lundi 28 novembre 2022

La franchise est la première qualité d'un défunt


 Joachim Maria Machado de Assis est un écrivain brésilien, ce qui est loin d'être le cas de tout le monde. Il est né à Rio en 1839, d'un père mulâtre descendant d'esclaves et d'une émigrée portugaise. Il quitte l'école à 12 ans pour se mettre à travailler. Autodidacte, il apprendra ensuite le français, l'anglais, l'allemand, le grec ancien ; et se forgera une culture comme on en souhaiterait à tout le monde (mais peut-être que, peuplé uniquement de gens cultivés, le monde se révélerait invivable : hypothèse à considérer sérieusement) et sera l'un des co-fondateurs de l'Académie brésilienne des lettres, dont il deviendra le premier président.

Je suis occupé à relire le premier volume de ce qu'on appelle sa “trilogie réaliste” – par opposition à ses premiers écrits, encore entachés de romantisme –, lequel s'intitule Mémoires posthumes de Bràs Cubas. Le titre n'est nullement mensonger puisque, dans le premier des 160 courts chapitres du livre, le narrateur nous expose en effet les circonstances de sa mort toute récente. Et nul ne songerait à mettre ses paroles en doute puisque “la franchise est la première qualité d'un défunt”.

Ensuite, le senhor Cubas va nous raconter sa vie, la présentant comme une mosaïque plutôt que comme une fresque, tantôt ironique, tantôt macabre, parfois d'un pessimisme noir, lequel est tempéré par un humour vif, lui-même adouci par le voile de la mélancolie, “cette fleur jaune, solitaire et morbide, au parfum enivrant et subtil”.

Machado de Assis est mort en 1908, dans la ville qui l'avait vu naître. Ce qui est d'une cohérence louable.

vendredi 25 novembre 2022

Mari et les sept nains

 

Tiago est un nain andalou. Il vit à Ubeda, où il est tour à tour, chaque jour, cireur de souliers, aide-coiffeur, garçon de ménage au couvent des Carmélites, pourvoyeur de menus services en tous genres pour Mme Polentinos, la tenancière de l'hôtel de passe où il loge. En outre, il se rend tous les après-midis chez don Luis Fernandez de Los Cobos, vieil aristocrate aveugle à qui il lit le journal, et en particulier les comptes rendus tauromachiques ; pour complaire au vieillard, il lui invente des corridas imaginaires lorsque celles du journal ne sont pas propres à satisfaire ses marottes d'aficionado. Un jour, à la suite d'un événement particulier, il décide de quitter l'Espagne pour rendre enfin visite à sa correspondante épistolière qu'il n'a jamais vue – et il part pour Lisbonne. Tout cela prend quelques semaines.


Art est un nain nord-américain, il vit à Chicago. Métis d'un noir et d'une Mexicaine, il est pianiste, comme Art Tatum qu'il révère et dont il porte le prénom. Il n'écoute jamais Lester Young ni Thelonious Monk, parce qu'ils lui font peur. Il déteste les chiens, mais aime beaucoup Wren, la jeune Chinoise fumeuse de joints qui travaille à l'Étoile de Siam, la gargote asiatique occupant le bas de son immeuble de brique, planté au milieu d'un terrain vague. Art est sur le point de sortir son premier disque, mais se fâche avec son producteur, avant de se rendre au Park Wyatt, où il doit accompagner une fille de famille qui enterre sa vie de chanteuse médiocre. Un jour, à la suite d'un événement particulier, il décide de traverser l'Atlantique pour rendre enfin visite à sa correspondante épistolière qu'il n'a jamais vue – et il part pour Lisbonne. Tout cela dure une journée.

Jacques est un nain de Gascogne. Contrefait, bossu, boiteux, sa description fait penser à Michel Petrucciani, sauf qu'il ne joue pas de piano contrairement à Art. Entre son père et sa mère, il porte tous le poids moral de sa propre disgrâce et se laisse traîner de lieux de pèlerinage consacrés en fontaines miraculeuses sans jamais protester. Après la mort de son père devenu alcoolique, il se fait lui-même alcoolique, au sein de la même bande de Gascons dont il devient une sorte de mascotte. Puis, renonçant à l'alcool, il prend le chemin de Compostelle : c'est Jacques le Minus – son surnom à l'école – claudiquant à la rencontre de Jacques le Majeur. Un jour, à la suite d'un événement particulier, il décide de rendre enfin visite à sa correspondante épistolière qu'il n'a jamais vue – et il part pour Lisbonne. Tout cela s'étale sur de nombreuses années.

En dehors de leur correspondante lisboète, ces trois nains n'ont aucun point de contact entre eux (même si, un jour, sur une plage des environs d'Arcachon, Jacques lit un roman de la Série noire se déroulant à Chicago). Quant à la correspondante, elle apparaît une fois dans chacun de ces trois chapitres, en une très courte annotation rédigée à la première personne, imprimée en italique – et c'est pour nous avertir que le temps n'est pas encore venu pour elle d'intervenir dans l'histoire.

Elle ne ne prend vraiment la parole que dans les toutes dernières pages de cette première partie, intitulée assez mystérieusement (mais en fait pas tant que ça) : Les Invités sont des fuyards. C'est pour nous présenter, brièvement, les quatre autres nains qui, d'un peu partout, s'apprêtent eux aussi à converger vers Lisbonne…
 
 
Dans la seconde partie du roman de Pierre Veilletet dont je parle ici, apparaît donc la mystérieuse correspondante de Lisbonne, narratrice éponyme répondant au nom de Mari-Barbola. Il s'agit de la naine que l'on voit au célèbre tableau de Velazquez, Les Ménines – titre que Mari-Barbola dit ne pas aimer : elle préfère l'appeler La Familia –, sur la droite de la toile, avec le chien couché à ses pieds.

Car tel est le scoop que nous assène le romancier bordelais : en cette fin de vingtième siècle – le livre est paru en 1988 –, Mari-Barbola, arrivée d'Autriche en 1649, avec sa maîtresse Marie-Anne, bientôt Mariana, qui s'apprête, à 14 ans, à devenir reine d'Espagne en épousant son oncle, Philippe IV, Mari-Barbola la naine est toujours vivante ! Il n'y a d'ailleurs aucune raison d'en douter puisqu'elle est là, devant nous, à nous raconter certains épisodes de sa très longue vie, dont elle-même ne s'explique pas très bien la pérennité.

Mais pourquoi cette correspondance assidue avec les sept nains que j'évoquais en commençant ? Quelle raison de les réunir à Lisbonne, où elle vit depuis de nombreuses décennies dans un isolement presque complet ? Qu'attend-elle d'eux et de leur réunion autour d'elle ? Que veut-elle leur donner ou leur prendre ? Quel secret leur confier ou leur arracher ?

Je ne vous en révélerai rien. Comme le dit un jour, à la Casa del Tesoro, Velazquez à Mari-Barbola : « Tout est caché. » 

À moins d'ouvrir et de lire le roman de Pierre Veilletet.

samedi 19 novembre 2022

Paree sera toujours Paree !


 Le 23 avril 1945, Churchill, Premier ministre pour encore un petit trimestre, adresse au Foreign Office la note suivante :

« Je ne considère pas qu'il faille modifier les noms qui sont familiers depuis des générations en Angleterre pour suivre les caprices des étrangers qui habitent dans ces contrées. Il ne faut surtout pas abandonner Constantinople, même si l'on peut préciser ensuite Istamboul entre parenthèses à l'intention des ignares. La malchance poursuit toujours les gens qui changent le nom de leur ville. Si nous n'y mettons pas le holà, la BBC se mettra à prononcer Paris “Paree”. Les noms étrangers ont été faits pour les Anglais, et non les Anglais pour les noms étrangers. Je date cette note de la Saint-Georges. »

Et moi, cette note, pour peu que l'on remplace “Anglais” par “Français” dans l'avant-dernière phrase, je la contresigne avec vigueur le jour de la Sainte-Élisabeth de Hongrie ! Mais force est de constater que, sur ce front comme sur tant d'autres, nos positions ont considérablement reculé : nous n'en sommes plus à défendre Constantinople, hélas, mais à tenter de préserver Stamboule des attaques de l'Istanbul des anglophones ; encore ce combat-là est-il déjà largement perdu. 
 
Peut-être est-il encore temps de préserver Pékin de la malfaisance de mes ex-confrères, qui croient passer pour bien informés et plus intelligents chaque fois qu'ils écrivent le ridicule Beijing. En revanche, je crains fort qu'il ne faille passer Ceylan et Formose par profits et pertes, pour faire semblant de nous accommoder des pénibles Sri-Lanka et Taïwan
 
 Et je ne serais qu'à demi surpris – quand même je le serais douloureusement – si, demain, dans telle ou telle feuille de chou prétendument française, je voyais apparaître un incongru London en remplacement du vieux Londres.

Ville qui, l'air de rien, nous ramène à sir Winston et à sa note.

vendredi 11 novembre 2022

L'effet Westlake

 

À Jacques Étienne, qui comprendra.

 

Quelqu'un qui pénétrerait sans prévenir dans notre salon, vers le milieu de l'après-midi, pourrait penser qu'il vient d'entrer par mégarde dans la salle de repos d'un asile d'aliénés, voyant ces deux presque vieillards, chacun dans son fauteuil, les yeux baissés vers les genoux et ponctuellement secoués, chacun à son tour et à intervalles presque réguliers, par un petit rire aussi soudain que vite étouffé. 

C'est que Catherine et moi sommes, depuis quelque temps, plongés dans les romans de Donald Westlake, lesquels ont sur nous deux cet effet hilarant et spasmodique. En plus, comme nous lisons les mêmes, mais ni en même temps ni obligatoirement dans le même ordre, chacun commente ensuite pour l'autre le passage qui l'a fait pouffer – tout en sachant qu'il est mauvais pour qui surveille son poids de pouffer entre les repas.

Une turne de dingues, je vous dis.

jeudi 10 novembre 2022

Charlux fiat

Quatre heures et demie, 

profiter des derniers éclats du soleil d'automne 

avant qu'il ne disparaisse derrière le toit des voisins :

la preuve par le chien.

 


 

jeudi 3 novembre 2022

Léger retard à l'allumage…


 

… retard dont l'explication est donnée fin octobre.