C'est une décision qui fut prise, entre crémant et riesling, presque sans y penser : nous allions ranimer la France, celle des blouses de commerçant au sourire emprunté et des petits costumes d'adolescents assis sur des tonneaux. Au moins, faute de ressusciter ces fantômes posant, nous voulions soudain leur rendre leur temps, le temps réel, charnel, incertain, changeant, celui du soleil impavide et des endormeuses saisons. Comment sommes-nous venus à parler de ce couple modernœud, d'une sottise d'airain : l'heure d'hiver / l'heure d'été ? Ne sais. Mais la décision fut prise, lorsque sonnerait bientôt le moment de la retraite, c'est-à-dire celui de la délivrance du monde, de nous en affranchir. Le sujet se glissant entre les phrases comme un orvet dans les herbes, Catherine en vint à me raconter, une fois de plus (le radotage est l'un des plus hauts plaisirs du couple, et même sa plus solide raison d'être, quoi qu'en pensent les partisans de l'agitation amoureuse et des familles recomposés), la spécificité de son village d'Estrée, en Picardie, où, jusqu'au mitan des années soixante, on vivait encore à l'heure française, c'est-à-dire qu'il y était onze heures quand il sonnait midi dans le reste de la France allemande – France allemande que nous sommes toujours, et même, si je comprends bien, de plus en plus, à mesure qu'elle devient européenne, c'est-à-dire rien.
Sur la lancée où nous étions, nous prîmes alors cette décision difficile mais exaltante : celle, dès que nous pourrions nous moquer totalement de votre monde, et revenir, pour notre usage exclusivement personnel, à l'heure française, celle qui gouverne les romans de Simenon, de Colette et d'autres. Comme ma retraite – nous en reparlerons – semble s'approcher à plus grands pas que je ne le pensais, il se pourrait que, bientôt, à cette heure officielle de neuf heures dix qu'il est actuellement, Catherine et Didier Goux ne soient encore qu'à sept heures dix. La nuit de décembre, pour nous, redescendra vers trois heures et demie de l'après-midi, et les splendeurs de la mi-juin n'excèderont pas neuf heures. Et il se trouvera que, par ce biais, certes un peu puéril, ces deux vieux cons que nous sommes vous congédieront élégamment de leur univers.