mercredi 4 septembre 2019

Shaw must go on

G.B. Shaw, 1856 – 1950

Socialiste, végétarien, antialcoolique : a priori, George Bernard Shaw possède tout ce qu'il faut pour déplaire à l'homme de bien, une sorte de trinité infernale. Mais ce même homme de bien, incarné pour l'heure en votre serviteur, est capable de passer outre ses puériles préventions et d'affirmer que les Écrits sur la musique, de ce turbulent Irlandais sont une lecture constamment excitante, souvent cocasse, toujours pertinente. Chacune de ces chroniques – qui s'étalent de 1876 à la mort de leur auteur – est un zakouski aux épices éternellement fraîches, que l'on savoure avec la gourmandise de l'affamé qui a déjà hâte de mordre dans le suivant.

Bien vite se pose la double question : pourquoi et comment puis-je m'intéresser à des chroniques journalistiques vieilles de plus d'un siècle, rendant compte de concerts où de toute façon, vivant à cette époque, je ne serais point allé – même étant londonien de souche – et au cours desquels, souvent, furent joués des musiciens dont je connaissais à peine l'existence, et parfois pas du tout ? Aussitôt, un nom, double lui aussi, a surgi à mon esprit somnolent : Paul Léautaud / Maurice Boissard ; dont j'ai lu et relu les chroniques théâtrales, pratiquement contemporaines des articles de Shaw, avec la même sorte de jubilation, alors qu'elles aussi concernaient des événements et des auteurs dont je me fichais comme d'une cerise.

C'est évidemment que, quand des articles de journaux ou de revues ont le bonheur d'être nés sous la plume non de journalistes mais d'écrivains, leur sujet n'importe presque pas – je mets ici un “presque” parce que, tout de même, je me sens plus d'appétit pour telle chronique de Shaw si elle parle de Wagner ou de Toscanini, que si elle a pour prétexte un obscur noircisseur de portée écossais ou une soprano germanique dont je n'avais jamais entendu parler. Cependant, même celles-là, je me garde de les “sauter” (je parle évidemment des chroniques…), car toutes sont susceptibles de renfermer des perles précieuses, ou quelque poche sous-textuelle de gaz hilarant – exactement de même que chez Léautaud / Boissard. 

Ajoutons, pour en terminer, que Shaw connaît aussi bien la musique que Léautaud le théâtre, ce qui semble autrement difficile au béotien que je suis en ce domaine. Mais il n'est nul besoin d'être un éminent déchiffreur de partitions pour savourer les 1500 pages de ce volume “Bouquins” : le bonheur et le plaisir sont ailleurs. Du reste, Shaw lui-même disait que son ambition était de réussir à être lu par des sourds. Par conséquent, tout comme je l'ai fait, vous pouvez y aller. Et, même s'il s'agit de musique, y aller sans mesure.

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