mardi 31 décembre 2013

Si tous les réveillons pouvaient se donner la main


C'est alors qu'on s'est dit, sur les coups de huit heures, que si un étonnant mécène international décidait de doter d'une dizaine de millions d'euros le couple terminant son réveillon de nouvel an le plus tôt, nous serions en passe d'être riches. Et, en effet, à huit heures, tout était remballé. Nous ne nous étions privés de rien, mais nous avions commencé tôt : c'est le secret. Dès six heures, un Macallan âgé de douze ans, pour se mettre en train. À partir de sept heures, l'orgie proprement dite. Orgie résolument alsacienne, à bulles pour Catherine, sans pour moi. Et puis, évidemment, le solide.

Sur la photo, de mini-verrines (terme modernœud pour désigner des verres à liqueur) contenant chacune un œuf de caille en gelée parsemé d'œufs de saumon, ainsi que de petites bouchées comprenant saumon et pétoncle crus marinés, coriandre, sur un lit de bébé-avocat. Hors champ : de petits roulés de saumon fumé d'Écosse au fromage frais (dont le nom m'échappe…) et à la pomme verte, ainsi que des canapés individuels (des fauteuils, donc) aux deux saumons. Il y avait aussi des torsades de pâte au parmesan passées au four, dont les deux chiens ont été fort heureux d'en croquer quelques-unes : c'était réveillon pour tout le monde.

À huit heures, plus personne n'avait faim, on a tout remis dans le frigo (pour demain soir : bonne excuse pour un apéritif supplémentaire), le réveillon était fini. Avant, Catherine m'avait rappelé que le plus précieux de nos 31 décembre communs était celui de 1999.

Nous vivions alors à Sainte-Scolasse, dans l'Orne. Grâce à la fameuse tempête de cette année-là, il y avait déjà six jours que nous vivions devant la cheminée, sans électricité, sans eau chaude, rebalancés vers le Moyen Âge au point de se mettre à parler en ancien français sans même s'en apercevoir, et à puer comme des putois, faute de douches chaudes.

Verts cinq heures, ce 31-là, Catherine a décidé que nous “ferions réveillon” tout de même et, sautant dans la voiture (qui était chauffée, elle…), a filé vers Mortagne, afin d'y faire razzia de petites choses à haute teneur en mauvais cholestérol. Elle était à peine partie que trois hommes d'EDF ont frappé à la porte et m'ont demandé si nous étions toujours sans électricité. Je me suis gardé de leur répondre quelque chose comme : « Si, si, nous avons l'électricité, mais en bons réactionnaires nous préférons les bougies que vous voyez. » Je me sentais, par rapport à eux, en état de nette infériorité. Ils se sont éloignés dans la nuit, en me disant qu'ils allaient voir ce qu'ils pouvaient faire. Je n'attendais évidemment rien d'eux et suis retombé dans mon apathie frigorifiée.

Dix minutes plus tard, j'ai entendu le frigo se remettre en marche. D'un pas mal assuré je me suis approché du plus proche commutateur électrique, duquel j'ai approché un index tremblant… Lux ! Mon premier travail a été de remettre la chaudière en marche, puis de filer sous la douche. Ensuite, j'ai enfilé une chemise blanche et mon plus beau costume (manière de parler : je ne devais en avoir qu'un seul). Puis, j'ai allumé toutes les lampes de toutes les pièces de toute la maison. Ensuite, je me suis rassis dans mon fauteuil pour attendre Catherine. Je ne m'en souviens pas, mais il est probable que je me suis servi un verre de quelque chose contenant de l'alcool.

Tout à l'heure, Catherine me disait que lorsqu'elle avait tourné le coin de notre minuscule rue et qu'elle avait découvert la maison illuminée…

Enfin quoi : notre réveillon 2013 fut bref, mais riche de mémoire.

On ne regrettera pas 2013 non plus


J'étais fermement décidé à ne point publier de billet aujourd'hui, en tout cas pas pour souhaiter une quelconque bonne année à qui que ce soit. Puis, je me suis avisé que poser à l'esprit fort était souvent faire l'aveu d'un esprit faible. Je n'irai tout de même pas jusqu'à vous faire perdre votre temps avec je ne sais quel bilan, pas davantage vous proposer un abécédaire des douze mois écoulés – d'autant moins que le mien, de bilan, tournerait rapidement vinaigre, se mettant à osciller gaillardement entre le bulletin de santé ricanant et l'avis de décès indubitable.

Donc, faisons bref et direct : sans préjuger de ce que sera l'année encore dans les limbes, je vous souhaite un très-agréable réveillon, richement serti d'excès de toutes natures – sauf si vous avez passé cinquante ans, parce qu'alors vous risqueriez d'être malades demain. 

Sursum corda !

lundi 30 décembre 2013

dimanche 29 décembre 2013

Le ciel peut attendre



Le hasard a voulu que je revoie, hier, ce merveilleux film de Lubitsch, datant de 1943. Le pitch (ou pitsch, en l'occurrence) est simple : un “vieux noceur” – merveilleuses expressions de ces époques… – meurt soudainement et, persuadé d'avoir mérité l'enfer, se présente devant Satan ; lequel, débordé, ses fiches mal à jour, lui demande de lui débobiner sa vie afin de statuer sur son sort. Le héros s'exécute, et ce que nous voyons alors est le déroulé de l'existence de cet homme, rythmé par ses anniversaires. 

Le personnage central est joué par Don Ameche, que l'on retrouvera, 42 ans plus tard, dans le film de Ron Howard qui s'intitule Cocoon. On se souvient que, dans cette niaiserie, un groupe de vieillards, dont notre acteur, retrouve la jeunesse grâce à une piscine miraculeuse. Dans Le Ciel peut attendre, on suit toute la vie du personnage joué par Don Ameche, durant une petite cinquantaine d'années ; si bien que, naturellement, les maquilleurs du film sont tenus de le vieillir. À la fin, il est vraiment très vieux… mais ne ressemble nullement au Don Ameche de Cocoon.

Les gens de cinéma sont parfaitement capables, aujourd'hui, de détruire la Terre, d'inventer des étoiles, de fabriquer des androïdes liquides ou des hamburgers mangeables, mais ils sont incapables de faire vieillir un homme. Ce n'est pas leur faute : vieillir échappe à tout effet spécial ; prévoir la vieillesse physique d'un d'homme par ordinateur, à partir du visage de sa jeunesse, est à peu près aussi crédible que les projections climatiques des crânes d'œuf du GIEC. C'est impossible pour une raison à la fois très simple et absolument insoluble : on ne sait pas ce qui va se passer entre les 25 et 75 ans d'un homme ; on ne peut donc pas vieillir son visage. Il se passe la même chose dans je ne sais plus quel film (de Scorcese, je crois), où De Niro vieillit lui aussi d'une cinquantaine d'années : comparer aujourd'hui le visage qui est le sien à celui que les maquilleurs lui supposaient alors est risible.

Encore une fois, tous ces gens n'y sont pour rien : ils ne peuvent savoir ce qui va agiter l'homme qu'ils ont en charge de vieillir. Ils ne peuvent rien d'autre que coller des rides et des couleurs sur un visage, sans être capable de modifier celui-ci comme le fait l'existence.

Je pense à l'un de mes plus vieux amis, rencontré alors que nous avions environ 17 ans tous les deux, et qui ressemblait à sa mère de façon indubitable. Nous nous sommes vus très régulièrement durant plus de vingt ans, puis la vie a fait que nous nous sommes séparés durant une dizaine d'années. Lorsque nous nous sommes revus, il avait pris les traits de son père ; non seulement ses traits, mais la forme générale de son visage, et la ressemblance avec sa mère s'était effacée, pour faire place à ce “nouveau lui” : c'était fort impressionnant.

Tout cela n'ôte rien à la perfection du film d'Ernst Lubitsch, évidemment.

samedi 28 décembre 2013

Kindertotenlieder


Le premier accouchement d'Alma Mahler, en 1902, fut long et difficile, sa fille, Maria, se “présentant par le siège”, selon la formule consacrée.  Lorsqu'il apprit ce détail (en ces époques bénies, les maris géniteurs n'étaient nullement tenus, et même au contraire, d'assister au spectacle…), le musicien s'exclama : « C'est bien mon enfant : elle se présente au monde par le côté qu'il mérite ! »

Un peu plus tard le monde fut vengé de cette boutade, puisque la fille aînée de Mahler devait mourir de la scarlatine à l'été de 1907.

mardi 24 décembre 2013

Tout petit réveillon


Il est dix heures et demie, Catherine vient de partir se coucher ; je ne vais pas tarder à en faire autant. Avant cela, durant un peu moins de deux heures, on s'est donné le change, en quelque sorte par la courtoisie que l'on se doit : j'ai débouché une bouteille de vin qui pétille pour elle, une qui ne pétille pas pour moi. Quant à nous, nous ne pétillions ni l'un ni l'autre, visiblement. Il y avait de petites bouchées “gourmandes”, selon l'imbécile terminologie de l'époque qui a oublié ce que les mots signifiaient : notre appétit d'elles fut rapidement comble, et ni Bergotte ni Swann n'eurent à s'en plaindre. Ce n'était évidemment pas le premier réveillon que nous passions sans témoin d'aucune sorte : en général, ce sont ceux que je préfère. Mais c'était la première fois que, le décorum étant bien en place : nappe, tentures et draperies diverses, il n'y manquait que le sapin et la crèche, nous nous ennuyâmes un peu, chacun essayant de masquer à l'autre cet étirement morne du temps, par gentillesse, désir de ne pas tout gâcher. Mais gâcher quoi ? L'ennui n'est pas venu d'elle ni de moi : de ce point de vue, la “magie” (nom que les cons donnent à l'habitude tranquille) ne demandait qu'à opérer, comme toutes les années que Dieu avait faites auparavant, si tant est qu'il y ait été pour quelque chose.

Bon, il semble donc y avoir des limites à la volonté individuelle de respecter les coutumes. Après tout… On perd en route des gens ou des chiens dont on n'aurait peut-être jamais pensé qu'ils avaient à voir avec cette chose simple : un réveillon. Rappelez-vous donc comme on se moquait, jeunes, de tout cela ! Et nous voilà, à moins d'onze heures du soir, tout racornis dans le fauteuil, avec Mozart qui fait ce qu'il peut, à penser aux vrais réveillons d'enfance ; ou même de jeunesse, les pires : ceux où l'on allait en se faisant croire que c'était simplement pour Papa et Maman (et surtout pour Papa, dans mon cas : je crois que ma mère aurait pu s'en passer assez facilement, mais je n'en sais plus rien) ; que nous, n'est-ce pas, nous étions passés au-delà de ces momeries – et on regardait gentiment notre père comme une sorte de gamin éternel, absurdement attaché à des apéritifs, des préparations de canapés dans la cuisine depuis le midi, des distributions de cadeaux, des huîtres ouvertes à la force du poignet, des sapins enguirlandés depuis des semaines, des arrivées d'enfants devenus adultes dans le soir, des soirées qui s'effilochent, des vins pas très bons mais profus, de la jeunesse diffuse, des lendemains qui chantent en sourdine et pour nous seuls ; et puis des réveils excités, comme si on avait encore six ans et qu'un vélo rouge vous attendait dans le salon. Dieu, comme on se sentait supérieur à lui, dans ces moments ! On se demandait comment il pouvait encore, à son âge, prendre autant de plaisir à de telles bêtises ; qu'est-ce qu'on était grands, à l'époque…

De temps à autre – esprit fort, n'est-ce pas ? –, on risquait une ironie discrète, pour lui montrer qu'on devenait adulte et qu'on n'était pas dupe. Il riait et ne prenait pas la peine de nous détromper de quoi que soit. Un vrai père est cet homme qui ne vous détrompe de rien, sans doute parce qu'il sait, intuitivement souvent, que c'est inutile : vous serez ce que vous devez, ça durera ce que ça durera, vous comprendrez le moment venu. Et il sait qu'il n'y sera plus, même s'il n'y pense jamais.

Finalement, ce petit texte ayant été écrit, je me demande si ce réveillon n'en a pas acquis une certaine consistance, un poids que les précédents n'avaient plus ; si l'absence définitive n'a pas ce pouvoir de rendre leurs lumières clignotantes à un nombre vertigineux de sapins – et aussi son lustre à un petit vélo rouge.

lundi 23 décembre 2013

Les géants et les nains


Bernard de Chartres, philosophe platonicien du XIIe siècle, prétendait que nous étions, nous autres humains, des nains juchés sur des épaules de géants. Durant des siècles, nous nous sommes tant bien que mal maintenus en cette délicate posture, nous avons même vu apparaître quelques géants supplémentaires, au fil du temps. Notre époque, sans doute plus que d'autres sujette au vertige, a décidé que cela suffisait, cette malsaine ivresse des altitudes, et nous avons tous, avec des piaillements de plaisir, sauté à pieds joints dans l'herbe. Depuis, nous ne cessons d'être enchantés de nous-mêmes, trouvant que, décidément, le ras-du-sol nous sied à ravir. Bien sûr, il y aura toujours quelques mauvaises têtes pour prétendre remonter jusqu'aux antiques perchoirs ; mais le sarcasme général leur fera très vite de petits bras débiles et des semelles de plomb. Les géants, ennuyés, se feront statues de sel et deviendront un jour ou l'autre invisibles d'en bas.

dimanche 22 décembre 2013

Il n'avait qu'à se retenir, ce nazi à rayures !


Hier, nous avons été amenés à prendre une cruelle mais nécessaire décision : celle de garder Golo enfermé  dans la maison, de huit heures du matin à cinq heures du soir. Les carnages de volatiles auxquels il prenait un plaisir sadique à se livrer devenaient intenables : on ne comptait plus les mésanges, moineaux et même rouge-gorge, retrouvés à demi éventrés – et complètement morts – sur le paillasson. Car le pire, peut-être, est que ce félinoïde surnourri ne mangeait même pas ses proies : le chat tue les oiseaux par simple distraction, uniquement parce qu'ils sont des oiseaux, comme n'importe quel nazi de base le fait avec les Juifs. D'un autre côté, les SS se seraient mis à dévorer leurs victimes qu'on aurait encore trouvé le moyen de le leur reprocher : je me demande si on est toujours très juste avec ces garçons…

J'entends d'aucuns protester que nous n'avions pas à intervenir, que c'est la loi de la nature, la sélection naturelle, et bla et bla. « Pas du tout ! », leur répliqué-je avec une certaine vivacité. Si nous n'avions pas proposé aux foules piaillantes une cabane à graines accrochée à deux pas de la haie où le chat commet ses crimes abjects – mais il n'y avait pas d'autre endroit adapté –, nul oiseau n'y serait venu, dans cette haie terminale. Si bien que, voyant l'holocauste, nous avons eu soudain la sensation d'attirer froidement nos petits porteurs d'ailes dans un piège implacable, qu'ils étaient inaptes à déjouer – car on sait ce que vaut une cervelle d'oiseau, notamment en matière de stratégies de survie. C'est pourquoi Golo est désormais consigné dans ses quartiers (le fauteuil du salon-télé ou le dessus du radiateur du salon-tout-court, principalement) entre les heures que j'ai dites.

Pourquoi ces heures-là ? Parce que, en la saison où nous sommes, il fait encore nuit avant la première et déjà nuit après la seconde : les piafs dorment et ne risquent rien. Si bien que, la course des planètes et des astres étant ce qu'elle est, plus nous allons avancer dans l'hiver, plus la détention quotidienne de l'incarcéré sera longue. Mais ça, il n'en sait rien.

samedi 21 décembre 2013

À consommer de façon responsable


Ç'a débuté comme ça : Catherine a acheté une bouteille de vrai bon whisky, pour l'excellente raison que, dans quatre jours, le 25 décembre, nous recevrons un amateur de whisky. Comme nous ne souhaitons pas que nos invités soient déçus par ce qu'ils mangent ou boivent chez nous, nous nous (il a de l'allure, ce nou-nou-nou…) sommes hier soir dévoués pour goûter le whisky acheté. Il était très bon ; tellement que, dans mon enthousiasme quasi juvénile, j'ai fini la bouteille avant d'aller me coucher : on ira, lundi, en acheter une autre pour Olivier. Mais ce n'est pas ce qui compte. À un moment où je me resservais un verre, j'ai lu ceci, sur la bouteille :

À consommer de façon responsable

À consommer de façon responsable, formule écrite sur l'étiquette d'un single malt de 12 ans.  Je me souviens d'avoir commencé à détester mon époque lorsque est apparue sur les flacons d'alcool l'injonction bien connue : “À consommer avec modération.” C'était énervant, d'être ainsi traité en enfant, mais au moins on comprenait ce que cela signifiait : qu'il était préférable de ne pas vider la bouteille au goulot d'un trait, sans reprendre sa respiration, dans le seul but d'amuser ses convives.  Qu'est-ce que ça veut dire : à consommer de façon responsable ? Comment picole-t-on de façon responsable ? Quel abruti a inventé cette sottise ? Il ne s'est pas trouvé, au sein de la maison Cardhu, une tête semi-pensante pour comprendre que seul un individu peut être responsable ou non de ses actes, dans la mesure où le chat ne peut en aucun cas répondre de ce qu'il a égorgé la mésange, ni le Vésuve d'avoir englouti Pompéi ? De quoi donc une consommation d'alcool pourrait-elle être responsable ?

Évidemment, dans un premier temps, on croit comprendre à peu près ce que ces modernœuds ravagés ont tenté de dire : en gros, que le consommateur d'alcool était responsable de ce qu'il pouvait proférer ou accomplir après avoir bu. Mais, dans un second temps, on se dit que non, qu'une telle pensée est encore trop subtile ; et la vérité apparaît : ils n'ont rien voulu dire du tout. Ils se sont contentés de coller sur leur étiquette un mot qui traînait dans les arrières-cours de leur cerveau, un mot à la mode (un momode), un mot-qui-fait-bien. Et je ne serai pas du tout surpris, je vous l'assure, lorsque, demain, un quelconque marchand de spiritueux m'invitera à consommer ses produits de façon citoyenne, voire équitable. Pour équitable, qu'ils se rassurent, notre consommation l'est déjà, et depuis longtemps : c'est un verre pour Catherine et le reste pour moi.

mardi 17 décembre 2013

Veillée d'armes



Demain, nous partirons. Nous serons de retour à la nuit, si tout se passe normalement, mais on n'est plus sûr de rien. Entre ces deux franchissements du portail, la journée aura été fort longue, probablement pénible dans son essence, mais avec de minces trouées de bonheur, et même quelques rires, je suppose, des bouffées de chaleur en approchant tel ou telle : à partir d'un certain seuil de durée, dans les familles, on ne se revoit plus qu'aux enterrements et on a tendance à en profiter pour se donner des nouvelles, vérifier en quelques mots qu'on s'aime toujours bien – c'est ce qui va se passer.

La route du retour sera pénible, parce qu'elle est connue, sans surprise, et qu'elle nous fera retomber dans une sorte d'habitude morne, mais à laquelle il manquera quelque chose. De plus, ce sera le premier moment de la vie d'après, où il n'y aura plus de nouvelles à attendre. Peut-être bien que mon frère viendra dormir à la maison : ça fera toujours un peu d'agitation factice, pour lui comme pour moi.

lundi 16 décembre 2013

Le vieux salarié blanc pris dans la lumière des phares



Retourner en région parisienne m'est toujours aussi pénible, et même peut-être un peu plus encore, sans doute en raison des quatre mois et demi que je viens de vivre sans y mettre une roue. Encore, aujourd'hui, ne suis-je pas allé à Levallois, mais simplement à Neuilly, afin d'y voir mon médecin “traitant” (ça servirait à quoi, exactement, un médecin qui ne traiterait pas ?) ; lequel m'a fort courtoisement délivré une sorte de contre-ausweis, c'est-à-dire un document me permettant de ne pas franchir les frontières maudites, celle de Levallois-Perret donc, avant le 3 février prochain. Eh bien, même avec cet excellent motif en tête, je me sentais devenir plus tendu à mesure que la voiture se rapprochait des tours de la Défense. C'est qu'on s'offrirait de vrais nerfs de jeune fille, en prenant de l'âge, dites-moi ! Sur le trajet du retour, j'ai néanmoins pris une mâle décision (cependant que Trenet, insidieux comme jamais, me fredonnait que le temps qui passe nous a volés…) : celle ne pas solliciter de nouvel arrêt de travail et de réatteler le bœuf monorénal à sa charrue dès après la chandeleur. De toute façon, j'y suis plus ou moins contraint, sinon je n'aurai jamais le temps de prendre toutes les vacances qui me restent d'ici le 31 mai. La vie du salarié est parfois d'une étonnante complexité.

dimanche 15 décembre 2013

La Preuve par le chien

Michel Chaillou, 15 juin 1930 – 11 décembre 2013
Il avait 83 ans. Mon père, qui est mort le lendemain, n'en avait que 81. J'ai longuement connu le second et j'ai croisé l'existence du premier, une fois, il y a trois ou quatre ans. Je lui avais été présenté par Renaud Camus, dans une librairie de Montparnasse où l'ami Joseph Vebret signait son dernier livre : à l'époque, j'avais encore quelques lambeaux de vie mondaine…

En deux ou trois phrases sans doute bien maladroites, j'avais tenté de lui dire toute l'admiration qui était mienne pour son Sentiment géographique, et aussi les délices que j'éprouvais à me redire parfois, à voix basse, le titre d'un autre de ses romans (mais sont-ce vraiment des romans ?) : La Preuve par le chien. Il m'avait fort courtoisement remercié de mes appréciations ; puis, avec un petit sourire, et pointant son index en direction de Camus, il avait affirmé comme une évidence : « C'est grâce à ce monsieur-là que vous m'avez lu ! » Et c'était parfaitement exact.

samedi 14 décembre 2013

Pour vos cadeaux

C'est un blogueur de gouvernement lyonnais qui  a provoqué en moi l'illumination.  Le titre de son dernier billet (si l'on peut employer ce mot, puisqu'il n'y dit rigoureusement rien) est le suivant :

Pour Noël, offrez de la création à vos amis musiciens


Et moi qui, depuis des semaines, ne dormais quasiment plus, passant mes nuits à chercher désespérément une idée de cadeau pour Georges ! Mon problème est donc résolu : je vais aller de ce pas chez le marchand de création, lui en prendre pour trois cents grammes (« Nature ou aux truffes, votre création ? Y en a un peu plus, j'vous l'mets quand même ? »), nouer délicatement autour une jolie faveur bleu ciel (le rose, c'est pour les filles) et l'expédier dans le sud de la France, en imaginant avec attendrissement les larmes de joie jaillissant, à réception, des orbites georgiennes. Je sens que je vais me faire un ami pour la vie…

vendredi 13 décembre 2013

Les deux pédés qui s'ébattent au verger


Hier, une paire de merles a fait sa réapparition (ou refait son apparition, c'est selon) dans le verger des voisins. Je dis une paire plutôt qu'un couple car Catherine, dont l'acuité visuelle est supérieure à la mienne, au moins pour ce qui concerne les merles, prétend qu'il s'agit de deux mâles. « Encore une conséquence du mariage pour tous… », l'ai-je même entendu grommeler dans son absence de moustache. Il n'empêche qu'ils sont bien là, à picorer mécaniquement le sol herbu et à se goinfrer de pommes tombées. S'il s'était agi de corbeaux, j'aurais pu faire mon intéressant et vous trousser un couplet powétique dans lequel il aurait été question de funèbres oiseaux noirs, de crieurs du devoir et autres chers corbeaux délicieux, assemblés en une armée étrange aux cris sévères. Mais enfin, il ne s'agit bien que de merles, et cette andouille de Rimbaud n'a jamais jugé bon de versifier sur leur dos. D'ailleurs, je me demande ce que Verlaine et lui auraient pensé du mariage pour tous.

jeudi 12 décembre 2013

C'est rien qu'une chanson


Les copains affligés, les copines en pleurs,
La boîte à dominos enfouie sous les fleurs,
Tout le monde équipé de sa tenue de deuil,
La farce était bien bonne et valait le coup d'œil.
Les quat' z'arts avaient fait les choses comme il faut :
L'enterrement paraissait officiel. Bravo !

Le mort ne chantait pas :«Ah c' qu'on s'emmerde ici ! »
Il prenait son trépas à cœur, cette fois-ci,
Et les bonshommes chargés de la levée du corps
Ne chantaient pas non plus « Saint Éloi bande encor ! »
Les quat' z'arts avaient fait les choses comme il faut :
Le macchabée semblait tout à fait mort. Bravo !

Ce n'étaient pas du tout des filles en tutu
Avec des fesses à claque et des chapeaux pointus,
Les commères choisies pour les cordons du poêle,
Et nul ne leur criait: « A poil ! A poil ! A poil ! »
Les quat' z'arts avaient fait les choses comme il faut :
Les pleureuses sanglotaient pour de bon. Bravo!

Le curé n'avait pas de goupillon factice,
Un de ces goupillons en forme de phallus,
Et quand il y alla de ses de profundis,
L'enfant de chœur répliqua pas morpionibus.
Les quat' z'arts avaient fait les choses comme il faut :
Le curé ne venait pas de Camaret. Bravo !

On descendit la bière et je fus bien déçu :
La blague maintenant frisait le mauvais goût.
Car le mort se laissa jeter la terre dessus,
Sans lever le couvercle en s'écriant: « Coucou ! »
Les quat' z'arts avaient fait les choses comme il faut :
Le cercueil n'était pas à double fond. Bravo !

Quand tout fut consommé, je leur ai dit : « Messieurs,
Allons faire à présent la tournée des boxons ! »
Mais ils m'ont regardé avec de pauvres yeux,
Puis ils m'ont embrassé d'une étrange façon.
Les quat' z'arts avaient fait les choses comme il faut :
Leur compassion semblait venir du cœur. Bravo !

Quand je suis ressorti de ce champ de navets,
L'ombre de l'ici-gît pas à pas me suivait,
Une petite croix de trois fois rien du tout
Faisant à elle seule de l'ombre un peu partout.
Les quat' z'arts avaient fait les choses comme il faut :
Les revenants s'en mêlaient à leur tour. Bravo !

J'ai compris ma méprise un petit peu plus tard,
Quand, allumant ma pipe avec le faire part,
Je m'aperçus que mon nom, comme celui d'un bourgeois,
Occupait sur la liste une place de choix.
Les quat' z'arts avaient fait les choses comme il faut :
J'étais le plus proche parent du défunt. Bravo !

Adieu ! les faux tibias, les crânes de carton…
Plus de marche funèbre au son des mirlitons !
Au grand bal des quat' z'arts nous n'irons plus danser,
Les vrais enterrements viennent de commencer.
Nous n'irons plus danser au grand bal des quat' z'arts,
Viens pépère, on va se ranger des corbillards.

mardi 10 décembre 2013

Tout petit avec de grandes oreilles


Ils savent tout et on ne nous dit rien : voilà en gros ce qui crée peur et colère (avec double trémulation arrière) chez les blogueurs, depuis quelque temps. Il y aurait, quelque part dans le monde – mais très probablement aux États-Unis, comme de juste –, de fourbes men in black qui non seulement écouteraient tout ce qu'on dit et claviote, mais en plus le noteraient, avec soin et arrières-pensées méchantes, dans leurs petits calepins virtuels. Tout ce que chacun étale de soi de l'aube au crépuscule, avec une niaiserie satisfaite, ces monstres invisibles s'en souviendraient, dites donc ! Voire seraient prêts à s'en resservir plus tard, pour nous bâillonner ou nous vendre des gadgets inutiles. Scandale, liberté-qu'on-piétine, nazisme-qui-rampe, etc.

Dans son dernier billet, M. Desgranges examine avec verve et bon sens cette tempête microcosmétique : son parallèle entre les pratiques supposées d'Amazon et celles du libraire du bout de la rue est particulièrement réjouissant. En commentaire – parce qu'il faut bien en laisser un de temps en temps, sinon les gens pensent que vous avez cessé de les lire, et ça risque de faire des histoires –, en commentaire, donc, je me demandais si ce qui se pare des plumes toujours chatoyantes de l'indignation ne relèverait pas tout simplement de la plus humaine vanité. Qu'entend-on, en effet, lorsqu'un blogueur proteste très haut contre ces écoutes et ces collectes de renseignements éventuelles ? Sa certitude (ou sa tentative de se persuader) que si de telles choses existent, il en sera forcément l'une des victimes ; que les grandes oreilles planquées au flanc des Rocheuses ou sous les piscines de Floride n'auront rien de plus pressé à faire que de l'écouter lui. Parce qu'il est une conscience en éveil. Qu'il va au fond des choses. Qu'il ne s'en laisse pas conter. Qu'il appuie-là-où-ça-fait-mal. Qu'il est un sacré empêcheur-de-fascisme-larvé. Etc. Au point que, si un jour une âme naïve, croyant l'apaiser, parvenait à démontrer à notre héroïque héraut que non, vraiment, je t'assure, personne n'a jamais eu la moindre idée de t'écouter, ni encore moins de stocker les éléments de ta pauvre biographie, eh bien il en ferait sans doute un grand malheureux de plus. Car ne pas même être sur écoutes lorsqu'on représente un si grand obstacle à la bête immonde, c'est encore ce qui peut vous arriver de pire. C'est être contraint de reconnaître que, malgré tous ses efforts, on n'a vraiment rien à cacher.

dimanche 8 décembre 2013

Bonnes nouvelles du front animalier


Comme on ne peut décidément pas parler que de choses déprimantes – des demi-dieux qui meurent en Afrique, des hommes ordinaires qui agonisent en Normandie –, c'est vers le front animalier qu'il faut se tourner (en évitant la rubrique canine, cependant…) pour trouver de bonnes nouvelles. Ainsi, ce matin, prenant mon café debout devant la porte-fenêtre qui ouvre sur le jardin, j'ai pu constater que la taupe qui loge le long de la haie, et que je craignais morte du fait de son inactivité prolongée, avait édifié, avant mon lever, une énorme taupinière toute fraîche. Peu après, devant la même porte-fenêtre, je me suis avisé que les chardonnerets arrivant à la cabane à graines pour le petit-déjeuner n'étaient plus deux comme les jours précédents mais bien trois. Ça ne compense pas la disparition des merles, mais ça fait chaud au cœur tout de même.

samedi 7 décembre 2013

Don Dinero

J'ai tapé dans Google “gros capitaliste”. Cette petite fille est sortie, elle m'a plu, je l'ai gardée

Mon rapport à l'argent a toujours été assez simple : tu rentres par la porte, je te jette par la fenêtre. Moyennant quoi, après trente-cinq ans de travail ininterrompu (sauf entre décembre 1979 et novembre 1980), je ne suis pas certain, en grattant tous les fonds de tiroir, d'arriver à vingt mille euros d'économie. Certes, je suis propriétaire du clapier où je loge : il doit bien valoir 180 000 euros, avec de la chance, et si le socialisme ne s'éternise pas.  Donc, je finirai ma vie d'adulte aussi à poil que je l'ai commencée, et j'en suis très content : n'avoir personne à qui léguer rien est une forme de cohérence. 

Bien que vieillissant, je n'ai pas changé, comme chantait l'autre. Si, demain, mes parents venaient à mourir (mais pourquoi donc feraient-ils une chose aussi stupide, alors qu'ils sont si raisonnables ?), j'hériterais forcément trois picaillons. Qu'en ferais-je ? Je sais que l'envie serait irrépressible d'en faire l'usage le plus stupide possible. Acheter une grosse Mercedes neuve, par exemple, dont je n'ai nulle besoin. Aller passer trois semaines dans un “palace” du bout du monde, où je compterais les jours qui me séparent du retour bienheureux chez moi. Etc. Il s'agirait juste de dilapider cet argent qui ne m'appartient pas. Même celui que je gagne me brûle, d'une certaine manière.  Dans mes moments de déprime, il m'arrive de penser que je suis toujours de gauche, à cause de ça. Heureusement, juste après je réfléchis, j'observe, je pèse. Et je vois bien que l'argent est l'obsession des gens de gauche, alors que mes semblables, mes frères, s'en foutent royalement, qu'ils en aient ou pas.

C'est en ce sens que j'ai probablement toujours été de droite (en tout cas jamais de gauche) : l'argent ne m'a jamais intéressé. Je me fous que des tas de gens en aient moins que moi et je suis content que d'autres en possèdent beaucoup plus. Je ne suis pas taraudé par l'envie, je n'arbore pas ce rictus haineux qui déforme les faces progressistes, je ne tiens pas à voir mourir ceux qui se sont mieux débrouillés que moi. – J'ai sûrement tort.

Les mésaventures carcérales de Nelson-le-totem


Les progressistes-sans-tête (comme on parle d'oiseaux-sans-tête pour désigner les paupiettes de veau) ont un irrépressible besoin d'idoles rédemptrices. Ils ont éliminé Dieu et le trompettent à tous les carrefours. Rentrés chez eux, ils tremblotent, ont froid, se couchent, ne dorment pas et se bricolent de petits radiateurs transcendantaux, qui vont de Lénine à Arlette Laguillier (paix à son âme), en passant par tous les Staline, Mao, Pol Pot, Guevara, sous-adjudant Narcos que vous voudrez. Le totem du jour est évidemment Nelson Mandela. On génuflexe à tour de rotules depuis hier, à ma gauche, et même à ma droite, on se croit obligé de rendre hommage au saint du jour, qui s'est révélé incapable d'empêcher son pays de sombrer dans la violence ethnique, et dont les héritiers ont déjà commencé à se disputer la dépouille, chiffrée, me dit-on, en millions d'euros.

Je dis ça, mais je m'en fous, en réalité. Par une espèce de solidarité raciale à laquelle je reste attaché, j'espère que les Africains du Sud qui ont bâti ce pays réussiront à s'en extraire avant l'étripage qui se profile, mais en dehors de ça…

Tiens, ce qui m'étonne, c'est de ne pas avoir encore entendu cet agité malin ayant bien compris où était le filon et qui se faisait complaisamment appeler le Zoulou blanc : Johnny Clegg. Les gens de mon âge se souviennent sans doute d'avoir vu débouler du jour au lendemain, dans toutes les émissions de variétés (où était en effet sa place) ce guignol pompeux, avant-garde du Bien absolu, maniant la sagaie vers le plafond pour en faire tomber les droits d'auteur. Quand j'y songe, il me semble que ce clown était la préfiguration parfaite de notre monde-tel-qu'il-est : pour l'amour contre la haine, la fraternité contre la guerre, le cassoulet mitonné contre le Big Mac de la veille ; emphatiquement parfait.

Il est où, ce Zoulou ?

Espérons en tout cas qu'il aura donné assez de gages pour sauver sa peau. Parce que, pour les autres, ça semble désormais très mal barré. Mes amis les plus réactionnaires vous diront que c'était déjà très mal barré pour les blancs qui ont inventé, créé et fait prospérer ce pays, mais vous savez comment ils sont : toujours portés à l'exagération…

Enfin… en attendant le chaos irrémédiable et à peu près programmé, il est tout de même réjouissant et hautement risible de voir nos petits accroupis lécher la terre au pied de leur totem du jour. Dommage qu'ils n'aient pas un plus joli cul, tiens…


Neuf heures et demie du soir, hier : Je suis en train de regarder un “documentaire” sur Arte, consacré au totem et datant de 1999. Le but est évidemment de nous convaincre à quel point ces malheureux communistes ont été martyrisés par ces salauds de blancs. Sauf que, si l'on repense à Chalamov et à ce qu'il a dit du goulag, de la Sibérie, etc., c'est-à-dire à ce qu'ont été capables d'inventer les camarades de Mandela, on voit bien que ce qu'il a vécu aurait, à ce même Chalamov, semblé être une plaisanterie, presque une récompense.

Au moment où j'écris, un petit blanc à lunettes d'une quarantaine d'années dit qu'il a eu le souffle coupé lorsqu'il a découvert la cellule où son idole a été incarcérée, qu'il ne comprend même pas comment le totem a pu survivre à cela. La caméra montre la cellule : Evguenia Guinzbourg aurait été ravie de s'y trouver enfermée avec seulement une douzaine d'autres prisonnières.

Juste après, on nous explique que Mandela impose sa volonté à ses gardiens, qu'il ne laisse rien passer. Voilà encore une chose qui aurait bien diverti Chalamov et Soljénitsyne. D'autres disent que le totem et ses camarades ont fait plusieurs fois la grève de la faim ; que Mandela ne cesse d'adresser des plaintes au gouvernement, et que le ministre des prisons finit par lui répondre.

Rien de tout cela n'a de sens : ces militants communistes violents se sont retrouvés dans des prisons qui auraient fait rêver n'importe quel Russe entre 1920 et 1953. On voit la “cellule” de Mandela : des photos de famille, des livres, etc. Lisez Chalamov, Soljenitsyne ou Guinzbourg. Et vous verrez à quel point les dirigeants d'Afrique du Sud étaient ignobles, par rapport aux camarades communistes de Mandela durant les années folles.

(Au point où je m'arrête, à la limite du haut-le-cœur, on est en train de me tracer le portrait en pied et en icône de sainte Winnie…)

Neuf heures et demie du matin, aujourd'hui :  On lira avec un grand profit l'article de Bernard Lugan consacré au totem…

vendredi 6 décembre 2013

Mandela… puis plus là


Nelson Mandela, 173 ans dont 58 dans un cul de basse fosse, vient de rejoindre Stéphane Hessel au paradis des belles âmes.

Si ça se trouve, ils vont se détester.

Mais pendant qu'ils se crêperont la calvitie, l'Afrique du Sud va enfin pouvoir, le dernier verrou symbolique ayant sauté, se livrer en toute quiétude à l'épuration raciale déjà bien entamée. Ça va être intéressant à observer.

jeudi 5 décembre 2013

Que sont nos merles devenus ?


Depuis onze ans que nous nous sommes posés sur ce coin de terre, notre petit jardin a toujours été occupé par un ou deux couples de merles – pas toujours légitimes, je le crains. Il en allait de même dans celui de Roberta, ainsi que nous avons baptisé notre voisine “de droite” (lorsqu'on regarde le portail). Dans le verger des “de gauche”, ils étaient bien six ou huit, tous sexes confondus, et il y en avait aussi de l'aut' côté d'la rue, ainsi que le chantait Piaf, ce qui est de circonstance. En une décennie, le merle étant un volatile rigoureusement sédentaire, il était facile de voir que cette population était restée parfaitement stable.

Or, cette année – mais je serais incapable de dater la première observation que nous en fîmes –, ils ont tous disparu. J'ai beau me transformer en statue de sel devant la porte de la maison, ou au contraire courir d'une fenêtre à l'autre pour embrasser du regard l'ensemble des jardins, rien : plus un merle, plus une merlette nulle part.

Que leur est-il arrivé ? Un suicide collectif ? Une reconduction massive aux frontières pour ces passereaux, dont un fonctionnaire pertinent se serait avisé qu'ils étaient clandestins ? Une épidémie de tremblante du mouton ? Une déferlante de vache folle ? Ou bien ils se seraient découverts migrateurs et, le froid survenant, auraient traversé la Méditerranée, tels de vulgaire bipèdes retraités ? On ne sait. Mais les mésanges, chardonnerets, verdiers, pinsons et rouge-gorge ont beau s'évertuer à maintenir l'animation – et les tourterelles le flon-flon – autour de la cabane à graines, le jardin semble étrangement vide, presque inhospitalier, sans ses merles.

Et comme c'étaient traditionnellement eux qui sonnaient le réveil au matin et envoyaient tout le monde au nid le soir, on peut craindre, de leur disparition, qu'apparaissent, chez les autres, la troupe, la piétaille, d'importantes dissonances du sommeil, à terme dommageables à la survie des différentes espèces.

On prend sur soi, mais quand même on s'inquiète.

mercredi 4 décembre 2013

Les chagrins qui viennent


Gaston a six ans. Il est né en Catalogne, il vit maintenant au Québec. Le lac a remplacé la mer ; le frette, la chaleur. Gaston s'en fout, comme on se fout des choses à six ans, lorsque les composants de la vie sont éternels : mes parents, ma sœur, Pignon.

Pignon a sept ans (d'après Catherine). C'est-à-dire que, vu par le prisme cérébral de Gaston, il est là de tout temps, et il n'y a aucune raison compréhensible pour qu'il en aille un jour autrement. Pignon, parce qu'il est un bâtard de taille modeste, peut espérer (non, mauvaise formulation : le chien n'espère rien, c'est nous qui espérons pour lui) vivre quinze ans environ. Sauf en cas de maladie proliférante ou d'automobile trop rapide, le petit garçon de la photo sera un adolescent d'un mètre-quatre-vingt-dix (il est déjà très “en avance” pour ses six ans…), lorsque le compagnon éternel recevra la piqûre terminale. Il connaîtra, de moins l'espère-t-on pour lui, sa première dévastation causée par la mort. Il aura la certitude de ne s'en remettre jamais, et ce sera l'ultime preuve d'amour que Pignon lui donnera : celle de l'accoutumer à cette réalité avec laquelle il lui faudra vivre encore. Pignon sera, un jour, le vaccin de Gaston, celui qui fait qu'on ne succombe pas aux coups de massue de la vie comme elle va, qu'on se contente d'en souffrir assez longtemps, avant de marcher vers la prochaine saignée.

En attendant, Pignon veille à la poupe : il sait certaines choses.

mardi 3 décembre 2013

Petits arrangements fluviatiles et canins avec le Styx


Tu as raison de te marrer : on est assez minable. On a beau s'en faire accroire, et surtout ne parler de rien, on n'accepte pas vraiment d'avoir fait ce que. On sinue, on louvoie, on glisse, on regarde ailleurs : et tu es toujours là, connard. C'est ça, rigole ! 

Tu nous verrais, depuis hier, tu serais effondré. Ou indulgent. Ta mort nous a transformés en petits comptables, usuriers balzaciens de ton absence. Tu sembles n'y pas croire mais c'est vrai : on fait ça. On additionne et empile les avantages que l'on trouve à ton évaporation définitive. L'un, traversant le jardin : « Ah ! moins de merdes à ramasser chaque semaine ! » L'autre (ou le même), posant les yeux machinalement sur le faux parquet : « Waouh ! presque plus de poils dans la maison ! » Le plus faible, dans un accès de mesquinerie désespéré, tandis qu'il regarde les deux survivants vidant leur gamelle de croquettes, calcule l'économie de nourriture, ou feint de le faire, pour ne pas voir la place vide dans son dos. Il y a encore d'autres intérêts à ton envolement, fais-nous confiance. Chacun est un coup de canif, qui ne tue pas mais picote désagréablement. On en viendrait presque, si on se laissait aller, à espérer tes remerciements.

Aujourd'hui, vers midi, il me semble avoir réussi à me persuader que tu étais mort. Ce matin, m'éveillant, j'en étais encore à m'en vouloir de t'avoir relégué dans un endroit inhospitalier où tu étais seul, perdu, incompréhensif, cependant que, à la maison, nous continuions notre vie d'avant – mais sans toi, et semblant faire comme si tu n'avais jamais existé. Et tu gémissais au carreau, mais personne ne t'entendait.

lundi 2 décembre 2013

2013, millésime de merde


 Elstir, 13 septembre 2009 – 2 décembre 2013.


vendredi 29 novembre 2013

Il ne sait pas

Mon père, ma mère et moi…

L'autoroute devient soudain très longue ; on ne sait même pas si on va retrouver le chemin et rentrer chez soi. On a vu auparavant ce visage, coiffé d'un bonnet incongru  ; ce personnage vaguement familier, assis au bord de son lit. A-t-il souri en nous voyant ? On n'est pas très sûr. Mais alors, qu'est-ce qu'on était content, de le trouver assis ! C'était comme une promesse, presque une résurrection, à laquelle personne ne croyait ! Mais tout de même : assis…

Tout s'est écroulé rapidement, on aurait dû s'en douter. Assis ? il ne savait même pas pourquoi. Se recoucher ? Incapable de le faire seul. Mais comment le toucher, cet homme ? Le traiter comme un enfant ? Pencher son oreille vers ses borborygmes ? Avancer la main vers sa peau de Ramsès ? Comment faire ça ? Le recoucher, donc. Remballer ces baguettes chinoises qui lui servent désormais de jambes sous les couvertures. L'entendre.

« J'ai mal… »  Et, ensuite : « Je suis mal… » Quoi faire, face à ce regard vide qui ne semble pas vous reconnaître ? Mais qui, peut-être… J'ai mal, ou je suis mal ? Comment savoir ? Il ressemble tout de même à un père qu'on a eu, cet homme décharné !  Lorsqu'il ferme les yeux, il a terriblement l'air de son futur cadavre, c'est sûr, mais enfin, il vit, apparemment.

Et il se plaint, il ne fait que cela : « J'ai mal… »  Et juste après : « Je suis mal… » Bien sûr qu'il est mal, puisqu'il va mourir. Et on lui dit quoi ? Rien. En tout cas, moi, rien. Je ressors de cette chambre, il y a du grand vent dehors, et des cris de mouettes, c'est très bien, ça me sèche les trucs qui m'empêchent de conduire et de ramener la voiture et Catherine à la maison.

J'y arrive, finalement. C'est très pénible, Catherine se tait, moi aussi. Et l'autoroute qu'on connaît par cœur devient soudain très longue, très bruyante, pleine de phares qui donnent envie de s'arrêter sur le bas-côté. J'ai tellement l'impression de crisper mes mâchoires que, quand j'arrive à la maison, j'ai en en effet les mâchoires toutes crispées.

Après ça, on prend un petit apéro, pendant que les chiens ronflent dans leurs paniers, et on parle de mon père.

jeudi 28 novembre 2013

Les ruses du mois d'octobre


Le journal est en kiosque…

mercredi 27 novembre 2013

Comment économiser 2500 euros sans se fatiguer


L'affaire est on ne peut plus simple, mais il faut tout de même savoir qu'elle nécessitera une mise à fonds perdus de 9,41 €. Voici comment procéder :

Avec votre Irremplaçable Épouse, vous décidez, un soir, que vous avez bien mérité d'aller, en amoureux, passer quatre jours à Amsterdam au printemps prochain, dans un hôtel si possible luxueux.

Vous vous précipitez sur votre clavier et, en un clic, commandez sur Amazon le Guide du Routard consacré à la cité batave en question : c'est la mise de fonds dont nous parlions en commençant. Puis, vous attendez patiemment que la factrice vous livre l'objet.

Lorsqu'il arrive, vous prenez une bonne demi-journée pour le lire, cocher les hôtels qui vous semblent dignes de vos nuits, les restaurants à la hauteur de vos exigences gustatives, ainsi que quelques musées pour l'alibi culturel. Ensuite, vous passez le petit livre à l'Épouse.

C'est elle qui, carte Visa en main, va se charger de réserver vos quatre nuitées, en faisant bien attention à deux choses primordiales : choisir, parmi votre propre sélection d'hôtels, le plus cher, et veiller à ce qu'il y ait une clause d'annulation sans frais.

Ensuite, elle vérifiera que les réservations pour le Thalys – en première classe, est-il besoin de le préciser ? – ne seront ouvertes que le 31 décembre à minuit, pour un départ prévu le 31 mars. 

Maintenant, il n'y a plus qu'à laisser le temps et votre aboulie se combiner en le précipité adéquat : cela prend généralement un à deux mois. Au bout de ce temps, en principe, toujours un soir, vous devriez entendre l'Épouse vous demander soudain, l'air de n'y pas toucher : « Tu as toujours envie d'aller à Amsterdam ? » Naturellement, elle connaît déjà votre réponse, surtout dans la mesure où, à l'origine, c'est elle qui s'est mise en tête cette lubie. 

Une virile réponse et cinq minutes plus tard, elle a annulé la réservation de l'hôtel et, compte tenu de vos goûts dispendieux, vous calculez ce que ce non-voyage va vous faire économiser d'argent. Verdict : entre deux mille et deux mille cinq cents euros. – Ne me remerciez pas.

(Pour ceux d'entre vous qui auraient besoin d'économiser davantage, entre huit et dix mille euros par exemple, il est loisible de se livrer à la même opération, mais en remplaçant les quatre jours hollandais par une semaine au Danieli ou au Gritti de Venise.)

lundi 25 novembre 2013

Les Tontons : addendum nécrologique


Je viens de m'amuser, si l'on peut dire, à recenser les survivants du film dont nous parlions ce matin. Comme attendu, ils sont peu nombreux. Ne nous attardons pas sur Ventura, Blier, Blanche, Dalban et Lefebvre (lequel fut longtemps le dernier survivant “de la cuisine”) : à moins de débarquer de Somalie-Inférieure, tout le monde sait qu'ils sont morts.

Plus inattendue, la disparition, en 1995, à 52 ans, de Sabine Sinjen (Patricia, dans le film), dont j'ignorais qu'elle fût allemande et qu'elle eût été doublée par Valérie Lagrange. Mort également, le porte-flingue des Volfoni, Mac Ronay (Germain Sauvard, à la ville), que je me souviens avoir vu à la télévision, dans les années soixante-dix, dans son numéro de magicien muet et drolatique ; mais lui c'est normal, puisqu'il était né en 1913. Horst Frank (le fourgueur de pastis pédé) a lui aussi quitté ce monde, en 1999, à l'âge de 70 ans : décidément, on meurt jeune, chez les acteurs outre-rhénans.

En fait, parmi les personnages de premier plan, il ne reste plus que Claude Rich, 84 ans, et Venantino Venantini (le tueur attitré de la maison), 83 ans : le comédien italien résiste mieux que son voisin septentrional. Et qui se souvient que Venantini campa l'un des palefreniers de la course de chars, dans le Ben-Hur de William Wyler ? Pas moi, en tout cas.

On ne devrait jamais quitter Montauban


De Georges Méliès à Guillaume Canet, en passant par Abel Gance, Jean Renoir ou Josiane Balasko, le cinéma français a engendré un certain nombre de chefs-d'œuvre, sur lesquels il est inutile de revenir tant ils sont indiscutables. Ils ont tous, plus ou moins, un air de famille. Ce même cinéma français a aussi donné naissance à quelques rares bijoux qui ne lui appartiennent pas en propre, et même le contredisent radicalement. C'est en particulier le cas de Drôle de drame, revu il y a trois ou quatre jours, et des Tontons flingueurs, sur quoi nous sommes tombés ce soir par hasard, alors qu'il n'était programmé nulle part.

Le film de Carné est une sorte de boule de nonsense, servi par des acteurs qui ne prennent même pas la peine de se demander ce qu'il fichent à bord de cet ovni : même Jean-Louis Barrault semble en état de grâce, ce qui n'est pas un mince exploit, si l'on veut bien se souvenir de la profonde nullité de cet acteur. Tout le monde, là-dedans, semble saisi par une sorte d'ébriété créatrice naturelle.

Venons-en à Lautner et Audiard. Leur film est sans doute encore plus étonnant, dans la mesure où il ne paraît même pas avoir conscience d'être fou ; fou au sens propre : aliéné ; conçu et réalisé entièrement à l'intérieur d'un asile, comme L'Impossible Monsieur Bébé d'Howard Hawks – lequel, d'ailleurs, n'est pas non plus un film américain. Et surtout parce que, aux yeux des spectateurs distraits, il parvient depuis trois ou quatre décennies à se faire passer pour l'archétype du film français, dans la mesure où, à l'inverse de celui de Carné, il n'affiche pas d'entrée sa loufoquerie ; au contraire, il semble se plier très docilement à tous les codes du film-de-gangsters, mais c'est évidemment pour les dynamiter les uns après les autres, sans toutefois sortir du cadre qu'il s'est imposé, ce qui lui donne cette puissance de feu irrésistible. Le seul regret que l'on pourrait avoir, et il me rempoigne à chaque nouvelle vision, c'est que Lautner n'ait pas embauché Mireille Darc pour jouer le rôle de la jeune fille par qui tout arrive.

Ce n'est pas non plus un plaisir à bouder, que de se souvenir qu'à sa sortie tous les critiques sérieux ont tordu le nez devant ce film, qui fut qualifié de franchouillard, alors qu'il est tout sauf précisément cela.

dimanche 24 novembre 2013

Les socialistes, ces catholiques sans Dieu


Le Concile de Trente, qui, ouvert en 1545, ne durera pas moins de dix-huit ans (mais avec des pauses…), est la réponse de l'Église catholique à la Réforme de Luther et Calvin. Il s'agit d'un durcissement de ses positions et d'une contre-offensive, que l'on appellera d'ailleurs la Contre-Réforme. Il est intéressant de voir les lignes de forces qui s'en dégagent, à savoir essentiellement les tabous contre le profit, la prohibition, voire la diabolisation, de l'usure, le refus de la nouveauté et de la modernité, la prétention au monopole de la vérité ainsi qu'une grande défiance envers la liberté individuelle – c'est-à-dire à peu près tout ce qui caractérise aujourd'hui les socialistes et leurs sympathisants. On m'objectera sans doute que l'assimilation ne vaut pas pour ce qui concerne le refus de la nouveauté et de la modernité, puisque, justement, les gens de gauche se proclament les champions de ces deux increvables mamelles. Tout dépend de quoi on parle. Dès qu'il s'agit de petits hochets sociétaux, de bibelots d'inanité législative ayant pour effet de couper un peu plus l'homme de lui-même, de l'arracher à l'épaisseur des siècles, alors oui, en effet, les progressistes sont enragés de nouveauté, possédés de modernité. Mais ce sont les mêmes qui, dans un champ plus général, s'accrochent comme des désespérés à ces notions de droite et de gauche, quand ce n'est pas à l'intangible lutte des classes, ces vieilles lunes fourbues nées au milieu du XIXe siècle et prenant déjà la poussière à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a jeté tout cela à bas sans qu'ils s'en avisent.

Du Concile de Trente, ils ont aussi conservé un évangile, appelé Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, auquel chacun est tenu de faire acte d'allégeance préalable, sous peine de se trouver disqualifié, anathémisé, avant même d'avoir ouvert la bouche. D'après certains – mais ils doivent pécher par excès de pessimisme –, il serait déjà question de réactiver la Sainte Inquisition et d'envisager de nouveaux barbecues de sorcières, qui ne furent jamais plus en vogue qu'à l'époque de notre concile. Pendant ce temps, luthériens et calvinistes du septentrion continuent de prospérer à notre barbe, en ricanant discrètement.

(Ce billet m'a été plus ou moins inspiré par la lecture de La Société de confiance, d'Alain Peyrefitte, publié par Odile Jacob, et que je me permets de recommander à Vos Honorables Sagacités.)

samedi 23 novembre 2013

Abdelhakim démasqué


On nous a fait croire que Jean-Luc Delarue était mort, et c'était faux ! Il a disparu volontairement pour se convertir à l'islam, acheter un flingue et dézinguer les malfaisants de Libération. A-t-il eu raison ? Ça se discute.

vendredi 22 novembre 2013

Ces filles qu'on a connues


Elles ont presque toutes resurgi, c'est le miracle Google. Nous sommes la première génération de l'humanité à qui sa jeunesse peut à tout moment revenir en pleine face. Par les Copains d'avant, les Regrets éternels, les Pleurnicheries inutiles, les Souvenirs douloureux – que sais-je ? Avant notre monde, les morts le restaient, ç'avait un côté rassurant. De nos jours, les témoins malencontreux de votre passé rejaillissent et vous sautent à la gueule sans prévenir plus que ça.

Et principalement les filles, évidemment. Elles tapent votre nom dans Google, elles vous retrouvent ; elles tapent le leur : pareil. C'est ce qui est arrivé à Brigitte Bichoux, dont j'avais parlé et dit le nom, par exemple. Quelques mois auparavant, j'avais reçu un mail de Nadine Meauxsoone, qui a illuminé mes deux dernières années de lycée et dont je n'ai jamais parlé, je crois bien. Je lui ai aussitôt répondu, quelques lignes, à la fois ravi et très tremblotant, pour des raisons qui ne regardent personne qu'elle et moi. Et hop ! elle a redisparu aussi sec. Mon dernier souvenir d'elle, comme je le racontais à Catherine tout à l'heure, c'était vers 1978, sur la RN 20, à hauteur de La Source, à peu près : la voiture conduite par son Graziani de mari a doublé la mienne, on s'est reconnu au passage, elle m'a souri pour la dernière fois et a agité dans ma direction la main de son nourrisson, qui doit donc avoir aujourd'hui, bon an, mal an, le triple d'âge de Marie-Paule Debard.

On remonte dans ma vie : cette Marie-Paule (Debard ? Debars ? Debar ? Putain d'Adèle, je ne sais plus !) nous contraint à revenir en Algérie, c'est-à-dire à une sorte de paradis initial, dans lequel, pourtant, il m'est arrivé d'être malheureux comme les pierres, à cause de Marie-Paule, bien qu'elle n'y ait été pour rien, la pauvre.

Et Nadine Lanternier. (Il m'est arrivé d'être abonné aux Nadine, à une époque de ma vie.) Nadine Lanternier, donc. Celle-là, pour l'instant, Google est impuissant à me la rendre – mais il est vrai que je ne demande rien à Google. En tout cas, elle est la seule dont je sais qu'elle ne m'a pas oublié et qu'elle ne m'oubliera jamais, “de sa vie, du monde”.

il m'arrive de penser à cette Nadine-là. Pas très souvent, évidemment : le temps est inexorable. Mais enfin, de temps en temps, certains soirs. Et je sais qu'il lui arrive exactement la même chose, pas forcément les mêmes soirs. Nadine Lanternier et moi sommes liés à jamais, alors que nous nous sommes si peu connus ; quand on y songe… mais on ne doit même pas y penser de la même façon.

Maintenant que j'en parle, j'aimerais bien, tout de même, savoir quel souvenir elle a conservé de moi, cette Nadine…

jeudi 21 novembre 2013

Et soudain, Abdelhakim Dekhar…


Depuis deux jours, la blogosphère progresseuse faisait retentir les cuivres de la solidarité avec ces martyrs de la liberté durable et de la conscience citoyenne que sont les journalistes de Libération ; on n'a pas entendu de « nous sommes tous des Demorand allemands ! », ni de « Ich bin ein Serge July ! », mais l'esprit était celui-là. Et on bouillonnait d'impatience dans l'espoir d'une arrestation rapide du flingueur de-type-européen-et-à-cheveux-courts, donc probablement d'extrême droite identitaire, anti-mariage guignol et planquant un bonnet rouge dans sa poche ; on en salivait d'avance.

Ce matin, le ministre de l'Intérieur a eu des accents à la Carnot pour féliciter ses troupes, dont l'exploit a consisté, rappelons-le, à cueillir un type qui dormait dans sa voiture, après qu'une bonne âme leur eut gentiment indiqué l'endroit où ils pourraient le trouver – ce qui est en effet un exploit digne de figurer sur les tablettes de la République. On ouvre la portière, toutes armes pointées, et, là, catastrophe : Abdelhakim Dehkar, musulman dûment estampillé d'extrême gauche – fin du beau rêve.

Depuis,  c'est un merveilleux silence d'automne qui circule entre les rangs des solidaires tous terrains. Je m'attendais tout de même à quelques admonestations timides, de murmurantes injonctions à ne rien amalgamer, comme c'est la règle dans ce genre de cas ; mais non, même pas : le silence, le renoncement, la lassitude, les épaules qui s'affaissent. Les plus découragés en sont arrivés à parler de football, c'est dire le degré de fatigue de nos sauveurs de démocratie.

On aurait presque l'impression qu'ils ont oublié qu'un type a tout de même pris une balle, parce qu'il a eu la malchance de traverser au mauvais moment le hall d'un journal ridicule et indigne. Peut-être pensent-ils (oui, déjà à ce stade la phrase est amusante), peut-être pensent-ils qu'une bastos révolutionnaire fait moins mal que sa sœur nauséabonde ? Qu'elle évite gentiment de toucher les organes vitaux par amour de l'humanité écrasée ? Allez savoir : le grand silence des lendemains de traque autorise toutes les suppositions.

mercredi 20 novembre 2013

La véritable valeur du maréchal Joukov

Repos, camarade !
Se trouvera-t-il, parmi les visiteurs de ce blog, dont le tenancier reconnaît sa profonde ignardise en matière de commerce, quelque brillant économiste pour me tirer du gouffre de ténébreuses conjectures dans quoi je patauge depuis deux jours ? Alléché par je ne sais plus quelle présentation flatteuse – sur Causeur, je crois bien –, je suis allé commander ce livre sur le site d'Amazon, cette entreprise sept fois maudite qui fait tant pour l'exploitation des galériens post-modernes. Comme on peut le constater ici, l'ouvrage est paru en septembre dernier, il est donc disponible partout. Amazon en demande le prix de 26,60 €, le port étant offert comme il se doit ; bien. 

Nous passerons rapidement sur la gaminerie de ces dix vendeurs qui proposent leur exemplaire neuf contre la somme hautement attractive de 26,59 € : si vous commandez auprès d'eux, non seulement le livre vous reviendra plus cher, en raison des 2,99 € de frais d'envoi, mais en outre on vous aura pris ouvertement pour un con, capable de se réjouir d'une fausse économie d'un centime. Ce qui a creusé le gouffre dont je parlais en commençant, ce sont les trois extraterrestres qui proposent leurs volumes d'occasion (mais “comme neufs” tout de même…) contre 56 voire 69 €. Pour un livre, insistons bien, que le moins adapté d'entre nous peut trouver facilement et où il veut en échange d'une somme deux à trois fois moindre. Ma question est donc les suivantes (c'est fait exprès, laissez…) : premièrement, quel raisonnement a pu pousser ces mousquetaires de la distribution à choisir un tarif aussi absurde ? Et, secondairement, à quel genre d'olibrius espèrent-ils persuader de les acquérir ?

La seule explication qui me soit venue consiste en un solide alliage d'appât du lucre et de sottise profonde. Mais je suis presque certain qu'il y a autre chose…

Camus en verve (et en imperméable)


« […] Et certes le malheureux garde des Sceaux a été confronté à des abominations de bêtise, de bassesse et de méchanceté — l’In-nocence a été parmi les premiers à les dénoncer sans réserve. Mais, même sur ce point qui ne fait pas débat (au moins parmi les gens que je connais), les antiracistes, si attachés à la plus rigoureuse logique scientifique, prétendent-ils, pour expliquer que les races n’existent pas (scientifiquement), se montrent tout à coup d’un laxisme syllogistique incomparable.  

» Ainsi, comparer Mme Taubira à une guenon, c’est « l’expulser de son humanité » — fort bien. Mais si l’on avait dit, et je crois bien qu’on l’a dit, qu’elle avait défendu sa loi (sur le mariage homosexuel) comme une lionne, ou en véritable lionne, personne n’y aurait rien trouvé à redire. Pourtant la ministre n’en aurait pas moins été « expulsée de son humanité » : mais si c’est vers les lions, ça va. C’est une fameuse discrimination raciste à l’encontre des singes. »

Renaud Camus, Journal, lundi 18 novembre 2013.

mardi 19 novembre 2013

Anacoluthe

Dans deux heures d'ici, je serai assis sur une chaise de plastique, dans une sorte de corridor d'attente, essayant de lire les mémoires du comte de Tilly en attendant d'être reçu par la dame-qui-sent-bon, installée derrière son petit bureau équipé d'un ordinateur ancien modèle. Lorsqu'elle consentira enfin à me faire entrer dans son cagibi – avec probablement une grosse demi-heure de retard, il convient de s'y préparer puis d'endurer, et le comte sera là pour y aider –, ce sera pour me dire à quel âge précisément je pourrai envisager de prendre ma retraite, et combien de picaillons tomberont alors dans ma flasque escarcelle.

C'est à ce genre de petits détails que l'on peut constater que jeunesse est bien loin, et que le temps léger s'est enfui sans nous en apercevoir.

lundi 18 novembre 2013

Les roquets étaient restés au chenil…

… à l'occasion de cet entretien qu'Alain Finkielkraut a accordé il y a quelques jours à Philippe Bilger. Il y revient notamment sur les raisons qui le conduisent à se jeter régulièrement dans l'arène télévisuelle, et sur la manière dont il s'y prépare. L'échange se termine sur une évocation de Charles Péguy. Ce qui est bien.


samedi 16 novembre 2013

Heureusement, les blogueurs de gauche ne sont pas paranoïaques


Dans son dernier billet, le toujours réjouissant Babelouest écrit ceci, avec un imperturbable sérieux : « Il existe un lobby informel mais puissant, très malthusianiste, qui considère la population du monde comme beaucoup trop abondante et œuvre en sous-main pour la ramener à moins du dixième de ce qu'elle est : ce sont des paroles échangées entre ses membres devant des oreilles attentives qui, par recoupement, révèlent ce complot implicite. Les guerres, les épidémies, vraies et non traitées, ou fausses , mais donnant prétexte à des vaccinations plus que hasardeuses, les pénuries de nourriture artificielles par rétention, tout concourt insidieusement à ce résultat. »

Ce vieil et infatigable serpent de mer du vaccin-qui-tue-les-petits-nenfants, j'ai bien dû le voir resurgir cinq ou six fois, depuis que je suis en âge de m'intéresser à la démence des hommes. Les propagateurs de ces âneries trouvaient chaque fois une poignée d'imbéciles pour les croire et décider de ne pas faire vacciner leurs diverses progénitures, lesquelles avaient ensuite tout loisir de devenir poliomyélitiques, tétaneux ou variolés, puis de mourir dans d'atroces souffrances ou de végéter dans leur petite chaise à roulettes. Mais enfin, en dehors de cela, le délire restait bon enfant, si je puis dire ; on se contentait de nous expliquer doctement que cette gigantesque arnaque était perpétrée froidement par les grands laboratoires pharmaceutiques anglo-américains (voire judéo-anglo-américains), lesquels sont tous dirigés, comme nul n'en ignore, par d'anciens nazis même pas repentis et célébrant la Saint-Hitler tous les ans – l'affaire tournait gentiment quelques semaines avant de s'évaporer, cependant que les personnes vaccinées s'obstinaient à se porter comme des charmes. (Le charme est l'un des seuls arbres, en tout cas sous nos latitudes, à être immunisé contre toutes les maladies qui affectent les autres essences : d'où l'expression – fin de la digression.)

Cette fois, on évolue dans le grandiose. Cette société secrète invisible mais partout présente, qui a décidé d'éliminer 90 % de la population terrestre, et qui a un plan tout prêt pour cela, c'est du Roland Emmerich sous acide. Il n'y manque plus qu'un Godzilla bourré de virus, bactéries et autres souches microbiennes, venant se faire exploser la tripaille en plein cœur de Central Park. À mon humble avis, ce doit déjà être eux qui ont simulé une attaque contre les tours jumelles en s'arrangeant pour mettre ça sur le dos des pauvres Arabes. Et ils seraient mouillés dans l'affaire de Pearl Harbour que je n'en serais pas autrement surpris non plus.

(On notera que cette puissance mystérieuse se propose de mettre en œuvre la disparition d'environ cinq ou six milliards d'individus, et de le faire, d'après notre ami, insidieusement. C'est dire s'ils sont forts.)

vendredi 15 novembre 2013

Vieux chien pénible


C'est bien de toi que je parle, et de personne d'autre : que l'on ne se méprenne. Tu as été le plus fort, le plus brillant de poil, le plus doux et le plus magnanime aussi : j'ai l'impression, parfois, d'avoir des souvenirs de toi remontant avant ta naissance. En vérité, il semble difficile d'imaginer un chien réunissant plus de qualités que toi. Tu pouvais faire peur, tu faisais jouer tes muscles, mais tous ceux qui partageaient ta vie savaient bien qui tu étais : on croyait à ta force et on faisait plus ou moins semblant d'être effrayé de toi : on respectait les règles que tu avais édictées – non : dont tu avais hérité. Tu n'y croyais pas toi-même : avoue-le, maintenant que tout cela a passé ! Tu faisais semblant d'être féroce, tu grondais presque sur commande.

Tu as été fort longtemps (je veux dire : fort, longtemps – le poids des virgules), au point qu'on était sûr que rien ne changerait jamais. Même adulte comme je le suis ou suis censé l'être, je ployais devant toi, je m'inclinais devant ta puissance et j'étais content de le faire : lorsque tu montrais les dents, je voyais un sourire, mais j'en étais tout de même très impressionné – rassuré, aussi. Et puis, et puis… très rapidement, tu es devenu ce que tu es aujourd'hui, et pour peu de temps sans doute : un vieux chien pénible, triste et contemplatif, une merveilleuse mécanique rouillée, un ancien vivant pelé, faisant sous lui, mais avec suffisamment de bonté encore pour tolérer les bonds des plus jeunes, que l'on essaie d'écarter de toi, parce qu'ils peuvent te faire mal sans le vouloir ni le savoir. Les chiens ne sont pas seuls responsables : nous aussi, on peut te faire mal sans le vouloir. Comme tu n'es pas doué de parole, en tout cas de la nôtre, on essaie de se fier à tes regards, très malaisément déchiffrables.

Ton arrière-train se bloque, ton poil blanchit et disparaît, tu te mets à gémir des exigences que personne ne comprend – on fait un peu semblant de comprendre, mais alors, sans aucun succès : on le voit bien à tes regards. Du coup, tu deviens le chien le plus important de la  maison, bâtard que tu es ! Tu n'en sais rien, en rond dans ton panier, mais on ne cesse de penser à toi, du matin au lendemain. Au moment où on te quitte, le soir, on se demande si on va te retrouver vivant – et on vibre bizarrement et désagréablement de cela.

Heureusement, tu n'es qu'un chien, et on tente de se consoler avec ça. Si tu faisais partie de notre espèce, l'affaire serait autrement délicate. On n'oserait même pas écrire une ligne.

jeudi 14 novembre 2013

La nuit


Certaines nuits, en leur début surtout, semblent devoir être plus noires que d'autres ; ou plus épaisses : on ne sait trop comment dire, parce que ça ne s'est encore jamais produit. C'est d'une seconde sur l'autre, à table ou ailleurs. Peut-être – allez savoir – à cause du goéland de Dieppe ; ou parce qu'on a été dérangé dans la routine de l'existence, un tant soit peu ; ou encore parce qu'une image a traversé le ciel, votre esprit, celle d'un homme allongé sur un lit inconnu, indéfinissable, non identifiable, un pur matelas étranger, vaguement hostile, dans une pièce aux angles étranges, semblable à toutes les autres qui la bordent : devant, derrière, à droite, à gauche, au-dessus, en dessous, avec les mêmes pas dans le couloir, et ces lumières qui ne s'éteignent jamais, et la petite sonnette de plastique que l'on peut presser quand on veut, pour ramener la vie à soi, un moment, un visage inconnu et souriant, et fatigué.

Entre deux bouchées, on y pense ; la faim se coupe mais on finit tout de même son assiette, pour n'alarmer personne et continuer de camper dans le monde assuré des vivants. L'image grossit, prend du relief, on croit entendre le souffle de l'homme allongé, son regard absent vous perce le front, on voudrait lui arracher le triste bonnet qui tente de masquer l'absence des cheveux, et dont sa main, régulièrement, mécaniquement, essaie de dégager l'emprise.

« Ça va ? », entendez-vous alors. « Ça va… », vous entendez-vous répondre. Et l'on se lève de table. Mais la nuit reste noire sur Dieppe, supposez-vous, et un reproche point de n'y être pas. Oh ! il ne vous gêne pas très longtemps, ce reproche ! Vous vous contentez rapidement d'être où vous êtes, dans un silence campagnard et habituel, vous tentez de contourner le noir et de faire se clore les paupières de l'homme allongé : c'est si reposant, le sommeil des autres ! Ce mot même, sommeil, règle tout, vous affranchit de vos manquements probables, de votre absence, de vos sourires faux. Mais vous vous en dédouanez en quelques minutes, du bout des doigts, par ces lignes qui semblent se tracer toutes seules, dans un silence désinvolte, qui essaie d'être tel – et n'y parvient que péniblement, avec des sourires fatigués.

Tout paraît s'être immobilisé, à l'image de celui qui ne bouge plus et fait seulement semblant de regarder. En réalité, c'est seulement maintenant que tout se met à bouger, et d'une manière pénible : avant, dans un passé incroyablement lointain, toute chose était figée dans une immobilité ensoleillée, jeune et bienheureuse.

Bronzés contre bronzés

mercredi 13 novembre 2013

La grande misère du peuple de France

Photo de Catherine G.

Un an et demi de socialisme seulement, et les goélands hauts-normands en sont déjà réduits à fouiller les poubelles de l'hôpital de Dieppe…

Blogueur de gauche traquant le fascisme, le racisme, la scarlatine, etc.


Grâce à tous les bons petits soldats de la République-en-danger-arrête-c'est-vachement-grave, les Max-la-menace nazis de Minute vont pouvoir vendre quelques exemplaires supplémentaires de leur follicule. Cela étant, il faudrait peut-être songer à prévoir des points “ravitaillement-antifascisme-santé” pour nos sonneux d'tocsin : on n'est encore que mercredi et ils ont déjà dû sauver deux fois la démocratie depuis le début de la semaine – des claquages sont à craindre d'ici samedi.