large pour le trou que ces feignasses de fossoyeurs (toujours alcooliques et philosophes, les fossoyeurs : rien que pour ça, il me paraît nécessaire qu'ils soient les derniers humains dont on emporte l'image – c'était une incise) ont pratiqué. Mais c'est à la bonne franquette, du rire bien de chez nous, codifié à l'extrême et depuis des putains de centaines d'années.

Et il y a toujours l'esprit fort, le pseudo-scientifique, le Homais de quartier, qui vous explique que, compte tenu de l'humidité du terrain communal, on est vraiment trop con de prendre une concession de vingt ans, vu que, dans six mois, votre mort à regrets éternels, il ressemblera à un pot-au-feu sans bouillon-cube. Et on rit (un peu jaune, comme la glaise sous nos pieds), parce qu'on sait bien que l'esprit fort a déjà réservé son quart de siècle de sépulture, à douze mètres sur la gauche.

Bref, comme je le disais, l'enterrement appelle le repas et la murgée des grands jours. Il a à voir avec Bruegel (Bruegel l'ancien, hein ! Je suis suffisamment réactionnaire pour soupçonner Bruegel le jeune d'avoir été crypto-socialiste), avec Nicolas "et in Arcadia ego" Poussin, et plein d'autres : citez-moi donc un peintre européen magnifiant la crémation ? Bref.

Ce n'est pas tout, mes frères. À partir de là, dans ce billet, on cesse de déconner et on considère la suite comme mon testament spirituel (oui, bon : moi-même je pouffe...). Je veux une tombe, certes. Une table d'hôtes en marbre où les vers viendront fraterniser, un Relais & Châteaux pour larves voraces, un buffet dînatoire où les hyènes fouisseuses pourront ricaner en rond.

Mais je veux une croix. Au-dessus de mon corps gisant, je veux une croix. Ces petites tombes de fiotes qui emplissent nos cimetières depuis une décennie ou deux (ou trois : le temps passe vite désormais), avec leur petit faux marbre en vaguelette insignifiante, vous pouvez vous les carrer, vous les carrarer dans l'oignon : moi, je veux une croix, près de ce qui restera de ma tête. Une pas trop grande, mais une fière d'elle-même. En fer ou en granit de Bretagne : vous ferez au mieux – mais rien de moins.

Je ne crois pas en Dieu, dites-vous ? C'est malheureusement vrai, et alors ? Le Dieu de Bergouze et d'André, il va se froisser de la croix que je réclame, vous croyez ? J'aurais une telle importance à ses yeux qu'il ferait choir le feu du ciel sur ma carcasse et renverserait ma croix immérité ? Allons ! C'est Dieu, merde ! Pas le délégué syndical ! Il s'en fout que je croie ou non, il est un peu au-dessus. Même pas au-dessus, d'ailleurs : s'il existe, je le soupçonne d'être capable de se placer en dessous ; pour nous voir différemment, sous un angle moins avantageux. enfin, je m'égare un peu, on reparlera de Dieu un autre jour, mais en attendant je veux ma croix, j'y ai droit. Parfaitement : j'y ai droit ! J'ai toute une troupe derrière moi qui l'affirme.

Les autres, là : ils ont tous leur croix, pourquoi pas moi ? Grand-mère, grand-père, arrière-machin, arrière-arrière-Trucmuche : chacun sa croix. Je veux la mienne, comme eux. Parce que je ne suis pas plus, et espère au jour de l'incertain jugement n'avoir pas été moins. Je ne force personne, notez bien. Vous pouvez décider, au jour du dernier, d'être immergés dans une baignoire de billes de polystyrène multicolores, avec des patins à roulettes aux pieds et une plume fluo dans le cul : je ne vous en voudrai pas, on pardonne tout, on doit tout pardonner aux malheureux sur le départ.

Seulement, moi, je veux ma tombe. Une vraie, belle, solide, avec la croix qui surplombe. Et n'oubliez pas le gag de la fosse trop étroite pour le cercueil, ce serait dommage.

Didier Goux lance une nouvelle chaîne (ça va cingler !)

L'idée m'en est venue au beau milieu d'une conversation avec l'Irremplaçable, alors que nous dégustions un curry de pois chiches espagnols, il n'y a pas un quart d'heure (billet écrit hier soir et programmé pour ce matin : on ne prend pas de curry au petit-déjeuner...). Catherine me parlait du dernier commentaire que m'avait laissé Suzanne en fin d'après-midi et qu'elle avait trouvé drôle, parfaitement en phase, superbement concis, etc. Et je me disais que si je ne devais conserver que cinq commentateurs sur ce blog, elle en ferait assurément partie. D'où l'idée de la chaîne :

Si vous ne deviez conserver que 5 commentateurs sur votre blogs, lesquels choisiriez-vous, et pour quelles raisons ?

J'ai conscience que l'exercice est périlleux, dans la mesure où il risque de brouiller à mort chaque blogueur qui se livrera à l'exercice avec un minimum de deux cent cinquante personnes (ce qui fait deux cent cinquante bières en moins, dirait Nicolas). Pour réduire un peu la voilure, on peut décider (et je décide : c'est ma chaîne, merde...) qu'entrent en ligne de compte uniquement les commentateurs ayant eux-mêmes un blog. Il convient aussi de préciser que le sujet de la chaîne n'est pas : “les blogueurs que je préfère parmi ceux qui commentent chez moi”, mais bien : “ mes commentateurs préférés”. C'est-à-dire qu'il conviendra d'établir son classement en fonction de la seule qualité de leurs commentaires, sans tenir compte, s'il est possible, de celle de leurs blogs personnels. Cela posé, je commence mes “exercices d'admiration”.


1) Suzanne. Puisqu'elle est l'inspiratrice de la chaîne, la “muse du lien”, c'est bien le moins que lui revienne le haut bout de la table. Je crois qu'elle est l'une des très rares personnes avec qui je suis certain de n'avoir jamais besoin de "smiley", quoi que je dise, et sous quelque forme que je m'exprime – y compris les plus nuageuses lorsque l'alcool me poigne. Suzanne est quelqu'un qui sait lire, cela devrait en principe suffire. Lorsque Suzanne me contre, me réfute, j'en éprouve toujours une certaine tristesse ; non pas parce qu'elle est en désaccord avec moi, mais parce que je le suis avec elle, ce qui me paraît toujours imputable à charge et me donne le regret de n'être pas d'un autre avis que celui que j'ai exprimé – et auquel, souvent, je ne tiens pas plus que ça.

2) Nicolas. Parce qu'il est le numéro un, le chef, le guide suprême, le phare dans la nuit, et que je suis une fiote de première bourre, qui file doux devant le pouvoir. Plus sérieusement parce que, comme je crois l'avoir déjà dit ici ou là, nous ne sommes jamais d'accord sur rien sauf sur l'essentiel – et je ne parle pas de la bière, qui n'est pas plus essentielle pour lui que pour moi, on l'aura compris. Et surtout, peut-être, parce que ce garçon qui déteste que je rentre dans le lard de ses amis passe une partie de son temps à venir me traiter de gros con d'ivrogne ici même.

3) Nefisa. Elle commente très peu, mais jamais pour ne rien dire, même quand elle feint de ne dire rien. À l'inverse de Nicolas, elle met une suprême élégance à me traiter de vieux con radoteur et pénible lorsqu'elle juge bon de le faire. Et puis, tout de même, c'est la première fois de ma vie que j'adopte une nièce – et qu'elle m'adopte aussi. Alors, hein, je voudrais vous y voir.

4) Dorham. Parce que c'est un chieur, essentiellement. Un cador, au sens cynégétique du terme, un mâtin de Naples tout miniaturisé, sec comme un sarment de Lagrima Christi, qui ne desserre jamais les crocs quand il pense tenir le mollet (ou l'œuf mollet pour les jours sans viande, car l'homme est de stricte observance). Lorsque ce Ritalalacon vous annonce qu'il cesse de commenter, vous pouvez être assuré d'encore quinze feuillets d'argumentaire serré, vous n'avez plus qu'à lui laisser les clés de la boutique et partir à la campagne : contrairement aux apparences, Dorham est donc un commentateur reposant – ou reposoir, c'est selon.

5) Ygor Yanka. C'est mon Monsieur Plus de référence, celui que je mettrais volontiers au pavillon de Breteuil-Plus. Plus brillant, plus cultivé, plus profond, plus réfléchi, plus mieux écrivant, plus lecteur et même plus québécois que moi. Le seul endroit où je suis certain de lui rendre des points, c'est sur la balance : l'avantage reste maigre.


Je refile l'exercice à ceux qui ont été promus, soit Suzanne, Nicolas, Nefisa, Dorham et Ygor Yanka. Bien fait..

dimanche 15 novembre 2009

Mère, mon beau souci (lecture du dimanche)


Chapitre III





Lorsque la Renault Clio rouge conduite par sa mère quitta l’autoroute A10 pour s’engager sur le Périphérique trempé de pluie, et où les voitures, tous phares allumés, s’écoulaient avec une lenteur désespérante, Laurent Papillaud sentit des larmes lui monter brusquement aux paupières.

Il ferma les yeux pour ne plus rien voir. Pour tenter d’annuler toute cette laideur, autour d’eux.

- Je me demande si je ne ferais pas mieux de passer par l’intérieur de Paris, déclara Céleste Vigier, de cette voix nette et calme dont elle ne se départait jamais.

Laurent Papillaud s’abstint de répondre. De toute façon, il était entendu que sa mère ferait exactement ce qu’elle voudrait, malgré toutes les objections qu’il pourrait éventuellement soulever. “Parce que c’était le mieux pour eux” : sa formule de prédilection, à Céleste Vigier, la massue dont elle se servait pour clore toute discussion, notamment lorsque le contradicteur était son fils unique.

Les yeux toujours fermés, la tempe droite appuyée à la vitre latérale, Laurent Papillaud songeait avec une sorte d’incrédulité étonnée que, ce matin, le matin de cette même journée à la terminaison lugubre, sa mère et lui se trouvaient encore dans le Gers, s’éveillant sous un soleil encore pâle mais déjà radieux, dans la petite maison louée pour deux semaines à la sortie nord de Miradoux.

Quelque sept cents kilomètres ensuite, ils se retrouvaient là, englués dans cette marée automobile, perdus parmi ces voitures dont, à cause de la nuit et de la pluie oblique, on ne parvenait même pas distinguer les passagers.

« Peut-être qu’il n’y a plus de passagers... plus personne... », songea Papillaud – et qu’une idée tellement saugrenue puisse se former dans le cerveau d’un garçon aussi raisonnable qu’il l’était ou pensait l’être lui donna envie de descendre sa vitre et de sortir sa tête au dehors, afin de se faire fouetter au visage par l’eau qui tombait obliquement.

Laurent Papillaud avait 30 ans depuis deux mois ; et cette simple constatation lui semblait déjà relever du domaine de l’absurde, du problématique, de l’invérifiable. Il travaillait depuis six ans dans le service de maintenance informatique d’une compagnie d’assurances de taille moyenne. Il n’était ni très bien ni très mal payé. Il n’avait pas d’amis au sein de l’entreprise, mais tous ses collègues étaient corrects avec lui, et ses supérieurs également.

Tous ces faits étaient aisément vérifiables, mais Laurent Papillaud avait toujours un certain mal à se persuader de leur complète réalité.

Céleste Vigier allait avoir 55 ans ce 26 août, “jour de l’abolition des privilèges”, comme elle le faisait observer à son fils chaque année. Elle avait remis en circulation son nom de naissance le jour où Jean-Marc Papillaud, le père de Laurent, les avait quittés, 21 ans plus tôt – et elle l’avait fait avec le plus grand calme, dans une exemplaire maîtrise de soi.

Ensuite, seule avec un enfant de neuf ans, sans métier bien défini mais assurée de survie par la pension obtenue sans grande lutte de son ex-mari, Céleste Vigier avait suivi le cursus habituel des femmes dans sa situation, et dans l’ordre le plus courant : psychanalyse pour commencer, puis dévouement actif à toutes les causes humanitaires passant à portée de son esprit de sacrifice.

Laurent Papillaud ne fit pas la moindre remarque lorsque sa mère quitta le périphérique pour s’engager sur la bretelle d’accès à la porte de Vincennes. Même s’il savait bien qu’ils allaient mettre trois fois plus de temps à rejoindre la rue Doudeauville en traversant Paris plutôt qu’en s’obstinant sur leur voie initiale.

C’était sans importance, de toute façon il n’avait aucune envie de retrouver leur appartement du deuxième étage, dont les trois pièces lui faisaient horreur, presque autant que le quartier environnant, où sa mère avait délibérément choisi de venir habiter, sept ans plus tôt. “Parce que ce sera mieux pour nous, et pour être au cœur de l’action, là où sont les vraies souffrances.” C’était la raison qu’elle avait donnée à son fils.

Bien que l’on soit en août, ils mirent en effet plus d’une heure pour aller de la porte de Vincennes à chez eux. Et encore près d’un quart d’heure pour trouver une place de stationnement, interdite mais à peu près correcte, à cinq bonnes minutes à pied de leur immeuble.

Comme tous les soirs quand le temps le permettait, les trottoirs et même la chaussée étaient envahis par une foule que Céleste Vigier qualifiait avec gourmandise et attendrissement de “bigarrée” et qui, vue par les yeux de son fils, était presque uniformément noire malgré les vêtements de couleurs criardes portés par les femmes.

Chaque fois que son chemin croisait celui d’une mère affublée d’un enfant de moins de sept ans, Céleste Vigier s’arrêtait pour tapoter les cheveux crépus du bambin en s’extasiant sur sa beauté, la luminosité de son sourire, la candeur douce et ancestrale de ses grands yeux sombres.

Toujours en retrait d’elle, silencieux, Laurent observait avec une vague curiosité le regard soit absent soit un peu soupçonneux de la mère, et les dentitions exhibées des hommes assis ou debout aux minuscules terrasses des cafés, qui dévisageaient sa mère avec un dédain narquois.

Pourquoi avait-il toujours cette impression qu’on se moquait d’eux ? Que sa mère, en dépit de tous ses efforts – ou sans doute plutôt à cause d’eux – ne représentait rien d’autre qu’une poire juteuse, ou encore un citron à presser, aux yeux de tous ces étrangers ?

(Laurent Papillaud savait fort bien que la plupart des Africains qui tenaient désormais cette partie du 18ème arrondissement étaient de nationalité française, mais lorsqu’il pensait à eux, c’est tout de même le mot “étranger” qui lui venait à l’esprit. Bien entendu, c’était là un sujet qu’il se gardait bien d’aborder en public. Et si, au bureau par exemple, la conversation accostait certains de ces rivages dangereux – immigration, identité nationale, etc. –, il restait muet et s’appliquait à feindre l’indifférence.)

Dans le quadrilatère allant des stations de métro Château-Rouge à Marcadet-Poissonniers, et, dans le sens est–ouest, des voies de chemins de fer de la gare du Nord au boulevard Barbès, Céleste Vigier se flattait de “connaître tout le monde” ; Laurent Papillaud rétablissait donc une sorte d’équilibre en ne parlant jamais à personne.

Enfin, Céleste Vigier tourna deux fois la clé dans la serrure de la petite porte de bois, et la mère et le fils se retrouvèrent chez eux, avec une impression de calme bien que les cris, les appels, les rires, les éclats continuent de leur parvenir de la rue, et fort distinctement.

Sans même prendre la peine d’ôter ses chaussures, Céleste Vigier traversa la pièce commune et fonça droit sur le petit bureau installé entre les deux fenêtres donnant sur la rue. elle mit l’ordinateur sous tension et s’assit devant.

- Il faut absolument que je sache où en sont les sans-papiers de la rue d’Abidjan, expliqua-telle sans le regarder à son fils qui ne demandait rien. S’ils occupent toujours l’église Saint-Polycarpe, il va sans doute falloir aller leur porter de quoi se nourrir. Et, surtout, leur apporter notre solidarité active : c’est ce qui est le plus précieux pour eux... Cette chaîne humaine...

Papillaud fila se réfugier dans sa chambre et, après s’être entièrement déshabillé, se laissa tomber sur son lit – son petit lit d’adolescent à une place.

Il ferma les yeux et, presque aussitôt, un flot d’images très rapides, comme stroboscopées, affluèrent devant ses paupières closes. Images violentes, énigmatiques, sauvages, qui avaient tendance à l’effrayer.

Mais, en même temps, il sentit sa verge se tendre au bas de son ventre.

Cette érection suffit à mettre brutalement fin aux images. Papillaud plaqua ses deux mains sur son ventre et sentit son visage fin et délicat, s’empouprer d’un coup.

Et si jamais sa mère venait à entrer dans sa chambre sans s’annoncer, comme elle avait gardé l’habitude de le faire ? Et qu’elle le découvrait dans cet état ?

Oh ! bien sûr, elle ne se fâcherait pas ! Elle ne se mettrait pas en colère ! Non, elle prendrait son visage de bonté appliquée pour lui expliquer qu’il n’avait pas à avoir honte, que c’était parfaitement normal, etc. Et ce serait encore pire.

Papillaud se releva brusquement, enfila sa robe de chambre en éponge rose pâle et fila vers la salle de bain, qui séparait sa chambre de celle de sa mère.

Une bonne douche, d’abord très chaude et puis froide, lui ferait le plus grand bien, assurément.

Du “living”, comme Céleste Vigier appelait la pièce commune, si encombrée qu’on pouvait à peine circuler entre les meubles, il entendit le crépitement furieux des doigts de sa mère sur le clavier de son PC.

En effet, comme il pensait, l’eau brûlante apaisa Laurent Papillaud. Et le jet d’eau froide dont il s’aspergea le corps après l’avoir méticuleusement savonné lui donna le coup de fouet qu’il en attendait.

Au moment où il fermait le robinet, sa mère ouvrit la porte de la salle de bain, évidemment sans frapper :

- Mon Lolo, la situation est grave... annonça-t-elle, en fendant la vapeur qui avait envahi la petite pièce carrelée, comme un brise-glace la banquise. Les flics ont pris position devant Saint-Polycarpe, je viens d’avoir Hubert, le président du DAP : il pense qu’ils vont donner l’assaut incessamment. C’est ignoble, il faut une mobilisation citoyenne pour empêcher cette infamie ! On ne plus tolérer le fascisme rampant qui s’empare un à un de tous les leviers de commande, dans ce pays ! Dépêche-toi de t’habiller : nous y allons !

Pendant le prêche de sa mère, Laurent Papillaud avait vu apparaître devant ses yeux le visage de troll et la sihouette de nain de jardin d’Hubert Jocrisse, le président du DAP – l’association “Droit aux papiers”, reconnue d’utilité publique – qui ne perdait jamais une occasion de tripoter sa mère dans les cortèges des manifestations, sous prétexte de vigilance fraternelle et citoyenne.

Il écarta le rideau de plastique et sortit de la douche, sans aucun souci de sa nudité : n’était-il pas toujours un enfant, aux yeux de Céleste Vigier ? N’est-on pas toujours un enfant aux yeux de sa mère ?

- Je ne me sens pas très bien, Maman, soupira-t-il, en s’efforçant de prendre une mine abattue. Je crois que le voyage m’a achevé. Vas-y sans moi, s’il te plaît...

Voyant les sourcils presque invisibles de sa mère se froncer, il s’empressa d’ajouter :

- Mais dis bien à Hubert que je serai là, avec eux, dès demain matin ! Il faut absolument faire barrage à cette montée de l’intolérance et du racisme, qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire !

Il avait débité ça tout d’une traite, sur un ton grave, malgré l’envie de cligner de l’œil qui le taraudait. Sa tirade ne suffit cependant pas à amadouer la gardienne des vigilances qui se dressait face à lui, sa crinière épaisse rejetée vers l’arrière et la mamelle agressive.

- Très bien, comme tu voudras mon Lolo, dit-elle avec cette voix un peu trop douce qu’elle prenait toujours pour signifier à son fils la déception qu’il lui infligeait. Repose-toi, tu as raison. Après tout, il ne s’agit que de quelques malheureux Maliens dépouillés de tout et sans doute affamés : ça ne vaut pas le coup de tomber malade pour ça...

Et, sans donner le temps à son fils de répondre, Céleste Vigier pivota sur ses talons puis, le dos peiné et réprobateur, quitta la salle de bain familiale d’un pas décidé, d’une démarche déjà en lutte.

vendredi 13 novembre 2009

Les minutes, les heures, les siècles de Guy et d'Antonio

À Marie-George et Emeline, hispaniquement miennes...


Ces petits bonds que provoque la littérature me ravissent – bonds au travers des époques, des pays, au travers d'autres choses encore, très probablement. Tout à l'heure, sur mon canapé professionnel, dans une nouvelle de Maupassant intitulée Un coup d'État, je tombe sur la phrase, le tronçon de phrase plus précisément : “les minutes valent des heures dans des instants pareils”.

Immédiatement, je me retrouve projeté dans les années soixante-dix de ma propre existence, les années trente de la marche du monde, et l'Espagne convulsive de cette période, irradié par quelques noms d'écrivains qui me sont chers (qui me sont chair ?) – et surtout l'un : Antonio Machado. Qui écrit :

Nuestras horas son minutos
Cuando esperamos saber
Y siglos quando sabemos
Lo que se puede aprender

Et les minutes que Maupassant a transformées en heures s'étirent en siècle dans les mains de Machado – mais il y a peu de doute qu'ils se seraient compris. Et moins de doute encore que Guy le Normand et Antonio l'Andalou, l'Espagnol atteignant 18 ans à la mort du Français, auraient eu une parfaite et même conscience du temps, d'un temps : le leur particulier.

Je sais bien, je crois, ce qu'est l'Europe véritable, celle qui n'a pas attendu les décrets, les traités et les célébrations : c'est la leur. Celle que vont probablement tuer les décrets, les traités et les célébrations. Où il n'y aura plus ni Normands ni Andalous. Et dans le temps de laquelle les minutes ne parviendront plus à s'étirer en heures, à s'étaler en siècles.

11 novembre 2010 : journée de l'amour franco-boche

Depuis quelques jours, sur les blogs, je découvre avec une stupéfaction feinte que le 11 novembre est désormais considéré – ou plutôt devra être considéré : il y a de l'injonction menaçante, là-dedans – comme une fête "franco-allemande" (fin des massacres, tout le monde doit se réjouir, ne sommes-nous pas tous frères, gnin-gnin-gnin). La dévirilisation du monde se poursuit, y compris durant les jours fériés, donc. Également sa dépolitisation puisque, si l'on suit Julien Freund, le couple ennemi/ami est l'un des constitutifs du politique, et que celui-ci ne peut durer sans celui-là. Personne, dans la nurserie moderne, ne semble s'aviser que lorsque nous aurons nié l'existence de tous nos ennemis, extérieurs ou intérieurs peu importe, ceux-ci seront toujours là et toujours ennemis. Le seul résultat est que, pour se fabriquer à peu de frais une belle âme, nous leur aurons concédé un avantage considérable, peut-être impossible à rattraper. Et si jamais toutes les nations, toutes les communautés, toutes les races, etc. se laissaient gagner par ce virus émollient, il en résulterait probablement que chaque homme deviendrait l'implacable ennemi de son voisin, l'adversaire de tous les autres. Les guerres sporadiques et localisées pourraient bien alors être remplacées par des tueries latentes et générales, des micro-massacres qui finiraient par n'émouvoir plus personne.

Pendant ce temps, mes amies féministes s'indignent de ce que les jouets pour enfants puissent être sexués. Encore deux ou trois décennies et elles ne tolèreront plus que leurs propres enfants le soient – le soient encore un peu, car on saura bien leur en faire passer le goût. Avec celui de la victoire et de ses commémorations.

jeudi 12 novembre 2009

Le saoulomètre du père Mathieu

À Nicolas, en signe de reconnaissance et gage d'amitié...


Comme Mathieu a du temps de reste, il boit ; mais il boit en artiste, en convaincu, si bien qu'il est gris régulièrement, mais il le sait ; il le sait si bien qu'il note, chaque jour, le degré exact de son ivresse. C'est là sa principale occupation ; la chapelle ne vient qu'après.
Et il a inventé, écoutez bien et cramponnez-vous, il a inventé le saoulomètre.
L'instrument n'existe pas, mais les observations de Mathieu sont aussi précises que celles d'un mathématicien.
Vous l'entendez dire sans cesse : « D'puis lundi, j'ai pas passé quarante-cinq. »
Ou bien : « J'étais entre cinquante-deux et cinquante-huit. »
Ou bien : « J'en avais bien soixante-six à soixante-dix. »
Ou bien : « Cré coquin, j'me croyais dans les cinquante, v'là que j'm'aperçois qu'j'étais dans les soixante-quinze ! »
Jamais il ne se trompe.
Il affirme n'avoir pas atteint le mètre, mais comme il avoue que ses observations cessent d'être précises quand il a passé quatre-vingt-dix, on ne peut se fier absolument à son affirmation.
Quand Mathieu reconnaît avoir passé quatre-vingt-dix, soyez tranquille, il est crânement gris.
Dans ces occasions-là, sa femme, Mélie, une autre merveille, se met en des colères folles. Elle l'attend sur sa porte, quand il rentre, et elle hurle : « Te voilà, salaud, cochon, bougre d'ivrogne ! »
Alors Mathieu, qui ne rit plus, se campe en face d'elle, et, d'un ton sévère : « Tais-toi, Mélie, c'est pas le moment de causer. Attends à d'main. »
Si elle continue à vociférer, il s'approche et, la voix tremblante : « Gueule plus ; j'suis dans les quatre-vingt-dix, je n'mesure plus ; j'vas cogner, prends garde ! »
Alors Mélie bat en retraite.
Si elle veut, le lendemain, revenir sur ce sujet, il lui rit au nez et répond : « Allons, allons ! assez causé : c'est passé. Tant qu'j'aurai pas atteint le mètre, y a pas de mal. Mais, si j'passe le mètre, j'te permets de m'corriger, ma parole ! »

Guy de Maupassant, Un Normand, Robert Laffont – Bouquins, p. 485.

Grippe porcine et hôpitaux porcheries vus du Québec

mercredi 11 novembre 2009

Peut-on être riche et masochiste : la leçon italienne

J'apprends, sur un blog où j'ai mes entrées (entrées secrètes : je ne m'y risque qu'affublé d'une opulente barbe marxoïde et brandissant à tout va une fausse carte d'adhérent au PCF), j'apprends disais-je qu'une nouvelle et étrange mode sévit désormais chez nos amis italiens. Il serait devenu monnaie presque courante que de jeunes mères “migrantes” (traduisez : qui se sont introduites frauduleusement dans la péninsule) se font aborder par des de-souche, à leur aise mais en défaut de progéniture, qui leur proposent d'acheter tout bonnement leur enfant. L'une se serait vu offrir trente mille euros, une autre cinquante mille : on voit le danger inflationniste.

Je vous passe les cris d'indignation convenue, les proclamations de dégoût obligatoire et les grands élans de révolte pavlovienne que suscite cette nouvelle pratique, en effet fort discutable sur les plans éthique et humain. Ce qui m'a stupéfié, moi, c'est que l'on puisse pousser l'inconséquence, la sottise masochiste jusqu'à vouloir se délester de cinquante mille euros en échange d'un enfant. Sachant que, si jamais l'accord se fait, l'adopté en question vous en coûtera environ dix fois autant durant les vingt-cinq prochaines années : c'est vouloir acheter un coup de gourdin derrière la nuque, financer son propre licenciement, sponsoriser son futur cancer.

Quand on dit, sans jamais y penser sérieusement, que certains types ne savent à la lettre plus quoi faire de leur argent, il y a des illustrations concrètes qui font mal, je vous assure. Alors que ces mêmes sommes seraient autrement mieux employées dans des campagnes concrètes de stérilisation ou, à la rigueur, si on tient à rester festifs, à des lâchers de préservatifs par canadairs fluos et agréablement bariolés.

Payer pour récupérer un enfant : mais dans quel monde, ma doulce amie, mais dans quel monde...

Je squatte chez l'Irremplaçable ( et sans papiers encore !)

Comme je ne tiens pas à encombrer ce blog-ci avec mes histoires de chiens-chiens-à-son-pépère, celles-ci seront désormais consignées sur la meute des gâteux, qui se trouve en lien dans ma blogroll du haut, et que je partagerai désormais avec Catherine. Pour marquer le coup (et mon nouveau territoire), j'y transfère dès maintenant mon billet de ce matin. Voilà.

Elstir fait son numéro de charme (avec peu de succès pour l'instant)

Oui certes, l'Irremplaçable a prévu très grand pour le panier du nouvel arrivant. Même s'il va multiplier son poids par six dans les huit ou dix mois à venir. Du coup, à part quand il s'agit de faire l'avantageux pour la photo, il le dédaigne ostensiblement et préfère prendre ses quartiers dans celui de Bergotte, laquelle elle-même a tendance à planter son bivouac nocturne sur mon fauteuil.

Entre ses deux-là, les relations sont normalisées depuis hier : des heures de jeu ensemble, lequel consiste essentiellement, pour Elstir, à faire semblant de mordre Bergotte aux babines ou aux oreilles, et à se prendre des pains dans la tronche en retour, puis à se casser la gueule tout seul à chaque fois qu'il tente de lui sauter sur le dos. Il a l'air de trouver ça divertissant, personne ne songe à l'éclairer sur ce point.

Mais la grande affaire d'Elstir, depuis trois jours qu'il est là, ce sont ses manœuvres de séduction en direction de Swann, lequel continue de se montrer réticent. Dès que le petit bout de viande s'approche de son propre panier, il grogne comme un imbécile, ce qui n'impressionne personne, même pas Elstir.

Sinon, lorsqu'ils sont tous les trois dehors, Swann va ostensiblement s'asseoir à l'autre bout du jardin (petit, le jardin...) ; et, si Elstir le rejoint, il détourne la tête et va lentement s'installer un peu plus loin.

Ce qu'il ne sait pas encore, c'est que le temps œuvre contre lui, et que, d'ici une semaine au plus, il aura complètement oublié qu'il fut un temps où Elstir ne faisait pas partie de la maison – il pensera avec sincérité et force que l'Autre a toujours été là et, du coup, n'osera plus lui interdire l'accès à son panier. Le connaissant, je suis bien certain qu'il se poussera pour lui faire une place, et même finira par aller se coucher ailleurs pour la lui laisser toute.

Il n'est pas français pour rien, Swann.

lundi 9 novembre 2009

Brumes et pluie

J'inaugure un nouveau libellé, je vous prie de le noter. Journée de merde, aujourd'hui – l'âme grise et sale, le temps interminable, malgré la distraction offerte par la première visite d'Elstir chez le vétérinaire.

Et je sais pourquoi, précisément. Je ne vous le dirai pas aujourd'hui : dans un an peut-être, et ce n'est même pas sûr.

État piteux, avec manifestations physiques en prime : palpitations, oppression respiratoire par instants, etc. Sensations de vide, certitude d'être une sombre merde, etc.

Seule embellie de la journée, la réponse d'André à mon mail d'avant-hier et la certitude où nous sommes désormais d'aller passer deux jours chez eux, à Strasbourg, fin janvier : ce n'est pas mince.

dimanche 8 novembre 2009

La journée d'hier (et celle d'aujourd'hui, pendant qu'on y est)

Nous sommes donc partis, hier, aux alentours d'onze heures et demie, excités comme des puces et gâteux comme pas un à l'idée d'aller réceptionner le bout de viande. Le ciel était menaçant, et n'a d'ailleurs pas tardé à mettre ses menaces à exécution : on a passé l'essentiel du trajet à être éblouis par le soleil tout en se prenant des tonnes de flotte sur la gueule. Le bon côté des choses est que nous avons eu droit à cinq ou six arcs-en-ciel, dont un superbe, au retour, visible d'une extrémité à l'autre et doublé d'un second, plus ample mais plus pâle.

Nous avions rendez-vous à trois heures, j'ai freiné devant le portail à trois heures et trente secondes, ce dont je suis absurdement fier. Nous avons, comme lors de notre première visite il y a un mois, été accueillis par la “mère porteuse” d'Elstir (c'est ainsi que l'Irremplaçable a baptisé la dame qui nous vendait la bête), souriante, assez nettement regardable, des yeux superbes : un peu le même genre de visage que Marie-Georges Profonde, pour ceux qui connaissent. Bref, Elstir était là, ainsi que ses quatre frères et sœurs. Lui qui était le plus petit il y a un mois est devenu le gros pataud que l'on peut voir ici. J'ai l'espoir qu'il acquière une vraie grosse tête de bouvier bernois, contrairement à Balbec qui a toujours gardé une étroite petite tronche de fiote – bref.
Que dire d'autre ? Ah, si, j'allais oublier : comme on était très largement en avance, que c'était sur notre route, et que Catherine me concasse les burettes depuis des semaines sous prétexte qu'elle veut manger des moules-frites, on a fait escale à Honfleur afin de se sustenter de mollusques précités. J'ai testé pour vous les moules au camembert : c'est anecdotique, vous pouvez oublier. On a néanmoins eu la chance, dans cette journée pourrave, d'avoir trois quarts d'heure de vrai soleil, ce qui nous a permis de prendre le café en terrasse et de faire le tour du port “historique” dans des conditions agréables. À part ça, Honfleur a dû être un endroit idyllique il y a cent ou cent cinquante ans, mais, aujourd'hui, c'est devenu une sorte de “beau village” qui se la pète, gangrené par cette engeance sept fois maudite que sont les “artistes peintres”. Mais enfin, les moules étaient bonnes, ce qui est bien le moins.

Comme je le disais hier, nous avons donc hérité (“hérité” est une façon de parler, vu qu'il nous a coûté un bras, ce con) d'un chien diarrhéique à l'extrême : je ne donnais pas cher du pantalon de l'Irremplaçable durant le trajet de retour. Un peu déçu je fus puisque Monsieur Biche parvint à imposer silence à ses boyaux. Et, ce matin, dans le jardin s'il vous plaît ! il nous a gratifié d'un colombin irréprochablement moulé.

Swann fait toujours la gueule, ignorant superbement le nouvel arrivant. En revanche, Bergotte et Elstir ont déjà commencé à jouer ensemble. Arrivant au train d'onze heures et demie, Ludovic (photo) est immédiatement devenu aussi gâteux que nous autres ; du coup (?) sur la suggestion de Catherine, on s'est repris un petit apéro – merde, quoi, c'est dimanche, merde, quoi (dans le genre).

À l'heure où nous mettons sous presse, Catherine dort dans le salon, je vous cause, et Ludovic se mitonne une cigarette-qui-fait-rire.

Les chiens, je ne sais pas – je suppose que ça va.