dimanche 25 août 2013

Le spectre des Lombards


« […] Le monde continuait de s'abîmer entre la peste et la guerre. On n'en finissait pas. Un immense bégaiement de malheur et de violence emplissait le siècle et le ciel. L'histoire des hommes était celle du blé sous le fléau. Que voulait Dieu, et de quelle faute punissait-il ses créatures ?

» L'empire de Constantinople, occupé à combattre au loin les Avars et les Perses, avait besoin de l'impôt italien et ne lâchait pas prise. Pour écraser à la fin l'impétueux Totila, il avait fait appel à d'autres mercenaires, les Lombards, venus de la Baltique et, pour la plupart, adorateurs du dieu Odin. Certains disaient même que le vieux général Narsès, mécontent de ce qu'il estimait être l'ingratitude impériale, leur avait délibérément offert l'Italie. Ce qui est sûr, c'est que plus de cent mille hommes, femmes et enfants s'étaient répandus dans la plaine du Pô, dans l'Ombrie, dans le Latium ; pas un instant ils ne songeaient à repartir, et l'on était bien loin, avec eux, d'un Théodoric à Ravenne ou d'un Clovis dans les Gaules, ces barbares avisés qui avaient su composer, tant bien que mal, avec les vieilles lois de l'Empire.

» Ceux-là étaient des fauves. Leur seule vue inspirait une étrange terreur, avec leurs cheveux rasés jusqu'à l'occiput, et qui pendaient au-devant plus bas que leurs bajoues ; il y avait là quelque chose d'inquiétant, de contraire à l'ordinaire et naturelle façon de présenter aux autres son visage. Leur férocité était sans limites. Ils laissaient derrière eux des flammes, des charniers et des mutilations. L'Italie, après cette nouvelle tempête, demeurait comme une fille de ferme secouée, battue, bondée de semences et rendue folle ; elle ne savait plus à qui elle était. […] »

François Taillandier, L'Écriture du monde, Stock, pp. 142-143.

5 commentaires:

  1. Il m'a l'air tout-à-fait lombardophobe, ce Taillandier.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il est limite : j'attends d'en savoir un peu plus sur son compte avant de le dénoncer aux officines.

      Supprimer
  2. Ce serait encore plus beau écrit en alexandrins je pense ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. LeVertEstDansLeFruit26 août 2013 à 22:43

      .. Il faut déjà être capable d'écrire ça!

      Supprimer
  3. "L'Ecriture du monde" dans un style à vous dresser les poils du dos, alors que tout est luxe, calme et volupté, comme chacun sait.
    Taillandier : à dénoncer d'urgence pour cause d'incitation des peuples hébétés à la révolte.

    RépondreSupprimer

La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.