jeudi 26 août 2010

Hors d'ici, les preux chevaliers !

Dieu du ciel, l'horrible cauchemar ! Je me trouvais devoir rendre un service très compliqué (de plus en plus compliqué à mesure que le rêve déroulait son scénario) à un type qui s'était pris d'une sorte de passion pour moi – amicale au début mais de plus en plus équivoque – et qui se trouvait être atrocement défiguré ; non mais, vraiment, le genre pas regardable, avec la moitié gauche du visage arraché, la mâchoire à nu, plus de nez : l'Homme qui rit, à côté, c'est Brad Pitt. Or, voilà que je m'éveille dans mon lit (on est toujours au sein du rêve : je vis seul dans une maison dont toutes les issues sont fermées à clé, c'est la nuit) et sens la présence d'un corps contre mon dos. Je sais instantanément qu'il s'agit de mon Quasimodo et me mets à hurler – c'est Catherine qui m'a réveillé pour de bon, ce dont je lui sais gré.

Je sais très bien pourquoi j'ai fait ce cauchemar, moi qui n'en fais quasiment jamais : je n'aurais pas dû parler de lépreux avec la Mère Castor, lorsque nous nous trouvions dans la salle des échos, à La Chaise-Dieu. J'ai toujours éprouvé une trouille irraisonnée et malsaine des lépreux. Rien que le mot résonne assez lugubrement en moi. Il y a bien sûr le fait que j'en ai vu de vrais, en Éthiopie, dont certains qui étaient encore moins contemplables que mon visiteur nocturne d'avant-hier. Mais j'avais déjà 17 ans à l'époque, et ce n'est pas la cause première de ma répulsion.

Je devais avoir une petite dizaine d'années lorsque je suis allé (accompagné d'un oncle, plus âgé que moi de trois ans) voir Ben-Hur au cinéma Excelsior de Sedan. La scène où Charlton Heston va rechercher sa mère et sa sœur dans la grotte aux lépreux m'a considérablement ébranlé ; au point que, durant plusieurs mois ensuite, ma mère n'a jamais compris pourquoi je la suppliais de laisser la porte de ma chambre ouverte, afin de profiter de la lumière du salon. Bien sûr, ces terreurs vespérales ont diminué puis disparu. Il n'empêche que ce mot de lépreux a conservé toute sa charge, ainsi d'ailleurs que celui de Ben-Hur, un peu moins fortement tout de même.

Au tout début des années quatre-vingts, Ben-Hur est ressorti à Paris. Philippe Bernalin, qui ne l'avait jamais vu, m'a proposé de l'y accompagner – “dans un but thérapeutique”, a-t-il précisé après que je lui eus raconté l'anecdote. Et j'y suis allé. On se souvient que la fameuse scène intervient presque à la fin du film, juste avant celle de la montée au Golgotha. Si bien que j'ai passé plus de deux heures à ne rien voir du film, accroché à mes accoudoirs, une boule compacte au creux du ventre. Enfin, ce grand imbécile de Charlton a pénétré dans cette saloperie de caverne. Et j'ai pu constater que, de nos jours, ces malheureux lépreux de cinéma ne suffiraient même pas à faire interdire le film aux moins de quatre ans et demi – ma peur s'est dissipée d'un coup et, une demi-heure plus tard, j'ai repris deux fois des lasagnes.

Le plus étonnant est peut-être que plus un film est gore plus il m'amuse et me ravit, mais que ce mot, ce mot-là, celui que je n'ai que trop écrit depuis le début de ce billet, eh bien j'ai l'impression qu'il restera actif jusqu'à la fin de mes jours, comme certains vocables lovecraftiens ont une puissance de terreur qui dépasse de très loin leurs simples syllabes. C'est au point que je ne parviens même pas à trouver une chute rigolote.

24 commentaires:

  1. Je sais très bien pourquoi j'ai fait ce cauchemar, moi qui n'en fais quasiment jamais

    Un excès d'aligot je ne vois que ça.
    Ca travaille le foie ces bonnes choses, et nos nuits s'en ressentent.

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  2. Ah, non alors ! Comme nous étions rentrés à la maison, le dîner fut très raisonnable, et arrosé d'eau (avec deux ou trois bières avant, tout de même...).

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  3. Si j'ai le droit de raconter mes cauchemars, vos lépreux vont tout à coup vous sembler sortir d'un film de Walt Dysney.

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  4. Par contre, il y a un rêve que je veux faire ici, maintenant, tout de suite, et je le partage avec vous, c'est que cet abruti soit pris au mot immédiatement et définitivement.

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  5. Non merci, Georges. On va s'en passer...
    Didier, j'ai visité le cimetière de l'ancienne léproserie de la Désirade, une année. Très impressionnant. On a beau avoir toute sa raison (quoi que...), on n'ose pas toucher les pierres... C'est un mot tabou. Chargé de toutes les terreurs médiévales à crécelle.

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  6. je parlais de vos cauchemars Georges.
    Pour le candidat déchéance, j'ai trouvé ce commentaire sympa:
    " Tu vas dans le pays de tes rêves (cherche bien, tu vas trouver) et tu demandes à changer ta nationalité, ça fera tjs un pauv'con de moins en France.
    c cool si j'ai pu t'aider :-)"

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  7. Georges : vous avez tous les droits. Le problème, avec le cauchemar des autres, c'est que ça n'est jamais que le cauchemar des autres, justement.

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  8. Georges encore : pour l'abruti, j'irai ce soir de la maison...

    Carine : vous insinuez que, finalement, je serais peut-être normal ?

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  9. Didier, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit!

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  10. Dans Ben Hur, il y a un passage très rapide mais qui m'a marquée à tout jamais, lorsque les galériens, en pleine attaque sur mer tentent de s'échapper du bateau et on en voit un qui s'arrache le pied littéralement pour se libérer de la chaîne.
    Je me souviens de la profonde horreur qui m'avais touchée lorsque je regardais cette épouvantable scène et me suis toujours demandée jusqu'où pouvait aller l'instinct de survie...

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  11. Je vous assure que serrer la main d'un lépreux (ou ce qu'il en reste) n'a rien d'affolant. Moi aussi j'avais vu Ben Hur, et plus d'une fois, mais quand la personne qui m'a emmenée dans ce village de lépreux a serré une main tendue, j'étais juste derrière elle, et j'ai fait comme elle.
    C'est beaucoup plus cauchemardesque d'apprendre ce qu'on nous fait avaler, respirer, nous mettre sur le dos et aux pieds.
    Et je ne parle pas du dentifrice.

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  12. @Georges :excellent !! Et qu'on lui retire sa carte vitale, qu'il attrape la chtouille , la lèpre et finisse chez Pluton qui lui mitonnera...un mauvais rêve ! Wouarf !

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  13. Didier Goux : je n'ai aucun souvenir quant à moi de cette scène de Ben-Hur, mais je me souviens avoir été effrayé, enfant, par celle, sans doute analogue, du Tombeau hindou de Fritz Lang, au cours de laquelle une armée de lépreux affamés maintenus enfermés par le maharadjah dans les bas-fond du temple d'Eschnapour pour qu'ils n'infestent pas la ville sont involontairement libérés par une jeune Allemande et rampent lentement vers elle, avec des airs de zombis précurseurs de ceux des films de Romero, le long d'un escalier de pierre.

    La Crevette : terrible scène, effectivement.

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  14. « Bonjour Monsieur. Oui, bien sûr, c’est tout à fait possible. Votre nom ? Merci. (…) Voilà, c’est fait. Non, vous n’avez rien à signer. De rien, Monsieur, vous serez donc expulsé demain matin à 6 heures heure française. Bonne journée, Monsieur. »

    (Mauricette, à Kiddam.)

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  15. a La Chaise Dieu, en face de la Cathédrale, dans la petite rue derrière, il y a un petit estaminet où l'on vous fait des galettes à la farine de chataignes, remplies de tripoux! et le bougnat vous amène un grand panier avec plein de bouteilles qu'il dépose à côté de votre table, pour vous faire découvrir les vins d' Auvergne, si méconnus....la re-descente sur Vieille Brioude, le soir après ça est assez épique, mais bon!

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  16. et voilà, c'est encore de ma faute !

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  17. Didier, si ce rêve vous reprend, relisez encore et Angkor un certain roi lépreux assis sur une pierre benoite comme celle de la Chaise-Dieu. C'est souverain et sans écot...

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  18. relisez encore et Angkor

    J'ai connu une thaïlandaise qui me disait Angkor...
    Bon..
    Il est tard.

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  19. Finalement tout est dit dans le nom du blog de votre amie Irène non?
    Qu'elle y reste dans son asile!

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  20. Pitié, cette connasse d'Emmanuelle Gaume, on s'en passe…

    Magnifique trou de mémoire de Zacharias ! Ça leur apprendra à faire les guignols.

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  21. Fredo, je reste avec mes fantasmes iréniens et je vous laisse la grosse Delse (Suzon, t'as vu, j'ai encore fait une embardée dégueu…).

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  22. Bon, c'est nouveau, mais je n'ai plus accès à aucune vidéo depuis Levallois. Sans doute pour que ces salauds de travailleurs ne soient point distraits de leurs nobles tâches.

    Et comme, hier, soir, j'ai commencé une cure de blogo-désintox', j'ai pris un méchant retard...

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.