Restons un moment avec Sainte-Beuve, voulez-vous ? Me voilà rendu à près de six cents pages de son Port-Royal : 
lecture parfois ennuyeuse, au moins pour moi, notamment lorsqu'il 
disserte sur les épais volumes écrits et publiés par ses grands fâcheux,
 mais beaucoup plus intéressante lorsqu'il retrouve le déroulé de l'histoire, parsemé de portraits et même d'anecdotes, dont certaines fort savoureuses.
C'est
 le cas lorsque apparaît – à la page 400 très précisément –, pour un 
bref tour de piste, M. de La Petitière. Si l'on en croit Pierre Thomas 
Du Fossé, l'un des illustres solitaires de la maison, ce gentilhomme 
poitevin passait pour la meilleure épée de France, au point que 
Richelieu aimait l'avoir à son côté pour assurer sa sécurité ; bretteur 
sanguin aux yeux de feu, toujours prêt à se lancer dans les plus folles 
équipées, aimant chercher et vider querelles, etc. Or, le voici un jour 
touché par la grâce du repentir, décidé à s'abîmer dans la solitude et 
la prière “pour se punir à proportion de ses crimes et pour s'humilier à
 proportion de son orgueil”, précise dans ses mémoires le jeune Du 
Fossé. La Petitière est le héros d'une saynète contée par un autre 
contemporain, le père Rapin :
« Il étoit si vaillant 
que menant un jour l'âne du monastère au moulin, au retour son âne et sa
 farine furent pris par trois soldats, dont la campagne étoit alors 
infestée pendant la seconde guerre de Paris. Comme il fut de retour au 
logis, on lui demanda comment il s'étoit laissé dévaliser de la sorte : 
“Est-il permis de se défendre à un chrétien dans notre morale ?” dit-il.
 – “Pourquoi non ?” lui répondit-on. À même temps il prend un bâton à 
deux bouts, qu'il trouva par hasard en son chemin, court après les 
soldats qui l'avoient volé, les désarme et les amène les poings liés 
derrière le dos à Port-Royal où, les ayant conduits à l'église pour 
faire amende honorable devant le Saint-Sacrement, il leur fit une espèce
 de réprimande charitable mêlée d'instruction et les renvoya avec une 
aumône. »
Est-ce qu'on ne se croirait pas au cœur d'un 
roman de Dumas ? C'est qu'il y a du mousquetaire, dans ce La Petitière, 
et même de trois ! On lui voit l'impétuosité un peu brouillonne du jeune
 d'Artagnan, quand il s'agit de rattraper et maîtriser ses voleurs ; la 
naïveté enfantine de Porthos (“Comment ? On a le droit de se défendre ? 
Ah, morbleu, j'y cours !”) ; et l'équanimité dans le pardon et la 
largesse d'un Athos, plutôt celui de Vingt ans après que du roman
 initial. Finalement, le seul qui paraisse n'avoir prêté aucun trait à 
notre moine batailleur c'est Aramis, bien qu'il fût le seul d'Église.
Puis, lorsque Dumas s'éloigne et que commencent à me fatiguer un peu les tristes figures de la vallée de Chevreuse, je cingle vers l'Orient compliqué mais savoureux, en compagnie de Panaït Istrati. J'ai ainsi des matinées toutes de pénitence et des après-midi d'échoppes.
Puis, lorsque Dumas s'éloigne et que commencent à me fatiguer un peu les tristes figures de la vallée de Chevreuse, je cingle vers l'Orient compliqué mais savoureux, en compagnie de Panaït Istrati. J'ai ainsi des matinées toutes de pénitence et des après-midi d'échoppes.

 
Là, on se gratte la tête ! Notre République explose, vous n'en avez cure ! Ce que vous cherchez, c'est - inlassablement et malgré les sacrifices que cela requiert - à dresser le portrait d'un OLNI de ce début de siècle.
RépondreSupprimerDe quel “début de siècle” parlez-vous ? Sinon, effectivement, j'essaie d'appliquer le précepte de Maurice Barrès : En période de crise, se replier sur ses minima.
SupprimerQuelle touchante petite fable, on croirait une de ces édifiantes anecdotes bouddhistes à propos de saints qui ne le furent pas toujours...
RépondreSupprimerJe la trouve, quant à moi, plus roborative que touchante.
SupprimerIl y a dans une chanson de geste, Le Moniage Guillaume (histoire d'un comte des temps carolingiens devenu moine sur ses vieux jours, le fondateur de St-Guilhem du Désert), une anecdote très semblable à celle que vous rapportez. A la petite différence près que Guillaume arrache la patte de son âne et s'en sert comme d'un gourdin contre les malandrins, avant de la ressouder à l'âne par miracle.
RépondreSupprimerEncore plus fort : Samson, qui tua mille Philistins avec une mâchoire d'âne trouvée là par hasard !
SupprimerSon caractère me fait penser à celui d'Ange Pitou, tout au moins pour ce qu'il en paraît à travers ces quelques lignes.
RépondreSupprimerMais je suis d'accord avec vous, il pourrait être un personnage sorti des romans de Dumas.
Hélène dici