Je me demande parfois si nous avons raison (nous : les “réacs” plus ou
moins puristes, et plus ou moins influencés par Renaud Camus…) de monter
sur nos grands chevaux, chaque fois que ce qui sonne à nos oreilles
comme une monstruosité de langage apparaît – et Dieu sait si l'époque en
est féconde. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'avoir raison ou tort,
bien entendu, mais de savoir s'il est bien utile de charger lance au
clair contre ce genre de moulins. Actuellement, l'un des tics de langue
qui m'horripilent le plus est l'emploi du mot “personnel” comme
équivalant à “employé”, c'est-à-dire désignant un individu et non
l'ensemble du personnel, ainsi qu'il était pourtant de règle jusqu'à hier
matin. Il ne se passe plus de jour sans qu'on entende, à la radio ou à
la télévision, journalistes et “experts” parler des personnels de
France-Télévision ou de Véolia. Mon premier réflexe, lorsque cette
aberration arriva jusqu'à moi pour la première fois, et encore
maintenant, fut de trouver cela profondément stupide.
Mais voici que, dans Les Confessions, je tombe sur ce paragraphe
où Rousseau, évoquant Mme de Warens (au passage, je me demande depuis
quelques jours comment il convient de prononcer son nom, à celle-là ;
j'aurais tendance à dire Waran, comme on prononce Doullens Doullan, mais bon), Rousseau donc parle de son
domestique, pour désigner l'ensemble des serviteurs à son service. Le
mot “domestique” se comportait donc au XVIIIe siècle exactement comme
notre “personnel” moderne, et il semble que, bien avant lui, il a
effectué la même glissade sémantique, sans doute suivant le même mode,
le domestique collectif s'individualisant et, du coup, éliminant le mot
“serviteur”, peut-être jugé infamant ou “stigmatisant”. Il est du reste
amusant de constater que ce pauvre “domestique” a été victime du même
opprobre pudibond et bientôt remplacé par des périphrases de plus en
plus chantournées.
Voilà ce que je me disais. Or, je me trompais. Vérifiant dans le
dictionnaire, je me suis aperçu que le mot “domestique” pour parler d'un
employé de maison était utilisé dès le XVIe siècle, et que ce n'est que
par extension qu'il a, un temps, servi à en désigner l'ensemble pour
une maison donnée : trois petits tours et puis s'en va. Si bien que,
échevelé et livide au milieu de cette tempête, je ne sais plus, à cette
heure, ce qu'il faut penser de ce satané personnel en sa nouvelle
livrée, s'il faut pleurer ou en rire, s'il convient de le vouer aux
gémonies ou au prochain dictionnaire de l'Académie.