C'est un bon grand-père, on imagine son sourire, on a presque envie de le connaître ; on le ferait, si on avait le temps. On imagine qu'il est en train de terminer une vie tout à fait ordinaire, comme moi ou vous, il a fait des enfants qui l'aiment beaucoup et qui ont plaisir à le venir voir, si ce n'est pas trop souvent et pas trop longtemps.
Parce que, tout de même, avec l'âge et la diminution normale des neurones– c'est un peu moins gênant qu'Alzheimer, vis-à-vis des voisins et des collègues –, grand-père Babel est devenu gauchiste ; il lui restait ça comme issue pour rester jeune à ses propres yeux : il a foncé comme un gamin. Depuis la révélation qu'il a eue, de cette fontaine de jouvence idéologico-gériatrique, il s'esbaudit de tous les combats, il s'y lance, s'y donne, s'y abandonne.
Ses enfants, normalement et quiètement socialistes, s'inquiètent un peu, donc. Dans la voiture, quand ils vont le visiter, ils en parlent à mi-voix, pour ne pas provoquer d'inutiles discussions avec leurs jeunes héritiers installés à l'arrière de l'Audi achetée d'occasion l'année dernière (mais avec toutes les options), grâce au bon président Hollande qui a permis le déblocage anticipé de l'épargne d'entreprise (qui n'est plus ce qu'elle a été, cependant : salaud de Sarkozy, président des riches).
Les petits-enfants de Babel, eux, c'est autre chose : les dérapages incontrôlés de Papy, ça les amuse plutôt, et même beaucoup. D'abord parce qu'ils l'aiment vraiment ; plus que leurs parents, si ça se trouve. Il est leur véritable enfance, la part irréductible. Et ils sentent confusément qu'ils ne tarderont pas à le perdre, forcément : ils sont, cette troisième génération, suffisamment grandis, pour entrevoir déjà quelle merde est la vie.
À l'arrière de la voiture, ils repassent leur leçon, se morigènent mutuellement, révisent leur gauchisme, celui qui fera plaisir à Papy. S'ils sont consciencieux, ils ont peut-être fait des fiches : l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l'ignominie planétaire des États-Unis, le caractère diabolique des Juifs et de l'État d'Israël, plus trois ou quatre manies plus innocentes qu'on réactivera au moment de la tarte aux pommes bourrative et imbouffable, avant que Papy ne s'endorme sur sa révolution à cause du petit rouge acheté à son vieux camarade chevelu, producteur de vin alternatif.
Finalement, ils passeront un excellent dimanche. Parce que, tout de même, Papy c'est un sacré mec. Il raconte n'importe quoi, mais alors, quelle santé ! Et tu as vu la tronche de Papa quand il a dit que personne ne devrait avoir droit à plus qu'un trois-pièces dans un HLM d'État ? Putain, trop drôle ! Si Papy était au pouvoir, Papa se retrouverait à transporter les poubelles communautaires !
Au bout du compte, le week-end a été bon pour tout le monde. Les petits-enfants se sont bricolé un ou deux souvenirs supplémentaires pour bientôt, quand Papy aura été bouffé par son crabe prévisible ; la génération intermédiaire a puisé dans la rencontre des raisons plus fortes de voter raisonnablement François Hollande (« Non, parce que, franchement, ton père, il est très gentil, et tu sais que je l'aime beaucoup, mais enfin, là, son côté Lénine en couche Confiance c'est un peu limite, non ? »).
Quant à notre Babel, eh bien je crois qu'on ne peut que l'envier : il a passé la journée avec les trois ou quatre êtres qu'il aime le plus au monde, il est sûr d'avoir bousculé ses petits-enfants, de leur avoir, par ses outrances verbales, prouvé sa jeunesse alors qu'il n'a fait que signer son grand âge. Il espère qu'ils reviendront dans trois semaines comme Geneviève – sa belle-fille qu'il n'aime pas tant que ça, au fond ; mais bon : c'est la mère des petits – le lui a assuré ; mais il sait bien que les excuses sont nombreuses pour différer, il la connaît, et son fils aussi.
Il patientera, il a l'habitude ; pour que le temps passe mieux, il pensera à la révolution imminente. Il fait ça depuis si longtemps, une semaine de plus ou de moins…
La nouvelle Céleste !
RépondreSupprimerFous êtes drès habile Monzieur Goux. Fous aurez peud-être troit à un prozès équidable afant d'être tondu. De be reberciez bas.
RépondreSupprimerNormal, qu'il devenu communiste, il est de l' époque des dinosaures tout comme les communistes.
RépondreSupprimerHourré Staline!
Parvenir à rendre le personnage (presque) sympathique requiert un talent certain. Ne l'avez-vous pas un peu vieilli ? Il me semble que, récemment, il ait parlé au présent de ses parents...
RépondreSupprimerJe ne sais pas si Kiva Badasz, que l'on voit sur la photo se serait reconnu dans ce portrait!
RépondreSupprimerAh, je le connais celui-là! C'est un éminent géopoliticien qui a une grandiose vision du monde et dont le plus long voyage a été de Nantes à Nice; c'est dire s'il le connait, le vaste monde! Mais heureusement, il a un pote encore plus vieux que lui et donc encore plus jeune d'esprit, qui lui a voyagé encore plus loin. Jusqu'en Chine comme Marco Polo (qui en avait ramené des tomates à ces imbéciles d'européens qui ne connaissaient rien). Même que pour mieux se comprendre avec les chinois il parlait arabe (le vieux pote, pas Marco Polo).
RépondreSupprimerLe voici avec son chien Lalka Voir en bas de page la touchante présentation du Papé
RépondreSupprimer