C'est la faute à Renaud Camus. Dieu sait s'il n'est pas dans mes habitudes de désigner, dénoncer, flétrir, stigmatiser, mais dans ce cas la culpabilité est indéniable : c'est bel et bien lui qui a attiré mon attention distraite sur des auteurs dont il ne me serait jamais, livré à moi-même, venu l'idée d'ouvrir les livres – enfin, pas maintenant, en tout cas. Je sais qu'il ne l'a pas fait exprès, qu'il ne s'adressait pas nommément à moi. Cela ne change rien : on est responsable de ses enthousiasmes et de leurs effets sur les esprits faibles.
Voilà donc comment, et par qui, je me retrouve entraîné dans un nouveau cycle de lectures imbitables. Pour l'instant, il comprend : Paysage de ruines avec personnages de Danièle Sallenave, La Bataille de Pharsale de Claude Simon, Tu reviendras à Région de Juan Benet et, c'est bien le moins, Travers Coda, de Camus lui-même. Dans ce dernier cas, il va s'agir d'une relecture ; quant au roman de Sallenave, il a été terminé ce matin (pas par elle : par moi). Pour l'Espagnol, j'avais lu une centaine de pages de ce même livre il y a quatre ou cinq ans, sous l'amicale pression de Carlos, puis l'avais abandonné, pour une raison qui, aujourd'hui, m'échappe tout à fait. À la réflexion, on peut, dans ce cas, dégager la responsabilité de Camus, c'est vrai.
Une lecture imbitable n'est pas une lecture pénible – elle peut même être, elle l'est généralement, extrêmement excitante. Elle ne désigne pas non plus des livres auxquels on ne comprendrait rien, mais plutôt qui vous font savoir, avec une certaine ostentation et souvent un peu d'ironie, qu'ils renferment beaucoup plus de choses que vous n'en voyez. Les chemins qu'ils vous désignent sont trop raides pour vos muscles mal entraînés, les plongées sous la glace des lacs trop longues pour votre capacité pulmonaire. Par conséquent, vous rebroussez chemin à mi-pente, voire avant cela, vous contournez prudemment le plan d'eau, quitte à vous perdre définitivement. Mais le plus énervant est qu'on vous a tout de même indiqué le chemin et découvert le lac ; vous savez qu'ils sont là et que d'autres avant vous ont eu le cran de s'y risquer, peut-être même d'en venir à bout.
Les lectures imbitables sont aussi celles dont, livre refermé, vous ne pouvez absolument rien dire, alors même que, durant le temps qu'elles ont duré, il vous est venu des fourmillements de paroles, des aperçus fulgurants mais tôt évanouis, des désirs de pointer toutes les correspondances rencontrées, de les relier entre elles, de les cartographier pour tenter d'apprivoiser la forêt en contrée d'agrément, de transformer en routes carrossables ses traîtres fondrières. Peine perdue : cette manière d'univers parallèle dont vous vous êtes bien imprudemment approché vous a d'abord englouti, a manqué vous noyer, vous vous y êtes tordu une cheville ou deux, y avez transpiré comme un goret, vous avez trouvé la nourriture trop riche et les sources bien rares. Au terme, le pays vous a en quelque sorte expulsé pour défaut de lettres d'accréditation – ne parlons même pas de noblesse –, non sans avoir malignement brouillé tous les souvenirs que vous comptiez garder de lui : vous vous rêviez guide et géomètre, vous n'aurez été qu'un traîne-savate parasite, un intrus ravi mais pétochard.
Il reste que, durant les heures et les jours que vous avez passés à vous griffer les mollets aux ronces de ces maquis, à sursauter aux cris de bestioles inconnues, à laper l'eau croupie des mares faute de débusquer les sources vives, vous avez tout de même eu l'impression de découvrir des frustrations uniques et peut-être fécondes, en tout cas inconnues avant la traversée. Mais, ça, c'est ce que vous vous dites après coup – parce que le pauvre lecteur se console comme il peut.
Quel amour pour cet homme vous avez !!
RépondreSupprimerPour l'heure je lis "le Cimetière de Prague" d'Umberto Eco, auteur de romans d'aéroports, ce qui le classe un peu au-desus de vous et en fait peut-être, sinon un auteur de chemins de travers, un auteur de vue.
Eco n'est sans doute pas un écrivain de premier rayon, mais de là à le comparer à moi, franchement !
RépondreSupprimerQuant aux “chemins de Travers”, ils sont réservés au seul Camus (à cause de la série des Travers précisément).
Et pour ce qui est de l'amour, parlons plutôt d'admiration.
RépondreSupprimer(Et puis, ça donne à Georges des occasions de se foutre un peu de moi, ce n'est déjà pas si mal…)
Votre texte est sincèrement remarquable monsieur Goux, si vous preniez la peine d'écrire ainsi sur vos journaux intimes, nous deviendrions tous fous de vous lire. La minutie avec laquelle vous concentrez votre esprit lorsqu'il s'agit d'évoquer ce cher Camus est tout à fait sidérante.
RépondreSupprimerLorsque j'étais enfant, on m'avait offert un tricycle pour Noël et je parcourais le grand couloir de ma chambre au bureau de mon grand-père faisant des aller-retour sous le son de la symphonie fantastique de Berlioz et celui de la machine à écrire... Lorsque nous sortions au marché avec ma grand-mère, je portais un harnais, le tricycle c'était moi. A cette époque, cette sécurité, qui à présent bouleverserait bien des propos et des paroles impromptues marquant la touche canine de ce fâcheux spectacle, était source d'une belle attention, et d'autant plus accompagnée de jolies culottes en broderie anglaise et chaussures vernies terminant la ligne de marche..
Quelques années plus tard, je vis The Shining de Stephen King adapté par Kubrick, j'entendis à nouveau Berlioz, puis comme vous le dites, aussi un petit cycle, imbitable.
Finalement les textes de Sand sont bien supérieurs à ceux de Renaud Camus.
RépondreSupprimerArrêtez Léon, on va me prendre pour une mère supérieure et m'investir de christianisme à outrance, je ne voudrais point déroger de ma ligne de conduite !
RépondreSupprimerMahomet considère que Jésus est né de Marie, dont il ne conteste pas la virginité. Toutefois, il réfute l'idée que le prophète galiléen ait été crucifié et qu'il soit ressuscité. D'après le Coran, c'est Allah lui-même qui l'a enlevé.
RépondreSupprimerAh, il y a deux Léon! Quel drame!
RépondreSupprimerComment ça, deux Léon ? Eh ! oh ! ça va comme ça : je veux bien nourrir celui que j'ai adopté, mais je ne vais pas me lancer dans l'élevage non plus, hein !
Supprimer(En tout cas, le premier Léon – authentique ou fake – est complètement hors sujet.)
Salam
SupprimerLe faux Léon est branché en permanence pour être aussi prompt !
wa salam
UN faux Léon ? A supposer même qu’il puisse s’en trouver un vrai ici, combien de faux Léon(s) et de Léon Faux pour un seul vrai ? Comment distinguer un Léon Sand d’un Léon Pluton, d’un Léon Koltchak ou encore d’un Léon Goux, peut-être le plus authentique d’entre nous ? Ich bin ein Léon, nous en sommes tous ! Ah vous en êtes aussi alors ? Dieu reconnaîtra les siens
SupprimerDidier Goux, j'aime beaucoup votre métaphore filée du paysage, le chemin, le lac, les maquis, les mares, c'est presque la Carte du Tendre dans le "Clélie" de Madeleine de Scudéry. C'est amusant, chez vous, ce mélange de préciosité et de langue vulgaire, (en l'occurrence, très "bitable"). Quoi que vous en disiez, lire ce que lit un auteur parce qu'il le lit, c'est une preuve d'amour, pas seulement d'admiration. Pour ma part, j'apprécie moyennement Danièle Sallenave (auteur très prisé des professeurs de lettres) dont je n'ai lu qu'un essai, "Le don des morts". "L'herbe" et "L'invitation" de Claude Simon m'ont quelque peu ennuyée, je ne garde que de pâles souvenirs de ces lectures.
RépondreSupprimerLe texte de Georges inspiré par Renaud Camus auquel vous faites allusion, "Le complexe du haut-parleur" est superbe. L'emprise de la vulgarité visuelle sur les cerveaux contemporains a déjà été largement dénoncée, notamment par Renaud Camus. Rares sont ceux qui dénoncent l'emprise de la vulgarité sonore, pourtant plus néfaste,plus oppressante encore que la vulgarité visuelle.Ce texte de Georges est à mon sens d'une sensibilité très supérieure à celle de Renaud Camus.
Je me demande, une fois de plus, si Léon n'est pas un prête nom pour une sorte de jeu de rôles: quelqu'un qui s'amuse à balancer des lieux communs bobos, exprès pour faire réagir les réacs, pour les pousser dans leurs retranchements. Cette hypothèse expliquerait pourquoi il et toujours là sans jamais argumenter. En même temps, c'est peut-être un narcissique ravi que tout le monde s'occupe de lui. Et voilà qu'il se multiplie! Si on arrêtait de lui répondre, si on faisait comme s'il n'était pas là, que se passerait-il?
"En même temps, c'est peut-être un narcissique ravi que tout le monde s'occupe de lui. Et voilà qu'il se multiplie!"
SupprimerDame du Mt, vous imaginez vraiment Narcisse se multipliant ? Léon met fin à Léon en se multipliant ! D'ailleurs pourquoi ne pas avoir "signé" votre commentaire Léon ?
Chère Dame du Mont : de l'amour ? Disons du mimétisme, mais du mimétisme fécond. Il est vrai que l'amour et le mimétisme sont difficilement extricables…
SupprimerSinon, les textes de Georges sont très souvent superbes.
Quant à Léon, persuadons-nous qu'il est différent selon la personne qui le lit, sans cesse changeant, insaisissable : un camé-léon.
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SupprimerA bas le nabot Léon !
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