Bel éclat de rire tout à l'heure, à propos de cette affaire de 
Caravelle, abîmée en mer entre Nice et Ajaccio en 1968, dont j'ignorais 
absolument tout et pour laquelle Macron vient de demander la levée de je
 ne sais quelle classification “secret défense”. De toute façon, mon 
hilarité ne venait pas du dossier lui-même, dont je me fous 
rigoureusement, mais de la phrase prononcée par l'avocat niçois qui 
s'occupe de cela, et qui ne semble pas du tout effrayé par la menace du 
ridicule. Voici ce qu'a déclaré Me Sollacaro : « Tous les feux sont au vert pour qu'il y ait une reconnaissance politique pour dire  voilà ce qu'il s'est passé. Les morts pourront reposer en paix, et les familles faire leur deuil.  »
Bon,
 on lui accordera par indulgence spéciale le cliché fourbu de ces feux qui ont 
l'amabilité de passer au vert quand on leur demande, y compris en pleine mer. On trouvera déjà 
plus incongru le fait que les morts aient pu continuer à s'agiter durant
 tout ce temps au lieu de reposer en paix comme c'est 
habituellement leur tendance. Mais ce que je trouve irrésistible, c'est 
cette conclusion à propos des familles qui vont pouvoir “faire leur 
deuil”. On peut en effet imaginer leur soulagement : 51 ans passés à 
attendre, à se retenir de rire et de sourire, à se contraindre à la 
triste figure, à verser des torrents de larmes chaque matin, comme si 
c'était toujours le premier depuis l'accident… tout cela parce qu'il 
n'était pas question de “faire son deuil” avant de tout savoir sur les 
circonstances du crash. Comme il a dû leur paraître long, ce 
demi-siècle, à nos toujours sanctifiées familles-de-victimes ! Comme il 
devait leur tarder qu'il finisse, ce Jour des morts éternel !
Le
 pis est que, sans doute, leur calvaire n'est pas terminé, mais va seulement changer de nature. Parce 
qu'enfin, après un demi-siècle passé sous les crêpes noirs, on peut 
imaginer que nombre de ces affligés à perpète doivent aujourd'hui avoir, à la 
louche, entre 90 et 120 ans : allez donc vous attaquer à un travail de 
deuil digne de ce nom à des âges pareils ! En tout cas, voilà un record 
de “deuil en longueur” qui va être bien difficile à battre, c'est déjà une belle consolation. 
À moins 
qu'on ne retrouve inopinément, un de ces jours prochains, quelque par 
entre Castille et Estrémadoure, une ou deux familles-de-victimes des 
marins de ce galion espagnol coulé dans des circonstances mal élucidées 
au large de Saint-Domingue, en l'an de grâce 1562… Mais comment dit-on travail de deuil, en langue cervantessienne ?

 
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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.
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