samedi 4 avril 2015

L'effondrement de la civilisation commence peut-être par là

Une fois n'est pas coutume, je crois : je vais me vanter. Par des chemins tortueux qu'il n'est pas besoin de retracer, j'ai vu arriver un jour le manuscrit de ce livre dans ma boîte aux lettres. Je n'en étais pas spécialement ravi : je déteste qu'on me prenne comme lecteur témoin, comme référence, comme ce que vous voudrez. Cela me charge d'une responsabilité qui outrepasse largement le poids que mes épaules sont à même de supporter, et je fais mienne la position inébranlable de Paul Léautaud, qui peut se résumer ainsi : que chacun se démerde.

Néanmoins, avec des soupirs navrés dont mon épouse doit se souvenir encore, j'ai ouvert ce paquet de feuilles sorties d'imprimante, qui ne portait pas de titre encore, si je me souviens bien ; ou alors un autre, que j'ai oublié. La première chose qui m'a frappé, après trois ou quatre pages, fut la parfaite et sobre élégance de la langue dans laquelle ce “paquet” était écrit : dans ce monde où un blogueur passe pour un intellectuel raffiné dès lors qu'il est capable d'accorder un participe passé, c'était une bouffée d'air, que ce livre. Maintenant, il s'agissait de se pencher sur ce que disait l'auteur : c'était une nouvelle épreuve pour moi, qui ne mets jamais les pieds dans une bibliothèque, qui ne l'ai plus jamais fait depuis cette époque très lointaine de ma jeunesse où celle d'Orléans était installée “de toujours” dans l'ancien évêché, dont je garde des souvenirs pieux, déjà évoqués ici même

Or, il se trouva que je lus ces deux ou trois cents pages dactylographiées avec un intérêt croissant à chaque chapitre. En tant que “réactionnaire patenté et indécrottable”, je me doutais bien que les bibliothèques actuelles ne ressemblaient plus que de loin à celles que j'avais connues ; je savais qu'elles montraient une fâcheuse tendance à muter pour devenir médiathèques, voire ludothèques ; j'ignorais qu'elles fussent à ce point agonisantes, et c'était un homme y ayant consacré toute sa vie professionnelle, jeune encore, qui me le démontrait, sans excès, sans cris, sans tambourinages excessifs, ce qui rendait sa démonstration encore plus glaçante. 

Bien que toujours peu confiant dans mon propre jugement, j'expédiai dare-dare cette grenade dégoupillée à Michel Desgranges ; il me fit la grâce de se trouver d'accord avec moi et fit jouer ses relations occultes pour que le livre fût mis à la disposition de tous, ce qu'il est désormais.

Si vous faites partie de ceux qui pensent que le niveau monte, que l'humanité de demain sera forcément mieux, meilleure, plus douce, intelligente, cultivée, etc., que celle d'aujourd'hui, dispensez-vous d'acheter ce livre : vous risqueriez d'avoir l'impression d'un complot contre votre vision rose-bonbon de vous-même. En revanche, si vous avez envie de savoir de quelle façon votre monde s'assombrit, bascule, renonce à lui-même, alors lisez-le. Vous vous ferez de la peine, à cause de ce qu'on vous y dit, et plaisir en découvrant que des jeunes gens de France savent encore manier l'outil qu'on leur a donné en partage : leur langue ; et qu'ils espèrent toujours sauver ce que vous (nous…) avez laissé partir à vau-l'eau.

Un reproche ? Un bémol ? Oui, tout de même, un : ce pseudonyme que l'auteur a cru devoir accepter. Virgile Stark, franchement… Pourquoi pas Monsieur Spock ou Captain America ? Du reste, il n'a pas entièrement tort de s'être dissimulé derrière ce paravent : notre belle société, qui a de la liberté plein la bouche, la supporte de moins en moins, et celui qui dit la vérité court de plus en plus le risque d'être exécuté.

17 commentaires:

  1. Votre intérêt pour les bibliothèques n'est pas une découverte pour tout le monde.
    Presque personne n'a parlé de l'incendie qui a eu lieu il y environ deux mois.
    Ces naïfs avaient annoncé qu'ils allaient déclassifier des documents sur la libération d'Auschwitz par l'armée rouge. C'est bête, un accident est si vite arrivé.

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    1. Ah oui, c'est vraiment pas de chance : juste au moment où l'on allait enfin connaître LA Vérité !

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  2. Depuis le temps que l'on nous disait qu'on allait dans le mur, voilà c'est fait, aux Belles lettre en plus, ça tombe bien!

    Jean Santach

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  3. Je suis sûre que votre cher Léautaud se serait complu à nous décrire les "chemins tortueux" par lesquels, un manuscrit, qu'il aurait jugé d'une "parfaite et sobre élégance", se serait retrouvé dans sa boîte aux lettres.
    Mais passons, et venons-en à vous. Une fois de plus, vous vous montrez cet incorrigible qui, d'un côté aimerait tant que les jeunes artistes lui fassent confiance, et de l'autre préfèrerait que "chacun se démerde".
    A un moment donné il faudra tout de même choisir la fesse sur laquelle vous voulez être assis.
    En conclusion : je me réjouis que vous ayez oeuvré à l'édition de ce livre qui, à vous en croire, mérite les efforts que vous lui avez consacré.
    Et quant au pseudonyme de votre auteur, pour déplaisant qu'il soit, reconnaissez qu'il n'a pas été jusqu'au "Virgil" dont vous l'affublez, puisqu'il s'est contenté, en toute simplicité, de "Virgile" !

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  4. De votre lien jazzman,sur la photo de l'article "les pompiers tentent d'etendre l'incendie"etc..j'ai eu un rire triste en fait,pour ce "I"manquant.
    Dominique.

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  5. "Si vous faites partie de ceux qui pensent que le niveau monte, que l'humanité de demain sera forcément mieux, meilleure, plus douce, intelligente, cultivée, etc., que celle d'aujourd'hui, dispensez-vous d'acheter ce livre" : je vais suivre votre conseil. Encore un livre que je ne lirai pas...

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    1. Conseil idiot. A quoi bon ne lire que les livres qui disent la même chose que nous !

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  6. Et bien voilà, moi qui n avait plus rien à lire , je prends !

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  7. Je suis tenté par l'aventure...

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  8. Corto et Lediazec : allez-y sans crainte, la maison Goux s'engage !

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  9. Allez, zou, je commande.

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  10. Disponible sur Amazon en format dématérialisé. Peut-on en rire ?

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  11. En le lisant ce matin, il m'est venu que vous ne le connaissiez peut-être pas. Il porte un regard désabusé sur notre siècle, tout comme vous, en aimant notre langue autant que vous... http://constantincopronyme.hautetfort.com/

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    1. Merci pour la découverte, le voici en lien dans ma blogroll : quelqu'un qui se prétend Bouvard et Pécuchet plutôt que Charlie ne peut être qu'un homme fréquentable.

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  12. Merci pour le lien, je connais le blog de CC depuis longtemps mais, allez savoir pourquoi, la route pour y parvenir était jusqu'alors d'un compliqué (il est en lien sur des blogs que je lis régulièrement)...

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.