vendredi 16 janvier 2009

Sans fleurs, mais en couronne

« La nuit de la mort de Malraux, Louis Aragon dansait un tango argentin dans les bras de Renaud Camus. On reproche beaucoup de choses à ce Camus-là, beaucoup trop à mon goût, mais jamais de mentir. Dans son journal de l'année 1976, que j'ai repris la nuit dernière, il y a encore plus de garçons qu'il n'y a de filles dans celui de Matzneff. Des hommes plutôt que des garçons. Renaud ne bande pas pour les freluquets qui pèsent quarante kilos tout habillés, il penche plutôt pour le jeune homme des cavernes. Chabal, la nouvelle coqueluche du rugby, doit répondre à ses critères de sélection.

« Pour en revenir à Aragon, très présent dans ce volume intitulé Travers, tome 2, on le suit, amusé et ému comme un grand-oncle. C'est le veuf joyeux. Sa concierge mitonne de l'agneau au curry pour la bande de ses admirateurs énamourés, certains un peu plus que d'autres. Louis Aragon, poète masqué, se dévergonde sans craindre les beaux yeux de la terrible Elsa.

« À part ça : des galeries d'art moderne, du Warhol à toutes les sauces, des saunas, des boîtes de nuit glauques, l'univers post-soixante-huitard de la drogue et de la peinture à l'huile. Pas de "capote anglaise", on ne disait pas "préservatif" en ces temps-là, on ne disait rien du tout, on baissait son pantalon en groupe et en procession dans les allées gracieuses des jardins des Tuileries ou dans quelque soupente déglinguée. On s'amusait follement avant de mourir, on peut penser d'ailleurs qu'ils sont tous morts ou presque les amis de Renaud qui brûlèrent leur jeunesse de nuit fauve en nuit fauve. J'en vois d'ici qui lèvent le doigt, j'ai soixante ans, je vais bien, je n'ai pas tout brûlé. Renaud lui-même se porte comme un charme en son château de Plieux, dans le "Gersse" comme il ne faut pas dire. »

Pascal Sevran, Les Petits Bals perdus - journal IX, Albin Michel, p. 122-123.

11 commentaires:

  1. Camus, Camus : même question que pour Balzac! Si je veux me faire un petit shoot de Renaud Camus (quelques lignes tout au plus), je commence par quoi chef?

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  2. Lina, je vous réponds par mail demain. (Mais il me semblait que votre première question concernait Proust et non Balzac : me gouré-je ?)

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  3. Alors vous m'en mettrez un peu de chaque, vous serez bien aimable. J'ai toujours des invités qui passent à l'improviste...

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  4. R.Camus, auteur confidentiel du XXème, XXI siècle, ami de Barthes, Marcheschi, Aragon invité à la télévision pour parler ... de Pascal Sevran.
    Avez-vous entendu l'émission de France-Musique où il fut l'invité le 31 décembre?

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  5. Lina : on marche comme ça.

    Almendralejo : j'ai vu la première et écouté la seconde, oui.

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  6. J'ai trouvé le taulier changé la dernière fois que je l'ai vu. En plus, maintenant, il lit Sevran.

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  7. Nicolas : j'ai lu les neuf volumes du journal de Sevran : c'est loin d'être un mauvais écrivain.

    Et en quoi ai-je changé ?

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  8. Je plaisantais.

    Quoique. Vous avez bu moins de 2532 bières.

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  9. Pascal Sevran était-il du Gers? Non! Dans le Gers, on prononce Gersse, et dans tous les départements limitrophes également.

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  10. Ah, je suis content d'avoir lu votre billet! Il m'a fait remarquer que je suis encore en vie après 60 ans. Un truc positif!

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  11. Orage : la question de la prononciation de "Gers" est une sorte de tarte à la crème camusienne, et l'auteur y revient souvent. Lui prétend que les accents et les prononciations ne sont pas seulement régionales, mais disent aussi quelque chose du milieu social et culturel du locuteur. Ainsi, toujours d'après Camus, les bourgeois (et les aristocrates) du Gers prononce (ou plutôt prononçaient) "Ger", tandis que le peuple et la petite-bourgeoisie disaient "Gersse". La petite-bourgeoisie s'étant répandue dans toutes les strates de la société, il ne subsiste quasiment plus que la prononciation "populaire" de "Gerss".

    Il en va de même pour les accents dits "régionaux" : des grands bourgeois bordelais comme Mauriac, Lacouture, Sollers, etc. n'ont pas un soupçon d'accent "bordelais".

    Camus, tout le premier, reconnaît que cela n'a pas une importance cruciale, que c'est affaire de convention, de forme. Mais il y tient néanmoins. Et je pense que la remarque de Sevran est une petite "pointe" à son endroit.

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.