Lorsque l'indignation psittaciste s'allie à une faible capacité
d'argumentation, on obtient parfois des résultats curieux. Le blogueur
nommé Bembelly, Lyonnais d'origine africaine (je le précise car cela
joue son rôle dans la bonne compréhension de ce qui va suivre), me fait
l'honneur d'un
très court billet, sur le mode “plus jamais ça”. L'objet
de son vertueux courroux : un échange de commentaires chez Nicolas,
entre le dit Nicolas et moi. À propos de l'adoption du mariage guignol,
Nicolas avait écrit :
Dans 10, 20 ans…les jeunes homos n'auront plus honte de se balader main dans la main.
Trouvant son envolée plaisamment bisounoursienne, je lui réponds ceci :
C'est sûr ! D'ailleurs c'est déjà largement le cas dans toutes ces riantes cités qui entourent Paris ou bordent Marseille.
À quoi Nicolas ajoute :
Si votre dernier combat est de mettre l'homophobie sur le compte de l'immigration, je ne peux rien. J'ai bistro.
Il n'en faut pas plus pour enflammer notre bon Bembelly, qui rédige un court billet intitulé Homophobie : Riante pensée et dérapage de Didier Goux. Homophobie, dérapage : parfait, on sait que l'on vient de pénétrer dans la xylolangue (j'ai d'abord voulu tenter quelque chose avec xylophone, mais ça prêtait à confusion). Voici le texte :
Décidément, la bêtise humaine prend des proportions obscènes. Homophobie, racisme ambiant, la récréation verbale continue... Dans le billet de Nicolas "MPT et bravo aux CC" sur la Validation du Mariage pour tous par le Conseil Constitutionnel, cette sortie de route de DidierGoux…
Là vient se placer la capture d'écran de mon court échange avec Nicolas, puis la conclusion de l'Indigné :
Bonne remarque de Jegoun car, par "riantes cités qui entourent Paris ou bordent Marseille", il faut lire "les banlieues".
Riantes cités?
Cette riante pensée de Didier Goux est à inscrire sur le mur des cons.
Pour
commencer, je suis d'accord avec la punition : je préfère me retrouver
sur le mur des cons que d'être affilié au syndicat de la magistrature.
Sinon, je ne me serais même pas avisé de ce coup de papatte un peu
balourd si Nicolas n'avait attiré mon attention sur lui. Lorsque
j'arrive, les commentaires ont commencé. Bembelly, notamment, a ajouté
ceci :
Ce que j’épingle (comme toi dans ton commentaire), c’est le trait facile
entre banlieue et homophobie. S’ il n’a pas le courage de dénoncer les
cathos et autres "casseurs de pédés", alors qu’on fiche la paix à ces riantes cités de banlieue.
Comme je suis un garçon sociable (bien qu'homophobe et dérapant), je me fends d'une petite réponse :
Je suis désolé, mais les bandes de cathos casseurs de pédés
n’existent que dans vos fantasmes et vos préjugés. Alors que sont
nombreux (et assez faciles à trouver si on le veut) les témoignages –
évidemment anonymes – de jeunes Arabes ou noirs des banlieues, qui
expliquent que, homosexuels, ils sont obligé [sic !] de quitter non seulement
leur cité mais aussi la ville où elles se trouvent [re-sic !] pour pouvoir avoir
des aventures amoureuses ou sexuelles. ils disent aussi vivre dans la
terreur constante que leurs copains viennent à apprendre leur
"différence".
Mais continuez à traquer l’homophobie chez les catholiques : c’est
beaucoup plus satisfaisant pour l’esxprit [re-re-sic !] et c’est absolument sans
risque.
C'est alors que je m'attire cette réponse,
censée je suppose me clore le bec et que je trouve irrésistible de
drôlerie involontaire :
Mes parents sont dans une riante cité de la région parisienne…
Et ne sont pas homophobes.
Donc, désormais, les
jeunes habitants de ces cités pourront se promener main dans la main, et
même se rouler des pelles devant le Lidl, en toute quiétude : les parents de M. Bembelly n'étant pas homophobes, ils n'ont absolument plus rien à craindre.
L'affaire
ne s'arrête pas là car, un peu plus bas, un autre commentateur, David
Burlot, pourtant estampillé gauchiste grand teint, se mêle de me donner
plus ou moins raison, quant à l'empathie éprouvée par les
jeunes-à-guillemets des banlieues vis-à-vis de l'homosexualité. Ce qui
achève d'énerver notre fiston d'homophiles, dont le ton se fait abrupt :
Ce qui m’importe c’est ce que JE ressens.
Eh
bien, voilà, il fallait commencer par là ! Peu importe la réalité,
donc, peu importe que les catholiques n'organisent plus de ratonnades
anti-homos depuis magnifique lurette, peu importe que ces mêmes homos
soient en revanche traqués dans les banlieues allogènes, ainsi qu'ils le
disent eux-mêmes. Ce qui compte, et qui compte seul, c'est le ressenti
de M. Bembelly. Et aussi le fait que ses parents ne soient pas
homophobes. Avec ça, on a bien progressé, la vérité ne devrait pas
tarder à émerger du puits.
Ce que je trouve le plus
amusant, c'est cette façon tout à fait décomplexée, ou plus probablement
inconsciente, de faire avec un parfait naturel ce qu'on interdit à ses
adversaires supposés de pratiquer eux-mêmes ; à savoir, ici, la fameuse généralisation, le très-honni amalgame.
Si,
demain, une bande de quatre ou cinq jeunes-à-guillemets envoie un
homosexuel – avéré ou simplement soupçonné – à l'hôpital, il faudra
surtout bien se garder de la moindre allusion à une possible homophobie
de ces “banlieue-là” et considérer ce déchaînement de violence haineuse
comme un fait divers rigoureusement isolé et non susceptible de se
reproduire, sauf par pure et très peu probable coïncidence.
Mais, de son côté, cela ne gêne absolument pas M. Bembelly de s'appuyer sur l'homophilie supposée de deux
personnes (à savoir son père et sa mère) pour en conclure que les
banlieues ne sont pas du tout homophobes et que dire qu'elles le sont
constitue un grave “dérapage”.
On pourrait aussi bien
se demander au nom de quelle mystérieuse solidarité (de classe ?
Ethnique ? Géographique ? Autre ?), M. Bembelly se présente comme
personnellement outragé – non seulement lui, mais ses parents, qu'il a
la grossière habileté de mettre en avant, sans doute pour m'inciter au
silence plus facilement – lorsque l'on fait, devant lui, une remarque
critique, une allusion ironique à ce qui se passe dans les cités en
question. Est-ce que, vivant dans un village normand, je monte sur mes
grands chevaux (de labour) si l'on dit devant moi que les gens de la
campagne sont des bouseux déculturés ? Ou que les journalistes sont des
lopettes bien pensantes ? Ou que les gros ont tendance à bander mou ?
Pourquoi, toujours ou presque, cette inébranlable obstination à “faire
front”, quitte à défendre pour cela l'indéfendable ?