mercredi 7 février 2018

Mes quelques jours avec Cousteau, Intra muros


Ce n'est évidemment pas de l'homme au bonnet rouge que je compte vous entretenir céans, mais de son frère aîné, Pierre-Antoine (1906 – 1958), celui dont Jean Galtier-Boissière a pu dire qu'il fut le journaliste le plus brillant de sa génération. Amis progressistes aux narines délicates, vous feriez bien de quitter tout de suite ce billet, qui risque fort de ne pas nauséabonder dans votre sens. Intra muros est le journal qu'il tint entre le 12 janvier 1946 et le 18 juillet 1953, soit durant les sept années et demie où il fut incarcéré, d'abord à Fresnes, où il reçut sa condamnation à mort pour cause de collaboration avec l'occupant allemand, puis à Clairvaux après la commutation de sa peine en prison à vie, et enfin à Eysses, où il fut gracié par le bon président Auriol.

Ce qui émerge de ces cinq cents pages (éditées par Via Romana), c'est le portrait d'un homme qui ne regrette rien, non seulement, mais qui considère même que se renier serait la pire des déchéances. De fait, il n'a pas de mots assez flétrisseurs pour les anciens “collabos” qui n'ont de cesse, à partir de 1945, de courber l'échine devant leurs juges et de leur donner des gages d'humble repentance (Thierry Maulnier, par exemple, en prend pour son grade, et il est loin d'être le seul.) : l'opportunisme et la tiédeur le révulsent.  « Les seuls résistants respectables sont ceux de 40, et les seuls collaborateurs respectables ceux de 44. » Quant à lui, fasciste il fut, fasciste il demeure ; ce qui ne signifie nullement pétainiste : Cousteau n'a pas plus d'estime pour le vieux maréchal que pour le général qui l'a remplacé. « Il était aisé de prévoir, écrit-il, ce qu'il adviendrait des techniciens du double jeu vichyssois. Ce double jeu-là était la seule chose à ne pas faire, la seule chose vraiment absurde, insoutenable, indéfendable. Ignominieuse par surcroît (…). Du simple point de vue de l'efficience, il fallait être avec les Allemands à fond ou contre les Allemands à fond. Il fallait rejoindre de Gaulle à Londres ou s'allier avec Hitler, résister les armes à la main ou collaborer les armes à la main. Mais ne point se perdre dans le jeu sordide et dérisoire des contre-assurances, des restrictions mentales, des freinages sournois et des adhésions réticentes. »

Est-il besoin de dire ce qu'il pense des résistants du 32 août, des épurateurs de la 25ème heure, de Sartre et de ses acolytes, de tous ceux qu'il appelle les fifaillons (FFI ---> fifi---> fifaillon) ? Ils lui permettent au moins d'exercer sa verve sarcastique et son sens de l'humour souvent féroce. Car on sourit beaucoup, pendant la lecture de ce journal, même et surtout quand la situation est dramatique. Et le duo que forme notre Cousteau avec Lucien Rebatet, compagnon d'incarcération, vaut son pesant d'ausweis. Par exemple, lorsqu'il arrive à Fresnes, en janvier 46, il note que la peinture verdâtre de ses murs font ressembler sa cellule à un gros aquarium. Il ajoute : « Mon petit frère s'y sentirait très à l'aise. » Ou encore ceci, écrit en avril 48 : « Passé ce dimanche à jouer à la pelote basque. Je n'avais pas réfléchi jusqu'à présent que la pelote basque est bien le sport pénitentiaire par excellence. Car que faut-il pour y jouer ? Un mur. Et les murs, on en aurait plutôt à ne savoir qu'en faire. D'autre part, ce ne sont pas de petits murs ridicules par dessus lesquels les balles risquent de passer à tout instant. Nous avons ce qui se fait de mieux. » L'humour n'entraîne pas l'oubli, et Cousteau assaisonne sévèrement ses juges et ses geôliers, mais toujours avec une pointe de sel :  « Seigneur, si vous me pardonnez mes offenses comme je leur pardonne les leurs, je suis foutu, Seigneur. »

Aussi fasciste entre ses quatre murs qu'il l'était à la direction de Je suis partout, il ne perd jamais une occasion d'accabler de sarcasmes et de mépris la démocratie en général et la France de la IVe République en particulier. Il en arrive à trouver des accents qui résonnent étrangement à nos oreilles d'aujourd'hui ; comme s'il parlait là, tout près : « Tout compte fait, note-t-il en 1951, il n'est pas étonnant que j'aie été “de gauche” jusqu'à mes vingt-cinq printemps et donnant dans toutes les zozoteries pleurnichardes de la Conscience Universelle. J'étais accablé d'un complexe d'infériorité, j'étais timide avec les femmes, avec les patrons, avec les sergents de ville, et convaincu que j'étais un raté, que je ne ferais, comme on dit, jamais rien dans la vie. Ce sont là des dispositions idéales pour se sentir à son aise dans la démocratie, qui est faite, si merveilleusement, à la mesure des médiocres et des abrutis. »

Et ceci, qui sonne encore plus actuel peut-être : « Ce qui compte, pour les gens de la Conscience Universelle, en politique, ce n'est point ce qu'on fait mais ce qu'on dit. Tant qu'on n'a pas compris cela, et qu'on ne s'en est pas pénétré, on demeure devant le déroulement de l'histoire contemporaine comme un analphabète balbutiant. Phénomène étrange, qui heurte le sens commun mais dont l'illogisme n'est qu'apparent. Les gens de la Conscience Universelle, vivant dans un monde essentiellement poétique et sans aucun point de friction avec la réalité, sont voués, tout naturellement, à admettre la primauté du verbe sur le fait brutal. Mieux, le verbe est pour eux la seule réalité et les faits ne sont guère que des contingences accessoires dont ils se font fort, justement, de modifier la nature au gré de leur pseudo déterminisme progressiste. A-t-on jamais vu qu'une construction de l'esprit fût mise en danger par une objection rationnelle ? Si les choses ne sont pas comme elles devraient être, ce sont les choses qui ont tort. (…) C'est pour cela que les meneurs de peuples n'ont pas grand-chose à craindre des gens de la Conscience Universelle, et qu'ils peuvent tout se permettre, toutes les iniquités, toutes les abjections, à la condition absolue qu'ils usent d'un certain vocabulaire benoîtement orthodoxe. »

J'avais relevé encore d'autres passages, dont certains d'un ton plus grave, plus douloureux, mais trop longs pour être reproduits ici et qui ne supportaient pas la coupe. Et il y avait aussi d'autres aspects de ce journal et de son auteur à mettre en lumière, notamment tout ce qui concerne ses essais de critique littéraire – cvar Cousteau lit énormément durant ces années d'inactivité contrainte, et c'est un lecteur au jugement acéré, là aussi.  Mais je suis déjà bien long : ce sera à chacun d'aller y voir pour son propre compte, en se plongeant, Intra muros, à la rencontre d'un homme qui mérite grandement d'être lu.

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