mardi 23 février 2010

La madeleine d'Alphonse

Le dimanche 24 juin 1888, Edmond de Goncourt note ceci dans le Journal :

« Ce matin, il est long, très long, Daudet, à ouvrir la porte du parc ! Tout à coup, il s'arrête, la clef encore dans la serrure, et il me dit : “ Quand j'ai été mis en possession de cette propriété, on m'a remis cette clef, et quand je l'ai mise dans la serrure de cette grille, où il y avait dessus un coup de soleil, dans le moment, à la fois un peu distrait, un peu pensant à autre chose, j'ai été surpris par le souvenir d'un bruit... oui, d'un bruit, du temps que j'avais six ans... Alors, nous avions une vigne, aux environs de Nîmes, où nous allions manger des salades de romaine, des fruits... Ah ! quand on allait là, c'étaient des joies de vacances... Eh bien, je m'attarde quelquefois à vouloir retrouver ce bruit, dont j'ai eu la sensation la première fois que j'ai ouvert cette porte. ” »

Les liens entre la famille Daudet et Marcel Proust sont du reste plusieurs. Ils se nouent dès 1894, par l'intermédiaire de Reynaldo Hahn, compositeur amant de Proust et qui a écrit une musique de scène pour Alphonse Daudet. C'est à l'occasion de l'un de ces dîners que Proust fait la connaissance de Lucien, le cadet des deux fils de la maison (je crois me souvenir qu'il connaissait déjà Léon, l'aîné, mais je n'en suis plus sûr) et que commence sa liaison avec lui. Quant à Léon, il sera 25 ans plus tard l'un des admirateurs les plus enthousiastes de Du côté de chez Swann, et se démènera avec succès pour que le prix Goncourt 1919 soit attribué à À l'ombre des jeunes filles en fleurs. Ce qui nous ramène à Edmond de Goncourt.

Il n'est jamais fait mention de Marcel Proust, dans le Journal des frères. Pourtant, la chose n'aurait pas été inconcevable, puisque Edmond était l'un des plus intimes familiers de la maison Daudet. Du reste, si l'on en croit Jean-Yves Tadié, ils se sont bel et bien rencontrés, le temps d'un “dîner Daudet”, au début de 1895 – dîner où se trouvaient également François Coppée et Reynaldo Hahn. Il faut croire que ce jeune homme de 24 ans n'a pas dû beaucoup impressionner le vieil écrivain d'un demi-siècle son aîné.

À moins que Proust, pour pouvoir plus librement, vingt ans plus tard, pasticher superbement le Journal des Goncourt, n'ait fait en sorte d'effacer toute trace de son passage dans la mémoire d'Edmond. Pourquoi pas ? Après tout, c'est Alphonse Daudet qui le disait : « Marcel Proust, c'est le Diable ! »

9 commentaires:

  1. En son jeune âge, Proust n'était qu'un chroniqueur mondain (au Figaro) connu pour son goût des frivolités et des manières. C'était un esthète, un snob. Sa première œuvre (Les plaisirs et les jours) dateraient de 1894 (ou 1896). Edmond de Goncourt est mort en juillet 1896. Un peu juste pour avoir connu le Proust que nous connaissons et admirons.

    Proust s'est lié d'amitié avec Lucien Daudet au lycée Condorcet. Dans « Salons et journaux » publiés en 1917, Léon Daudet écrit avoir rencontré Proust une vingtaine d'années plus tôt, « pendant une semaine, à l'hôtel de France et d'Angleterre, à Fontainebleau. » Rien ne dit que ce soit leur première rencontre. Proust était vraiment un familier du « gang » Daudet. Ils se voyaient aussi fréquemment au restaurant Weber entre 1900 et 1905.

    L'admiration et l'amitié de Léon Daudet envers Proust m'ont toujours épaté. Daudet avait ses défauts, mais son antisémitisme ne l'aveuglait pas, et son jugement littéraire était sûr.

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  2. 1996, pour Les Plaisirs et les Jours. Vous vous trompez sur un point : Proust et Lucien Daudet ne peuvent s'être connus à Condorcet, puisque le second avait 7 ans de moins que le premier (je viens d'ailleurs d'aller rectifier sa fiche Wikipédia, qui donnait 1883 au lieu de 1878 comme année de naissance). Il semble donc bien que, Marcel ait fait la connaissance de Lucien, alors âgé de 17 ans, chez les Daudet où il avait été amené par Hahn. De cette année 1995 date aussi, sans doute, la première rencontre avec Léon, né en 1867, dont l'aîné de Proust de quatre ans. Pour les condisciples de lycée, peut-être vous mélangez-vous avec Daniel Halévy, ou encore Léon Blum ?

    Pour ce qui est de Goncourt, oui et non. La rencontre avec ce jeune homme brillant et un peu trop poli, un peu trop “proustifiant”, semble bien avoir frappé les Daudet, donc pourquoi pas Edmond ?

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  3. Merde ! mon commentaire est bourré de fautes ! Tant pis...

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  4. « 1996, pour Les Plaisirs et les Jours. »

    1996 !!!!! La neuvième réédition ? Lol.

    Je me serais fait avoir par Wikipédia ? Grrr ! Mais vous avez raison : Lucien D. est né le 11 juin 1878. Toujours est-il que j'ai vérifié chez Léon Daudet toutes les entrées « Proust », et selon la chronologie. Proust (24 ans) et Léon Daudet (29 ans) se seraient bien rencontrés pour la première fois en mars 1896 à Fontainebleau. À cette date-là, Lucien Daudet n'a que 17 ans...

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  5. Bon, j'ai dérapé sur une date ! Pour Léon, je persiste à n'y pas croire : pourquoi Proust, qui était "la Tour Eiffel à déplacer", comme dirait ma mère, serait-il allé passer une semaine à Fontainebleau avec un inconnu ? Je peux rechercher dans les bios de Proust, mais je suis sûr qu'ils se connaissaient déjà. Et Léon était le plus souvent présent aux dîners Daudet (Goncourt en témoigne à plusieurs reprises). Donc, pourquoi à celui de février 1895 dont parle Tadié ?

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  6. Fontainebleau, ça n'a pas à voir avec le service militaire de Marcel? Je dis ça un peu au hasard , épisode Rachel quand du Seigneur avec ? Allons bon le nom m'échappe ; mais tout ça correspond à la petite bande autour de Reynaldo . La période "tombeau" de la jeunesse; premiers tomes de la correspondance... J'ai évidemment la flemme de rechercher dans mon bazar et je ne vois même plus le Painter!! Donc à vérifier...

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  7. Geargies : non, le service militaire a été effectué à Orléans (caserne du Faubourg Bannier, pour être précis), et beaucoup plus tôt que cela : 1890 ou 91 (je suis à Levallois, pas le temps de vérifier...).

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  8. Alors, nous avions une vigne, aux environs de Nîmes, où nous allions manger des salades de romaine,

    Des salades d'Alba donc?

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  9. Ah flute mais je suis sur qu'il y a quelque chose avec Fontainebleau et Saint-Loup.. Bon je n'ai pas retrouvé vraiment : Doncières où Sain-Loup tenait garnison resssemblait bcp à Fontainebleau... Ça c'est ma réminiscence.. Geargies

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.