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samedi 22 juin 2024

mardi 4 juin 2024

Hoy en mi ventana brilla el sol


 Puisque nous en étions aux chansons qui me font un étrange effet, je pourrais aussi parler de Porque te vas, chantée, avec un accent un peu bizarre, un peu “impur”, par la jeune Jeanette — qui est aujourd'hui une bien vieille dame.

J'ai, comme à peu près tout le monde, découvert cette chanson à la fin de 1976 ou au début de la suivante — j'étais parisien de très fraîche date —, en allant voir le film de Carlos Saura, Cría Cuervos, qui, par son retentissement, a fait de cette ritournelle, sortie fort discrètement quelque temps plus tôt, un “tube” quasi mondial. 

(Ma mère étant, sur ces entrefaites, venue passer une semaine dans le deux-pièces de la rue de Patay, 21, que je partageais avec Denis Barthès, mon ami orléanais des lycées Pothier puis Benjamin-Franklin, pour je ne sais quelle formation qu'elle devait suivre, j'étais retourné voir le film avec elle, mais probablement, cette fois, en version doublée.)

Presque 50 après, je ne me rappelle à peu près rien de Cría Cuervos, sauf une scène : on y voyait la très jeune Ana Torrent (elle a aujourd'hui 57 ans...) assise dans un canapé, posant le disque de Jeanette sur son petit électrophone et écoutant religieusement Porque te vas.

Pour autant que je comprenne encore un peu l'espagnol, les paroles de cette chanson ne valent pas grand-chose. Si l'on tient à être indulgent, on les dira anodines. Et je ne suis pas sûr que la mélodie soit beaucoup plus relevée. Pourtant, chaque fois que je l'entends, ce qui n'arrive pas tous les jours, ni même tous les ans, elle me plonge dans un état spécial que j'aurais bien de la peine à définir — la preuve : je n'essaie même pas. Mais, comme dans le cas de So far away, c'est un effet qui se prolonge bien au-delà du temps de la chanson ; parfois plusieurs heures.

Effet durable, mais que je pressens fragile, prêt à s'évaporer si j'en venais à trop le solliciter, C'est au point que, si d'aventure l'occasion de revoir le film de Saura m'était un de ces jour donnée, je crois bien que je me défilerais. Par crainte irraisonnée de casser quelque chose. 

De voler sa jeunesse à Jeanette et son enfance à Ana.

lundi 3 juin 2024

I'm no one but a shadow…


 Je viens, chez Toitube, de tomber par hasard sur Nicolas Peyrac chantant So far away from L.A. Je l'ai écouté jusqu'au bout, et j'ai pu constater que cette chanson me plongeait toujours, comme il y a quarante ans et plus, dans la même mélancolie nostalgique, provoquant chez moi une sorte de regret souriant baudelairien aussi inexplicable que tenace.

L'étrangeté de cet effet produit sur moi est augmenté du fait que Peyrac est un chanteur qui ne m'a jamais particulièrement intéressé, et que la petite dizaine de chansons que j'ai pu, dans le temps, connaître de lui m'a toujours laissé à peu près voire complètement froid. Mais entonne-t-il So far away ? Il est sûr de “m'avoir” à tous les coups.

(Autre petit fait curieux : chacun pourra constater, au vu du portrait ci-dessus, que, les années passant, Nicolas Peyrac s'est fait presque la même tête que Jean-Pierre Darroussin.)

Je me souviens aussi d'un soir, vers le milieu des années quatre-vingt, dans l'un de ces restaurants japonais où les client sont assis le long d'un comptoir plus ou moins circulaire autour du faiseur de sushis, je me souviens d'avoir dîné à côté de ce Nicolas-là. Il était en compagnie d'une femme ; je n'étais pas seul non plus, mais du diable si, les décennies ayant passé, je me rappelle avec qui.

So far ago, n'est-ce pas...

 

dimanche 17 mars 2024

Le fascisme sous les roses (blanches)


 Les jeunes d'aujourd'hui ne savent pas la chance qu'ils ont, de pouvoir écouter des chanteurs aux ritournelles intelligentes et responsables, qui n'essaient pas de leur fourguer des vessies au prix des lanternes. Nos grands-parents n'ont pas eu ce bonheur, à qui les pousseurs de rengaines, avec un cynisme à peine croyable, ont pu faire avaler n'importe quoi ou à peu près. Prenons par exemple cette scie des années vingt : Les Roses blanches, et examinons-en le bouquet, ligne à ligne ou peu s'en faut.

C'était un gamin, un gosse de ParisPour famille il n'avait qu'sa mère

Oui, et alors ? Qu'est-ce qu'on avait, en 1926, contre ces belles familles monoparentales qui font aujourd'hui notre fierté ? Et pas la plus petite louange de cette femme qui a su, visiblement, s'extraire des chaînes patriarcales d'on ne sait quel mâle toxique ! Bien au contraire :

Une pauvre fille aux grands yeux rougisPar les chagrins et la misère

Là, on nous prend pour des truffes : qui va avaler ce bobard que la misère rougirait les yeux ? L'alcool, en revanche, oui ! Il est bien connu que les pauvres boivent, et les miséreux encore plus. Pour le coup, on comprend mieux que le mâle toxique sus-évoqué se soit fait la malle : qui aurait envie de passer sa vie avec une pauvresse aux yeux rouges et traînant après elle de forts relents d'Assommoir ? Mais poursuivons :

Elle aimait les fleurs, les roses surtoutEt le bambin tous les dimanchesLui apportait de belles roses blanchesAu lieu d'acheter des joujoux

Des fleurs, maintenant ! Une traîne-misère avec des goûts de bourgeoise ! Et pourquoi pas des émeraudes, pendant qu'on y est ? Et son rejeton ne vaut pas mieux : quelle idée de rapporter d'inutiles rosaceae dans un taudis où une belle entrecôte assortie d'une baguette croustillante auraient évidemment été plus utiles et bénéfiques. Et puis, ce gamin : d'où sort-il l'argent qu'il dépense inconsidérément chez le fleuriste ? Mystère… voile pudique…

Du reste, la vérité ne tarde pas à se faire jour, dès lors que la mère se retrouve à l'hosto. (Évidemment, à force de dépenser tout l'argent en fleurs superflues plutôt qu'en nourritures roboratives et riches en oméga 3, on ne voit pas ce qui aurait pu lui arriver d'autre.) Bref :

Un matin d'avril parmi les promeneursN'ayant plus un sou dans sa pocheSur un marché, tout tremblant le pauvre miocheFurtivement vola des fleurs

Ah, nous y voilà ! On comprend mieux, d'un coup, où cette graine précoce de délinquant trouvait l'argent pour ses folies dominicales et florales : dans le gousset des honnêtes passants ! Car on ne nous fera pas croire qu'un garnement assez dénué de sens moral pour voler ses roses à une courageuse fleuriste reculerait un seul instant devant d'autres forfaits du même genre : depuis des années, les roses du dimanche étaient le fruit du crime !

Et le fait que sa famille monoparentale aux yeux rouges soit en train d'agoniser sur un quelconque grabat de l'Assistance publique ne lui a même pas donné l'idée de dévaliser plutôt une pharmacie ? On se pince ! On cauchemarde !

Et l'on viendra s'étonner, après de telles abominations, que tout un pays ait pu, une quinzaine d'années plus tard, basculer entièrement dans le pétainisme et la collaboration ? Les épines des roses blanches avaient eu tout le temps d'inoculer leur pernicieux venin…


vendredi 19 mai 2023

Pleurnicheries en la majeur


 Il y a trois jours, Catherine m'a posé une question d'apparence tout à fait innocente mais finalement lourde de conséquences pénibles : « Tu te souviens d'une chanson qui disait qu'il avait neigé sur le lac Majeur ? » il se trouve que, vers quinze ou seize ans, pour une raison ayant tendance à m'échapper complètement aujourd'hui, j'avais acheté le 45 tours de Mort Shuman proposant cette chanson (à Châteaudun, dans la boutique de disques sise juste derrière la place du 18-Octobre et tenue par Monique…). Je pus donc aussitôt, de ma superbe voix mâle, en fredonner le début :

Il neige sur le lac Majeu-eu-eur

Les oiseaux-lyres sont en pleu-eu-eu-eurs

Et le pauvre vin italien-in-in-in-in

Coule beaucoup et pour rien

Je pensais en être quitte avec ça : tragique erreur. 

Le lendemain, cette fucking mare enneigée n'ayant quitté ni le cerveau de Catherine ni le mien, j'eus l'idée, limite suicidaire, d'aller en chercher la version shumanienne sur Toitube ; je l'y trouvai en effet et l'envoyai incontinent à mon infortunée épouse, via le réseau impalpable de Dame Ternette, pensant que nous infliger ces quatre minutes de musique pompeusement languissante accrochée à des lambeaux de paroles absconses allait agir sur nous comme un genre de purge ; que la neige allait fondre, le lac se combler et les piafs-lyres arrêter de chialer sans qu'on sache pourquoi. 

Seconde erreur. 

Le clip – où l'on voit bien le lac mais pas le moindre flocon – n'a fait que renforcer l'emprise de la ritournelle diabolique sur nos esprits en surchauffe, où elle continue de tourner de plus en plus vite, telle une rondelle de vinyle saisie de démence.

Et le pire, la cerise vénéneuse sur cet indigeste gâteau, c'est la découverte que je viens de faire, grâce à la science ornithologique de Dame Ternette : les larmoyants volatiles sur le chagrin desquels on espérait nous apitoyer ne vivent nulle part ailleurs qu'en Australie.

D'où ma question et son corollaire : qu'est-ce qu'ils peuvent bien en avoir à foutre qu'il neige sur le lac Majeur ? 

Et qui les a mis au courant de la météo italienne ?

 

mardi 15 décembre 2020

lundi 7 décembre 2020

Les Roses blanches, seconde édition

 

 

Faut-il avoir l'âme assez basse pour souiller ainsi, fouler aux pieds, couvrir d'opprobre les plus précieux fleurons de notre génie lyrique, les plus émouvants bouquets assemblés par le génie même de notre peuple ! Nous ne prendrons même pas la peine de dire ce que nous inspirent les ricanantes contorsions d'un tel individu : laissons-le s'engluer dans ses boues fétides et, lui tournant résolument le dos, rétablissons plutôt la vérité en volant vers les cimes.

C’était un gamin, un gosse de Paris,
Pour famille il n’avait qu’ sa mère

Comme on le voit bien, ce gamin, ce gosse, cette fleur du pavé de Montmartre, remontant le nez en l'air et la frimousse curieuse, la rue Saint-Vincent ou celle des Saules ! Il doit avoir quelque chose comme dix ou onze ans, cet âge où le malheur n'est encore qu'une contrée lointaine et à peine réelle, seulement évoquée dans les contes de M. Perrault ou quelques chansons des rues et des cours. Protégé encore du malheur par son innocence, notre poulbot ne l'est pas de l'injustice des hommes. Qu'est-il donc arrivé à ce père absent, que, parfois, souvent, il voit sa mère pleurer en se cachant de lui, comme honteuse du secret qui l'oppresse ?

Les Roses blanches sont de 1928, on le sait. Sans doute conçu lors d'une de ses trop rares permissions, l'orphelin est né alors que son père, poilu par avance sacrifié à la voracité d'une clique militaro-industrielle tapie dans l'ombre des palais nationaux, était déjà remonté au front, le long du Chemin des Dames. Mais, s'il était un héros “certifié”, ce malheureux soldat, fauché par la mitraille en jaillissant de sa tranchée sous les ordres d'un officier de fer, pourquoi sa mère devrait-elle se cacher pour le pleurer ? Et pourquoi aucune photo du disparu dans les deux pièces en soupente où elle vit avec son enfant ? On le comprend sans qu'il soit besoin d'insister : le père du gamin a dû faire partie de ces courageux mutins de 1917, ceux qui ont osé se dresser et dire “non ! ” à la boucherie voulue par les forces bourgeoises. Il est tombé non pas face à l'ennemi, mais sous les balles d'autres Français, lié au poteau d'infamie.

L'absence ajoutée à la honte : il n'en faut pas plus pour détruire lentement mais sûrement la malheureuse ouvrière,

Une pauvre fille aux grands yeux rougis,
Par les chagrins et la misère

Qu'a-t-elle donc pour s'accrocher encore à la vie ? Son enfant. Ce vivant souvenir du disparu, qui revit un peu en lui, qui a son regard tour à tour pensif et malicieux, et aussi cette façon de repousser de deux doigts la mèche qui lui balaie le front. Son enfant et les quelques roses blanches qu'il lui apporte le dimanche, comme le faisait son fiancé au début de leur amour ! Une habitude que le gosse a reprise, sans se douter qu'elle lui venait de ce père dont il n'entend jamais parler. Et c'est pour ces quelques fleurs dominicales que le gosse n'hésite pas à braver la nuit et les froidures humides de l'hiver parisien, pour aller vendre par les rues les journaux aux odeurs d'encre fraîche, labeur qui lui rapportera les quelques sous nécessaires à l'achat des fleurs tant attendues par sa mère, laquelle profite de son seul jour de repos pour astiquer de fond en comble le sombre réduit qui leur sert de tanière.

Ces roses, souvent un peu défraîchies car l'enfant n'a guère les moyens d'entrer chez les fleuristes de luxe et doit bien souvent se contenter des fleurs du marché, celles dont aucun client n'a voulu et qui, sans lui, partiraient sans doute au ruisseau, ces fleurs sont le seul rayon de lumière qui éclaire encore ces deux êtres que le malheur a élus. Mais c'est encore trop :

Un matin d’avril parmi les promeneurs
N’ayant plus un sous dans sa poche
Sur un marché tout tremblant le pauvre mioche,
Furtivement vola des fleurs

Peut-on le condamner pour ce geste ? Non, pas plus qu'on aurait dû envoyer au bagne un Valjean voleur de pain ! Et la brave fleuriste ne s'y trompe pas qui, avec cette générosité innée du petit peuple et cette compréhension du prochain que confère la pauvreté commune, offre avec simplicité les roses que le gamin vient de lui voler. Peut-on imaginer sa joie à ce moment-là ? Se figurer le bonheur qui l'inonde en découvrant ce qu'il y a de bonté dans l'homme ? Joie et bonheur aussi vite anéantis que jaillis :

Puis à l’hôpital il vint en courant,
Pour offrir les fleurs à sa mère
Mais en le voyant, une infirmière,
Tout bas lui dit "Tu n’as plus de maman"

La chanson va-t-elle se terminer là, sombrer irrémédiablement dans la noirceur et le désespoir ? Non ! Car l'enfant puise dans cet anéantissement la force de se projeter à la fois vers l'avant, vers cette vie d'homme qu'il entrevoit désormais, et vers le haut, vers ce Ciel où, les bras chargés de roses blanches, sa pauvre mère est devenue bienheureuse, retrouvant en paradis celui qu'elle a tant aimé, le père de son fils, répudié par les hommes mais réhabilité en gloire par le Très-Haut, le Créateur des fleurs blanches et des enfants aimants.


lundi 30 novembre 2020

Chanson à la moulinette


 J'ai plusieurs fois, par le passé, tenté d'alerter le peuple insouciant sur le danger de certaines chansonnettes qui, sous leurs anodines ritournelles, cachent en réalité de puissants acides destinés à corroder la morale commune et à dissoudre les vertus les mieux trempées. Je pense que, grâce à mes efforts, nul ne peut plus écouter les Grands Boulevards de Montand ou le Trousse-chemise d'Aznavour, pour ne citer que deux exemples, sans tressauter d'une juste indignation. 

Je me devais à moi-même de poursuivre cette tâche sacrée. C'est pourquoi, aujourd'hui, nous allons nous attaquer à une œuvre particulièrement pernicieuse et passer à la moulinette Les Roses blanches de Mme Berthe Sylva. Commençons par le commencement :

C’était un gamin, un gosse de Paris,
Pour famille il n’avait qu’ sa mère

D'entrée, le ton est donné, l'ambiance misérable dessinée : nous sommes confrontés à une famille mono-parentale, cette abomination des temps modernes. Et l'on imagine sans peine, mais avec chagrin, les pressions morales que l'innocent rejeton a dû subir, depuis sa naissance ou quasi, les récriminations d'une mère aigrie contre les hommes, faisant retomber le poids de ses frustrations infinies sur la tête de son enfant. Il y a là, en germe, de quoi dégoûter à tout jamais un gosse des amours ordinaires : on ne serait pas surpris de le voir se métamorphoser plus tard en fiote amateur de gay prides. Cette mère abusive, qui est-elle ?

Une pauvre fille aux grands yeux rougis,
Par les chagrins et la misère

Ah ! ils ont bon dos, les chagrins et la misère ! Ces “yeux rougis”, on se doute bien qu'ils ont d'autres causes moins avouables : des nuits passées à se saouler de mauvaises gnôles et à rouler entre les bras de quelques apaches des barrières, afin de noyer doublement, dans l'alcool et le stupre, les remords que devraient lui causer les échecs successifs de sa lamentable existence. Un indice de cette vie dissolue qu'on lui entrevoit ?

Elle aimait les fleurs, les roses surtout,

Non, pénible garce, non : on n'aime pas les fleurs, et encore moins les roses, quand on est une honnête ouvrière, s'acharnant par son seul travail à faire vivre son enfant sans père ! Du reste, on commence à le comprendre, ce père, probablement un brave et simple travailleur, horrifié et s'enfuyant à toutes jambes en découvrant le fond de vice de celle dont il avait d'abord rêvé de faire sa chaste épouse. Il a bien fait car elle n'aurait sans doute pas mis grand temps à le corrompre, tout comme elle a commencé à corrompre le fils qu'il lui a laissé. En effet :

Et le bambin tous les dimanche
Lui apportait de belles roses blanches,
Au lieu d’acheter des joujoux

On nous a dit que sa mère était dans la misère, n'est-ce pas ? Alors je formule la question que tout le monde se pose déjà : où diable le “bambin” trouve-t-il l'argent pour acheter des roses, fleurs dispendieuses s'il en est ? Même sans aller jusqu'à imaginer le pire – il ne manque pas de messieurs dépravés, autour des fortifs, pour apprécier le charme interdit des bambins… –, on se doute bien qu'il ne se procure pas ses bouquets par des moyens honnêtes. Et d'ailleurs :

Un matin d’avril parmi les promeneurs
N’ayant plus un sous dans sa poche
Sur un marché tout tremblant le pauvre mioche,
Furtivement vola des fleurs

Voilà où  mènent l'exemple d'une fille-mère et l'éducation qu'elle peut donner ! Et comme dit si bien la sagesse populaire : « Qui ce jour vole une rose / vole bientôt autre chose. » On le retrouvera donc très vite, devenu adulte, occupé à détrousser les bourgeois sur les boulevards, s'il ne se transforme pas en un répugnant julot-casse-croûte, contraignant aux bordels de Pigalle ou au tapin de la Madeleine de pauvres filles qu'il aura séduites en leur payant des cocktails opiacés et leur offrant des cigarettes à bout doré – bref : des portraits vivants et plus jeunes de sa mère, cette mère qui, dès les langes, lui a indiqué la voie de la dépravation comme on ouvre une voie royale.

Certes, la morale semble sauve in extremis, puisque la mère du futur maquereau va très logiquement finir ses jours à l'hôpital, probablement d'une cirrhose en phase terminale ou d'une bléno mal soignée. Mais ce n'est là qu'apparence. Car enfin, qui est-ce qui va le payer, ce séjour hospitalier ? Certainement pas elle, qui n'est riche que de ses chagrins et de sa misère, ni son monomaniaque de fils qui ne pense qu'à ses putains de fleurs.

Eh oui, on l'aura compris : c'est encore nous qui allons y être de notre poche.


mardi 4 février 2020

Remontons vers Amont


Pour je ne sais quelle raison, mais qui doit probablement relever du démoniaque, je ne cesse de fredonner depuis ce matin une chanson un peu sotte de Marcel Amont. Vous la connaissez peut-être aussi ; elle fait :

Bleu, bleu, le ciel de Provence
Blanc, blanc, blanc, le goéland,
Le bateau blanc qui danse,
Blond, blond, le soleil de plomb 
Et dans tex yeux mon rêve en bleu, etc.

J'écoutais cela quand j'étais en “culottes courtes”, comme je suppose qu'on ne dit plus ; et sans doute aussi l'hiver, quand on me forçait à mettre des pantalons, ce que je détestais – je ne me souviens plus pourquoi. Le disque, un “super 45 tours” doit toujours se trouver à Fontaine-le-Dun, chez ma mère.  En tout cas, je ne vois pas où il pourrait se trouver ailleurs que là.

Comme tout super 45 tours se respectant, celui-là contenait quatre chansons. L'une, le titre “phare”, vous la connaissez aussi, forcément :

Les bleuets d'azur
Dans les grands blés mûrs
Nous font des clins d'œil
Au haut du clocher
La pie vient percher
Sa robe de deuil
Et tandis qu'au ciel
Le silence est tel, etc.

Les deux autres, les fonds de tiroir, sont évidemment moins connues. Moi-même, malgré des dizaines et des dizaines d'écoutes, échelonnées en gros de 1960 à 1975, j'ai un peu de mal à me les rappeler nettement.  C'était, en tout cas, des ritournelles à vocation comique. Sur un air sautillant, le refrain de l'une faisait ainsi :

Y'en avait pas beaucoup, pas beaucoup, pas beaucoup
Y'en avait pas beaucoup
Y'en avait si peu, si peu, si peu,
Y'en avait si peu
--------------------
Y'en avait pas beaucoup, pas beaucoup, pas beaucoup,
Presque pas du tout.

On voit le genre. Par exemple, je ne me souviens plus du tout de quoi il pouvait y avoir si peu, si peu, si peu. Quant à la dernière, dont je crois bien qu'elle était signée d'Aznavour, il s'agissait d'une sorte de parodie du style sirupeux, only-youiste, des Platters, quintet de “Lyonnais” bien propres sur eux et fort en vogue en cette époque aussi stupide que bénie. Il ne m'en reste, de la chanson d'Amont, que quelques bribes. Dans ce genre :

Si je devais-ais ouh ouh ou-ou-ouh !
Mourir d'amour, etc.

C'était assez drôle, léger, facétieux. Ce qui est bien le moins quand on est un chanteur né un premier avril. Celui de l'an 1929. 90 ans révolus, voilà qui mérite bien un petit coup de chapeau, celui de Mireille ou un autre. Allez, tenez :


samedi 23 février 2019

Dieu, la connasse et le grand crétin


La chanson s'appelle Sur ma vie et, comme elle a été enregistrée deux ou trois semaines après ma naissance, rien ne m'empêche d'y voir une sorte de salut  adressé à mon mini-moi vagissant. C'est une bien jolie chanson, triste et mélodieuse, où un pauvre petit gars éperdument amoureux est plaqué au pied de l'autel par une connasse sans cœur, et probablement sans cervelle non plus. Il n'empêche qu'elle est un peu bizarre – pas la connasse : la chanson. Voici ce qu'on peut entendre au troisième couplet :

Près des orgues qui chantaient
Face à Dieu qui priait
Heureux je t'attendais

Est-ce que par hasard je serais le seul à me demander qui Dieu pourrait bien prier ? Je ne vois qu'une alternative. Ou bien il se prie lui-même, ce qui pourrait induire un certain abus du vin de messe, voire d'une quelconque herbe-qui-fait-rire ; ou bien il faut prendre le verbe dans son sens non religieux, comme dans l'expression « je vous prie de bien vouloir arrêter de me casser les couilles ». En ce cas, la prière divine pourrait s'adresser à la promise du grand crétin qui poireaute devant l'autel, dans son costume de location mal ajusté, à demi étouffé par un nœud pap' trop serré. On imagine quelque chose comme ceci :

« Bon, écoute-moi bien, infinitésimale créature : jusqu'à vingt minutes de retard, je n'ai rien dit ; je sais comment sont les femmes – et pour cause –, surtout le jour de leur mariage. Mais, là, tu attiges. Bon sang, regarde : tout est prêt, les orgues chantent, ta future victime a le “oui” au bord des lèvres, toute la noce est alignée dans les travées, c'est un succès, on refuse du monde en bout de nef, mon bon curé est chaud bouillant du ciboire et on peut voir quelques tics nerveux apparaître sur les figures mal mouchées des enfants de chœur qui commencent à s'impatienter de la sonnette. Alors, maintenant, ça va : rapplique et au trot, nom de Moi ! »

Mais la connasse persiste dans son refus, se bute dans l'absence, et voici le travail :

Mais les orgues se sont tues
Et Dieu a disparu
Car tu n'es pas venue 

On comprend Dieu : avec le paquet d'imbéciles qui, à chaque heure, nuits et week-ends inclus, comptent sur lui pour les tirer du pétrin dans lequel leur congénitale sottise les a plongés, il n'allait pas passer la journée là, dans cette triste église de banlieue mi-ouvrière, mi-rentière, à attendre une tête de mule gazéifiée de blanc. Il l'a donc, très logiquement, joué cassos. Ne reste plus dans l'église (l'organiste vient lui aussi de quitter sa tribune) que le grand crétin, qui se met à radoter de façon pitoyable ou risible, selon votre humeur du moment :

Sur ma vie je t'ai juré un jour
De t'aimer jusqu'au dernier jour de mes jours
Et même à présent
Je tiendrai serment
Malgré tout le mal que tu m'as fait
Sur ma vie
Chérie
Je t'aimerai

L'auditeur, attendri ou consterné, se dit que sa vie va suivre désormais une pente hélas trop connue : solitude, rêves chimériques, déclassement social, masturbations excessives, alcoolisme, vote à gauche, accident mortel de Mobylette un soir de murge en technicolor…

Mais non ! Se laisser aller à ce pessimisme gluant prouve simplement que l'on n'a écouté chanter Charles que distraitement. Parce qu'enfin, cette scène lamentable à laquelle il nous a été donné d'assister, elle a eu lieu au pied de l'autel d'une église que l'on suppose catholique (du reste, serait-elle orthodoxe ou adventiste du septième jour que cela ne changerait rien à l'affaire). Ce qui implique que le grand crétin et la connasse gazéifiée sont déjà officiellement mariés à la mairie communiste de leur patelin grisâtre ! Voilà qui devrait ramener un pâle sourire sur la face blême de notre héros – et, du même coup, nous dispenser de ses serments à la con.

Reste à savoir si un mariage débutant par une retentissante désertion ecclésiale a des chances, même minimes, d'aboutir à une union durable et satisfaisante. Mais, bon, hein : c'est leur problème.

vendredi 11 janvier 2019

Dressons haut le bûcher de l'Aznavour !

Et le monstre a encore l'odieux cynisme de sourire !

Elles attendent quoi, nos sœurs féministes, pour organiser un gigantesque auto-da-fé, un magnifique feu de révolte, d'indignation et de dégoût, dans lequel se consumeront à jamais les disques de l'ignoble Arménien, dont le nom sera rayé à tout jamais de la mémoire de l'humanité ? Car c'est bel et bien un monstre qui, durant des décennies, sous couvert de chanter l'amour, n'a eu de cesse de magnifier l'esclavage et la violence dont l'homme a écrasé la femme depuis la plus haute antiquité, et même sans doute avant (mais on manque de documentation). Songez que des radios n'hésitent toujours pas à programmer sur leurs ondes des ignominies telles que Trousse-Chemise ou Donne tes 16 ans ou encore Tu t'laisses aller. Des titres qui sont toujours en vente libre ! Or, il suffit de les écouter vraiment pour que saute aux oreilles et aux cerveaux leur répugnante idéologie féminophobe. Prenons la première des trois citées : il s'agit de rien de moins que de la glorification d'un viol sur mineure. Quasiment d'entrée (c'est moi qui souligne) :

On s'était baigné à la découverte
La mer était verte
Tu l'étais un peu

Lorsqu'une jeune fille est verte, malgré l'air vivifiant et iodé de l'Atlantique, c'est évidemment qu'elle est malade. Cela va-t-il pousser le mâle à renoncer à ses odieuses visées ? Que nenni ! Tout est prévu, manigancé, ourdi : il ne sursoira pas. Cette pauvre fille verte, il faut commencer par anihiler sa pauvre volonté. Il a tout prévu :

On était parti la fleur à l'oreille
Avec deux bouteilles
De vrai muscadet

Deux bouteilles pour deux ? Le doute n'est hélas pas permis : le prédateur va saouler sa victime malade ! Ensuite, lorsqu'il l'aurait transformée en une pauvre loque à peine humaine, il ne lui restera plus qu'à accomplir l'irrémédiable, ce crime dont il n'hésite pas à se vanter (c'est encore moi qui souligne) :

Et j'ai renversé à Trousse-Chemise
Malgré tes prières
À corps défendant
Et j'ai renversé le vin de nos verres
Ta robe légère
Et tes 17 ans

L'affaire est donc claire, le dossier indéfendable : il y a bien eu viol sur une malheureuse fille mineure (en plus d'être saoule et verte). Et viol brutal, puisque perpétré au milieu des débris de verres.

Mais 17 ans, pour cet assassin d'innocence, c'est sans doute déjà trop âgé ! Le voilà qui s'attaque, dans la deuxième chanson, à des gamines encore plus jeunes… et surtout impubères (c'est toujours moi qui souligne) :

Viens donne tes 16 ans
Au bonheur qui prend forme
Pour que ton corps d'enfant
Peu à peu se transforme

Ce “bonheur”, on ne devine que trop bien quelle forme turgide il est en train de prendre ! Quant au corps juvénile de la victime, il est sûr qu'il va rapidement se transformer, une fois qu'elle aura un polichinelle illégitime dans le tiroir !

Mais on se demande si le comble du cynisme n'est pas atteint dans la dernière chanson de cette infernale trilogie. Il n'est même pas utile de citer exactement les vers ignobles qui l'émaillent, chacun les a, hélas, en mémoire. Dissimulée sous une musique doucereuse, il s'agit tout de même de l'histoire d'un mari rentrant tard et ivre chez lui, où l'attend son épouse, probablement en se rongeant les sangs, sachant qu'il quitte son bureau à six heures et qu'il est déjà dix heures moins le quart. Ce rustre va-t-il au moins faire profil bas ? Point ! Précédé de forts relents de vinasse et de transpiration macérée, il va avoir la tranquille audace de reprocher à la pauvre délaissée de s'être transformée en grosse vache imbaisable. Transformation terrifiante, qui n'a pris, nous informe-t-il avec une abjecte complaisance, que cinq ans : c'est assez dire les souffrances que la triste martyre a dû endurer de la part de ce sac à vin. On sent bien qu'elle ne sait plus qui elle est, à deux doigts du nervous breakdown, au point de se promener chez elle en chaussures et peignoir mal fermé, ce qui ne va guère ensemble. Et, pour finir, le soûlographe titubant retombe dans ses vieilles ornières pédophiles (c'est moi qui souligne) :

Essaie de te montrer gentille
Redeviens la petite fille
Qui m'a donné tant de bonheur

Mes sœurs de combat, mes sœurs je vous le dis : il est plus que temps d'abattre cette funeste idole, ce ricanant témoin d'un passé de ténèbres dont nous ne voulons plus. Et ne chipotez pas sur les bidons d'essence.

vendredi 7 décembre 2018

Nathalie a bien travaillé


Ce fut l'un des plus gros succès de la chanson française, en cette belle année 1964 : Nathalie, de l'immortel Gilbert Bécaud. Les âmes naïves de cette époque y ont vu l'histoire d'une brève mais flamboyante passion, vécue au cœur de la Russie éternelle.

Alors qu'il ne s'agissait que d'une coucherie programmée par les Organes, entre un Occidental un peu niais et un indicateur du KGB.

N'importe quelle personne ayant une connaissance même très approximative de l'URSS vous le confirmera sans une ombre d'hésitation : tout guide ou interprète amené à être en contact avec des étrangers, spécialement des Occidentaux, travaillait obligatoirement pour le KGB ; pas forcément comme membre à part entière, en tant que salarié, mais au minimum comme informateur “bénévole” (et légèrement contraint). 

Cela posé, entrons un peu dans le détail, en suivant vers à vers ce merveilleux texte, tombé de la plume de Pierre Delanoë (lequel n'avait rien à voir avec le Bertrand de sinistre mémoire). La ballade commence ainsi :

La Place rouge était vide
Devant moi marchait Nathalie
Il avait un joli nom mon guide
Nathalie

Déjà, premier étonnement : pourquoi le guide marche-t-il devant le brave petit Français à qui il est censé fournir des explications sur ce qu'il découvre ? La réponse va de soi : cette Nathalie-là cherche d'emblée, par le spectacle de ses jambes et les ondulations de sa croupe, à émoustiller sa proie et, ce faisant, à amoindrir ses défenses intellectuelles.

Remarque annexe : le troisième vers trahit son époque, avec ce genre masculin incongru : aujourd'hui, un parolier scrupuleusement paritaire écrirait sans coup férir quelque chose comme : Elle avait un joli nom ma guidesse ; ce qui empêcherait la Place rouge d'être vide, à cause de la rime. Mais poursuivons. Que fait Nathalie, par ce beau dimanche enneigé (c'est dit dans le deuxième couplet) ? Fait-elle à son aimable touriste un bref historique des monuments qu'il voit ? Non point :

Elle parlait en phrases sobres
De la révolution d'octobre

Nous y sommes : après avoir fait tomber les “défenses immunitaires” du pigeon qu'on lui a confié, en tortillant des hanches devant lui, elle commence sans tarder son bourrage de crâne idéologique. Cependant, comme ils ne se connaissent pas encore bien, elle y va piano, “en phrases sobres” : ce résidu de l'aliénation bourgeoise ne bande encore qu'à moitié, il pourrait regimber. Il va donc falloir passer à la vitesse supérieure, en sollicitant tous ses sens et en amoindrissant encore une lucidité déjà bien vacillante. C'est en effet ce à quoi s'emploie notre sémillante Kagébiste, après avoir sacrifié au rite innocent du chocolat de chez Pouchkine, dont on se demande ce qu'il vient ficher là, sinon rimer avec le tombeau de Lénine. (J'imagine qu'ils auraient pu tout aussi bien aller prendre le thé chez Lermontov, après avoir vu le tombeau d'Oulianov.) Donc, Nathalie enclenche le turbo :

Dans sa chambre à l´université
Une bande d´étudiants
L'attendait impatiemment
On a ri, on a beaucoup parlé
Ils voulaient tout savoir 

Des étudiants ? Des vrais ? Difficile à croire : sachant mieux que personne que leur “amie” Nathalie est en liaison avec le KGB de par son travail de guide-interprète, comment auraient-il la naïveté invraisemblable, pour ne pas dire l'inconscience, de rencontrer un Occidental en sa présence ? Le plus probable est donc que, eux aussi, sont en lien direct avec les Organes, c'est-à-dire le KGB ou l'une de ses annexes. C'est d'ailleurs ce que semble vouloir nous faire comprendre le dernier des vers que l'on vient de citer : Ils voulaient tout savoir. Ben voyons… Nous avons du reste une preuve supplémentaire, et encore plus probante, de l'appartenance de ces “étudiants” aux Organes, quelques vers plus loin :

Et puis ils ont débouché
En riant à l´avance
Du champagne de France 
Et l'on a dansé

QUI, dans un pays communiste digne de ce nom, a la possibilité de se procurer du “champagne de France” ? N'importe quel Russe ayant connu l'Union soviétique vous répondra. Si nous avions affaire à de simples étudiants, ils se torchonneraient à la vodka frelatée en avalant quelques rondelles de concombre, et s'écrouleraient demi-morts au bout d'une petite heure. Donc, là encore, nous sommes en présence d'indicateurs – volontaires ou contraints, peu importe – qui tentent de saouler leur gibier, afin de “tout savoir”. Mais comme leur pêche aux renseignements ne doit pas être entièrement satisfaisante, on décide soudain d'abattre l'atout maître :

Et quand la chambre fut vide
Tous les amis étaient partis
Je suis resté seul avec mon guide
Nathalie

Plus question de phrases sobres
Ni de révolution d´octobre
On n´en était plus là 

 En effet, il est temps d'en finir : Nathalie devient Mata-Hari et, comme on l'y a sans doute fortement encouragée dans les locaux de la Loubianka, elle paie de sa personne, malgré le peu de désir que lui inspire sans doute ce pauvre Français puant l'alcool et la vieille transpiration (il a bu et dansé, je vous le rappelle), espérant recueillir, après la turlute caucasienne et la brouette biélorusse, d'ultimes confidences sur l'oreiller. Quant à Gilbert (appelons-le ainsi : je trouve que Bécaud avait ce sourire à la fois niais et fat qui convient tout à fait à son personnage), quant à Gilbert, donc, sûr que son charme naturel a suffi à mettre sur le dos sa petite colombe des steppes, il n'en doute pas une seconde :

Que ma vie me semble vide
Mais je sais qu´un jour à Paris
C'est moi qui lui servirai de guide
Nathalie, Nathalie

Car, bien entendu, à l'ère khrouchtchevo-brejnevienne, toutes les étudiantes soviétiques obtenaient leur visa pour Paris sur un simple claquement de doigts. Il aura déjà bien de la chance, ce pauvre Gilbert, si ses ébats avec cette redoutable pouffiasse n'ont pas été filmés et s'il ne se retrouve pas, victime d'un impeccable chantage, obligé de trahir son pays, au risque d'aller ensuite croupir dans les geôles de la République gaulliforme.

Mais le disque s'est fort bien vendu : on était d'indécrottables romantiques, en 1964.

mardi 2 octobre 2018

Hier encore, j'avais 4 ans



Nous découvrons l'enfant dans la pièce principale du petit logement où il vit avec ses parents et son frère tout juste né, rue Saint-Éloi à Châlons-sur-Marne ; ce même appartement qui, 55 ans plus tard et transporté à Montcosson, servira de tanière transitoire à Evremond. L'enfant a entre 4 et 5 ans, c'est le soir, probablement un vendredi ; son père rentre de la base aérienne de Reims – ville, pour l'enfant, incroyablement éloignée  ; il rentre, le père, avec un électrophone, celui qu'un ami lui a prêté pour la durée du week-end : les parents de l'enfant, bien que tous deux travaillant, n'ont pas encore eu les moyens, en cinq ans de mariage, de s'offrir ce luxe. 

Mais ils possèdent des disques ; peu, et uniquement des “45 tours” (deux chansons par face) : avec un sens inné de l'économie ménagère et une vision ordonnée de l'avenir, la mère a décidé qu'il convenait d'acheter deux disques chaque mois – un seul dans les périodes budgétairement plus épineuses. Ainsi disposera-t-on d'une quantité suffisante pour ne pas s'en écœurer, au jour supposé lointain où l'on pourra faire l'acquisition de l'appareil justifiant leur existence – jour qui devait arriver plus vite que prévu, mais on n'en savait encore rien.

Donc, voici le père, de retour du monde très vaste. Son plus urgent travail a consisté à “se mettre en civil”, comme il le sera chaque soir de sa vie militaire. Ensuite, bien sûr, on pose le premier disque, jamais écouté encore, sur l'électrophone. Il y a neuf chances sur dix pour qu'il soit de Charles Aznavour. Le père de l'enfant a été un “fan de la première heure”, comme on dira dans les années suivantes. En 1954, un an avant son mariage, il est allé passer une soirée à l'Olympia ; non pour Sydney Bechet qui y fait alors un triomphe, mais pour cet Arménien qui chante quelques chansons en première partie ; pas en “lever de torchon” mais pas loin. Et il racontera souvent, plus tard, comment, à la sortie du music-hall des Capucines, ils n'étaient pas plus de quatre ou cinq à attendre Aznavour, lequel, après avoir signé ces quelques autographes, était parti à pied dans la nuit, tout seul. Peut-être même pleuvait-il légèrement.

Cinq ans plus tard, Aznavour truste la chiche discothèque de la rue Saint-Éloi, et c'est lui qui a les honneurs de l'électrophone en transit. L'enfant en reçoit une véritable commotion. Il n'en gardera pas le souvenir, mais l'épisode est dûment signalé dans la saga familiale. Il y est dit que l'enfant passera l'essentiel du samedi, puis du dimanche, assis par terre, tout près de l'appareil posé à même le sol, près de la prise électrique à quoi on l'a raccordé. La légende veut même que, si l'enfant s'en éloignait parfois, lorsque chantait Patachou ou Marcel Amont, la voix d'Aznavour le ramenait invinciblement vers l'appareil : l'histoire a peut-être été enjolivée.

Il reste vrai que, six ou sept années plus tard, alors que l'appartement familial, allemand désormais, est doté de tout le confort auditorial, l'enfant connaît par cœur plusieurs dizaines de chansons d'Aznavour, qu'il interprète en boucle sur le siège arrière de la Panhard, puis de l'Opel, à chaque voyage un peu long que la famille entreprend ; cela ne suffit pas à dégoûter les parents d'Aznavour, qui continuent à acheter ses disques, mais toujours sous forme de 45 tours, sans doute par l'entraînement de l'habitude, bien que la situation financière, en franchissant le Rhin, se soit nettement améliorée.

Puis, fatalement, l'enfant grandit ; il devient, pour un temps, un adolescent de modèle courant, à la bêtise péremptoire, qui s'empresse d'oublier et la rue Saint-Éloi, et l'électrophone de fin de semaine, et surtout Aznavour. Il ne l'oublie pas, c'est pire : il le piétine, il en ricane, il en fait le sabre en caoutchouc de sa rébellion acnoïde. Les parents haussent les épaules et continuent d'acheter des disques, et toujours des 45 tours – mais il n'y a plus qu'une seule chanson par face, maintenant.

Au crépuscule de toute chose, l'ancien enfant écoute de nouveau Aznavour, depuis quelques années. Toujours lorsqu'il est seul et qu'il fait grand nuit. Et en choisissant avec une sorte de crainte révérencieuse les chansons des 45 tours, jamais d'autres, jamais de plus récentes. Alors, si le whisky a été correctement dosé, il s'imagine que son père est là, en retrait de son fauteuil, debout, sagement immobile, attendant sous la pluie fine la sortie des artistes de l'Olympia.

lundi 1 octobre 2018

Le Roi Soleil a frôlé l'éclipse


Il avait commencé à chanter en 1946 et n'avait plus arrêté depuis – ou alors juste le temps de changer de costume. J'en connais un qui doit mieux respirer aujourd'hui, et c'est Louis XIV : ses 72 ans de règne (1643 – 1715) ont certes été égalés par le King Charles, mais pas battus. L'Olympe n'a pas cédé devant l'Olympia.

vendredi 7 avril 2017

Tu reviendras à Brassens


Au père B, pour le titre et le dîner d'avant-hier.

C'était à Châteaudun, vers 1971 ou peu après : je suis allé, avec mes premiers billets en francs, m'acheter deux disques “33 tours” ; l'un était, puisque mes parents possédaient le volume initial, le suivant de l'œuvre complète – complète alors : dix disques – de Brassens, le même que je récoute ce soir, pour la première fois depuis longtemps. C'étaient des disques dont la pochette était dénuée de la plus petite séduction : les dix ou douze titres contenus, écrits en grosses lettres majuscules noires, sur un pauvre fond d'imitation bois ; et, dans le coin en haut à droite, une tête de Brassens, noir et blanc, grossièrement découpée (on était dans une ère pré-photoshop, n'est-ce pas ?) la pipe aux lèvres comme il se doit. Je les ai tous achetées, ces galettes énormes, au rythme de mon argent de poche et des menus billets que je ne répugnais pas, alors, à ponctionner discrètement (croyais-je…) dans le porte-monnaie familial. À la fin des années soixante-dix, je connaissais le répertoire par cœur, mieux sans doute que son auteur lui-même : c'est un état de chose qui a duré longtemps, à l'aune de ma jeunesse d'alors.

Puis l'âge m'a atteint, comme je suppose beaucoup d'entre vous ; et les chansons de Brassens se sont mis à m'ennuyer un peu. On pouvait dire qu'il était chanceux, de m'assoupir seulement, par rapport à ce grand con de Brel, que je ne connaissais tout autant par cœur, mais qui s'était mis à me révulser, et qui me révulse encore à ce jour, au point que j'ai honte, face à moi-même, dans le silence de cette soirée, un peu pépiante au-delà de la fenêtre ouverte, de savoir encore nombre de ses chansons niaises.  Brassens, lui, je ne le rejetais pas, c'était presque pis, en tout cas plus triste : je dérivais de lui ; il s'éloignait, devenait incolore, comme une fresque ancienne dans un chœur d'église romane. Et je dois dire que je m'en voulais un peu de cela : il me semblais perdre quelque chose. Mais je n'y pouvais rien ; j'avais beau, de temps à autre, remettre ses disques sur ma platine virtuelle, échanger les 33 tours moches contre des cd qui l'étaient encore davantage, rien n'y faisait : Brassens et ses chansons m'assoupissaient, ou, plus grave, plus faux, faisaient naître en moi des nostalgies factices.

Et puis, plusieurs semaines déjà, un petit démon, un soir (conjugué évidemment à une bouteille de vin qui devait être du riesling), m'a poussé à “cliquer”, dans l'iPod, sur ce nom : Brassens, dont je ne me souvenais même plus que je l'avais accueilli dans ce sanctuaire électronique de poche. Il m'est alors apparu dans une jeunesse qui, ce soir encore, me reste difficilement explicable. Il n'empêche que, ce soir-là, si je me souviens bien, j'ai dû passer deux heures avec ce Brassens dont je pensais qu'il était resté coincé dans ma jeunesse, à quoi il appartenait tout entier.

Apparemment, si j'en juge par aujourd'hui, il en est sorti. Ou alors, lui mort et moi un peu vivant, nous sommes entrés ensemble dans notre vieillesse.

samedi 25 mars 2017

Il y a la houle qui me saoule…


Il y a deux jours, c'était dans l'après-midi, Catherine se trouvait en même temps au petit salon et aux prises avec son iPad. Au moment où, gobelet de café en main, je passais près de la porte, je l'entendis s'exclamer à mi-voix (et, oui, on peut parfaitement s'exclamer à mi-voix, foutez-moi la paix !) : « Bon, qu'est-ce qu'il y a qui ne va pas ? » In petto je me mis à fredonner :

Qu'est-ce qu'il y a
Qui n'va pas
Mon vieil Atlantique ?
Ici tout l'monde va très bien
À part mon p'tit chien…

C'était une impulsion aussi mauvaise que pernicieuse : depuis quarante-huit heures, à tout instant de la journée, il s'en trouve toujours un de nous pour chantonner le refrain maléfique et s'irriter de sa prégnance. Donc, comme il n'y a aucune raison que nous fussions les deux seuls punis, je somme les aimables passants d'écouter séance tenante ce qui vient maintenant.


samedi 4 juin 2016

De la fiabilité de nos sens – et de notre entendement


Je suis tombé amoureux d’Édith Piaf aux alentours de ma quinzième année. Durant fort longtemps, lorsque j’écoutais sa chanson Les Amants merveilleux, je l’entendais, sans le moindre doute possible, évoquer une certaine Petite rue des airs ténus. Un jour, sans raison particulière ni disposition nouvelle identifiable, j’ai brusquement compris qu’il s’agissait d’une Petite rue déserte et nue.

Encore, dans ce cas, l’erreur restait-elle à peu près compréhensible, dans la mesure où les mots que je croyais entendre présentaient malgré tout un sens vaguement cohérent : on pouvait imaginer les rengaines d’un accordéoniste dans le lointain, ou le piano d’une jeune fille à l’étage d’un immeuble…

Le cas de mon père est plus étonnant. Lorsque lui parvenait aux oreilles, ou simplement à la mémoire, la chanson Luna Park, il suivait Yves Montand à la fête foraine en question, Dans le jour cru des longues zahartes. C’est moi qui, un soir, à la table du dîner, lui ai fait observer qu’il se promenait plutôt Dans le jour cru des lampes à arc. J’étais déjà adulte, alors, ce qui fait que mon père avait cru à l’existence de ses longues zahartes durant plusieurs décennies, sans en être plus que ça perturbé. « Ça m’a étonné les premières fois, répondit-il à ma question, mais je me suis dit qu’il devait s’agir d’une chose dont j’ignorais l’existence, ou le nom. Et puis, comme c’est ce que Montand chantait… »

En effet, une fois que l’ouïe, ou un autre de nos sens, est tombée dans une ornière de ce genre, elle ne peut plus en sortir, à moins qu’on ne l’en tire par la force : impossible d’entendre autre chose, impossible même d’envisager qu’il puisse se dire autre chose ; on échafaudera les explications les plus abracadabrantes si nécessaire, plutôt que d’envisager une éventuelle déficience de notre propre entendement. Mais, une fois que l’on a été détrompé, et que l’on a reconnu son fourvoiement, il devient tout autant impossible de réentendre ce qu’on avait cru d’abord.

Mes deux exemples – et chacun a les siens dans ce domaine – sont évidemment anecdotiques et ne tirent aucunement à conséquences. Il en va autrement dans le domaine des faits et de leurs conséquences, où les ornières sont encore plus profondes et s’en extraire beaucoup plus difficile ; certains êtres, d’ailleurs, y passent la totalité de leur existence, malgré les dizaines de dépanneuses et de tracteurs envoyés à leur secours. C’est que leurs ornières, étant de nature essentiellement idéologiques, leur sont devenues vitales, et qu’en sortir leur serait aussi douloureux que l’arrachement d’un membre. C’est ainsi que votre voisin communiste, malgré l’avalanche de preuves que vous lui présentez, continue de croire que le marxisme est une clé essentielle pour la libération de l’homme et sa félicité future ; et c’est pour la même raison que votre collègue d’extrême droite reste fermement assuré que les États-Unis d’Amérique ne songent qu’à asservir la totalité des pays de la planète, noyautés qu’ils sont, secrètement, par le lobby juif. (On notera au passage que votre voisin communiste peut très bien accomplir l'exploit, et il l'accomplit fort souvent, d'à la fois admirer un système totalitaire, de vouer aux gémonies une démocratie et d'être antisémite.)  Pour celui-ci comme pour celui-là, le voisin et le collègue, la petite rue de Piaf continuera d’être celle des airs ténus, et Montand se baladera éternellement entre deux alignements de longues zahartes.

lundi 1 février 2016

Piaf sur La Bruyère


L'expérience est curieuse, et diablement spatio-culturo-temporelle : vous êtes occupé à relire Les Caractères de M. de La Bruyère ; c'est tôt le matin, nul bruit encor. Vous tombez sur cette phrase : « On n'a pas dans le cœur de quoi toujours pleurer, de quoi toujours aimer. » Aussitôt, du silence, monte la voix d'Édith Piaf, qui chante ceci. Vous vous rendez compte que jamais, hormis par le cousinage plaisant de leurs deux noms, vous n'auriez songé à associer l'un de ces personnages avec l'autre. Pourtant, à l'orée des années soixante, un parolier de chansons l'a fait ; sans rien en dire à personne, probablement.

mercredi 22 avril 2015

Dorham se trompe


Ce matin, Dorham fait un billet dans lequel il évoque Richard Anthony. Il se moque gentiment de lui parce qu'il était gros : ce n'est pas très gentil. Gros, il l'était en effet – et doit l'être encore, même si plus pour très longtemps –, mais ce n'est pas là-dessus que Dorham se trompe. Il commet l'erreur de la plupart des gens pour qui un personnage public n'existe que s'il passe à la télévision au moins une fois par semaine : les autres, comme notre Richard, seraient donc des has been. Il faudrait savoir ce qu'on entend par là exactement ; mais enfin, si je me cantonne à une traduction littérale, l'expression semble désigner des gens qui ont été ; dans le cas présent, accoler l'étiquette à M. Anthony signifierait qu'il a été chanteur, dans un passé relativement lointain et indifférencié (avant la naissance de M. Dorham, en gros).

Rien n'est plus faux. Comme un certain nombre d'autres disparus-des-écrans, Richard Anthony n'a jamais cessé d'être chanteur, de vendre des disques, de donner une centaine de récitals par an, devant des salles pleines et enthousiastes, etc. Seulement, on ne parlait plus de lui dans les journaux et revues nationaux, il ne passait en effet plus à la télévision et, au lieu de se produire au Palais des Sports de Lyon, il était plutôt à l'affiche de la salle des fêtes de Vouziers (Ardennes). Les gens du cru se voyaient annoncer l'événement par cinquante lignes et une petite photo dans leur quotidien local, ils découvraient quelques affiches désuètes sur leurs murs, et c'était tout. Il n'empêche que, le soir du spectacle, la salle était systématiquement pleine (si elle ne l'était pas, c'est qu'il y avait un match de football au stade d'à côté). Il en est longtemps allé de même pour des has been tels que Dave, C Jérôme, et d'autres, qui ont toujours vécu fort confortablement de leur petite industrie mélodique, alors même qu'on les croyait, que Dorham aurait pu les croire, en maison de retraite, voire au cimetière.

Il y a longtemps que vous n'avez vu Adamo à la télévision ? Oui, hein ? Pour autant, je me contenterais très volontiers du dixième de ce peut lui rapporter le métier qu'il continue d'exercer.

Les has been se portent bien, ne soyez pas inquiets pour eux. À part Richard Anthony, tout de même.

mercredi 17 décembre 2014

Le Noël des enfants noirs


Vers la fin des années cinquante, probablement un lendemain de biture à la Marie Brizard, Trenet a écrit une chanson qu'il a intitulée Le Noël des enfants noirs. C'était d'une assez grande niaiserie, soyons honnête ; ça commençait comme suit :

Les petits Noirs d'Afrique
Ont le même Bon Dieu que nous
Ils lui chantent les mêmes cantiques
Tout comme nous à genoux
Et vers la fin décembre
Tout comme nous ils regardent le ciel
Jusqu'à ce qu'ils voient descendre
Dans la nuit le Père Noël

Un demi-siècle plus tard, enfin nous est donnée la preuve que les petits noirs d'Afrique ont effectivement le même Bon Dieu que nous. Et qu'il joue volontiers au Père Noël, mais avec une hotte d'emprunt.