jeudi 24 avril 2008

Plein les bottes

Plus le temps s'écoule et plus me navre cette incapacité qui est la mienne à parler intelligemment des écrivains, ou simplement des livres, que j'aime. Je pourrais bien sûr compenser cela par la moquerie vis-à-vis des critiques professionnels, des crânes d'oeuf universitaires, ou autres qualificatifs qu'il vous plaira de trouver. Je l'ai d'ailleurs fait, longtemps. Mais ce n'est plus possible.

Au courant de l'âge, de même qu'on éjacule de moins en moins loin (ce qui en soi est sans la moindre importance), le rideau de fumée que l'on produit entre soi et soi est de plus en plus ténu ; à mesure que le visage se racornit, s'épaissit, se grumelle, se dilue, le miroir se fait plus net, catégorique. On commence par s'entr'apercevoir, on finit par ne plus pouvoir se quitter des yeux.

Chaque matin (image commode), on se découvre une nouvelle impuissance, physique (ce qui est sans grande importance) ou intellectuelle (plus ennuyeux) ou morale - très gênant. En réalité, elle n'est pas du tout nouvelle : simplement, elle émerge à la conscience, et la conscience le prend généralement assez mal - au moins au début.

Je ne me rappelle plus quel écrivain a dit que la jeunesse, c'est quand tout est encore possible. Voilà. Ce que je n'ai pas compris à ce jour, je ne le saisirai pas davantage demain ; ce qui m'a échappé restera insaisissable ; les portes closes ne s'ouvriront plus.

J'ai atteint mon apogée et, lorsque je regarde en bas et derrière, je ne parviens même pas à éprouver le moindre vertige revigorant. Un demi-siècle pour gravir une simple motte de taupe : il a fallu que les pas soient bien précautionneux, les foulées mesurées et le souffle rauque. Et j'ai désormais besoin de toute ma concentration pour feindre de ne pas remarquer ceux qui me doublent dans la côte. Ou, encore davantage, pour leur sourire d'un petit air complice, en dissimulant les rancoeurs, les aigreurs - la haine, si je me laissais aller.

Mais je ne me laisse pas aller, sachant très bien où je vais, et eux avec, qui ont encore l'audace de pouvoir parler en marchant. On se retrouvera en haut, mes drôles, comptez là-dessus.

32 commentaires:

  1. Eh ben ! les investissements immobiliers cela délie peut-être la langue mais cela n'allège pas la conscience !


    iPidiblue à pas lourds vers ma tombe.

    RépondreSupprimer
  2. Dites au fait, 13,76 m² cela fait beaucoup for the grave !
    6 pieds de bonne terre de France cela suffit en général ...

    iPidiblue visiteur de notre prison terrestre

    RépondreSupprimer
  3. Didier,

    J'adore vos billets désabusés, déprimés. Vous êtes encore brillant, allez ! Sans doute bien plus que nous ne le serons jamais !

    RépondreSupprimer
  4. "Encore brillant" est très dur, mais vous l'avez bien cherché.
    Quelle idée aussi, de vendre la mèche !

    RépondreSupprimer
  5. pas mieux... J'ai visité hier, le cimetière où est enterrée Marguerite Yourcenar. Une toute petite plaque pour un si grand écrivain.
    Eh bien, figurez-vous que je suis ressorti du lieu en joie. Il y a deux ans, j'aurais été en rage.
    Mais, gare, les 40 ans approchent (l'âge où, selon Vialatte, l'homme est sur la crête de sa vie, contemplant le passé et découvrant l'avenir...)

    RépondreSupprimer
  6. Perso, je trouve ce n'est jamais une bonne idée d'éjaculer trop loin, alors, tu fais bien.

    La nostalgie, c'est pas ce que c'était, et tant mieux.

    Vivement le troisième mi-temps !!!

    RépondreSupprimer
  7. Au régime vieillard cacochyme !

    RépondreSupprimer
  8. Quand je lis ça, moi qui n'est pas encore cinquante ans, ça me déprime.
    Finalement, je suis bien content de ne pas être un intellectuel et d'avoir des enfants, ça m'évite de trop me regarder le nombril.
    Il y a bien des exemples de gens qui se sont remis en question après cinquante ans, avec succès, et se sont montrer particulièrement prolifiques dans presque tous les domaines ( sauf le sport).
    Arrêtez de vous donner vingt-cinq ans de plus ! Allez faire un tour dans une maison de retraite, ça va vous donner un coup de jeune.

    RépondreSupprimer
  9. L'idée de passer l'éternité avec vous est un bon motif de devenir athée.

    RépondreSupprimer
  10. Mifa,

    Tu as sans doute raison le "encore brillant" paraît dur... mais ce n'est pas comme "encore un peu brillant" que je voyais les choses mais comme "au moins, à défaut de grimper 6 étages en courant et en parlant en même temps vous êtes brillant" !

    C'est clair ou bien ?

    RépondreSupprimer
  11. L'avantage d'éjaculer de moins en moins loin en vieillissant, c'est que comme dans le même temps, à cause de l'hypermétropie on est obligé d'éloigner ce qu'on lit, on risque moins de tacher sa revue.

    RépondreSupprimer
  12. Je suis d'accord avec Zoridae. Tout cela n'est-il pas question d'exigence personnelle. Bien sur, quand on lit quelque chose que l'on trouve grand, démesuré, on trouve sa prose tellement risible quand il s'agit d'en parler.

    Soit, il faut le faire en technicien froid (et c'est chiant), soit on essaie de véhiculer des sentiments de lecture et ça semble plat (c'est pour cela que je ne parle que de livres moyens, les grands, je les tais)...

    RépondreSupprimer
  13. 50 ans pour gravir une motte de taupe, comment allez vous faire dans votre 6ème sans ascenseur pour gravir l'escalier

    RépondreSupprimer
  14. iPidiblue : si vous tenez à votre hébergement dans la baignoire, il faudrait voir à se montrer un peu plus respectueux envers l'ancêtre !

    Zoridae : j'espère pour vous que vous trompez...

    Mifa : mais non, ce n'est pas dur !

    Yibus : 40 ans, la crête ? Donc ma dégringolade ne date pas d'hier ! Du reste, Vialatte a raison : cela fait un bout de temps que je dis que je suis entré en vieillesse à 42 ans très précisément.

    Joye : c'est vrai, au fait : pourquoi trop loin ?

    Sniper : oui, évidemment, il y a toujours la solution de désespoir qui consiste à se reproduire...

    VS : parce que vous croyez que ça m'amuse, moi, cette éventualité éternelle en ma propre compagnie ?

    Franssoit : comme consolateur des âmes vous n'avez pas votre égal !

    Dorham : Vous avez raison : le silence...

    RépondreSupprimer
  15. Olivier : c'était une GROSSE motte, tout de même...

    RépondreSupprimer
  16. Parce qu'en plus vous aurez une baignoire ? Je croyais que dans les chambres de bonnes qui se respectent les chiottes étaient sur le palier !


    iPidiblue outré d'un tel luxe

    RépondreSupprimer
  17. Une baignoire, parfaitement, Monsieur ! Et aussi des toilettes privées et une cuisine. Sans parler de la superbe vue imprenable sur les voies de chemin de fer de la gare Saint-Lazare. Ah, mais !

    RépondreSupprimer
  18. Fornicateur !


    iPidiblue savonette de luxe (comme Georges appelait en son temps monsieur Didier)

    RépondreSupprimer
  19. Savonnette ... mille excuses mister Georges !

    iPidinul

    RépondreSupprimer
  20. La gare Saint-Lazare à Levallois ! N'importe quoi ! ! Remonte sur ta motte de taupe, tu y verras peut-être plus clair !

    RépondreSupprimer
  21. Je m'excuse, mais l'écheveau de voies ferrées visibles à Levallois sont bien celle qui aboutissent à la gare Saint-Lazare, quelques centaines de mètres plus loin...

    RépondreSupprimer
  22. Didier,

    Vous espérez que je trompe ?

    RépondreSupprimer
  23. Oh, bon, ça va, hein...

    Que vous VOUS trompez, là !

    RépondreSupprimer
  24. Didier,

    C'était un joli lapsus...

    RépondreSupprimer
  25. Je viens de me rendre compte, vive les participes passés (et là, c'est quoi ? les participe passé, où doit dont mettre des s et des traits d'union, zut?) que Ipidiblue était un HOMME.

    C'est bête à ne pas croire, mais je trouvais ses post et ses signatures si drôles, si intelligentes, si tendres dans l'amour vache, que je pensais jusqu'à maintenant que c'était une femme. Forcément.

    Suzanne

    RépondreSupprimer
  26. Oui c'est moi l'âne châtré du blog de Didier ... mais ne le dites pas partout, je tiens à ma réputation, même si j'émarge à tous les sexes !

    iPidibluette

    RépondreSupprimer
  27. Il est vieux, certes, mais il voit loin le bougre.

    RépondreSupprimer
  28. "La gare Saint-Lazare, quelques centaines de mètres plus loin ..."
    Mais il m'énerve à toujours vouloir avoir raison !!!
    Il y a au moins 3 kilomètres d'après ce PLAN.

    RépondreSupprimer
  29. Zoridae, merci de m'expliquer, mais il me faudrait l'équivalent d'un cornet acoustique dans le cerveau pour entendre ton explication. La raison en est que je suis bien plus vieille que Didier...

    RépondreSupprimer
  30. Désolé pour l'acidité du commentaire, mais si vous vous regardez le nombril comme ça à 50 ans, vous serez invivable à 60 !
    Et non, je n'ai plus 20 ans depuis longtemps ;-)
    Ceci dit, je reste en accord avec beaucoup de vos propos.,
    Cordialement,
    astringues

    RépondreSupprimer
  31. Astringues : je compte fermement être invivable à 60 ans ! En cas de survie, bien sûr...

    RépondreSupprimer
  32. «lorsque je regarde en bas et derrière, je ne parviens même pas à éprouver le moindre vertige revigorant.»
    Personnellement, en ces circonstances, je vous conseille de perdre un peu de ventre pour revoir un peu de vigueur !

    Pardon, je sors…

    :-)

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.