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lundi 9 juillet 2012

Comment domestiquer le personnel ?


Je me demande parfois si nous avons raison (nous : les “réacs” plus ou moins puristes, et plus ou moins influencés par Renaud Camus…) de monter sur nos grands chevaux, chaque fois que ce qui sonne à nos oreilles comme une monstruosité de langage apparaît – et Dieu sait si l'époque en est féconde. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'avoir raison ou tort, bien entendu, mais de savoir s'il est bien utile de charger lance au clair contre ce genre de moulins. Actuellement, l'un des tics de langue qui m'horripilent le plus est l'emploi du mot “personnel” comme équivalant à “employé”, c'est-à-dire désignant un individu et non l'ensemble du personnel, ainsi qu'il était pourtant de règle jusqu'à hier matin. Il ne se passe plus de jour sans qu'on entende, à la radio ou à la télévision, journalistes et “experts” parler des personnels de France-Télévision ou de Véolia. Mon premier réflexe, lorsque cette aberration arriva jusqu'à moi pour la première fois, et encore maintenant, fut de trouver cela profondément stupide.

Mais voici que, dans Les Confessions, je tombe sur ce paragraphe où Rousseau, évoquant Mme de Warens (au passage, je me demande depuis quelques jours comment il convient de prononcer son nom, à celle-là ; j'aurais tendance à dire Waran, comme on prononce Doullens Doullan, mais bon), Rousseau donc parle de son domestique, pour désigner l'ensemble des serviteurs à son service. Le mot “domestique” se comportait donc au XVIIIe siècle exactement comme notre “personnel” moderne, et il semble que, bien avant lui, il a effectué la même glissade sémantique, sans doute suivant le même mode, le domestique collectif s'individualisant et, du coup, éliminant le mot “serviteur”, peut-être jugé infamant ou “stigmatisant”. Il est du reste amusant de constater que ce pauvre “domestique” a été victime du même opprobre pudibond et bientôt remplacé par  des périphrases de plus en plus chantournées.

Voilà ce que je me disais. Or, je me trompais. Vérifiant dans le dictionnaire, je me suis aperçu que le mot “domestique” pour parler d'un employé de maison était utilisé dès le XVIe siècle, et que ce n'est que par extension qu'il a, un temps, servi à en désigner l'ensemble pour une maison donnée : trois petits tours et puis s'en va. Si bien que, échevelé et livide au milieu de cette tempête, je ne sais plus, à cette heure, ce qu'il faut penser de ce satané personnel en sa nouvelle livrée, s'il faut pleurer ou en rire, s'il convient de le vouer aux gémonies ou au prochain dictionnaire de l'Académie.

mardi 5 juin 2012

Le jargon qui tue (et rassasie aussi)


Les gens qui baragouinent au lieu de s'exprimer, ceux qui ont passé la fin de semaine sur Nantes, qui ont eu un souci de circulation en rentrant, lequel heureusement n'a pas du tout impacté leur soirée télé, tous ceux-là vous répètent à l'envi, si l'on se risque à une remarque timide, que la syntaxe on s'en fout, que l'important c'est de se faire comprendre. Et puis, hein, les règles, l'orthographe, tout ça, c'est vachement clivant, si t'y réfléchis.

Ils ont tort, et la preuve en est faite depuis quelques jours : leur jargon est dangereux, il peut même tuer. Tout le monde s'accordera à reconnaître que : « Chère amie, que dirirez-vous d'aller dîner dans un restaurant chinois ? » est une phrase beaucoup trop longue, limite chichiteuse, et qu'on a bien raison de lui préférer le rapide et moderne : « On mange chinois, c'soir ? ». De fait, les rues, les cafés, les autobus sont désormais tout bruissants de ce petit mantra culinaire : On mange chinois ? Tiens, hier, on a mangé chinois, c'était super ! Ça te dirait qu'on se fasse un chinois ?

L'expression s'est tellement répandue, et si vite, qu'elle a fini par franchir l'Atlantique, remonter le Saint-Laurent, arriver à Montréal, pour finalement pénétrer dans le conduit auditif de Luka Rocco Magnotta avant de remonter jusqu'à son esprit un peu faiblard et son entendement minimal.

Et c'est alors que, comme on l'y invitait si expressément, Luka Rocco Magnotta, valeureux preneur de jargon au pied de la lettre, a en effet mangé chinois.

vendredi 18 mai 2012

De la majuscule éliminatoire


La majuscule, encore appelée capitale, est d'un maniement relativement simple ; ou du moins l'était avant le complet naufrage de la pseudo Éducation dite nationale. Il est cependant quelques occurrences particulières où, aucune règle ne la justifiant, sinon l'usage, elle se trouve un peu difficile à cerner, à justifier. C'est notamment le cas de celle que nous appellerons la majuscule éliminatoire. Plutôt que d'essayer d'en bricoler une définition – chose difficile pour un esprit aussi brouillon que le nôtre –, nous nous contenterons de trois exemples qui, on l'espère, rendront clair le propos.

Si vous écrivez dans une phrase “le président”, il va de soi qu'il peut s'agir, selon le contexte, de celui d'une société de boulistes du Vivarais, d'une compagnie d'assurances nancéenne ou de la République française. En revanche, si vous choisissez “le Président”, il ne peut s'agir que de celui des États-Unis d'Amérique, lequel élimine alors tous les autres.

Il en va presque de même avec le général. Sans majuscule initiale, vous voilà contraint de préciser : le général Machin ou encore le général de tel corps d'armée (s'il a quatre étoiles) voire de division (s'il en est resté à trois). Mais si vous parlez du Général – en tout cas en France –, il ne peut s'agir que de Charles de Gaulle. (Et là, avec ce “de” d'avant Gaulle, revient par la bande l'irritante question de la majuscule initiale, mais par un autre biais, et ce n'est pas notre propos du jour.)

Enfin, si vous vous mettez en situation d'évoquer le narrateur, il va bien vous falloir dire de quelle histoire il est la voix, préciser ce qu'il est censé narrer. Alors que si vous évoquez le Narrateur, tout le monde comprendra qu'il s'agit de celui d'À la recherche du temps perdu. (Quand je dis “tout le monde”, j'oublie naturellement les légions de malheureux qui seraient passés par les griffes de la prétendue Éducation dite nationale.)

Il n'est pas exclu que tous les présidents, les généraux, les narrateurs de ce monde ne se regroupent en association lobbyiste afin de protester véhémentement contre ce scandale discriminatoire. On verra.

samedi 25 février 2012

Ah, que nous vienne le dernier des juste !

C'est la nouvelle scie, et elle se répand comme le feu sur une traînée de poudre – car, oui, dans le langage, une scie a le pouvoir de se répandre, en plus de tronçonner le réel. Elle consiste en un tout petit mot : juste. Qui n'est pourtant pas le mot juste, allez comprendre. 

L'autre soir, lors de sa poussive prestation sur France 2, Marine Le Pen l'a employé une grosse douzaine de fois, ce vocable intempestif : « C'est juste insupportable… », « C'est juste révoltant… », etc. En quoi la présidente du Front national n'a fait que se mettre à la remorque  de la blogosphère, où le juste est partout et la vérité nulle part. On avait déjà le “c'est vrai que”, dûment pointé par d'autres et mieux que je ne saurais le faire, utilisé à tout commencement de phrase, surtout lorsqu'il s'agit de se lancer dans des affirmations hasardeuses dont la véracité est rien moins qu'établie. Nous voici donc englués dans le juste, dont on ne sait s'il a partie liée avec la justesse ou avec la justice – probablement avec aucune de ces deux notions. À moins qu'il ne renvoie à une insuffisance avouée, ou au précipice au bord duquel on se trouve, dos au vide ; mais alors il manque un tout à ce juste : Je sais tout juste écrire.

Il reste que lorsqu'on lit – et c'est désormais tous les jours – quelque chose comme : « La situation est juste intolérable », on se demande par quel facteur aggravant la dite situation pourrait passer au-delà de l'intolérable. Ou alors, il faut chercher la solution du côté des électeurs de gauche, eux qui s'apprêtent à voter pour François Hollande, parce que Nicolas Sarkozy est juste catastrophique.

Pour tous les autres, qu'ils prennent donc leur mal en patience : le dernier des juste finira bien par advenir. Ce sera juste interminable.

lundi 13 décembre 2010

La vérité, mais à quel titre ?

La question des règles typographiques présidant aux titres d'œuvres, et en particulier lorsque ces titres commencent par l'article défini, est de celles qui ont tendance à irriter et à décourager – tantôt l'un, tantôt l'autre ; souvent les deux –, à force de complications byzantines. Même les utilisateurs opiniâtres et consciencieux finissent par se sentir des envies de jeter d'éponge, lorsqu'ils consultent les sites internet dédiés à cette question et constatent que la guerre fait rage au sein même des diverses académies. La tentation est grande alors de se replier sur ses minima, comme disait Barrès à propos de tout autre chose, et d'adopter la procédure simplifiée à l'extrême qui consiste à placer une majuscule au premier mot du titre quel qu'il soit et à en priver tous les autres, sauf bien sûr s'il s'agit de noms propres. Comme beaucoup de tentations simplificatrices, il convient de ne pas céder trop vite à celle-ci. Car, ce faisant, on risque d'effacer certaines nuances mises là par l'auteur, de perdre du sens.

Prenons le cas du roman de Kawabata dont le titre est fait de ces trois mots : les-belles-endormies. On voit bien qu'il est composé d'un article défini suivi de deux adjectifs, dont l'un substantivé. Oui, mais lequel ? Seule la typographie (ou la lecture du roman, bien entendu) est à même de nous le dire. Le titre : Les belles endormies resterait tout à fait muet à ce sujet et, sans doute plus ennuyant, d'une neutralité triste. Si l'on écrit : Les Belles endormies, le lecteur rompu à la règle en déduira que l'on va lui parler de femmes dont la beauté est la principale caractéristique, et qui se trouvent par surcroît, de manière peut-être plus anecdotique, être plongées dans le sommeil. Or, bien entendu, ce n'est pas cela que Kawabata a écrit, c'est même l'inverse : ses jeunes filles n'ont leur place dans son histoire que parce qu'elles sont endormies, et c'est cet adjectif-là qui se fait donc substantif. Si elles sont belles – et elles le sont à des degrés très variables, et même la beauté de chacune d'elle est très changeante selon les heures et les angles –, c'est en plus. Le vrai titre doit donc être : Les Belles Endormies, avec majuscule initiale à chacun des trois mots.

Sinon, c'est la pagaille.