samedi 7 mars 2020

Fiodor l'augure


Le court texte qui suit est extrait du tout début de la dernière partie du roman – c'est-à-dire des pages 8 et 9 du troisième tome de l'édition Babel. Soit juste avant “l'explosion terminale”.

« J'ai déjà fait allusion au fait que toutes sortes de petits minables avaient paru chez nous. Dans les temps troubles d'hésitation ou de transition, paraissent toujours et partout toutes sortes de minables. Je ne parle pas des soi-disant “progressistes” qui courent toujours devant tout le monde (leur souci principal), et toujours avec un but des plus stupides, mais quand même plus ou moins défini. Non, je parle de la canaille. Chaque époque de transition fait se lever cette canaille qui existe dans toutes les sociétés et qui, elle, n'a pas le moindre but, n'a pas même une trace d'idée et, par son existence même, ne fait qu'exprimer de toutes ses forces l'inquiétude et l'impatience. Pourtant, cette canaille, sans le savoir elle-même, tombe presque toujours sous la coupe de ce petit groupe de “progressistes” qui, lui, agit dans un but précis, et ce petit groupe dirige toute cette racaille comme il le souhaite, pour peu que ce petit groupe à son tour ne soit pas uniquement composé d'imbéciles, ce qui, du reste, advient aussi. […] En quoi consistait donc ce temps de troubles chez nous, et vers quoi se faisait la transition, je ne le sais pas, et personne, je pense, ne le sait, à part, peut-être, quelques hôtes étrangers. Pourtant, les derniers des minables tinrent d'un seul coup le haut du pavé, ils se mirent à critiquer à voix haute tout ce qu'il y a de sacré, alors qu'auparavant ils n'auraient même pas osé ouvrir la bouche, et les hommes de l'élite, qui jusqu'alors avaient toujours dominé tranquillement, soudain, les écoutèrent, et, eux-mêmes, se turent ; d'autres encore, de la façon la plus ignoble, ricanèrent dans leur barbe. »

Il est sans doute nécessaire, ici, de préciser une chose : dans tout ce passage, c'est le narrateur du roman qui s'exprime, et non Dostoïevski en personne, même s'il n'est pas interdit de penser que leurs pensées sont, sur ce point précis, sans doute très proches. 

Du reste, il a un statut bizarre, ce narrateur, incertain, mouvant. Il est essentiellement un témoin, mais il lui arrive toutefois d'entrer brièvement dans l'action. D'autre part, il est davantage qu'un témoin, dans la mesure où, sans prendre la peine de rendre la chose vraisemblable (sur le plan du réalisme romanesque), il lui arrive très souvent de relater des scènes se déroulant entre deux personnes, sans que personne puisse assister à leur entretien. Disons que c'est une sorte de narrateur intermittent qui, lorsqu'il se trouve empêché, repasse la parole à son créateur…

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