Ce n'est jamais sans risque que l'on se replonge dans les livres de Léautaud. Il y a d'abord celui de n'en plus vouloir ressortir de longtemps ; mais aussi cet autre, peut-être plus grand, d'en être brusquement catapulté en direction d'autres livres, ceux des écrivains dont il parle. Le nom de Rémy de Gourmont surgit-il ? On se souvient brusquement que l'on est fort loin d'avoir épuisé les mille pages du volume que Bouquins lui a consacré, et que l'on a bien dû acheter, puis parcourir trop vite, à la suite d'une précédente incursion chez Léautaud. On pourrait commencer par relire les Épilogues, afin de se remettre en bouche, puis aller fouiller du côté des Promenades philosophiques… comme ça, pour voir un peu… après tout, ce n'est pas le temps qui nous manque, en ce moment…
Mais déjà Gourmont s'éloigne en pâlissant plus ou moins, Marcel Schwob vient de faire son entrée, à l'occasion de l'une de ces “nécros” dont Léautaud avait le chic. Versatile et volage, rien ne nous semble déjà plus urgent et désirable que d'aller extraire du rayon où il se tapit le gros volume dans lequel Phébus a recueilli ses œuvres il y a justement dix ans. Celui-là non plus, on n'en a pas épuisé les mines, loin s'en faut ! on se sentirait bien comme une dette envers le mort. Là encore, comme pour Gourmont, on pourrait entrer par une pièce un peu familière afin de se donner du cœur : Les Vies imaginaires, ou la Croisade des enfants, ou encore les Spicilèges. Oui, on va certainement faire ça, rapporter les deux volumes au salon pour y grappiller tout à l'aise. Oh ! puis non : le Schwob suffira pour le moment, c'est décidément lui qui fait le plus envie. D'un autre côté, cela coûte quoi donc, d'embarquer Gourmont en même temps ?
Dans son coin, ravi du tour joué, Paul Léautaud ricane.
Si je peux me permettre: le ricanement de Léautaud est un peu cliché, le ricanement est une forme assez aride de création, il est par bonheur autre chose: il critique, il rit, il se moque, il se réjouit, il loue, il aime, il déteste, il ment, il exagère, il passe sous silence, il se trompe, il prophétise par hasard ...c'est un écrivain quoi!
RépondreSupprimerOui, et ?
SupprimerEt avec quel livre électronique pourrait opérer un pareil enchantement ? Savoir que l'on détient l'ouvrage, parmi tous les autres. Aller vers la bibliothèque, regarder, ne rien trouver d'abord, et puis si, il est là ! un peu radioactif, dirait-on. On l'extirpe, on l'examine, on le tourne (pour vérifier qu'il y a un autre côté ?), on ouvre la première page pour y prendre la première phrase qui contient tout l'auteur et tout le besoin qui nous a conduit jusqu'à lui. Puis on repart avec le butin vers là où on aime être à lire, peut-être même en tenant le livre à deux mains sans s'en rendre compte, tel une offrande.
RépondreSupprimerJ'ai aussi ce volume de Schwob. Comme tant d'autres, je ne l'ai jamais lu ; il attend son passeur.
Je vous conseillerais de commencer par les Spicilèges, personnellement. Ou encore les Vies imaginaires. Ou La Croisade des enfants. Ou…
SupprimerAmusante coïncidence : j'ai commencé il y a trois jours la lecture du "Journal littéraire" de Paul Léautaud ou, plus exactement, d'un Choix de pages (près de 1300 tout de même) extraites des 19 tomes du Journal. J'y prends un grand plaisir, appréciant l'acuité de jugement voire l'acidité de l'écrivain, son honnêteté intellectuelle, son intégrité farouche et son indépendance d'esprit. Dans le genre politiquement ou socialement incorrect, on trouve difficilement mieux.
RépondreSupprimerJe suis un peu étonné de l'immense admiration (c'est un sentiment dont il est peu dispendieux) qu'il voue à Stendhal tant leurs oeuvres et vies respectives semblent éloignées. Il n'empêche, Léautaud m'infuse une forte envie de plonger dans la Correspondance de l'auteur de "La vie d'Henri Brulard".
Étant donné ses manières abruptes, son côté ronchon et aussi une hygiène défaillante (selon les dires de Marie Dormoy qui l'a connu intimement), Léautaud n'était peut-être pas quelqu'un d'agréable à
fréquenter quotidiennement. Mais peu importe, on n'attend pas d'un écrivain qu'il soit aimable.
Quels sont aujourd'hui les héritiersi de Léautaud ? Je n'en vois guère. À part, dans une certaine mesure, Renaud Camus qui s'en rapproche par son exigence de vérité, au risque assumé de déplaire au plus grand
nombre.
Alain Martzolf
Évitez de tenter ce rapprochement auprès de Camus lui-même : il apprécie assez peu la comparaison (peut-être parce que, en effet, elle semble assez pertinente !)…
SupprimerRenaud Camus, à l'instar de Léautaud, n'est pas très "sympa". Dieu merci !
SupprimerAlain Martzolf
vous avez décidé de mettre Jégoun à la torture, ou quoi ?
RépondreSupprimerEt qui vous dit que, en secret, Nicolas n'est pas un authentique admirateur des écrits de Schwob ?
SupprimerVaut mieux lire Léautaud que Léotard
RépondreSupprimerDésolé
Oui, je sais Mr Nicolas, vous faites beaucoup mieux.
Duga
Ah, mais ce n'était pas du tout, Léotard (Philippe) ! En plus, il était publié aux Belles Lettres…
SupprimerCe n'était pas MAL du tout…
SupprimerEst-ce que Proust connaissait Léautaud ? A-t-il dit quelque chose sur lui ? Dans Son Journal, Léautaud parle de Proust dont il a lu quelques lignes qui ne lui ont pas plu. Il n'aimait pas ce genre. Puis il évoque le long texte d'une critique qui lui semble admirable, à propos du premier tome de La Recherche, et éprouve du respect pour Proust par ricochet, en quelque sorte. Il dit - je ne cite qu'à peu près - qu'un auteur capable d'inspirer de telles études et de telles réactions ne peut être mineur. Mais Proust, lui, connaissait-il Léautaud ?
RépondreSupprimerÀ ma connaissance, Proust n'a jamais parlé de Léautaud. Pourtant, lisant le Mercure de France, il devait bien avoir eu connaissance du Petit Ami et d'In memoriam. Ils auraient pu se rencontrer vers 1912, 1913, si le Mercure avait accepté de publier Du côté de chez Swann…
Supprimerà ma connaissance non plus, mais en gougueulant juste maintenant, j'ai trouvé ça: Extrait de la correspondance de Proust . à vérifier.
RépondreSupprimerMalheureusement, je ne dispose pas des volumes 1906 et 1907 de la correspondance de Proust. Mais cet extrait est écrit d'une manière telle que je doute fort qu'il s'agisse bien de Proust.
SupprimerCe qu'il y a de surprenant dans cette supposée lettre de Proust écrite à la fin de l'année 1906, ou dans les premières semaines de 1907, c'est qu'elle fait allusion à "Amours" qui a été écrit par Léautaud cette même année en 1906 mais à priori restée à l'état de manuscrit sans être publiée.
SupprimerOn connait l'édition du Mercure de France de 1958 mais rien n'indique qu'"Amours" ait été porté à la connaissance des lecteurs auparavant.
Si on se replace à cette époque, où la publication d'un livre ne se faisait pas en quelques minutes par internet, mais nécessitait un long travail de préparation (décryptage, corrections, préparation des plaques, impression en série limitée : il fallait détruire la plaque de chaque page pour constituer la suivante, distribution avec les moyens de l'époque...), le délai de réaction de Proust au sujet d'"Amours" me paraît bien court pour quelqu'un qui n'était pas supposé connaître personnellement Léautaud.
Cette lettre figure bien dans un volume paru aux éditions Plon dans les années soixante et intitulé "Marcel Proust, Lettres retrouvées". On doit ce volume à Philip Kolb, dont on peut dire qu'il a consacré sa vie entière à l'étude et à l'édition de la correspondance de Proust ; il n'y a donc aucun doute sur l'authenticité de la lettre (qui semble-t-il n'a jamais été expédiée à son destinataire...). Il est vrai que la véhémence du ton et la dureté du vocabulaire sont plutôt étonnants de la part de Proust. On peut lire ici la dite lettre dans son intégralité.
SupprimerBar : Amours est paru en trois livraisons dans le Mercure, fin 1906.
SupprimerEmmanuel : oui, cette véhémence continue de me surprendre ! L'hypothèse de l'auteur du blog auquel vous nous renvoyez est plausible : le cynisme léotaldien vis-à-vis de la famille a dû rester en travers de la gorge de Proust.
Merci beaucoup Emmanuel. Ils se sont lus et connus, donc, ou plutôt méconnus.
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